1. Vers ce même temps, il y eut en Syrie des troubles, dont voici la cause : Bassus Cæcilius, un des partisans de Pompée, conspira contre Sextus César et l'assassina[2] ; puis, ralliant les troupes de celui-ci, il s'empara du pouvoir. La guerre éclata aussitôt aux environs d'Apamée, les généraux de César avant marché contre Cæcilius avec de la cavalerie et de l'infanterie. Antipater leur envoya des renforts avec ses fils, en souvenir des bienfaits de (Sextus) César, et trouvant donc juste de le venger et de châtier le meurtrier. La guerre traînant en longueur, Murcus[3] vint de Rome pour remplacer Sextus dans son gouvernement. César à ce moment fut assassiné par Cassius et Brutus en plein sénat, après avoir gardé le pouvoir trois ans et six mois[4]. Ces événements ont été racontés ailleurs[5].
[1] Guerre, I, § 216-238.
[2] 46 av. J.-C.
[3] L. Statius Murcus. Sa nomination est de l'an 44.
[4] Depuis la bataille de Pharsale (9 août 44) jusqu'aux « ides de mars » 44. La Guerre compte plus justement 3 ans et 7 mois.
[5] Phrase empruntée à Nicolas ?
2. La mort de César déchaîna la guerre ; tous les personnages importants se dispersèrent de côté et d'autre pour rassembler des troupes. Cassius arriva de Rome en Syrie afin de s'assurer celles qui campaient autour d'Apamée. Après avoir fait lever le siège, il se concilia les deux adversaires, Bassus et Murcus, et parcourut les villes, rassemblant des armes et des soldats, et imposant partout de forts tributs. La Judée surtout fut éprouvée : il l'imposa de sept cents talents d'argent[6]. Antipater voyant partout la terreur et le trouble, résolut de diviser cette somme, pour la lever, en plusieurs parts ; il chargea chacun de ses deux fils d'en percevoir une partie ; Malichos, qui était mal disposé pour lui, eut le soin d'en rassembler une autre portion ; d'autres celui de réunir le reste[7]. Hérode, qui eut le premier tiré de la Gaulée tout l'argent qu'il était chargé de lever, entra très avant dans les bonnes grâces de Cassius ; il trouva prudent, en effet, de flatter dès ce moment les Romains, et de s'assurer leur bienveillance, aux dépens d'autrui. Les commissaires de plusieurs (?) villes furent vendus corps et biens, et Cassius réduisit en esclavage quatre villes entières, dont les deux plus importantes étaient Gophna et Emmaüs, les deux autres Lydda et Thamna. Emporté par la colère, il fut sur le point de mettre aussi à mort Malichos ; il l'aurait fait, si Hyrcan ne l'avait retenu en lui envoyant par Antipater cent talents pris sur ses propres richesses[8].
[6] 800 d'après le Syncelle, I, 576 Dindorf (Jules Africain).
[7] Le texte est sûrement altéré ; le sens est indiqué par Guerre, § 221.
[8] On remarquera que dans Guerre c'est à Antipater qu'il est fait honneur de cette démarche.
3. Dès que Cassius se fut retiré de la Judée, Malichos conspira contre Antipater, dont la mort, pensait-il, consoliderait le pouvoir d'Hyrcan. Il ne put cacher ses projets à Antipater, qui, les ayant découverts, se retira au delà du Jourdain et rassembla une armée composée d'Arabes et d'indigènes. Malichos, en homme avisé, désavoua le complot ; il protesta, jurant à Antipater, et à ses fils que, du moment que Phasaël tenait garnison à Jérusalem et qu'Hérode avait la garde de l'arsenal, personne n'aurait même pu concevoir l'idée d'un pareil projet, le sachant inexécutable. Il se réconcilia donc avec Antipater et tous deux s'unirent. Murcus était alors préteur de Syrie : quand il apprit que Malichos méditait une révolution en Judée, peu s'en fallut qu'il ne le fit mettre à mort ; il ne l'épargna que sur les instances d'Antipater.
