Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIV

CHAPITRE III
Aristobule offre une vigne d'or de la valeur de cinq cents talents à Pompée ; Pompée vient à Damas ; il reçoit des ambassadeurs Juifs : Antipater de la part d'Hyrcan, et Nicodémos de la part d'Aristobule ; Pompée condamne la violence d'Aristobule, il marche contre lui ; Aristobule se réfugie dans la place forte d'Alexandreion ; Pompée lui ordonne de livrer ses châteaux forts, Aristobule obtempère mais se réfugie à Jérusalem pour se préparer à la guerre.

Vigne d'or offerte à Pompée par Aristobule.

1. Peu de temps après, Pompée arriva à Damas et entra dans la Cœlé-Syrie ; il reçut des envoyés de toute la Syrie, de l'Égypte et de la Judée. Aristobule lui envoya un riche présent, une vigne d'or de la valeur de cinq cents talents. Strabon le Cappadocien mentionne ce présent en ces termes : « Il reçut aussi d'Égypte une députation et une couronne de la valeur de quatre mille pièces d'or, et de Judée une vigne ou un jardin : les Juifs donnaient à ce travail le nom de “charme des yeux”. Nous avons pu voir nous-même ce présent à Rome dans le temple de Jupiter Capitolin ; il porte l'inscription “d'Alexandre, roi des Juifs”. Il est estimé à cinq cents talents. On dit que ce présent fut envoyé par Aristobule, chef des Juifs. »[1]

[1] Cet épisode n'est pas inséré à sa place chronologique car Pompée n'arrivera réellement à Damas que plus bas (Cf. Niese, Hermes, XI, 471). On peut en conclure avec certitude que Josèphe l'a emprunté directement à Strabon, et non pas à travers Nicolas. Mais il n'est pas facile de savoir où s'arrête la citation de Strabon. Naber la termine avec le …charme des yeux, Niese (et sans doute Schürer) la prolonge jusqu'aux mots “500 talents”. Mais nous croyons que la dernière phrase On dit que… y appartient encore, car les mots τὸν Ἰουδαίων δυνάστην ne sont pas dans la manière de Josèphe ni dans celle de Nicolas. On ne comprend pas très bien pourquoi les informateurs de Strabon attribuaient à Aristobule l'envoi de cet objet qui portait la dédicace d'Alexandre (Jannée) (La correction Ἀριστοβούλου au lieu d' Ἀλεξάνδρου n'est qu'une conjecture du ms. E). On peut se demander s'il ne faut pas distinguer deux vignes, émanant l'une d'Alexandre, l'autre d'Aristobule (cette dernière pourrait être celle qui figura au triomphe de Pompée, Pline, XXXVIII, 2, 14). Cf. Revue des ét. juives, XXXVIII (1899), p. 170. Mais j'ai eu tort d'identifier la vigne d'Aristobule avec le présent de 400 talents offert à Scaurus et touché par celui-ci (voir plus haut).

Pompée à Damas. Les princes juifs plaident leur cause devant lui.

2. Peu après[2], Pompée reçut de nouveaux ambassadeurs, Antipater de la part d'Hyrcan, et Nicodémos de celle d'Aristobule. Celui-ci porta plainte contre Gabinius et contre Scaurus, pour lui avoir extorqué de l'argent, l'un d'abord trois cents, l'autre quatre cents talents ; c'était se créer deux nouveaux ennemis en plus des anciens[3]. Pompée ordonna aux plaignants de se présenter en personne ; puis, au commencement du printemps, il concentra son armée, quitta ses quartiers d'hiver et marcha vers le territoire de Damas. Sur sa route, il détruisit la citadelle d'Apamée, qu'Antiochus Cyzicène avait bâtie, et dévasta le territoire de Ptolémée fils de Mennaios : cet homme cruel ne valait pas mieux que Dionysios de Tripolis, son allié par mariage, lequel périt sous la hache ; Ptolémée échappa au châtiment que méritaient ses crimes moyennant mille talents qui servirent à Pompée à payer ses troupes. Pompée détruisit ensuite la forteresse Lysias[4], dont le Juif Silas était maître. Puis il traversa les villes d'Héliopolis et de Chalcis, et, franchissant la montagne qui sépare la Cœlé-Syrie du reste de la Syrie[5], vint à Damas. Là il écouta les doléances des Juifs et de leurs chefs : Hyrcan et Aristobule ne s’entendaient pas entre eux, et le peuple n'était d'accord ni avec l'un ni avec l'autre, demandant à ne pas avoir de rois car la tradition était, disaient-ils, d'obéir aux prêtres du Dieu qu'ils honoraient, et ces hommes, qui descendent des prêtres, avaient voulu amener le peuple à changer de gouvernement, pour le réduire en servitude. Hyrcan se plaignait d'avoir été, lui le plus âgé, privé de son droit d'aînesse par Aristobule, et de ne posséder plus qu'une petite étendue de territoire. Aristobule s'étant emparé du reste par la force ; il accusa mensongèrement celui-ci d'être l'auteur des incursions chez les peuples voisins, des actes de piraterie sur mer, assurant que jamais le peuple ne se serait soulevé sans sa violence et sa turbulence. Ses plaintes étaient appuyées par plus de mille des Juifs les plus considérables, à l'instigation d'Antipater. Aristobule répondait que, si son frère était tombé du pouvoir, c'était la faute de son caractère, dont l'indolence le rendait méprisable ; lui-même n'avait pris le pouvoir que par crainte de le voir passer en d'autres mains ; quant à son titre, c'était celui qu'avait porté son père Alexandre. Comme témoins, il citait des jeunes gens insolents, que rendaient odieux leurs vêtements de pourpre, leur coiffure apprêtée, leurs bijoux et tous les ornements dont ils étaient couverts, on eût dit qu'ils ne venaient pas comparaître en justice, mais figurer dans quelque cortège.

