Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIV

CHAPITRE X
Décrets des Romains en faveur des Juifs ; les Juifs d'Asie exemptés du service militaire.[1]

Ambassade d'Hyrcan à Rome.

1. Comme César, revenu à Rome, s'apprêtait à s'embarquer pour l'Afrique, où il devait combattre Scipion et Caton[2], Hyrcan lui envoya demander de resserrer les liens d'amitié et d'alliance qui l'unissaient à lui[3]. Je crois nécessaire d'enregistrer ici toutes les marques d'honneur et d'alliance accordées par les Romains et leurs chefs à notre peuple, afin que nul n'ignore que les rois tant d'Asie que d'Europe nous eurent en haute estime, et firent grand cas de notre valeur et de notre fidélité[4]. Beaucoup de gens mal disposés pour nous refusent de croire les décrets des Perses et des Macédoniens à notre sujet, attendu que ces témoignages ne se trouvent pas partout et dans tous les lieux publics, mais ne sont conservés que chez nous et chez quelques autres peuples barbares ; au contraire, il est impossible d'opposer aucun démenti aux décrets des Romains, car ils se trouvent dans des endroits publics des villes, et sont gravés encore maintenant[5] sur des tables de bronze déposées au Capitole, et même Jules César fit dresser pour les Juifs d'Alexandrie une stèle en bronze, publiant qu’ils étaient citoyens dans cette ville[6]. Je citerai donc les décrets rendus par le Sénat et par Jules César en faveur d'Hyrcan et de notre peuple.

[1] Ce chapitre n'est pas représenté dans la Guerre. Les documents d'archives d'un intérêt capital que Josèphe a réunis ici et ailleurs (XIII, 9 ; XIV, 8 et 12 ; XIV, 6 ; XIX, 5 ; XX, 1) ont été souvent étudiés, notamment par Mendelssohn (Acta soc. phil. Lipsiensis, V), Niese (Hermes, XI, 483 suiv.), Judeich (Cäsar im Orient, p. 119 suiv.), Viereck (Sermo graecus quid SPQR usi sunt, p. 93 suiv.). Voir une bibliographie complète dans Schürer, I3, p. 105 et 345. On ignore où Josèphe a trouvé ces documents ; il est peu probable qu'il les ait copiés lui-même soit dans les archives du Capitole, soit dans celles de villes grecques ou de communautés juives, quoiqu'il semble vouloir le faire croire (plus bas). On a soupçonné que la collection avait été formée soit par Nicolas de Damas qui, dans le procès des Juifs d'Asie Mineure devant M. Agrippa, se réfère à des documents de ce genre (XVI, 2, 4), soit par le roi Agrippa Ier lorsqu'il plaida la cause des Juifs devant Caligula. Mais ces deux opinions soulèvent de graves objections (voir Schürer, I2, 86). En tout cas, les documents, dont l'authenticité est indiscutable, n'étaient pas classés dans un ordre chronologique exact et Josèphe s'est souvent trompé en les datant. En outre, le texte en est extrêmement fautif et lacuneux.

[2] 46 av. J.-C.

[3] Cette ambassade d'Hyrcan paraît en réalité se placer plus tard, vers la fin de l'année 45.

[4] Cette phrase est peu compréhensible. En quoi les témoignages émanant des Romains prouvent-ils que les rois d’Asie et d’Europe ont fait cas des Juifs ?

[5] Cet « encore maintenant » pourrait être emprunté à un historien antérieur. Toutefois les Archives du Capitole, incendiées en 69, furent reconstituées tant bien que mal par Vespasien (Suétone, Vie de Vespasien, 8).

[6] Il est encore question de cette stèle, C. Apion, II, 4, où il est dit seulement qu'elle contenait les dixai Amata des Juifs. Si elle avait été aussi explicite sur leur qualité de citoyens, il serait singulier que Claude ne l'est pas mentionnée dans son édit si favorable aux Juifs d'Alexandrie (XIX, 5, 2).

Décrets de César en faveur des Juifs.

2. (I) « Caïus Julius César, général en chef, grand pontife, dictateur pour la seconde fois[7], aux magistrats, au Conseil et au peuple de Sidon, salut[8]. Si vous allez bien, à merveille ; moi et l'armée sommes en bonne santé. Je vous envoie, pour la placer dans vos archives publiques, la copie du décret gravé sur une table (de bronze), concernant Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs. Je veux qu'il soit inscrit, en grec et en latin, sur une table de bronze. Le voici. Moi, Jules César, général en chef, grand pontife, [dictateur] pour la seconde fois[9], voici ce que j'ai décidé, avec l'assentiment de mon Conseil[10] : Attendu qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, Juif, actuellement et dans le passé, dans la paix comme dans la guerre, a toujours fait preuve à notre égard de fidélité et de zèle, comme en ont témoigné nombre de généraux : que tout récemment dans la guerre d'Alexandrie il vint à mon secours avec quinze cents soldats[11], et envoyé par moi auprès de Mithridate[12], surpassa tous les chefs (?)[13] en bravoure : pour ces raisons je veux qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses descendants soient ethnarques des Juifs et détiennent à perpétuité la grande-prêtrise des Juifs, suivant les coutumes de leur nation&nnbsp;: qu'ils soient comptés, lui et ses enfants, au nombre de nos alliés et de nos amis nominativement désignés ; que lui et ses enfants conservent tous les privilèges sacerdotaux et pécuniaires[14] établis par leurs lois nationales ; et si quelque dissentiment s'élève sur la coutume des Juifs, je veux qu'ils en soient juges. J'interdis que les troupes prennent chez eux leurs quartiers d'hiver ou qu’on exige d'eux de l'argent. »

[7] La deuxième dictature de César va d’octobre 48 à avril (?) 46 av. J.-C. Puisqu'il ne prend pas ici le titre de consul qu'il porta en 48 et 46, le décret doit être de 47 (Schürer). Comme César y parle de son armée, le décret a sans doute été rendu en Syrie.

[8] Cet intitulé prouve que notre décret a été recueilli dans les archives de Sidon.

[9] Les mss. ont ici αὐτοκράτωρ τὸ δεύτερον καὶ αρχιερεύς. Niese corrige, d'après l'ancienne traduction latine (imperator pontifex secundo dictator) : αὐτοκράτωρ καὶ ἀρχιερεὺς, δικτάτωρ τὸ δεύτερον.

