Salomon profita de la paix qui lui était accordée pour développer encore et pour perfectionner maintes choses dans l’organisation de son vaste empire. Il fortifia plusieurs villes, Jérusalem en particulier ; il fit diverses grandes constructions (1 Rois 9.15 ; 11.27) ; il favorisa l’industrie et le commerce. Les ports de mer iduméens, Hélath et Etsionguéber, lui appartenaient ; de là ses vaisseaux allaient jusqu’à Ophir, l’embouchure de l’Indus (1 Rois 9.26 ; 10.22)c.
c – Ritter a toute une étude sur ce sujet dans sa géographie, 348 à 431.
Mais ce règne brillant avait bien des ombres. Le luxe et le faste du roi devaient finir par peser bien lourdement sur le peuple. Salomon se livra de plus en plus au plaisir et à la volupté ; ses femmes étrangères l’entraînèrent même dans l’idolâtrie ; pour leur plaire, il fit construire tout près de Jérusalem des hauts lieux à l’honneur de leurs dieux (1 Rois 11.4, 7 ; 2 Rois 23.13). Il est évident qu’il chercha à sortir son peuple de son isolement ; il ouvrit la Palestine au commerce des Phéniciens et, ce qui était plus grave, il l’ouvrit à toutes les religions. Or on sait que les Israélites étaient par nature assez disposés à un certain libertinisme religieux et moral. Aussi se forma-t-il, dès ce moment, dans le peuple en opposition aux sages, une classe de gens aux mœurs relâchées et d’esprits forts, que les proverbes appellent des moqueurs (Létzim, לצים) et qu’ils définissent ainsi : « On appelle moqueur un superbe arrogant, qui agit avec colère et fierté. » (Proverbes 21.24) Depuis un certain temps il n’avait plus été question de prophètes. Le moment était venu maintenant pour quelqu’un de ces envoyés divins, de parler sans ménagement au roi coupable : « Puisque tu as ainsi agi, je déchirerai certainement le royaume. » (1 Rois 11.11-13) Là dessus Ahija va trouver Jéroboam, Ephraïmite, homme fort et vaillant, l’un des principaux employés de Salomon, et il lui annonce que dix tribus vont être enlevées à la maison de David, et qu’il en deviendra le roi (v. 29 et sq.).
[Ahija lui déclare même que, s’il demeure fidèle à l’Éternel, Dieu lui établira une maison stable, v. 38. Cette maison ne prendra pourtant jamais la place de celle de David. C’est au fils d’Isaï et à sa postérité que demeurent attachées les glorieuses promesses du royaume éternel ; elles ne peuvent passer à la maison de Jéroboam, en sorte que, v. 39, ce ne sera pas pour toujours que la famille de David sera affligée.]
Le rôle d’Ahija dans cette affaire est absolument identique à celui de Samuel dans l’affaire de Saul (1 Samuel 15.28), et l’on ne voit pas pourquoi Ewald veut faire d’Ahija un esprit étroit, un retardataire qui ne comprend pas que les temps ont changé, et que les prophètes ont pour toujours perdu la haute position qu’ils occupaient autrefois dans l’Etat. Comme si ce n’était pas au contraire avec la décadence que l’on voit grandir en Israël l’influence des messagers divins ! On n’a pas même le droit de dire qu’Ahija ait excité Jéroboam à la révolte. Il déclare expressément que Dieu laissera Salomon sur le trône tout le temps de sa vie, 1 Rois 11.34. Jéroboam n’avait qu’à songer à la ligne de conduite que David avait suivie à l’égard de Saül, pour savoir ce qu’il avait à faire jusqu’à la mort de Salomon. Et remarquez que, humainement parlant, David avait bien plus de raisons pour se révolter que n’en avait Jéroboam. Si ce dernier dut fuir en Egypte, c’est qu’il était devenu suspect à Salomon.
Sitôt après la mort de Salomon, Jéroboam revint et se mit à la tête de la députation chargée de demander au nouveau roi la réduction des impôts. On sait la réponse de Roboam. Alors dix tribus se séparèrent de lui et établirent Jéroboam roi sur tout Israël (1 Rois 12.20). Ce fut en vain que Roboam assembla une puissante armée. Il suffit d’un mot de Scémahja pour dissiper toutes ces troupes (v. 22, 2 Chroniques 11.2 et sq.), circonstance, pour le dire en passant, qui montre de quelle autorité a toujours joui la parole des prophètes. La vieille rivalité des deux tribus les plus puissantes, Ephraïm et Juda, et l’état momentané de division dans lequel s’était trouvé le royaume après la mort de Saül, et vers la fin du règne de David lors de la révolte de Scébah (2 Samuel 19.41 et sq.), avaient préparé dès longtemps cette scission définitive. A quelques intervalles près (Josaphat), il veut continuellement guerre entre Israël et Juda. Les deux royaumes consumèrent leurs forces dans une lutte qui ne se termina qu’à la ruine de l’un d’eux. Mais pendant tout ce temps les prophètes eurent invariablement les yeux tournés vers un avenir meilleur : le temps viendra où les douze tribus seront de nouveau réunies sous quelque puissant fils de David.