[2] Hiver 64-63 av. J.-C.

[3] Il n'a pas été question encore de l'extorsion de Gabinius.

[4] Strabon mentionne également cette place, dont le site exact n'est pas connu.

[5] L'excellente correction de Niese (d'après P) τὴν κοίλην... Συρίαν ἀπὸ τῆς ἄλλης (Πέλλης dans les autres mss.) s'impose. Cf. Niese, préface du tome III, p. XXII.

Marche de Pompée. Négociations avec Aristobule.

3. Pompée, après avoir entendu les deux adversaires, condamna la violence d'Aristobule ; pour l'instant il les renvoya avec de bonnes paroles, promettant, une fois dans leur pays, de tout arranger, dès qu'il aurait examiné les affaires des Nabatéens. Jusque-là, il les invita à rester tranquilles, tout en flattant Aristobule de peur qu'il ne soulevât le pays et ne lui coupât ses communications. C'est ce que fit cependant Aristobule : sans attendre l'effet d'aucune des promesses de Pompée, il se rendit à Dion[6] et de là passa en Judée.

[6] La version de la Guerre, ἀπὸ Δίου (mms. Δίος) πόλεως χωρίζεται supposerait que Pompée avait amené les princes rivaux de Damas à Dion, ce qui est en contradiction avec la suite du récit.

4. Pompée, irrité, rassembla les troupes qu'il allait diriger contre les Nabatéens, leur adjoignit les auxiliaires de Damas et du reste de la Syrie, et les réunissant aux légions romaines qu'il avait déjà, marcha contre Aristobule. Mais quand il eut dépassé Pella et Scythopolis et eut parvenu à Corées[7], qui est la première ville de Judée, quand on vient de l'intérieur, Aristobule se réfugia dans la magnifique place forte d'Alexandreion, située sur le sommet de la montagne[8]. Pompée lui envoya l'ordre de se rendre auprès de lui. Aristobule, sur le conseil que lui donnèrent nombre de ses amis de ne pas faire la guerre aux Romains, descendit de son asile, et, après avoir plaidé contre son frère la question du pouvoir, remonta dans sa citadelle, avec la permission de Pompée. Il recommença une seconde, puis une troisième fois, flattant Pompée dans l'espoir d'obtenir de lui le trône, et promettant d'obéir à tout ce qu'ordonnerait celui-ci, mais toutefois se retirant toujours dans sa place forte afin de ne pas se laisser désarmer, et se préparant des ressources en cas de guerre, dans la crainte que Pompée ne donnât le pouvoir à Hyrcan. Pompée lui avant ordonné de livrer ses châteaux forts et d'envoyer aux chefs des garnisons les instructions nécessaires écrites de sa propre main — ils avaient défense d'exécuter toute autre espèce d'ordre —, il dut obéir, mais, irrité, il se retira à Jérusalem et se prépara à la guerre. Peu de temps après, comme Pompée partait en expédition contre lui, des messagers arrivant du Pont lui apprirent en route que Mithridate venait de périr de la main de son fils Pharnace[9].

[7] Un peu au sud de Scythopolis, sur la route de Jéricho, et à l'O. du Jourdain, comme le prouve la mosaïque de Médaba. Aujourd'hui Karaoua sur le Ouadi Faria.

[8] Peut-être le mont Sartaba, à 2 lieues au S. de Karaoua.

[9] D'après Guerre, la nouvelle lui parvint à Jéricho même.

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