[10] Ex consilii sententia. Chaque gouverneur, chaque magistrat supérieur prenait l'avis de son conseil dans les questions contentieuses. C'est le germe de l'institution impériale dite Consilium principis.

[11] On a vu plus haut que d'après Josèphe (Nicolas ?) Antipater amena 3.000 hoplites juifs. Il semble qu'on touche ici du doigt l'exagération tendancieuse de Nicolas. En outre, le décret de César vint à l'appui des témoignages de Pollion et d'Hypsicratès (voir plus haut) sur la présence d'Hyrcan lui-même dans le corps de secours.

[12] Mithridate de Pergame.

[13] πάντας τοὺς ἐν τῇ τάξει. Sens et texte douteux. Peut-être faut-il corriger ἐν τῇ παρα τάξει, « dans la bataille ».

[14] Tel nous paraît être le sens (alexandrin) de φιλάνθρωπα.

3. (II). « Voici les décisions, autorisations, concessions, de Caïus César, général en chef et consul : [Hyrcan fils d'Alexandre et] ses descendants régneront sur le peuple juif et jouiront de tous les territoires à eux concédés ; le grand-prêtre et ethnarque sera le protecteur de ceux des Juifs qui seront lésés[15]. On enverra à Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre des Juifs, des ambassadeurs, porteurs de paroles d'amitié et d'alliance. Une table de bronze contenant ces dispositions, gravées en latin et en grec, sera déposée dans le Capitole, et à Sidon, à Tyr, à Ascalon dans les temples[16]. Ce décret sera porté à la connaissance de tous les trésoriers et gouverneurs des villes et de tous nos amis. Les envoyés recevront les présents d'hospitalité, et ces dispositions seront notifiées partout[17]. »

[15] Texte très suspect. Les mots αὑτὸς καὶ paraissent appartenir à la phrase précédente, après ὅπως.

[16] πᾶσι τοῖς κατὰ τὴν πόλιν ταμιαις καὶ τούτων ἡγουμένοις. Texte altéré et incompréhensible.

[17] Ce document (sect. 3) qui n'ajoute rien d'essentiel au précédent, serait, d'après Mendelssohn, un fragment d'un SC. ratifiant le décret proprio motu de César. Comme César y est qualifié de consul, mais non de dictateur, le document serait postérieur à avril 46 ; mais l'omission du mot dictateur peut-être accidentelle. Niese place le SC. en 44.

4. (III). « Caïus César, général en chef, dictateur, consul, en raison de l'estime dont jouit Hyrcan, fils d'Alexandre, fie son mérite, de son humanité, lui concède pour lui et ses descendants, dans l'intérêt du Sénat et du peuple romain, la dignité de grand-prêtre [et ethnarque][18] de Jérusalem et du peuple Juif, avec les droits et les prérogatives sous lesquels leurs ancêtres ont détenu la grande-prêtrise[19]. »

[18] καὶ ἱερεῖςdes mss. nous paraît impossible.

[19] Mendelssohn voit également dans ce document un fragment du SC. confirmatif de 46. Je suis porté à croire que le document III n'est qu'une phrase accidentellement tombée du document (II).

5. (IV) « Caïus César, consul pour la cinquième fois[20], a décidé qu'ils[21] posséderaient et entoureraient de murailles la ville de Jérusalem[22] ; qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs, l'occuperait comme il l'entendrait. Les Juifs, la seconde (?) année de la ferme de l'impôt, seront dispensés…[23] ; personne ne pourra (alors) les prendre à entreprise ni leur faire payer les mêmes impôts. »

[20] 44 av. J.-C.

[21] τούτους ἔχειν, texte altéré. Il semble que Josèphe ait pris pour un texte officiel le résumé de Nicolas.

[22] On a vu plus haut (VIII, 4) que cette permission fut accordée par César à Hyrcan lors de son passage en Syrie, en 47. Il y a contradiction entre cette date et celle de l'intitulé de notre document (44 av. J.-C.). Mendelssohn se prononce pour la date 47, ce qui obligerait à supprimer les mots ὕπατος τὸ πέμπτον.

[23] Le κόρος, mesure de capacité, vaut environ 360 litres. Mais il est impossible que ce nom hébreu figure dans un décret de César. Il semble qu'il soit question, comme dans le document V, d'une exemption de tribut dont bénéficieront les Juifs pendant l'année sabbatique. Cette année tombait (voir Schürer, I2, 36) en 45 av. J.-C. Comme le nouveau régime du tribut commence en 46, c'est bien la seconde année de la [?]. Mendelssohn voit dans la dernière phrase de ce document le débris d'un édit de César sur les tributs des Juifs.

6. (V). « Caïus César, général en chef, [dictateur] pour la seconde fois[24], a décidé que chaque année les Juifs[25] paieront un tribut pour la ville de Jérusalem [et le reste de leur territoire] excepté Jopé, sauf tous les sept ans, en l'année que les Juifs appellent sabbatique, puisqu'ils ne cueillent pas cette année-là les fruits des arbres et ne font pas de semailles. Ils payeront le tribut à Sidon le deuxième [mois][26], le quart de ce qui aura été semé ; ils payeront, en outre, à Hyrcan et à ses descendants la dîme qu'ils ont payée à ses ancêtres. Personne, magistrat ou promagistrat[27], préteur ou légat, ne pourra lever sur le territoire juif des troupes auxiliaires ; il est interdit aux soldats de demander aux Juifs des contributions, soit pour les quartiers d’hiver, soit sous tout autre prétexte ; les Juifs resteront indemnes de toute exigence… (V bis)[28] Et tous les biens qu'après cette date ils ont pu posséder, détenir, acheter, leur appartiendront. La ville de Jopé, que les Juifs possédaient dès le début de leur alliance avec les Romains[29], leur appartiendra comme auparavant, c’est notre volonté ; Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses fils payeront[30] pour cette ville et prélèveront sur les habitants, à titre de droits d'exportation du port et du pays, vingt mille six cent soixante quinze boisseaux, payables tous les ans à Sidon, sauf chaque septième année, l'année dite sabbatique où les Juifs ne labourent pas et ne cueillent pas les fruits des arbres. Quant aux villages situés dans la grande plaine[31] et qu'Hyrcan et ses ancêtres avant lui occupaient, la volonté du Sénat[32] est qu'ils appartiennent à Hyrcan et aux Juifs dans les conditions où ils les ont possédés autrefois. Les anciens droits réglant les rapports des Juifs et de leurs grands-prêtres et prêtres subsisteront, ainsi que les bienfaits qu'ils tiennent d'un vote du peuple et du Sénat. Outre (?) ces droits ils pourront se servir de…[33]. Et tous les territoires, localités, villages, dont les rois de Syrie et de Phénicie[34], alliés des Romains, ont eu par concession gratuite la jouissance, appartiendront, par décision du Sénat, à l'ethnarque Hyrcan et aux Juifs. Il est accordé à Hyrcan et à ses descendants et aux ambassadeurs envoyés par lui le privilège d'assister aux luttes de gladiateurs et aux combats de bêtes assis parmi les sénateurs ; s'ils adressent au dictateur ou au maître de la cavalerie une demande pour comparaître devant le Sénat, ils seront introduits, et réponse leur sera donnée dans un délai de dix jours, à partir du vote du décret. »

