1. César, avant réglé les affaires de Syrie, reprit la mer. Antipater, après avoir reconduit César, revint de Syrie en Judée et se mit aussitôt à relever les murs renversés par Pompée ; puis il parcourut tout le pays et réprima partout les troubles, rétablissant la tranquillité par menace ou par persuasion. Les partisans d'Hyrcan, assurait-il, vivraient heureux, jouissant en toute sécurité de leurs biens : quant à ceux qui mettraient encore leur espoir dans une révolution et dans les profits qu'ils compteraient en tirer, ils trouveraient en lui, au lieu d'un patron, un maître, en Hyrcan, au lieu d'un roi, un tyran, en César et les Romains de cruels ennemis et non des chefs, car ils ne supporteraient pas qu'on ébranlât le pouvoir qu'ils avaient eux-mêmes établi. En tenant ces discours Antipater se soumit le pays.
[1] Guerre, I, § 201-215.
2. Voyant qu'Hyrcan était indolent et lourd, il désigna l'aîné de ses propres fils, Phasaël, comme préfet de Jérusalem et du territoire environnant, et confia la Galilée au suivant, Hérode, encore extrêmement jeune : il n'avait en effet que quinze ans[2]. Sa jeunesse ne lui fit pourtant aucun tort : comme il avait un caractère énergique, le jeune homme trouva tout de suite l'occasion de montrer ce qu'il valait. Ayant appris qu'Ézéchias, chef de brigands, parcourait à la tête d’une forte bande les frontières de Syrie, il l'attaqua et le tua avec bon nombre des brigands qui l'accompagnaient. Cet exploit lui valut l'attachement des Syriens, car il exauça leur désir d'être débarrassés du brigandage. Aussi dans les villages et dans les villes les habitants célébraient ses louanges, pour leur avoir rendu la paix et la paisible jouissance de leurs biens. C'est ce qui attira aussi sur lui l'attention de Sextus César, parent du grand César, et gouverneur de Syrie. Les hauts faits d'Hérode excitèrent l'émulation de son frère Phasaël, qui, stimulé par cette renommée, s'efforça de ne pas rester en arrière et d'en acquérir une semblable ; il se concilia l'affection des habitants de Jérusalem : maître de la ville, il la gouverna sans se comporter durement et sans abus de pouvoir. Antipater y gagna, de la part du peuple, le respect qu'on témoigne aux rois, et des honneurs comme en reçoit un maître tout-puissant. Et cependant, malgré toute la gloire qu'il en retirait, jamais, contrairement à ce qui arrive souvent, il ne se départit de son attachement et de sa fidélité à l'égard d'Hyrcan.
[2] Casaubon et d'autres corrigent 15 en 25. En effet, au moment de sa mort (4 av. J.-C.) Hérode est dit près de septuagénaire (Ant. XVII, 6, 1 = Bell., I, 33, 1) : né vers 73, il avait donc en 47 vingt-cinq ou vingt-six ans. Mais alors on ne comprend guère qu'il soit qualifié de νέος παντάπασιν ; dans les idées des anciens un homme de vingt-cinq ans n’était pas un « tout jeune homme ». Le texte de la Guerre ne nous donne aucun secours.
3. Quand les principaux des Juifs virent que le pouvoir d'Antipater et de ses fils allait grandissant grâce à l'affection que leur portait le peuple, aux revenus de la Judée et aux richesses d'Hyrcan, ils furent fort indisposés contre lui. Antipater avait fait amitié avec les généraux romains, et, après avoir persuadé Hyrcan de leur envoyer de l'argent, il avait détourné le présent à son honneur en l'envoyant comme son don personnel, et non celui d'Hyrcan. Hyrcan, lorsqu'il apprit le fait, ne s'en inquiéta pas et témoigna même sa satisfaction, mais les premiers des Juifs étaient remplis de crainte, en voyant Hérode, violent et audacieux, aspirer à la tyrannie. Ils se rendirent donc auprès d'Hyrcan et accusèrent ouvertement Antipater. « Jusqu'à quand, dirent-ils, supporteras-tu sans t'émouvoir ce qui se passe ? ne vois-tu pas qu'Antipater et ses fils possèdent en réalité le pouvoir et que tu n'as plus de la royauté[3] que le titre ? Il ne faut pas que tu l'ignores, ni que tu t’imagines que ton insouciance pour tes propres affaires et pour la royauté ne présente aucun danger ; car Antipater et ses fils ne sont plus maintenant les simples administrateurs de tes affaires, — ne te livre pas à cette illusion — on les reconnaît ouvertement pour maîtres. Ainsi, son fils Hérode a tué Ézéchias et plusieurs de ses compagnons, en violation de notre loi, qui interdit de donner la mort à un homme, fût-il un criminel, s'il n'a été auparavant condamné à cette la peine par le Conseil[4] ; et il a osé le faire sans t'en avoir demandé permission. »
[3] Terme singulièrement impropre, puisque Hyrcan n'avait que le titre d'ethnarque. De même plus loin, il est qualifié à tort de roi.
