1. Après sa victoire sur Pompée et la mort de celui-ci[2], César dans sa guerre d'Égypte eut fort à se louer des bons offices d'Antipater, administrateur de Judée, agissant par ordre d'Hyrcan[3]. Comme Mithridate de Pergame, qui amenait des renforts à César, ne pouvait forcer le passage de Péluse, et s'arrêtait auprès d'Ascalon, Antipater vint à la tête de trois mille hoplites Juifs, et détermina les chefs d'Arabie à fournir également leur concours. Ce fut aussi grâce à lui que de toutes les parties de la Syrie arrivèrent des renforts, personne ne voulant se laisser distancer en empressement à l'égard de César : tels le dynaste Jamblique. Ptolémée, fils de Soaimos, qui habitait le Liban[4], et presque toutes les villes. Mithridate, parti de Syrie, arriva à Péluse, et comme les habitants refusaient de le recevoir, il mit le siège devant la ville, Antipater se distingua entre tous il put faire une brèche dans la muraille, et ouvrit ainsi le chemin aux troupes pour envahir la ville. C'est ainsi que Péluse fut prise. Cependant les Juifs habitant le territoire dit d'Onias voulurent empêcher Antipater et Mithridate de rejoindre César. Antipater arriva à les persuader de se rallier à la cause de l'envahisseur, à l'exemple de leurs compatriotes. surtout en leur montrant les instructions du grand-prêtre Hyrcan, qui les priait d'être les amis de César, d'accueillir son armée et de lui fournir tout le nécessaire. Quand les Juifs virent qu'Antipater et le grand-prêtre étaient d'accord, ils obéirent ; les habitants de Memphis[5], apprenant qu'ils s'étaient ralliés à César, appelèrent à leur tour Mithridate ; celui-ci se rendit à leur appel et se les adjoignit également.
[1] Guerre, I, §§ 187-200.
[2] Le texte dit bizarrement : « Après la mort de Pompée et sa victoire sur lui ».
[3] Il est difficile de savoir quelles fonctions exactes se cachent sous le titre de ἐπιμελητὴς Ἰουδαίων que Josèphe emprunte à Strabon ; peut-être renferme-t-il un anachronisme. César est en Égypte depuis octobre 48 av. J.-C. Les évènements qui suivent se placent au printemps 47.
[4] Le texte des mss. est très incertain. Guerre nomme simplement Ptolémée et Iamlichos. Ces dynastes ne sont pas autrement connus, mais le nom Iamlichus reparaît parmi les soldats ituréens (Wilmanns, n° 1530) et celui de Sohémus est porté par plusieurs princes de la même région.
[5] Whiston interprète οἱ περὶ Μέμφιν par « les Juifs de Memphis ».
2. Il avait déjà parcouru toute la région qu'on appelle le Delta, quand il rencontra l'ennemi près de l'endroit appelé le camp des Juifs[6]. Mithridate commandait l'aile droite et Antipater l'aile gauche. Une fois le combat engagé, l'aile de Mithridate faiblit, et eût couru les plus grands dangers si Antipater, qui avait déjà vaincu l'ennemi de son côté, n'était accouru par les bords du fleuve avec ses soldats, et n'avait tiré Mithridate de ce mauvais pas et mis en déroute les Égyptiens vainqueurs. Il les poursuivit avec ardeur, s'empara de leur camp et rappela Mithridate, qui avait été repoussé fort loin : Mithridate perdit huit cents hommes, Antipater quarante[7]. Mithridate écrivit à César à ce sujet, déclarant qu'il devait la victoire et son propre salut à Antipater ; aussi César envoya-t-il à celui-ci des éloges et l'employa-t-il pendant toute la guerre dans les missions les plus périlleuses ; Antipater fut même blessé en différents combats.
[6] Judeich (Cäsar im Orient, p. 92) identifie cette localité avec le castra ludocarum mentionné par la Noticia dignitatum, c. 25, dans l'Augustamnica (au S. E. du Delta). Schürer, III, 98, croit, au contraire, qu'il s'agit d'une localité située au N. O. de Memphis.
[7] 50 d'après quelques mss., 80 d'après Guerre.
3. Avec le temps, César termina la guerre et fit voile pour la Syrie. Il combla d'honneurs Hyrcan, auquel il confirma la grande prêtrise, et Antipater, auquel il accorda le titre de citoyen à Rome et l'exemption d'impôts en tout pays. Beaucoup prétendent qu'Hyrcan prit part à l'expédition et alla en Égypte, et je trouve dans Strabon de Cappadoce la confirmation de cette assertion ; il s'exprime, en effet, sur la foi d'Asinius[8], en ces termes : « Après que Mithridate et Hyrcan, grand-prêtre des Juifs, eurent envahi l'Égypte ». Ce même Strabon s'exprime ailleurs comme il suit, sur l'autorité d'Hypsicratès[9] : « Mithridate partit seul, mais Antipater, administrateur de Judée, appelé par lui à Ascalon, lui amena trois mille soldats de renfort et lui gagna les autres dynastes ; le grand-prêtre Hyrcan prit aussi part à l'expédition. » Tel est le récit de Strabon.