[24] Entre octobre 48 et avril 46. Probablement en 47.

[25] Mendelssohn interprète (et corrige en conséquence) : les habitants de Jopé.

[26] Nous lisons μηνί au lieu de ἔτει qui n'a pas de sens et a pu naître sous l’influence de la dernière phrase du document IV.

[27] ἄρχων μήτε ἀντάρχων (ces deux derniers mots manquent dans la plupart des mss.).

[28] Ici parait commencer le texte d'un sénatus-consulte peut-être celui de l'an 44 (9 février) cité dans le document VIII.

[29] Sur l'occupation définitive de Jopé par les Juifs sous Jonathan, voir livre XIII, VII, 1. On pourrait invoquer notre texte pour prouver que l'alliance des Juifs avec les Romains ne remonte pas au delà de Jonathan.

[30] Nous suppléons τελεῖν, le verbe manque dans les mss. (sauf V qui a l'absurde ἔχειν).

[31] Celle de Jezréel.

[32] Tandis que la première partie du décret est rendue au nom de César, nous voyons ici apparaître le Sénat. Mendelssohn en a conclu que notre document V est un fragment du sénatus-consulte de l'an 44 dans lequel le Sénat a inséré (?) un décret de César de l'an 47.

[33] Les mots ἐν Λύδδοις nous paraissent altérés. Peut-être s'agit-il d'un palais situé à Lydda.

[34] C'est-à-dire les Séleucides. Schürer pense aux petits dynastes gratifiés par Pompée.

7. (VI)[35]. « Caïus César, général en chef, dictateur pour la quatrième fois, consul pour la cinquième fois, dictateur désigné à vie, a parlé en ces termes au sujet des droits d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs : Les généraux qui m'ont précédé dans les provinces ayant porté bon témoignage à Hyrcan, grand-prêtre des Juifs et aux Juifs, devant le peuple et le Sénat, et le peuple et le Sénat leur ayant manifesté leur reconnaissance, nous croyons bon à notre tour de nous souvenir d'eux et de pourvoir à ce que Hyrcan, le peuple juif et les enfants d'Hyrcan reçoivent du Sénat et du peuple romain un témoignage de gratitude digne de leurs bonnes dispositions à notre égard et des services qu'ils nous ont rendus. »

[35] 44 av. J.-C. Nous avons ici l'oratio introductoire d'un sénatus-consulte, probablement celui du 9 février 44. Hyrcan avait envoyé une ambassade à Rome pour solliciter de nouvelles faveurs. Sur ce texte et le précédent, cf. Mendelssohn, op. cit., p. 229 suiv. ; Viereck, p. 99 suiv.

Lettre d'un proconsul aux Pariens en faveur des Juifs.

8. (VII). « N…[36], préteur proconsul[37] des Romains. aux magistrats, au Conseil et au peuple des Pariens[38], salut. Les Juifs de Délos sont venus me voir, avec quelques-uns des Juifs domiciliés chez vous, et, en présence de vos envoyés, m'ont exposé que vous leur interdisiez par décret l'usage de leurs coutumes et de leur religion nationales. Il ne me plait pas que de semblables décrets soient rendus contre nos amis et alliés, qu'on leur interdise de vivre suivant leurs coutumes, de réunir de l'argent pour des repas en commun et des cérémonies, alors qu'à Rome même on ne les empêche pas de le faire. Car lorsque Caïus César, notre général en chef[39], a interdit par ordonnance la formation d'associations à Rome, les Juifs sont les seuls qu'il n'ait pas empêchés de réunir de l'argent ou de faire des repas en commun. De même moi aussi, interdisant toutes les autres associations, j'autorise les Juifs seuls à vivre suivant leurs coutumes et lois nationales, et à se réunir dans des banquets. Quant à vous, si vous avez pris quelque décret contre nos amis et alliés, il est opportun que vous le rapportiez, en raison des services qu'ils nous ont rendus et de leurs bonnes dispositions à notre égard. »

[36] Le texte est corrompu. Les mss. ont Ἰούλιος (F : οὔλιος) Γάιος (P ajoute υἱὸς ὁ), nom impossible. On a proposé Junius, Vibius, Servilius Vatia. Sur ce document cf. Mendelssohn, Acta, etc., V, p. 212-216 ; Viereck. p. 101.

[37] Lire στρατηγὸς [ἀνθ]ύπατος comme dans les inscriptions BCH, IX, 380 ; Revue ét. gr., V, 204.

[38] Si la leçon des mss. (Παριανῶν ) est exacte, il s'agit de la ville de Parium en Troade et le proconsul est un gouverneur d'Asie. Mais on peut se demander alors ce que les Juifs de Délos vinrent faire dans cette affaire. Nous aimons donc mieux corriger et lire Παρίων, l'île de Paros, avec Schürer et autres.

[39] L'expression στρατηγὸς ὕπατος (les mss. ont σ. καὶ ὕπατος) pour désigner le dictateur César est plus que singulière. Il s'agit bien d'ailleurs d'un édit de César. Cf. Suétone, Vie de Jules César, 42 : Cuncta collegia praeter antiquitus constituta distraxit (César fit dissoudre toutes les associations, hormis celles dont l'institution remontait aux premiers âges de Rome).