Mais avant d’aller plus loin, quelles sont donc les dix tribus qui formèrent le royaume d’Israël ? Cette question mérite d’être examinée. Elle a si fort embarrassé Keil, par exemple, qu’il a fini par considérer le nombre dix comme un chiffre symboliqued. — Il est bien entendu, d’abord, que Lévi ne compte pas ; il ne peut en être question quand on se place, comme ici, au point de vue politique. En second lieu, Benjamin fait partie du royaume de Juda (1 Rois 12.21 ; 2 Chroniques 11.3, 10, 23 ; 14.8). Les dix tribus sont donc tout le reste du peuple, Ephraïm et Manassé comptant pour deux ! — Fort bien ! mais, lors même que 2 Chroniques 15.9, nous montre des Siméonites se rattachant au royaume d’Israël (voir aussi 2 Chroniques 34.6), la tribu de Siméon comme telle n’a absolument pas pu faire partie du royaume des dix tribus. Son territoire était enclavé dans celui de Juda (Josué 19.1-9). La ville de Béerséba, qui appartenait à Siméon, est expressément attribuée au royaume de Juda (1 Rois 19.3). Ce n’est pas tout : Bethel, Guilgal, Jérico, tout autant de villes benjaminites, appartiennent au royaume d’Israël, et, sous Bahasça du moins, il en était de même de Rama, à deux heures seulement au nord de Jérusalem (1 Rois 15.17, 21). Benjamin avait toujours eu des rapports particulièrement intimes avec Joseph, son frère. Dans le désert, Benjamin, Ephraïm et Manassé avaient toujours marché ensemble (Nombres 2.17 ; 10.21-24). Comme c’était de la tribu de Benjamin que Saül était sorti, elle avait toujours fait cause commune avec les adversaires de David, et elle ne s’était pas démentie lorsqu’elle avait fourni, en la personne de Schébah, un homme disposé à se mettre à la tête des Israélites mécontents. Le Psaumes 80, composé à l’occasion de la ruine du royaume des dix tribus, place Benjamin entre Ephraïm et Manassé. (v. 3.) — Pour toutes ces raisons, nous croyons que la tribu de Benjamin était partagée. Benjamin-campagne faisait partie du royaume d’Israël. Benjamin-ville, c’est-à-dire Jérusalem avec son territoire, demeura tout naturellement fidèle à la maison de David. De cette manière, on pouvait dire que le royaume de Juda ne comptait qu’une tribu (1 Rois 11.13, 32, 36), une seule tribu entière, ce qui n’empêchait pas que beaucoup de Benjaminites n’y fussent incorporés.
d – Nous avons dix parts au roi, disent les gens d’Israël en 2 Samuel 19.43.
[Hupfeld, dans son commentaire du Psaumes 80, propose de voir Benjamin dans la tribu que Dieu promet de donner aux descendants de David (1 Rois 11.13, 32, 36). Ce n’est pas celle de Juda. dit-il, mais c’est celle que la maison de David conservera outre celle de Juda. C’est bien peu naturel ! — C’est en comptant Manassé pour deux que Delitzsch arrive au nombre de dix tribus pour le royaume d’Israël (Commentaire sur les Psaumes, 1re éd., pag. 611). Mais on n’est aucunement fondé à compter ainsi.]
Une partie des Danites se rattachaient également à Juda ; c’étaient ceux qui étaient demeurés dans le territoire qui leur avait été primitivement assigné (Josué 19.40 et sq.), entre Benjamin, Juda et Ephraïm. Dans 2 Chroniques 11.10, quelques localités danites sont citées au nombre des villes que fortifie Roboam. Voyez aussi 2 Chroniques 28.18. Mais comme toute une partie de cette tribu s’était établie dans le nord de la Palestine, elle pouvait fort bien être considérée comme faisant partie du royaume des dix tribus.
En résumé, le royaume de Juda se composa de la tribu de Juda tout entière et d’une partie de Siméon, de Benjamin et de Dan. De cette manière, on comprend 1 Rois 12.23, où, à propos de l’armée de Roboam, il est parlé de Juda, de Benjamin et du reste du peuple ; et cela d’autant plus que le v. 17 rapporte que Roboam continua de régner sur les ressortissants des dix tribus qui se trouvèrent dans les villes de Juda lorsqu’éclata le schisme de Jéroboam. Si l’on songe aux nombreux habitants des tribus du nord, qui dans les siècles suivants quittèrent leur pays et se rapprochèrent de Jérusalem (2 Chroniques 15.9), on doit reconnaître que tout Israël finit par être plus ou moins fortement représenté dans le royaume de Juda, et l’on comprend que les Juifs, יהודים, puissent être considérés comme les représentants du peuple tout entier.
[Sous Josias, dit-on, les deux royaumes se sont rapprochés et même alliés. C’est là une supposition qu’on a faite pour expliquer Zacharie 9.13 ; 11.14, où il est parlé de la fraternité de Juda et d’Israël. Mais c’est aussi là une supposition toute gratuite.]
Le royaume des dix tribus comptait huit tribus entières, à savoir : Ascer, Nephtali, Zabulon, Issacar, Ephraïm, Manassé, Ruben et Gad ; plus une partie de Siméon, de Dan et de Benjamin. Mais la capitale de Benjamin étant restée celle du royaume de Roboam, cette tribu ne pouvait raisonnablement être regardée comme acquise au royaume d’Israël.