[4] τοῦ συνεδρίου. C’est la première fois que le Conseil ou Sénat de Jérusalem est désigné sous ce nom. Il est probable qu'il l'avait reçu au temps de Gabinius, qui organisa cinq synedria en Judée (supra, V 4). Après la réorganisation césarienne, les synedria provinciaux auront été supprimés et celui de Jérusalem sera devenu la cour suprême de l'Etat. Schürer, après avoir adopté cette opinion, l'a abandonnée (II3, 194).
4. Hyrcan se laissa convaincre par ces discours. Sa colère fut encore excitée par les mères des victimes d'Hérode : celles-ci, en effet, venaient tous les jours au Temple, demandant au roi et au peuple qu'Hérode vint rendre compte de ses actes devant le Conseil. Hyrcan, ébranlé par leurs plaintes, cita Hérode pour répondre aux accusations portées contre lui. Hérode vint. Son père lui conseilla de se présenter, non comme un simple particulier, mais avec des sûretés et une garde du corps. Aussi, après avoir arrangé les affaires de Gaulée de la manière qu'il jugeait utile à ses intérêts, il se fit accompagner d'une escorte suffisante pour le voyage, de telle sorte qu'il n'effrayait pas Hyrcan, en se faisant suivre d'une troupe trop nombreuse, et qu'il n'arrivât cependant ni désarmé ni sans gardes, pour comparaître en justice. Cependant Sextus (César), gouverneur de Syrie, écrivit à Hyrcan pour l'inviter à absoudre Hérode, ajoutant des menaces pour le cas où on lui désobéirait. Cette lettre de Sextus fournissait à Hyrcan un bon prétexte pour renvoyer Hérode sans qu'il fût inquiété par le Conseil car il l'aimait comme un fils. Quand Hérode se présenta au Conseil avec son escorte, il en imposa d'abord à tous, et aucun de ceux qui le décriaient avant son arrivée n'osa plus soutenir l'accusation personne ne bougea, on ne savait à quoi se résoudre. Telle était la situation, lorsqu’un certain Saméas, homme juste et par conséquent au-dessus de toute crainte, se leva et dit : « Conseillers et vous, roi, jamais je n'ai vu aucun des hommes appelés par vous en justice avoir pareille attitude, et je ne suppose pas que vous puissiez de votre côté citer un tel exemple. Quiconque arrive devant cette assemblée pour être jugé se présente humble, dans l'attitude d'un homme craintif, implorant notre pitié, la chevelure longue, revêtu de vêtements noirs. Et cet excellent Hérode, prévenu de meurtre, et cité sous ce chef d'accusation, comparait drapé dans la pourpre, la tête ornée d'une coiffure savante, entouré de soldats, afin que, si, obéissant à la loi, nous le condamnons, il puisse nous tuer et se sauver en violant le droit. Je ne fais aucun reproche à Hérode s'il met ainsi son propre intérêt au-dessus de la légalité ; c'est à vous que j'en fais, et au roi, pour lui avoir donné pareille licence. Sachez cependant que Dieu est grand, et que cet homme, que vous voulez aujourd'hui absoudre par égard pour Hyrcan, vous châtiera un jour, vous et le roi lui-même. » Sa prédiction se réalisa. Car Hérode, quand il se fut emparé de la royauté, fit mettre à mort tous les membres du Conseil, et Hyrcan lui-même ; il fit exception pour Saméas, car il l'estimait fort pour son honnêteté et pour avoir conseillé aux habitants, plus tard, lors du siège de la ville par Hérode et Sossius, de lui ouvrir les portes, assurant qu'en raison de leurs fautes, ils ne pouvaient lui échapper. Nous parlerons de ces événements en temps utile[5].