Sénatus-consulte ratifiant un décret posthume de César en leur faveur.

9. Après la mort de César[40], Marc Antoine et Publius Dolabella, qui étaient consuls, réunirent le Sénat, et ayant introduit les envoyés d'Hyrcan, prirent la parole sur leurs demandes, et firent amitié avec eux ; le Sénat vota qu'on leur accordât tout ce qu'ils désiraient. Je cite également ce décret afin que les lecteurs de cette histoire aient sous les yeux la preuve de ce que j'avance. Le voici :

[40] 15 mars 44 av. J.-C.

10. (VIII)[41]. « Sénatus-consulte tiré du trésor, copié sur les tables publiques de la questure ; Quintus Rutilius, Quintus Cornélius étant questeurs urbains ; table deuxième, première tablette.

[41] Cf. Mendelssohn, op. cit., p. 238 suiv., où les noms des témoins sont longuement identifiés.

« Trois jours avant les ides d'avril[42], dans le Temple de la Concorde. Étaient présents à la rédaction Lucius Calpurnius Pison, [fils de Lucius], de la tribu Menenia, Servius Papinius….[43] Quintus, de la tribu Lemonia, Caïus Caninius Rebilus, [fils de Caïus], de la tribu Teretina, Publius Tidetius[44], fils de Lucius, de la tribu Pollia, Lucius Apuleius, fils de Lucius, de la tribu Sergia, [Lucius], Flavius, fils de Lucius, de la tribu Lemonia, Publius Plautius [Hypsaeus], fils de Publius, de la tribu Papiria, Marcus Asellius[45], fils de Marcus, de la tribu Mæcia, Lucius Erucius[46], fils de Lucius, de la tribu Stellatina, Marcus Quintius Plancillus (?), fils de Marcus, de la tribu Pollia, Publius Sergius…

[42] 11 avril 44.

[43] Nom impossible. Mendelssohn propose S. Sulpicius (Rufus). Quintus parait être le prénom (ou le nom du père ?) d'un 3e témoin dont le nom a disparu.

[44] Titius ? (Mendelssohn).

[45] Les mss. ont Σέλλιος, Ἀσέλλιος, Σασέλλιος. On a conjecturé Ἀκύλιος (Aquilius).

[46] Roscius ? (Mendelssohn).

« Publius Dolabella et Marc Antoine, consuls, ont pris la parole. — Sur les décisions relatives aux Juifs prises par Calus César de l'avis du Sénat, qu'il n'a pas eu le temps de déposer aux archives du trésor public, notre volonté est qu’il soit fait suivant l'opinion des consuls Publius Dolabella et Marc Antoine : que ces décisions soient portées sur les tables et communiquées aux questeurs urbains afin qu'eux aussi prennent soin de les porter sur les diptyques.

La date en est[47] cinq jours avant les ides de février, dans le temple de la Concorde. Les envoyés du grand-prêtre Hyrcan étaient : Lysimaque, fils de Pausanias, Alexandre, fils de Théodore, Patrocle, fils de Chæréas, Jonathas, fils d'Onias.

[47] C'est-à-dire (si le texte est intact) que le premier sénatus-consulte autorisant (ou ratifiant ?) le proprio motu de César était en date du 9 février 44. Il semble bien que tout ce § soit emprunté au récit de Nicolas.

Décret de Dolabella exemptant les Juifs d'Asie du service militaire.

11. Hyrcan envoya aussi l'un de ces ambassadeurs auprès de Dolabella, alors gouverneur d'Asie, pour le prier de dispenser les Juifs du service militaire, et de leur permettre de conserver leurs coutumes nationales et d'y conformer leur vie. Il l'obtint sans peine, car Dolabella, au reçu de la lettre d'Hyrcan, sans même délibérer, donna ses instructions à tous les habitants de la province, et écrivit à la ville d'Éphèse, première de l'Asie, une lettre au sujet des Juifs conçue en ces termes :

12. (IX)[48]. « Artémon étant prytane, le premier du mois Lénœon[49]. Dolabella, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple d'Éphèse, salut. Alexandre, fils de Théodore, ambassadeur d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs, m'a déclaré que ses compatriotes ne pouvaient faire de service militaire parce qu'ils ne peuvent porter les armes, ni faire de marches les jours de sabbat, ni s'approvisionner des aliments que commandent leurs lois et leurs coutumes[50]. Je leur accorde donc, comme l'ont fait mes prédécesseurs, l'exemption de service et je les autorise à observer leurs coutumes nationales, ainsi qu'à se réunir pour célébrer leur culte et leurs cérémonies comme leur loi le leur prescrit, et pour recueillir les contributions destinées aux sacrifices. Et je désire que vous transmettiez aux autres villes cette lettre. »

[48] Mendelssohn, Acta, V, 247-250.

[49] Cette date initiale ne fait pas partie de la lettre de Dolabella. C'est la date d'enregistrement de la lettre dans les archives municipales d'Éphèse. Elle prouve que Dolabella avait pris possession de sa province dès le mois de janvier 43 (1er Lénœon = 24 janvier).

[50] Cf. Mishna Schabbath, VI, 2, 4.

Décrets de Lentulus et des villes grecques dans le même sens (15. Lettre du préteur Fannius aux gens de Cos).

13. Telles furent les faveurs accordées par Dolabella à nos compatriotes, à la suite de l'ambassade d'Hyrcan. (X) Et Lucius Lentulus, consul[51], dit : « J'ai exempté du service militaire, à Éphèse, devant le tribunal, pour motif d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains[52], qui observent et célèbrent le culte juif ; le douzième jour avant les Calendes d'octobre (?), Lucius Lentulus et Calus Marcellus étant consuls[53]. Étaient présents Titus Ampius[54] Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, légat, Titus Tongius, fils de Titus, de la tribu Crustumina, Quintus Cæsius[55], fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire, Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius, fils de Caïus...., de la tribu Sabbatina. »

[51] Il s'agit de L. Lentulus Crus, consul en 49 av. J.-C., l'année où éclata la guerre civile entre César et Pompée. Lentulus fut chargé par le Sénat de recruter dans la province d'Asie deux légions de citoyens romains (César, Bell. civ., III, 4). Le document qu'on va lire est la décision rendue in consilio par Lentulus exemptant les Juifs citoyens romains du service militaire à cette occasion ; cette décision est insérée (?) dans une lettre d'avis adressée aux Éphésiens par son légat Ampius Balbus, et c'est dans les archives municipales d'Éphèse que l'aura recueillie l'auteur du Recueil reproduit par Josèphe ; celui-ci ne se doute d'ailleurs pas de la date et des circonstances du décret. Cf. sur ce document et les décisions connexes (sections 14, 16, 18, 19) Mendelssohn, Acta, V, 167-188.

