C’est sous Achab qu’apparaissent pour la seconde fois dans l’histoire du peuple de Dieu des écoles de prophètes.
[Ce n’est que dans l’histoire de Joram que se rencontre le mot d’école, de prophètes, mais la chose paraît avoir existé déjà sous son père, puisqu’il est question de fils de prophètes du temps d’Achab (1 Rois 20.35). Là où il y avait des fils de prophètes, il y avait aussi des écoles de prophètes.]
On ne sait jusqu’à quel point il faut les envisager comme les filles des associations analogues que nous avons vues fleurir du temps de Samuel. Il est probable que les anciennes sociétés de prophètes étaient dissoutes, et qu’Elie les rappela à la vie pour que les fidèles des dix tribus, privés de tout vrai culte et séparés du sanctuaire légitime, eussent en elles un point d’appui religieux. Nous n’en trouvons pas moins de trois, assez rapprochées les unes des autres, et précisément dans des villes où le faux culte avait dressé ses autels, à savoir : Béthel, Jéricho et Guilgal (2 Rois 2.3,5 ; 4.38). Le manque de place obligea bientôt celle de Guilgal à se transporter sur les bords du Jourdain (2 Rois 6.1), ce qui nous montre que ces établissements comptaient de nombreux élèves. Voyez encore 2 Rois 2.7,16 ; 4.43.
On a cru que ces fils de prophètes étaient réellement des enfants de prophètes. C’est une erreur, il y a des choses qui ne s’héritent pas. C’étaient simplement des élèves de prophètes, absolument comme dans les Proverbes et l’Ecclésiaste, la Sagesse s’adresse à ses fils. C’étaient des jeunes hommes (naar, נער 2 Rois 9.4), parmi lesquels il pouvait s’en trouver de mariés (2 Rois 4.1)c.
c – Ces derniers faisaient ménage à part. Les autres mangeaient en commun (2 Rois 4.38) — Ainsi donc ils n’étaient point astreints au célibat.
[Le seul prophète à nous connu qui ait eu pour père un prophète est Jéhu, fils de Hanani (1 Rois 16.1). Les fils de prophètes sont parfois appelés tout simplement des prophètes (1 Rois 20.38, 41 ; 2 Rois.9.4) ; une fois même (1 Rois 20.35), nous voyons un fils de prophète agir absolument comme un prophète. Mais il ne faudrait pourtant pas conclure de là qu’il n’y eût aucune différence entre les uns et les autres.]
Ces fils de prophètes quittaient momentanément leurs séminaires pour parcourir les campagnes et pour entrer en rapport plus intime avec les populations. Ils pouvaient même les quitter pour de plus longs espaces de temps : Elisée séjourna sur le Carmel (2 Rois 2.25 ; 4.25), et plus tard nous le trouvons à Samarie dans une maison à lui (2 Rois 5.9 ; 6.32).
Leur genre de vie était simple. Leur mise était également une protestation contre les recherches de la mode. Samuel nous apparaît revêtu d’une robe qui rappelle celle du souverain sacrificateur (1 Samuel 15.27 ; 28.14). Elie porte un manteau de poil de chèvre ou de chameau et une ceinture de cuir sans aucun ornement, 2 Rois 1.7. Ce manteau rude et grossier fut adopté par ses successeurs (Zacharie 13.4 ; Hébreux 11.37 ; Matthieu 3.4 ; 11.8). Quand Elie passant près d’Elisée lui jette son manteau sur les épaules, c’est là à la lettre une espèce d’investiture (1 Rois 19.19). Toutefois, il n’est nulle part question d’aucune cérémonie de consécration pour les prophètes. C’est à peine si, malgré 1 Rois 19.10 : tu oindras, — Elisée a jamais reçu l’onction sainte.
[Ésaïe 61.1 est une expression figurée de laquelle on ne peut absolument rien conclure. On lit dans beaucoup de manuels que l’onction était accordée aux rois, aux prêtres et aux prophètes. Ce n’est vrai que pour les rois et les prêtres.]
C’est Dieu qui fait les prophètes, les hommes n’y peuvent rien (Amos 7.15 ; Ésaïe ch. 6 ; Jérémie ch. 1 ; Ézéchiel ch. 1). L’appel qu’Elie adresse à Elisée est efficace et décisif, mais c’est qu’il le lui adresse de la part de Dieu. Et quand le disciple demande à son maître une double portion de son esprit (la part du fils aîné), celui-ci lui répond que la chose n’est pas en son pouvoir, et tout ce qu’il peut faire, c’est de lui donner un signe auquel il reconnaîtra si Dieu trouve bon de lui accorder sa demande (2 Rois 2.10).