[8] Asinius Pollion, auteur d'Historiae, qui commençaient avec la constitution du premier triumvirat. Ce fragment (omis par Peter), figure dans nos Textes, p. 243.
[9] Hypsicratès d'Amisos, compatriote et contemporain de Strabon, qui le cite plusieurs fois, Textes, p. 77. Josèphe paraît avoir voulu, en citant ces témoignages, relever le rôle d'Hyrcan trop effacé dans le récit de Nicolas (Destinon, p. 104).
4. Antigone, fils d'Aristobule, se rendit alors auprès de César, déplorant le sort de son père et de son frère, l'un empoisonné, l'autre décapité par Scipion, par la faute de César, et il demandait pitié pour lui-même, qui avait été chassé du pouvoir ; il incriminait aussi Hyrcan et Antipater, qu'il accusait de gouverner le peuple par la violence et d'avoir à son égard violé la loi[10]. Antipater, qui était présent, réfuta l'accusation sur les points qui le concernaient ; il dénonça Antigone et les siens comme agitateurs et fauteurs de troubles, rappela toutes ses peines, l'aide donnée à César dans ses campagnes, mentionnant des faits d'armes dont celui-ci avait été témoin. Il dit qu'Aristobule avait été à bon droit déporté à Rome, car il avait toujours été l'ennemi des Romains et ne s'était jamais montré bien disposé pour eux ; que le frère d'Antigone n'avait reçu de Scipion que le châtiment qu'il méritait par ses brigandages, et n'avait été en cela victime ni de la violence ni de l'injustice.
[10] Guerre ajoute des insinuations sur les motifs intéressés qui leur auraient dicté leur intervention en Égypte. De même la réponse d'Antipater y est plus développée : il déchire sa robe, montre ses cicatrices, etc.
5. Après ce discours d'Antipater, César nomma Hyrcan grand-prêtre, et permit à Antipater de choisir le gouvernement qu'il voudrait. Celui-ci s'en étant remis à lui sur ce point, César le nomma procurateur de Judée. Il permit aussi à Hyrcan, qui lui demanda cette faveur[11], de relever les murs de sa patrie : car ils étaient encore en ruines depuis que Pompée les avait jetés bas. Puis il manda aux consuls à Rome d'avoir à inscrire ces dispositions au Capitole[12]. Le décret rendu par le sénat est conçu en ces termes[13] : « Lucius Valerius, fils de Lucius, préteur[14], a proposé cette décision au sénat, aux ides de décembre, dans le Temple de la Concorde[15]. Étaient présents, quand fut rédigé le décret, Lucius Coponius, fils de Lucius, de la tribu Collina, et … Papirius fils de … de la tribu Quirina. Au sujet des choses dont nous ont entretenus Alexandre[16], fils de Jason, Numenius, fils d'Antiochus, et Alexandre, fils de Dorothéos, ambassadeurs des Juifs, hommes justes et fidèles alliés, lesquels ont renouvelé l'assurance déjà donnée jadis de leur reconnaissance et de leur amitié pour les Romains, apporté, en signe d'alliance, un bouclier d'or du poids de cinquante mille pièces d'or[17], et demandé qu'on leur donnât des lettres pour les villes indépendantes et pour les rois, afin que leur territoire et leurs ports aient toute sécurité et n'aient à souffrir aucune injustice[18], — Nous avons décidé de faire amitié et alliance avec eux, de leur accorder tout ce qu'ils demandaient, et d'accepter le bouclier qu'ils apportaient. » Cela se passa sous le grand-prêtre et ethnarque Hyrcan, l'an 9, au mois de Panémos[19]
[11] D'après Guerre, qui suit sans doute le récit de Nicolas, c'est Antipater qui demande la permission de relever les murs de Jérusalem.
[12] Le véritable texte du décret de César se trouve plus loin, X, 2. Il en résulte que Hyrcan fût non seulement confirmé dans la grande prêtrise, mais institué ἐθνάρχης héréditaire des Juifs, sans que nous sachions toutefois quelle était l'étendue territoriale de sa domination. Il est probable que la division en 5 cités inaugurée par Gabinius fut alors abandonnée ; cela parait certain pour Jérusalem et pour la Galilée (infra, IX, 2).