[52] Sur l'acquisition du droit de cité romaine par les Juifs, cf. Schürer, III3, 84 suiv. ; Mendelssohn, SC. etc., 175.

[53] 20 septembre 49 av. J.-C. Mais il y a des doutes sérieux sur l'exactitude de cette date ; les documents suivants semblent indiquer que la décision de Lentulus fut rendue au mois de mai. Mendelssohn corrige au contraire la date des n°s XIV et XVI en 19 septembre (a. d. XIII kal. oct.) et croit que le document X est un second décret du consul étendant à tous les Juifs citoyens romains en Asie la décision prise la veille en faveur de ceux d'Éphèse : rien de plus arbitraire.

[54] Ἄππιος. La correction est due à Borghesi.

[55] Κασιος, Κάσσιος, Ῥάσιος dans les mss. (Raecius d'après Mendelssohn).

(X bis) Titus Ampius Balbus, fils de Titus, légat propréteur, aux magistrats, au Conseil et au peuple d'Éphèse, salut. Lucius Lentulus, consul, sur mon intervention, a exempté les Juifs d'Asie[56] du service militaire. Ayant ensuite adressé la même demande d'exemption à Fannius, propréteur, et à Lucius Antonius, proquesteur, j'ai obtenu satisfaction ; et je désire que vous preniez vos mesures pour que personne ne leur suscite d'embarras. »

[56] D'après la rédaction du document XIV, Lentulus n'aurait visé que les Juifs d'Éphèse ; mais cette rédaction écourtée est probablement erronée.

14. (XI) Décret des Déliens[57] : « Sous l'archontat de Bœotos, le 20 du mois de Thargélion[58], motion des stratèges. Marcus Pison, légat, résidant dans notre ville et préposé au recrutement, nous ayant convoqués avec des citoyens de marque, nous a enjoint, s'il y a parmi nous des Juifs citoyens romains, de ne point les tracasser au sujet du service militaire, attendu que le consul Lucius Cornélius Lentulus, pour des motifs d'ordre religieux, a exempté les Juifs du service. Nous devons donc obéir au général. » (XII) Les habitants de Sardes ont rendu à notre sujet un décret analogue.

[57] Il semble résulter de ce décret qu'à l'époque où il fut rendu Délos avait été rattachée (temporairement ?) à la province romaine d'Asie. Il a déjà été question des Juifs de Délos, document VII.

[58] Ce mois correspond à mai – juin (49) Même en admettant un grand désordre dans le calendrier romain, on voit qu'il n'est pas possible que la décision de Lentulus, à laquelle notre décret se réfère, date de septembre.

15. (XIII). « Caïus Fannius, fils de Caïus, préteur, proconsul[59], aux magistrats de Cos, salut. Je veux que vous sachiez que des ambassadeurs des Juifs se sont présentés à moi et m'ont demandé de leur remettre les décrets rendus à leur sujet par le Sénat. Les dispositions en sont ci-jointes. Je veux donc que vous preniez soin de ces hommes conformément aux décisions du Sénat, afin qu'ils puissent rentrer dans leur pays sans difficulté en traversant votre territoire[60]. »

[59] Je lis ἀνθύπατος au lieu de ὕπατος.

[60] Ce document a été inséré par Josèphe dans un dossier auquel il n'appartient peut-être pas. Il s'agit là d'une ambassade juive revenant de Rome via Cos et qui a demandé à un préteur proconsul communication de la copie officielle du SC. qui doit servir de sauf-conduit. Pour déterminer la date, nous n'avons que le nom du magistrat, C. Fannius C. f. On a identifié notre « préteur proconsul » avec le propréteur Fannius du document X bis qui pourrait être le C. Fan(nius) pont(ifex) pr(aetor?) des cistophores éphésiens de 49/8. Est-il plutôt identique au consul de 122 av. J.-C. qui a pu devenir ensuite gouverneur de Macédoine ou d'Asie ? On pourrait encore croire avec Mendelssohn qu'il s'agit du préteur Fannius M. f. mentionné dans le SC. de l'an 105 (?), livre, XIII, IX, 2. Mais il faudrait alors admettre ici une double erreur : l'addition fautive du mot proconsul et le patronymique C. f. pour M. f.

16. (XIV) Lucius Lentulus, consul, a dit : « J'exempte du service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui m'ont paru observer et pratiquer les rites juifs à Éphèse. Fait le douzième jour avant les Calendes de Quintilis[61]. »

[61] 21 mai 49. Cette décision n'est que la reproduction abrégée de celle du document X ; elle paraît en donner la vraie date.

17. (XV). « Lucius Antonius, fils de Marcus, proquesteur et propréteur[62], aux magistrats, au Conseil et au peuple de Sardes, salut. Les Juifs citoyens romains[63] sont venus me remontrer qu'ils ont eu, de tout temps, leur association particulière, conformément à leurs lois nationales, et leur lieu de réunion particulier, dans lequel ils jugent leurs affaires et leurs contestations ; ils m'ont demandé l'autorisation de conserver cette coutume, et j'ai décidé de le leur permettre. »

[62] Probablement le même personnage que le proquesteur L. Antonius du X bis. La date est donc 49 av. J.-C, époque où les Sardiens ont rendu un décret en faveur des Juifs (XI).

[63] En admettant la leçon πολίται ἡμέτεροι de la plupart des mss, si on lisait ὑμέτεροι avec P, il s'agirait de Juifs jouissant du droit de cité de Sardes, ce qui est tout différent. L'intervention du proquesteur romain se comprend mieux dans le premier cas.

