Isdigerde Roi de Perse déclara en ce temps-là la guerre aux Églises Chrétiennes, qui étaient répandues dans l'étendue de son Royaume. Voici quelle en sut l'occasion. Abdas était un Évêque qui avait de fort bonnes qualités ; mais étant transporté d'un zèle un peu trop ardent, il abattit un Pyrée, c'est-à-dire un Temple consacré en l'honneur du feu, que les Perses adorent comme un Dieu. Le Roi en ayant été averti par les Mages, envoya quérir Abdas, le reprit doucement d'avoir abattu ce Temple, et lui commanda de le relever. Abdas ayant refusé d'obéir, le Roi le menaça de faire renverser toutes les Églises des Chrétiens, et les fit en effet renverser, après néanmoins que l'Évêque eut été exécuté à mort. J'avoue que la démolition du Pyrée était tout à fait hors de saison. Quand saint Paul entra dans Athènes cette ville si fort adonnée au culte des Idoles, il n'y renversa point les Autels. Il se contenta d'y découvrir l'erreur, et d'y prêcher la vérité. J'admire cependant la générosité qu'Abdas eut de mourir, plutôt que de relever le Pyrée, et je ne vois point de couronnes qu'elle ne mérite. En effet élever un Temple en l'honneur du feu est presque la même chose que de l'adorer. La fermeté d'Abdas excita une tempête dont les personnes de piété furent battues en Perse l'espace de trente années. Les Mages entretinrent cette tempête ; c'est ainsi que les Perses appellent ceux qui attribuent quelque sorte de divinité aux éléments. J'ai rapporté leurs fables, et leurs rêveries dans un autre ouvrage, avec les réponses qu'il faut faire à chacune de leurs demandes. Gororanes ayant succédé à Isdigerde son père, continua la guerre qu'il avait commencée contre les fidèles, et la laissa en mourant à son fils, aussi bien que son Royaume. Il n'est pas aisé de représenter les nouveaux genres de supplices qu'ils inventèrent pour tourmenter les Chrétiens. Il y en eut quelques-uns, dont ils écorchèrent les mains, et d'autres dont ils écorchèrent le dos. Il y en eut à qui ils arrachèrent la peau du visage depuis le front, jusqu'au menton. Ils en couvrirent quelques-uns de roseaux coupés en long, et après avoir lié les roseaux sur eux, ils les levèrent avec violence, et leur emportèrent une partie de la peau, ce qui leur causait des douleurs très-sensibles. Ils firent des fosses, et après y avoir amassé quantité de rats et de souris, ils y enfermèrent des Chrétiens, auxquels ils avaient lié les pieds, et les mains, afin qu'ils fussent rongés peu à peu. L'ennemi de la vérité de Dieu, et de la nature des hommes leur enseigna beaucoup d'autres manières plus cruelles de persécuter les défenseurs de la piété. Mais il n'y eut point de cruauté qui pût ébranler leur confiance. Ils se présentèrent eux-mêmes à la mort, qui est suivie de l'immortalité. Je ne parlerai que de deux, ou de trois, pour faire juger par eux de tous les autres. Le Roi ayant appris qu'Horsmidas issu de l'illustre race des Achéménides, et fils d'un Gouverneur faisait profession de la religion Chrétienne, l'envoya quérir, et lui commanda de renoncer à son Sauveur. Mais il lui répondit que ses commandements n'étaient ni justes, ni utiles.
Quiconque, lui dit-il, sera capable de mépriser, et de méconnaître Dieu qui est le Souverain des Rois, méconnaitra, et méprisera encore plutôt les Rois, qui ne sont que des hommes sujets à la mort. Si c'est un crime qui mérite le dernier supplice que de vous refuser l'obéissance, qui vous est due, n'est-ce pas un crime beaucoup plus atroce, de renoncer au Créateur de l'Univers ?