[13] Josèphe s'est sûrement trompé en rapportant le sénatus-consulte qu'on va lire à l'époque de Hyrcan II. Il est plus ancien et se rapporte soit à l'époque de Jonathan (livre XIII ; I Maccabées, 12, 14 et 16), soit à celle de Simon (XIII, I Maccabées, 14, 24 ; 15, 15-21), soit (Scaliger) à celle de Hyrcan Ier (XIII). L'attribution à l'époque de Simon a été soutenue par Ewald, Grimm, Mendelssohn (Acta Societatis philologae Lipsiensis, V, 1875) etc. Elle est fondée sur la remarquable analogie de notre SG. avec la circulaire du consul Lucius dans I Maccabées 15, 16 suiv., où Simon est nommé deux fois. Cf. pour l'abondante bibliographie de cette question Schürer, I2, p. 251 suiv.
[14] Ce préteur (στρατηγός). Lucius Valerius a été identifié par Mendelssohn avec le consul Lucius dont on lit (I Maccabées, 15, 16 suiv.) une circulaire en faveur des Juifs et de Simon adressée au roi d’Égypte et aux autres alliés de Rome.
[15] Quoiqu'il y ait eu à Rome plusieurs temples successifs de la Concorde depuis Camille. Mommsen estime (Hermes, IX, 281 suiv.) que le seul où le sénat ait tenu séance est celui d'Opimius, bâti en 121 av. J.-C., ce qui exclurait l'attribution de notre SG. à l'époque de Simon.
[16] Dans I Maccabées, 14, 22, les deux ambassadeurs envoyés par Simon aux Spartiates s'appellent Νουμήνιος, Ἀντιόχου (comme le second dans notre texte) et Ἀντίπαρτος Ἰάσονος (ici Ἀλέξανδος Ἰάσονος). Ritschl a en conséquence proposé d'écrire ici aussi Ἀντίπαρτος (Rh. Museum, 28, 516).
[17] Le bouclier d'or que Numenius apporte à Rome de la part de Simon (I Maccabées, 14, 24), pèse 1.000 mines, c'est-à-dire 50.000 statères d'or : il y a donc concordance absolue. Toutefois dans la circulaire I Maccabées, 15, 18, l'expression [?] signifierait plutôt « valant 1.000 mines d'argent ».
[18] Cf. I Maccabées, 15, 19 (circulaire de Lucius).
[19] Cette dernière phrase est singulièrement embarrassante. Si, comme il est probable, Josèphe l'a trouvée dans sa source — quelque recueil de décrets en faveur des Juifs — il semble que le rédacteur ait eu en vu Hyrcan Ier plutôt que Hyrcan II. Car la 9e année de Hyrcan Ier (126 av. J.-C.), qui tombe en pleine lutte de Démétrius II et d'Alexandre Zébina, est une date assez plausible pour une ambassade à Rome ; au contraire, en l'an 9 de Hyrcan II (54 av. J.-C.), en plein proconsulat de Crassus, les Juifs ne pouvaient avoir l’idée de renouveler l'alliance avec Rome au prix d'un million. La date admise par Spanheim et Mommsen — 47 av. J.-C., 9 ans à compter de la réorganisation de Gabinius — nous paraît indéfendable, malgré l’approbation de Willrich et de Kautzsch. Nous ne sommes d'ailleurs pas forcés d'accepter (comme Scaliger et autres) la date proposée par le rédacteur (on a vu que les circonstances indiquent plutôt l'époque de Simon), mais on peut se demander comment il y est arrivé. Cela est d’autant plus énigmatique que le mois de Panémos correspond à peu près à juin et que le SG. est daté de décembre !