18. (XVI). Marcus Publius, fils de Spurius, Marcus Lucius, fils de Marcus Publius, disent[64] : « Nous étant rendus auprès de Lentulus, consul[65], nous lui avons soumis la requête de Dosithéos, d'Alexandrie, fils de Cléopatridès, en vue d'exempter du service, pour motifs d'ordre religieux, s'il le juge bon, les Juifs citoyens romains qui célèbrent le culte juif : il a accordé cette exemption le douzième jour avant les calendes de Quintilis[66]. »

[64] Ces noms sont irrémédiablement altérés. Publius et Lucius ne sauraient être des gentilices et l'on ne comprend pas que M. Lucius soit fils de M. Publius. Certains mss. donnent M. Sp. f. Publius, M. M. f., L. P. f., ce qui n'est pas moins absurde.

[65] Les mss. ont ἀνθυπάτῳ, mais la décision visée est sûrement celle du 21 mai 49, époque où Lentulus était consul.

[66] 21 mai 49, date concordante avec celle du document XIV. La nature de ce document est difficile à déterminer. Mendelssohn y voit un édit des recruteurs romains d’Éphèse, qui, sur la plainte des Juifs qu'ils voulaient enrôler, ont dû en référer au consul et communiquent sa décision aux intéressés. Cette décision, résumée dans la section 18, est transcrite tout au long dans la section 19.

19. (XVII)[67]. « Lucius Lentulus et Calus Marcellus étant consuls. Étaient présents Titus Ampius Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, questeur, Titus Tongias, de la tribu Crustumina, Quintus Cœsius, fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, de la tribu Cornelia, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire, Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius[68], fils de Calus, tribun militaire, de la tribu Æmilia, tribun militaire, Sextus Atilius Serranus, fils de Sextus, de la tribu Emilia, Calus Pompeius, fils de Caius, de la tribu Sabatina, Titus Ampius Menander, (affranchi) de Titus (Ampius)[69], Publius Servilius Strabon, fils de Publius, Lucius Paccius Capito, fils de Lucius, de la tribu Couina, Aulus Furius Tertius, fils d'Aulus, Appius (?) Menas. En leur présence Lentulus a décrété : J'exempte, à Éphèse devant le tribunal, de tout service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui pratiquent la religion juive. »

[67] Ce document n'est qu'un doublet du n° X (= XIV), peut-être annexé à l’édit précédent. La date est mutilée, mais la liste du consilium est plus complète.

[68] Les mss. ont Teætiow ou Tittiow, nous suivons le texte parallèle du document X.

[69] Cet affranchi est mentionné par Cicéron, Ad fam. XIII, 70.

Décret de Laodicée.

20. (XVIII)[70]. « Les magistrats de Laodicée à Caïus Rabirius, fils de Caïus, proconsul, salut[71]. Sopater, envoyé du grand-prêtre Hyrcan[72], nous a remis ta lettre, dans laquelle tu nous faisais savoir que certains envoyés étaient venus de la part d'Hyrcan, grand-prêtre des Juifs, t’apporter une décision écrite[73] concernant leur peuple, enjoignant qu'on leur permette de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs autres rites suivant leurs lois nationales ; qu'en raison de leur amitié et alliance avec nous (Romains), ils n'aient à recevoir d'ordre de personne et n'aient rien à souffrir de personne dans notre province ; ladite lettre ajoutait que, les habitants de Tralles t'ayant déclaré en face leur désapprobation des décisions prises au sujet des Juifs, tu leur avais formellement prescrit de s'y conformer, et que (les Juifs) t'ont prié de nous écrire aussi à ce propos. En obéissance à tes prescriptions, nous avons reçu cette lettre, nous l'avons placée dans nos archives publiques, et sur tous les autres points de tes instructions, nous prendrons nos mesures pour n'encourir aucun blâme[74]. »

[70] Sur ce texte cf. mes observations dans la Revue des Études juives, XXXVIII (1899), 165. Voir aussi Mendelssohn, Acta, V, 221 suiv.

[71] Les mss. ont Ῥαβελλίῳ, Ῥαβιλλίῳ, Ῥαγιλλίῳ : mais le véritable nom paraît être C. Rabirius, comme dans l'inscription délienne BCH, VI, 608. Ce personnage était proconsul (d'Asie), non consul, d'où la correction nécessaire de ὑπάτῳ en ἀνθυπάθῳ. Ici encore Mendelssohn introduit le nom de P. Servilius Vatia.

[72] Ce personnage est en toute probabilité identique à Sosipatros, l’un des ambassadeurs à Rome du n° XX. Comme cette dernière ambassade se place sûrement sous Hyrcan Ier, plus exactement entre 113 et 105 av. J.-C., il en est de même des faits mentionnés ici.

[73] Entendez : une décision du Sénat romain. Les ambassadeurs juifs, envoyés à Rome au sujet des usurpations d’Antiochus Cyzicène, avaient profité de leur séjour pour obtenir des garanties en faveur de leurs coreligionnaires d'Asie Mineure.

[74] Ce document extrêmement remarquable (extrait des archives de Laodicée ?) nous montre la résistance que soulevait dans les cités grecques d'Asie Mineure le particularisme des Juifs déjà nombreux établis chez elles. Il fallut l'intervention énergique du gouvernement romain pour protéger le libre exercice de la religion juive. Cette intervention s'exerce presque immédiatement après l'occupation de l'ancien royaume de Pergame et non pas seulement, comme le veulent Mendelssohn, Schürer, etc., à l'époque de César à laquelle ils rapportent ce document et les suivants.

Lettre du proconsul Galba aux Milésiens.

21. (XIX). « Publius Servilius Galba, fils de Publius, proconsul[75], aux magistrats, au Conseil et au peuple de Milet, salut. Prytanis, fils d'Hermas, votre concitoyen, est venu me voir à Tralles où je tenais les assises, et m'a appris que contrairement à notre décision vous attaquez les Juifs, que vous les empêchez de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs rites nationaux, de préparer leurs récoltes[76] suivant leurs coutumes, et que lui-même avait rédigé le décret conformément aux lois[77]. Je veux donc que vous sachiez que, les deux parties entendues contradictoirement, j'ai décidé qu'on ne doit pas interdire aux Juifs de vivre suivant leurs coutumes. »

[75] Ce gouverneur d'Asie n'est pas connu d'ailleurs (Waddington, Fastes, p. 75). La conjecture de Bergmann, Vatia pour Galba, est arbitraire. Il est probable que ce rescrit est à peu prés de la même date que le document précédent (vers 100 av. J.-C.).

