C’est sous Achaz, roi faible et idolâtre, que fut porté pour la première fois au royaume de Juda un de ces coups qui mettent en question l’existence même des états. Retzin, le roi de Syrie, et Pékach, le roi d’Israël (2 Rois 16.5 ; 2 Chroniques 28.5 et Ésaïe ch. 7), unirent leurs forces contre Achaz, écrasèrent son arméen, lui enlevèrent le port d’Elath et aidèrent Edom à recouvrer son indépendance, en sorte qu’à partir de ce moment Juda fut exposé aux incursions des Iduméens au sud, comme il l’était à l’ouest à celles des Philistins (2 Chroniques 28.17). Il ne restait plus aux alliés qu’à prendre Jérusalem et à chasser du trône la famille de David. — Le cœur d’Achaz et le cœur de son peuple étaient ébranlés comme les arbres des forêts sont ébranlés par le vent (Ésaïe 7.2). Le prophète offrit au roi le secours de l’Éternel, mais le monarque, aussi incrédule qu’hypocrite, le refusa, car il avait déjà appelé à son aide le roi d’Assyrie, Tiglath-Piléser.
n – C’est pour cela que dans Esaïe ch. 7, il n’est plus question de l’armée considérable qu’avaient organisée Josias et Jotham.
[Comment aurait-il cru, adonné à l’idolâtrie comme il l’était ? (2 Rois 16.3 ; 2 Chroniques 28.2 ; Michée 1.13 ; 6.16) — Il paraît que les prêtres se prêtèrent avec une déplorable facilité à toutes ses exigences (2 Rois 16.10 ; 2 Chroniques 29.34, fin du verset). C’est probablement parce qu’ils avaient trempé davantage que les simples lévites dans l’idolâtrie d’Achaz, qu’ils furent aussi plus tardifs à seconder Ezéchias dans sa réforme religieuse.]
Tiglath-Piléser accourut en effet, mais pour s’assujettir Juda. Achaz, pour se rendre le roi d’Assyrie favorable, lui avait fait dire par ses ambassadeurs : Je suis ton serviteur (2 Rois 16.7) ; il lui fut réellement asservi (Ésaïe 10.24,27).
Quand on vit arriver au pouvoir le pieux et énergique Ezéchias, si bien secondé par Esaïeo et par Michée, on put espérer qu’une ère nouvelle allait commencer pour le royaume de Juda.
o – Esaïe était alors dans toute sa force.
[Ezéchias, dès la première année de son règne, où l’idolâtrie était encore fort générale, écouta les représentations de Michée avec une docilité dont on se souvint longtemps (Jérémie 26.18). Les sources pour ce règne sont 2 Rois ch. 18 à 20, Ésaïe ch. 26 à 39 et 2 Chroniques ch. 29 à 32, ainsi que Michée et les discours d’Esaïe qui se rapportent à cette période. Ou peut dire qu’Ezéchias, pendant son règne de 29 ans, n’a poursuivi qu’un seul but, le relèvement complet de son peuple. Relèvement religieux, en secouant le joug de l’idolâtrie ; relèvement politique, en secouant le joug des Assyriens. 2 Rois 18.4, est très bref sur son activité réformatrice ; 2 Chr. ch. 29 à 32 entre au contraire dans beaucoup de détails à cet égard. Le ch. 31 raconte en particulier les mesures qu’il prit pour affermir son œuvre religieuse et pour assurer aux prêtres et aux lévites un entretien régulier.]
Mais une réforme extérieure du culte ne suffit pas à changer les cœurs. L’idolâtrie fut abolie, mais par quoi fut-elle remplacée ? Par un culte sans vie, par de vains sacrifices (Ésaïe 1.10 et sq.). En effet, je crois que la préface d’Esaïe a été écrite sous Ezéchias, et non pas sous Hosias ou Jotham ; car il est peu naturel de voir une prophétie dans Ésaïe 1.7 ; et d’autre part le v. 10 ne s’appliquerait guère au temps d’Achaz. Voyez aussi Ésaïe 29.13 ; Michée 6.6. La corruption fit des progrès tout particulièrement rapides dans les hautes classes de la société et parmi les personnes revêtues de quelque charge publique. Esaïe et Michée reprochent aux riches leurs désordres, aux juges, aux prêtres leur vénalité, aux faux prophètes leur vile complaisance pour le peuple (Michée 2.11 ; Ésaïe 1.15 ; 9.14-15 ; 38.7 ; 29.20) ; voyez la sévère réprimande qu’Esaïe adresse à Sçebna le premier ministre d’Ezéchias, Ésaïe 22.15, 19. Le parti violent des nobles de la capitale fit surtout un tort immense à l’état. Au lieu de supporter patiemment le joug assyrien, d’y voir un juste châtiment et d’attendre de Dieu seul la délivrance, ainsi qu’Esaïe les exhortait à le faire (Ésaïe 10.24, 27 ; 30.15 et sq.), ces incorrigibles, renouvelant, la funeste politique d’Achaz, fondaient toutes leurs espérances sur l’étranger, avec cette seule différence que maintenant c’était sur l’Egypte qu’ils comptaient pour les aider à recouvrer leur indépendance, tandis que naguère ils avaient appelé Tiglath-Piléser pour tenir tête à Retzin et à Pékach.
[On peut supposer qu’Ezéchias suivit secrètement cette même politique dès le commencement de son règne ; voir Ézéchiel 33.15. Ce chapitre se rapporte au premier temps du règne d’Ezéchias.]