Hyrcan reçut aussi de grandes marques d'honneur du peuple athénien, auquel il s'était également rendu très utile. Les Athéniens lui envoyèrent un décret conçu en ces termes[20] : « Dionysios, fils d'Asclépiadès, étant prytane et prêtre, le cinquième jour avant la fin du mois Panémos, fut remis aux stratèges ce décret des Athéniens[21]. — Sous l’archontat d’Agathoclès[22] … Euclès, fils de Xenandros[23], du dème d'Aithalé, remplissant les fonctions de greffier, le onzième jour du mois de Munychion, [le onzième jour] de la prytanie, dans l'assemblée tenue au théâtre, les suffrages ayant été recueillis par Dorothée fils de…, d'Erkhia, président des proèdres et ses collègues, voici la décision prise par le peuple. Dionysios, fils de Dionysios, du dème de…, a proposé : Attendu que Hyrcan, fils d'Alexandre[24], grand-prêtre et ethnarque (des Juifs), fait preuve d'une constante bienveillance pour tout notre peuple en général et pour chacun des citoyens en particulier, montrant pour eux toute la sollicitude possible ; qu'il reçoit avec amitié ceux des Athéniens qui se rendent chez lui, soit en ambassade, soit pour leurs affaires personnelles, et les renvoie après avoir pris soin que leur retour s'effectue en toute sécurité : attendu que nombre de témoignages ont déjà établi ces faits quand nous fûmes saisis[25] de la question par Théodotos[26], fils de Diodoros, de Sunium, qui a rappelé au peuple le mérite de cet homme et son désir de nous servir de son mieux, — Plaise maintenant au peuple de lui décerner une couronne d'or comme récompense, suivant la loi[27], et de dresser sa statue en bronze dans le sanctuaire du Peuple et des Charites ; la couronne sera proclamée dans le théâtre aux Dionysies, lors de la représentation des nouvelles tragédies, et dans les concours gymniques des Panathénées, des Éleusinies et des (Ptolémaia)[28] ; les stratèges, tant qu'Hyrcan continuera et persévérera à notre égard dans ses bonnes dispositions, veilleront à ce qu'il éprouve tous les sentiments de déférence et de reconnaissance que nous inspirent sa bienveillance et son zèle : en sorte que ces démonstrations fassent voir que notre peuple réserve le meilleur accueil aux gens de bien, qu'il est prêt à reconnaître comme il convient leurs bons offices, et que tous, en voyant ces marques d'honneur rivalisent de bienveillance à notre endroit[29]. On choisira enfin parmi tous les Athéniens [trois] envoyés pour porter à Hyrcan ce décret, et le prier d'accepter ces marques d'honneur et de s'efforcer de toujours faire quelque bien à notre ville. » Ces documents en disent assez sur les marques d'honneur décernées par les Romains et le peuple athénien à Hyrcan.
[20] Sur ce document voir mon article dans la Revue des Études juives XXXIX (1899), p. 16 suiv. Mais de récentes découvertes épigraphiques ne me permettent pas de maintenir les conclusions de ce travail. Il semble actuellement démontré (voir Ferguson, The athenian archonts of the IIId and IId century B. C., Corneil studies X. 1899. p. 82) que l'archonte Agathoclès dont nous avons deux autres décrets (CIA., II, 470) appartient à la fin du Ier siècle av. J.-C., probablement à l'an 106/5, et dès lors notre décret vise Hyrcan Ier, et non pas comme l'a cru Josèphe (ou sa source) Hyrcan II. Déjà M. Homolle avait montré (Bull. corr. hell., X, 25 et XVII, 145) que l’auteur des décrets CIA., II, 470, figure comme épimélète dans une inscription délienne de 101 av. J.-C.
[21] Cette première phrase ne fait pas partie du décret athénien : c’est l'enregistrement de la remise de ce décret à une ville amie (Ascalon ?) chargée probablement de le transmettre à Jérusalem.
[22] Suivaient le numéro de la prytanie (sûrement la 10e) et le nom de la tribu prytane.
[23] Dans le second décret de Théodotos rendu la même année (CIA., II, 470) le greffier (qui restait alors en fonctions toute l’année) est appelé Εὐκλῆς Ξενάδρου Αἰθαλίδης. Il faut donc sûrement corriger d'après cela le texte de Josèphe qui porte Εὐκλῆς Μενάνδρου Ἀλιμούσιος. première faute s’explique sans peine, la seconde peut provenir d’une abréviation mal résolue.
[24] Cette dénomination ne convient qu'à Hyrcan II : si donc, comme on est porté à le croire le décret vise Hyrcan Ier (fils de Simon), il faut admettre un véritable faux de la part de Josèphe, ou plutôt de sa source.
[25] Je propose aujourd’hui de déplacer les mots δεδόχθαι δὲ καὶ νῦν qui, placés avant Θεοδοσίου - ἀγαθόν sont plus qu'embarrassants.
[26] Les mss. ont Θεοδοσίου (P. Διονυσίου) Θεοδώρου, mais on doit accepter la correction de Dumont (Essai sur la chronologie des archontes athéniens, p. 29), les deux autres décrets de la même année ayant pour auteur Θεόδοτος Διοδώρου Σουνιεύς.
[27] C'est-à-dire de la valeur de 1.000 drachmes.
[28] Je supplée ce nom après le καὶ (inintelligible autrement) des mss. Les Πτολεμαῖα sont presque toujours à cette époque associées aux deux autres agones gymniques : toutefois elles manquent dans CIA., II, 470, I.26, contemporain de notre décret.
[29] Le texte est ici profondément corrompu. Je lis à tout hasard ζηλώσωσι πάντες τῆς περὶ σπουδῆς τὸν ὡδε τετιμημένον.