Le Roi au lieu d'admirer comme il devait, la sagesse de cette réponse, ôta à Horsmidas sa charge, et son bien, et le réduisit à conduire les chameaux de l'armée. Quelques jours après regardant par la fenêtre de sa chambre, il vit cet homme d'une naissance illustre tout couvert de poussière, et tout brûlé du soleil, et l'ayant envoyé quérir, il lui fit mettre une tunique de fin lin. Alors croyant qu'il serait un peu adouci tant par ce bon traitement, que par la fatigue qu'il avait supportée, il lui dit :
Ne soyez plus opiniâtre, et renoncez enfin au fils du Charpentier.
Horsmidas transporté de zèle, déchira en présence du Roi, la tunique qu'il lui avait donnée, et lui dit :
Gardez le présent que vous ne m'aviez fait que pour me porter à l'impiété.
Le Roi ayant reconnu que sa fermeté dans la foi était tout à sait inébranlable, l'exila, nu comme il était, hors de son Royaume.
Ce Prince voyant que Suanés homme riche, et qui avait mille esclaves ne voulait point renoncer à la Religion, lui demanda lequel de ses esclaves était le plus méchant ? Quand il l'eut appris, il donna à celui-là le commandement de la famille, et obligea le Maître même à lui obéir. Il ôta encore à Suanès sa femme, et la fit épouser à cet esclave, dans l'espérance d'abattre sa foi. Mais cette espérance fut vaine, parce que sa foi était établie sur la solidité de la prière.
Il fit arrêter un Diacre nommé Benjamin, et enfermer dans une étroite prison. Un Ambassadeur de l'Empereur étant allé quelque temps après en Perse et ayant appris que ce Diacre était en prison, supplia le Roi de le mettre en liberté. Le Roi consentit de l'y mettre, pourvu qu'il n'instruisît aucun Mage des maximes de la Religion Chrétienne. L'Ambassadeur le promit en son nom, mais Benjamin le désavoua, en s'écriant :
Je ne puis me dispenser de communiquer ma lumière, et j'ai appris de l'Évangile quel supplice méritent ceux qui cachent en terre les talents que Dieu leur a donnés.
Le Roi n'ayant rien su de cette réponse de Benjamin, ordonna qu'on le mît en liberté. Quand il y fut, il continua à chercher selon sa coutume ceux qui étaient ensevelis dans les ténèbres de l'ignorance, et aies éclairer de la lumière de la vérité. Le Roi en ayant été averti un an après, l'envoya quérir, et lui commanda de renier Dieu. Il prit alors la liberté de demander à ce Prince quel supplice il croyait que mériterait un de ses sujets qui quitterait son Royaume pour aller s'établir dans un autre. Le Roi lui ayant répondu, qu'il serait digne du dernier supplice ; Benjamin répartit avec une merveilleuse sagesse :
De quel supplice est donc digne celui qui abandonne son Créateur, pour faire son Dieu d'un de ses compagnons, et pour lui rendre un souverain culte ?
Le Roi irrité de cette réponse, commanda d'enfoncer des pointes de roseaux sous les ongles de ses pieds, et de ses mains. Mais s'étant aperçu qu'il se moquait de ce supplice, il lui fit enfoncer plusieurs fois un roseau dans les parties naturelles, ce qui lui causa une douleur très-sensible. Il le fit ensuite empaler, et ce supplice consomma le martyre de ce généreux défenseur de la foi. L'impiété des Perses se porta alors à d'autres cruautés fort barbares. Il ne faut pas trouver étrange que Dieu les ait permises, puisque tous les Empereurs qui ont précédé le grand Constantin, ont été animés de fureur contre l'Église, et que Dioclétien fit démolir en un seul jour, qui était le jour de la Passion du Sauveur, tous les lieux que les Chrétiens avaient dans l'étendue de l'Empire pour faire leurs assemblées. Ces édifices-là furent relevés neuf ans après avec plus de splendeur que jamais, au lieu que Dioclétien périt avec son impiété. La persécution, et la victoire de la foi ont été également prédites par le Sauveur, et il est clair que la guerre est plus avantageuse à la Religion, que la paix. Celle-ci nous porte au relâchement, et à la mollesse, au lieu que l'autre nous donne de la vigilance, et nous inspire du mépris pour tous les biens qui passent. Mais ce n'est pas ici le lieu de cette morale, j'ai traitée en plusieurs autres ouvrages.