L’Egypte était alors partagée en deux royaumes : la basse Egypte avait pour capitale Tanisp (Ésaïe 30.4) ; la haute Egypte faisait partie de l’empire éthiopien de Thiraka, le Tarakos des Grecs (2 Rois 19.9 ; Ésaïe ch. 18). Eh bien ! c’était vers l’Egypte que se tournaient les regards de tous les petits états des rives de la Méditerranée, qu’effrayaient toujours plus, les progrès de la puissance assyrienne ; le chapitre 20me d’Esaïe est à cet égard un passage intéressant. Et Juda n’était pas plus sage qu’Asdod et que tous ses voisinsq.
p – Tsoan est la même ville que Tanis.
q – Voyez dans Movers. Phéniciens II, 393, — le tableau détaillé de la politique de ce temps-là.
Toutefois, ce n’est pas sous Salmanazar qu’Ezéchias rompit ouvertement avec l’Assyrie, mais bien sous Sennachérib.
[En effet, comment alors Salmanazar n’aurait-il pas puni Jérusalem en même temps que Samarie ? — Les campagnes de Sargon, qui est le même que Salmanazar (Ésaïe 20.1), contre Samarie, la Phénicie et les Philistins, peuvent avoir réagi sur Juda. Mais nous-ne savons absolument rien d’une guerre dirigée dans ce temps-là contre Juda.]
A peine sur le trône, Sennachérib se vit engagé dans une grande guerre contre Babylone et la Médie. Ezéchias choisit ce moment pour lui refuser le tribut qui lui était dû.
A peine trois ans après, — en la 14me année du règne d’Ezéchias, — Sennachérib fond sur Juda. Le vrai but de sa campagne était la conquête de l’Egypte, mais il se proposait, en passant, de châtier Ezéchias. Celui-ci, épouvanté, lui envoie des ambassadeurs chargés d’obtenir de lui la vie et la paix au prix de n’importe quels sacrifices pécuniaires. Sennachérib exige une indemnité de guerre énorme (2 Rois 18.13 et sq.). Jérusalem, heureuse d’en être quitte pour de l’argent, se livre à une joie insensée, au milieu de laquelle retentit la voix sévère du prophète : « Qu’as-tu que tu es toute montée sur les toits, ville qui ne demandes qu’à te réjouir ? » Et en effet, à peine Sennachérib a-t-il reçu les 300 talents d’argent et les 30 talents d’or, qu’il manque à son tour à sa parole (Ésaïe 33.7 et sq., il a rompu l’alliance), et qu’il envoie à Lakis son général Thartan et deux autres hauts fonctionnaires avec une partie de son armée pour sommer Jérusalem de se rendre, après quoi il procédera, — il ne le cache pas, — à la déportation des Juifs (Ésaïe ch. 36, 2 Rois 18.17). Dans cette position désespérée, le pieux roi se jeta entièrement dans les bras de son Dieu.
[Il fit bien aussi tout son possible pour mettre la ville en état de défense (2 Chroniques 32.3-6) ; mais, à vues humaines, il n’en était pas moins perdu (Ésaïe 37.3). Le danger s’accrut encore lorsque Sennachérib, apprenant que le roi d’Egypte s’avançait à sa rencontre, se rapprocha de Jérusalem et vint camper devant Libna, bien décidé à brusquer les événements, afin d’assurer ses arrières.]
L’armée assyrienne fut complètement anéantie en une seule nuit par une peste (Josèphe. Comp. aussi 2 Samuel 24.16), sous les murs de la ville qu’elle pensait prendre d’assaut le lendemain même. C’est probablement à l’occasion de cette délivrance magnifique, que furent composés les Psaumes 46 et 75, et quelques-uns des suivants. Hérodote (2.141) raconte la chose au point de vue des Egyptiens. C’est leur prêtre-roi qui, par ses prières, a obtenu cette délivrance ; des souris se sont répandues de nuit dans le camp des Assyriens, elles ont rongé les cordes des arcs et les courroies des carquois et des boucliers. Au lever du soleil, l’armée se voyant sans défense a pris la fuite… La souris est le symbole de la disparition, de la mort, et spécialement de la mort par la peste (1 Samuel 6.4). C’est pour n’avoir pas compris ce symbolisme que l’on a inventé l’histoire des cordes rongées.
[Esaïe avait annoncé que le temps viendrait où des peuples étrangers apporteraient des présents à l’Éternel, dont ils auraient compris la grandeur. Des faits tels que la destruction subite d’une immense armée, étaient bien propres à produire une semblable impression. Aussi voyez 2 Chroniques 32.23 ; Psaumes 76.12. Les livres postérieurs en reparlent souvent. Tobie 1.18, rapporte que Sennachérib, de retour à Ninive, y fit massacrer par vengeance un grand nombre de Juifs. Voyez aussi 1 Maccabées 7.41 ; 2 Maccabées 8.19 ; 3 Maccabées 6.5.]
L’Assyrie ne se remit jamais de cet échec. L’Éternel se servit encore d’elle pour punir le successeur d’Ezéchias, Manassér ; mais Babylone allait remplacer Ninive, et c’était à l’empire chaldéen qu’était dévolue la tâche de porter à Juda le coup suprême (2 Rois 20.12 ; Ésaïe 39.6 ; Michée 4.10).
r – Probablement sous Assaradon.
L’A. T. est assez bref sur les quinze dernières années d’Ezéchias. Il bat les Philistins (2 Rois 18.8)s ; il se fait respecter de ses voisins (2 Chroniques 32.22) ; il amasse de grandes richesses (v. 27) ; il en tire vanité ; l’Éternel lui annonce les châtiments terribles qui s’approchent. Toutefois, la paix et la sûreté durent pendant sa vie, et à sa mort il est enseveli au plus haut des sépulcres des fils de David.
s – Le v. 7 semble du moins indiquer que cette victoire eut lieu dans la seconde partie de son règne. Comparez Ésaïe 14.28, où cette victoire est annoncée.