[Les fils des prophètes étaient élevés dans les principes de la soumission Ia plus absolue à l’Éternel (1 Rois 13.20 ; 20.35 ; Jérémie 1.7 ; 20.7 ; Ézéchiel 3.17).]
Une chose assez remarquable, c’est que les écoles de prophètes remplaçaient jusqu’à un certain point, pour le peuple des dix tribus, le sanctuaire légitime qu’il n’osait plus approcher. 2 Rois 4.23, semble indiquer que dans certains jours solennels, elles étaient un but de pèlerinage. Le verset 42 permet même de penser qu’il y avait des fidèles qui offraient aux prophètes les dîmes dont ils ne pouvaient plus s’acquitter en faveur du temple. En tous cas, ils vivaient en grande partie de dons volontaires et, avec la haute considération dont ils jouissaient parmi le peupled (2 Rois 4.8), ils ne devaient pas souvent être dans le besoin.
d – Chacun ne les traitait pas d’insensés comme Jéhu (2 Rois 9.11).
[D’ailleurs, on n’allait guère leur demander conseil les mains vides (1 Samuel 9.8 ; 1 Rois 14.3). Remarquons toutefois que le désintéressement leur était fort recommandé (2 Rois 5.20-27 ; 1 Rois 13.16).]
En revanche, ce qui pouvait fort bien arriver, c’était que des chevaliers d’industrie empruntassent le manteau de prophète pour vivre aux dépens de ceux qui se laissaient prendre à leurs beaux discours, et c’est ce qui eut lieu, en effet : voyez tous les faux prophètes de 1Rois ch. 22 ! Du temps d’Amos, le mal était si général qu’il se défend de faire, partie d’aucune association prophétique : Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète (Amos 7.14). C’est dans ce passage, qui a été écrit sous Jéroboam II, qu’apparaît pour la dernière fois l’expression de fils de prophète, et que par conséquent, nous trouvons les derniers vestiges d’une école de prophètes. Dans le second livre des Rois, il n’en est déjà plus fait mention depuis l’avènement de Jéhu au trône de Samarie.
Mais n’anticipons pas ; nous sommes au contraire arrivés à un moment où l’on put croire que l’influence des prophètes l’avait emporté sur toute autre au sein du royaume schismatique. C’est d’une école de prophètes que part le signal de la révolution qui détrône la famille de Homri. Taudis que Joram, blessé dans une bataille contre les Syriens, se fait soigner à Jisréel, Elisée envoie un jeune prophète oindre pour roi sur Israël Jéhu, officier occupé au siège de Ramoth de Galaad. En même temps que l’onction royale, Jéhu reçoit la mission d’exécuter sur la maison d’Achab la malédiction qu’Elie avait jadis prononcée contre elle (1 Rois 21.21-29). Le nouvel élu tombe à l’improviste sur Jisréel ; il met à mort Joram, sa mère Jésabel et toute sa famille, après quoi il extermine d’un seul coup tous les prêtres de Baal (2 Rois 10.18 et sq.). Voilà ce qui nous a fait dire qu’il y eut un instant où, grâce à l’influence des prophètes, on put croire la cause de Baal à jamais perdue en Israël. Mais nous verrons bientôt ce que devint plus tard Jéhu. En attendant, disons quelques mots d’un homme qui fut son auxiliaire fidèle aussi longtemps qu’il fut lui-même fidèle à l’Éternel (2 Rois 10.15,23).
Jonadab, fils de Réchab, est le fondateur de la secte des Réchabites (Jérémie 35.6), famille d’ascètes et de nomades, qui s’étaient engagés à ne bâtir aucune maison, à ne semer aucune semence, à ne planter aucune vigne, à ne point boire de vin. D’après 1 Chroniques 2.55, ils descendaient de ces Kéniens qui avaient reçu droit de bourgeoisie en Israël du temps de Moïse, et qui avaient été incorporés à l’une des familles (משפ_הּ) de la tribu de Juda, ainsi qu’on peut le supposer, d’après ce même passage des Chroniques. Chose curieuse, Diodore de Sicile (19.94), attribue aux Nabatéens des principes absolument analogues, mais l’historien profane explique cette singularité par le désir qu’avait cette tribu nomade de conserver son indépendance, tandis que Jonadab était mu sans doute par un mobile religieux ; il voulait préserver ses descendants de la corruption que la civilisation amène si souvent avec elle. Il y a certainement quelque rapport entre les Réchabites et les Naziréens ; mais on n’a pourtant pas le droit de ne voir en eux que de simples Naziréens. Remarquez que, d’après 1 Chroniques 2.55, les Kéniens, d’où sont sortis les Réchabites, ont également fourni plusieurs familles de scribes et de docteurs de la loi.