[76] τοὺς καρποὺς μεταχειρίζεσθαι, sens douteux. Il s’agit peut-être de la dîme envoyée à Jérusalem ?

[77] Quel décret ? le sens est obscur et le texte sans doute altéré. Au lieu de τεθεικέναι, quelques mss. ont εὐθυνκέναι.

Décrets de Pergame, Halicarnasse, Sardes et Milet.

22. (XX)[78]. Décret des Pergaméniens. « Cratippos étant prytane, le premier du mois Daisios, sur la motion des stratèges Attendu que les Romains, suivant l'exemple de leurs ancêtres, affrontent tous les dangers pour la sécurité commune de tous les hommes, et se font gloire d'assurer à leurs alliés et amis la prospérité et une paix solide ; — Attendu que le peuple juif et Hyrcan, son grand-prêtre[79], leur ayant envoyé en ambassade Straton, fils de Théodotos, Apollonios, fils d'Alexandre, Enée, fils d'Antipater, Aristobule, fils d'Amyntas, Sosipater, fils de Philippe[80], hommes justes et honnêtes, après un exposé détaillé de leurs griefs, le Sénat a rendu le décret suivant sur les points qui en faisaient l'objet : Le roi Antiochus, fils d'Antiochus[81], ne doit faire aucun tort aux Juifs, alliés des Romains ; s'il leur a pris des places fortes, ports, territoires, ou quelque autre chose, il le leur rendra[82] ; …et personne peuple ni roi, à l'exception du seul Ptolémée, roi d'Alexandrie, en raison de son amitié et de son alliance avec nous[83], n'exportera rien du territoire et des ports des Juifs sans payer de droits ; la garnison de Jopé sera retirée, comme ils l'ont demandé ; — Attendu que Lucius Pettius, homme juste et honnête[84], a recommandé à notre Conseil[85] de prendre des mesures pour que ces décisions soient exécutées, suivant le décret du Sénat romain[86], et de veiller à ce que le retour des ambassadeurs dans leur patrie ait lieu sans danger, — Nous avons reçu Théodore[87] devant notre Conseil et notre assemblée ; il nous a remis la lettre et le sénatus-consulte, et après qu'il nous eut parlé avec beaucoup de chaleur, vantant la valeur et la grandeur d'âme d’Hyrcan, sa bienveillance pour tous en général, et en particulier pour ceux qui arrivent auprès de lui[88], nous avons placé la lettre dans nos archives publiques et décrété de tout faire nous-mêmes pour les Juifs, conformément au sénatus-consulte, en notre qualité d'alliés des Romains. Théodore, après nous avoir remis la lettre, a demandé aussi à nos stratèges d'envoyer à Hyrcan la copie du décret, avec des ambassadeurs chargés d'affirmer les bonnes dispositions de notre peuple et de prier Hyrcan de conserver et d'accroître encore son amitié pour nous et de nous faire incessamment quelque bien, dont il sera payé de retour, comme il convient, se souvenant que du temps d'Abraham, qui fut le père de tous les Hébreux, nos ancêtres étaient leurs amis, ainsi que nous le trouvons consigné dans les actes publics[89]. »

[78] Sur ce texte cf. Revue des Études juives, XXXVIII (1899), p. 163 suiv. ; Mendelssohn, SC Romana etc., p. 135 et 217 ; Viereck, Sermo graecus… p. 94.

[79] Jean Hyrcan Ier.

[80] Probablement le même que le Sopater du document XVIII.

[81] Antiochus Cyzicène, fils d'Antiochus Sidétès. Le décret se place entre l'avènement de ce prince (113) et la mort d'Hyrcan (105). Mendelssohn et autres le placent sous Sidétès.

[82] Ces places, etc., sont énumérées dans le décret ultérieur du Sénat qu'on a vu dans le livre XIII, IX, 2 (Jopé, les ports, Gazara. les Sources). — Les mots qui suivent dans notre texte, καὶ ἑξῇ αὐτοῖς ἐκ τῶν λιμένων μήδ' ἐξαγαγεῖν sont incompréhensibles.

[83] Probablement Ptolémée Alexandre, roi depuis 107.

[84] Peut-être un légat du proconsul d'Asie.

[85] Nous lisons τῇ βουλῇ au lieu de τῆς βουλῆς.

[86] On ne voit pas en quoi les Pergaméniens pouvaient concourir à l'exécution des décisions énumérées.

[87] L'avant-coureur de l'ambassade juive, chargé de la lettre de Pettius.

[88] Cf. le décret des Athéniens, supra, VIII, 5 : Attendu que Hyrcan…

[89] La rédaction ambiguë de cette phrase n’indique pas très nettement si c'est dans les archives de Jérusalem ou celles de Pergame qu'on prétendait trouver la preuve de cette antique alliance ; le décret ne fait, ce semble, que reproduire le boniment de Théodore. Cette invention est à rapprocher de la légende analogue sur la parenté des Juifs avec les Spartiates, livre XII, IV, 10.

23. (XXI). Décret des Halicarnassiens. « Sous la prêtrise de Memnon, fils d'Aristide, et par adoption d'Euonymos, le … du mois d'Anthestérion[90], décret du peuple, sur la proposition de Marcus, fils d'Alexandre : Attendu que de tout temps nous avons respecté les sentiments pieux et saints envers la divinité, à l'exemple du peuple romain, bienfaiteur de tous les hommes, et conformément à ce qu'il a écrit à notre ville touchant son amitié et son alliance avec les Juifs[91], à savoir que ceux-ci doivent pouvoir célébrer leurs cérémonies et leurs fêtes et tenir leurs réunions habituelles. Nous avons décidé que tous les Juifs, hommes et femmes, qui le désiraient, pourraient célébrer le sabbat, offrir des sacrifices suivant la loi juive, faire des prières au bord de la mer, selon leur coutume nationale[92]. Et si quelqu'un, magistrat ou particulier, y met empêchement, qu’il soit frappé de cette amende[93] au profit de la ville. »

[90] Février – mars.