[5] Cf. Ant. XV, I, 1, où l'on voit qu'il épargna aussi Pollion, maître de Saméas. On croit que Saméas est le célèbre docteur Schemaya, qui aurait été avec Abtalion (Pollion) à la tête du Sanhédrin (Pesahim, 66 a ; 70 b). Reland et après lui Derenbourg (Essai, p. 146 suiv.) ont rapproché de notre épisode (probablement d’origine légendaire, cf. Destinon, p. 105) un récit du Talmud (Sanhédrin, 19 a) où « un esclave du roi Jannée » ayant commis an meurtre, Siméon ben Schétah invite son maître à comparaître, lui aussi, devant le tribunal. Cf. J. Lehmann, Revue des Études juives, XXIV, 68.
5. Quand Hyrcan vit les membres du Conseil pencher vers la condamnation à mort d'Hérode, il renvoya le jugement à un autre jour. Puis il dépêcha secrètement un messager à Hérode pour lui conseiller de s'enfuir de la ville, seul moyen d'échapper au danger[6]. Hérode se réfugia à Damas, comme s'il fuyait le roi, se rendit auprès de Sextus César, et, une fois en sûreté, décida, si le Conseil le citait encore en justice, de ne pas obéir. Les membres du Conseil, vivement irrités, essayèrent de persuader Hyrcan que tout cela était dirigé contre lui. Hyrcan s'en rendit bien compte, mais ne sut prendre aucune décision tant par faiblesse que par sottise. Sextus nomma Hérode préfet de la Cœlé-Syrie[7], charge qu'il lui vendit à prix d’argent ; Hyrcan fut alors saisi de la crainte qu’Hérode ne partît en guerre contre lui. Ses craintes ne tardèrent pas à se réaliser : Hérode vint à la tête d'une armée, irrité d'avoir été l’objet de poursuites et convoqué pour se justifier devant le Conseil. Cependant son père Antipater et son frère vinrent à sa rencontre et l'empêchèrent d'attaquer Jérusalem ; ils calmèrent son élan[8], le suppliant de ne se porter à aucune extrémité, et de se contenter de frapper de terreur ses ennemis par ses menaces, sans pousser plus loin les choses contre un homme auquel il devait la situation qu'il occupait. S'il s'indignait au sujet de sa citation en justice, il ne devait pas oublier sa mise hors de cause, qui lui imposait de la reconnaissance ; il n'était pas juste d'en vouloir à Hyrcan de sa rigueur et de ne pas lui savoir gré de l'avoir sauvé : il devait considérer que, si les chances de la guerre sont dans les mains de Dieu, l’injustice emporte la balance sur le talent militaire[9], et qu’il ne pouvait trop compter sur la victoire, attaquant un homme qui était son roi, son ami, son bienfaiteur, qui ne lui avait jamais fait aucun mal ; quant aux griefs d'Hérode, c'étaient les mauvais conseillers d'Hyrcan et non Hyrcan lui-même à qui il devait s'en prendre de ce qui n'était qu’une ombre et un soupçon d'hostilité. Hérode se laissa persuader, prouvant qu'il suffisait, en vue de ses espérances secrètes, d'avoir montré au peuple sa puissance. Telle était la situation en Judée.
[6] Guerre présente les choses un peu autrement. Hyrcan prononce l'acquittement d'Hérode, mais celui-ci, croyant qu’il a été acquitté malgré Hyrcan, s'enfuit.
[7] Et de Samarie (Guerre).
[8] Herwerden lit ὀργήν mais ὁρμὴν se trouve aussi dans le texte parallèle de la Guerre.
[9] πλέον ἐστί τῆς στρατείας (? στρατιᾶς ? στρατηγίας ?) τὸ ἄδικον. Nous ne comprenons pas bien cette phrase qui se retrouve textuellement dans Guerre ; elle confirme la leçon ἄδικον de P, V, contre ἄδηλον, des autres mss.