[91] Allusion à la circulaire du sénat mentionnée dans la lettre des Laodicéens, document XVIII. Notre document est donc de la même époque (vers 105).

[92] Les mots τὰς προσευχὰς ποιεῖσθαι ne doivent pas, si tentant que ce soit, s’interpréter « bâtir leurs synagogues ». Le voisinage de la mer (ou des fleuves, Actes des Apôtres, 16, 13) était recherché pour les prières à cause de la facilité des ablutions rituelles (cf. Aristée, p. 66 = livre XII, II, 13) ; spécialement le jour du grand jeûne, Tertullien, De ieiunio, 16 ; Ad nationes, I, 13. Cf. Schürer, II3, p. 444 et 447.

[93] Quelle amende ? le texte est mutilé.

24. (XXII). Décret des habitants de Sardes[94] : « Le Conseil et le peuple, sur la proposition des stratèges, ont décidé : Attendu que les Juifs citoyens (?)[95], qui habitent notre ville, et qui ont toujours été traités avec la plus grande humanité par le peuple, se sont présentés maintenant au Conseil et au peuple, rappelant que leurs lois et leur liberté leur ont été rendues par le Sénat et le peuple romain[96], et demandent qu'ils puissent se réunir, se gouverner, se juger entre eux, suivant leurs coutumes[97], et qu'on leur donne un lieu où ils puissent se rassembler avec leurs femmes et leurs enfants pour offrir leurs prières et leurs sacrifices traditionnels[98] à Dieu ; en conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé de les autoriser à se réunir aux jours fixés, pour se conformer à leurs lois ; les stratèges leur assigneront, pour bâtir et habiter[99], l'emplacement qu'ils jugeront convenable à cet effet, et les agoranomes de la cité auront soin de faire introduire dans la ville tout ce qui sera nécessaire pour leur subsistance.

[94] Ce décret ne peut pas être celui auquel il est fait allusion plus haut, document XII, et qui se rapportait à l'exemption du service militaire. C’est une question beaucoup plus délicate de savoir s’il faut le rattacher au rescrit ci-dessus du propréteur L. Antonius (document XV). Dans le présent décret, les Juifs, appuyés par les Romains, demandent la concession d'un lieu de réunion ; dans le rescrit d'Antonius ils déclarent avoir été de tout temps, ἀπ ἀρχῆς, en possession d'un pareil lieu.

[95] Le mot πολῖται est très embarrassant. On s'est appuyé sur ce texte pour affirmer qu'à Sardes les Juifs avaient droit de cité (Schürer, III3, 82), et c’est au même résultat que conduirait au document XV la leçon πολῖται ὑμέτεροι. Toutefois nous croyons ces conclusions très hasardées et le mot πολῖται pourrait bien n'être qu'une faute, née sous l'influence du πολλά qui suit. Ou bien il faudrait suppléer πολῖται (Ῥωμαῖοι).

[96] A quelque époque qu'on place notre texte, ces mots font difficulté.

[97] Nous lisons avec P (et Neise) συνάγωνται καὶ πολιτεύωνται καὶ διαδικάζωνται πρὸς αὐτούς (lire αὑτούς). La leçon de FL συν. καὶ πολ. καὶ μὴ διαδικαζώνται πρὸς αὑτούς conduirait à un sens tout différent « et que nous cessions de leur faire des chicanes », qui est également acceptable.

[98] Cette mention de « sacrifices » est bien extraordinaire ; elle est sans doute imputable à l'ignorance du rédacteur grec.

[99] Encore une singularité. Les Juifs demandent une synagogue et on leur désigne un ghetto !

25. (XXIII)[100]. Décret des Éphésiens : « Ménophilos étant prytane, le premier du mois d'Artémision[101], décret du peuple, motion de Nicanor, fils d'Euphémos, introduite par les stratèges. Attendu que les Juifs qui habitent la ville, ayant obtenu audience de Marcus Junius… Brutus… proconsul[102], la permission de célébrer le sabbat et de suivre en tout les prescriptions de leurs lois nationales, sans que personne les en empêche, le préteur a accordé cette autorisation ; en conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé, la chose intéressant les Romains, que personne ne sera empêché de célébrer le jour du sabbat, ni passible d'amende pour l'avoir fait, et que les Juifs seront autorisés à se conformer en tout à leurs lois particulières.

[100] Sur ce texte cf. Mendelssohn, Acta, V, 251-254.

[101] Avril.

[102] Μάκρῳ Ἰουλίῳ (sic) Πομπηίῳ (leçon de FLAM, Ποντίου υἱῷ P) Βρούτου (sic Βρούτῳ). Beaucoup de corrections ont été proposées : M. Iunius M. F. Brutus (Bergmann), M Iunius M. F. Caepio (Ritschl) etc. Mendelssohn croit qu'il s'agit du célèbre Brutus, qui séjourna en Asie Mineure en 42 av. J.-C. Nous penserions plutôt à un gouverneur plus ancien, peut-être M. Iuncus, gouverneur d'Asie et de Bithynie en 74.

Conclusion.

26. Il existe encore bon nombre de décrets analogues du Sénat et des généraux romains en faveur d'Hyrcan et de notre nation, de décrets des villes, d'actes des magistrats en réponse aux lettres des gouverneurs relatives à nos droits. De tous ces documents le lecteur impartial peut se faire une idée d'après ceux que nous avons cités. Car, maintenant que nous avons fourni des preuves évidentes et frappantes de l'amitié des Romains pour nous et montré ces preuves inscrites sur des tables de bronze et dans des actes qui existent encore et resteront au Capitole, je m'abstiens d'en reproduire toute la série, ce qui serait inutile et fastidieux ; je ne crois pas, en effet, que personne soit d'assez mauvaise foi pour refuser de croire à la bienveillance des Romains à notre égard, alors qu'ils l'ont témoignée par de nombreux décrets, et pour nous soupçonner de n'avoir pas dit la vérité après les preuves que nous avons fournies. J'ai donc démontré que les Romains à cette époque avaient été pour nous des amis et des alliés.

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