4. Antipater, sans s’en douter, sauva ainsi la vie à son meurtrier Malichos. Sur ces entrefaites, en effet, Cassius et Murcus avaient rassemblé une armée et en avaient confié tout le soin à Hérode ; ils le nommèrent gouverneur de Cœlé-Syrie[9], lui donnèrent des navires, de la cavalerie et de l'infanterie, et lui promirent de le faire roi de Judée après la guerre qui venait d'éclater contre Antoine et le jeune César[10]. Malichos cependant, qui craignait alors plus que jamais Antipater, résolut de s'en débarrasser : il gagna à prix d'argent l'échanson d'Hyrcan, chez lequel tous deux dînaient, et empoisonna son rival ; puis, avec ses hommes d'armes, il prit possession de la ville. Hérode et Phasaël, à la nouvelle de l'attentat commis contre leur père, ayant montré une vive irritation, il nia de nouveau et se déclara innocent de ce meurtre. Telle fut la fin d'Antipater, homme véritablement supérieur par sa piété, sa justice, son patriotisme. De ses deux fils, Hérode résolut aussitôt de venger son père, en marchant à la tête d'une armée contre Malichos ; mais Phasaël, l'aîné, pensa qu'il fallait jouer avec lui au plus fin, pour n'avoir pas l'air de déchaîner une guerre civile. Il accepta donc la justification de Malichos, feignit de croire qu'il n'était nullement coupable du meurtre d'Antipater et s'occupa d'élever un somptueux tombeau à son père[11]. Hérode, arrivé à Samarie, s'en empara, releva la ville, qu'il trouva dévastée, et apaisa les discordes des habitants.
[9] Guerre dit qu'Hérode fut nommé « administrateur » (ἐπιμελητής) de toute la Syrie.
[10] Printemps 43 av. J.-C.
[11] Dans Guerre, c'est Hérode, persuadé par Phasaël, qui agit ainsi.
5. Peu de temps après, à l'approche de la fête de Jérusalem[12], il se dirigea vers la ville avec ses soldats. Malichos prit peur et conjura Hyrcan de ne pas le laisser entrer. Hyrcan y consentit et donna comme prétexte de cette interdiction l'impossibilité d'admettre une troupe d'étranger, au milieu du peuple occupé à se purifier. Hérode, sans se soucier de cette défense, entra de nuit dans la ville, à la grande terreur de Malichos. Celui-ci cependant ne jeta pas le masque ; il pleurait Antipater, évoquait publiquement son souvenir, comme celui d'un ami, tandis qu'en secret il se constituait une garde du corps. Hérode ne crut pas le moment venu de dénoncer sa fausseté ; il résolut même, pour ne pas éveiller ses soupçons, de répondre à ses démonstrations d'amitié.
[12] Sans doute la fête des Tabernacles.
6. Hérode envoya cependant la nouvelle de la mort de son père à Cassius. Celui-ci, qui connaissait bien le caractère de Malichos, répondit à Hérode par le conseil de venger son père, et envoya secrètement aux tribuns militaires qui se trouvaient à Tyr l'ordre d'aider Hérode à accomplir un acte de justice. Lorsque Cassius eut pris Laodicée[13], les habitants du pays vinrent à sa rencontre avec des couronnes et de l'argent. Hérode s'attendait à ce que Malichos vint aussi et reçut son châtiment ; mais celui-ci, arrivé à Tyr de Phénicie, conçut des soupçons et forma de son côté un projet plus hardi : son fils étant retenu comme otage à Tyr, il projeta d'entrer dans la ville, de l'enlever, puis de partir pour la Judée, et pendant que Cassius marcherait en Égypte contre Antoine, de soulever le peuple et de s'emparer du pouvoir. Mais la Providence déjoua ses desseins et le rusé Hérode pénétra ses calculs ; celui-ci envoya d'avance un serviteur, sous couleur de veiller aux préparatifs d'un banquet qu'il avait annoncé leur offrir à tous[14], en réalité pour parler aux tribuns militaires, qu'il persuada d'aller à la rencontre de Malichos avec des poignards. Ils sortirent et, l'ayant rencontré près de la ville, sur le rivage, ils le poignardèrent. Hyrcan fut tellement ému de cet événement qu'il en perdit la parole ; puis, revenu à lui à grand'peine, il demanda aux gens d'Hérode ce qui s'était passé et quel était le meurtrier de Malichos. Quand on lui eut dit que l'ordre était venu de Cassius, il approuva tout, ajoutant que Malichos était un méchant, qui conspirait contre sa patrie. C'est ainsi que Malichos expia sa déloyauté à l'égard d'Antipater[15].
[13] Dolabella, gouverneur d'Asie pour les triumvirs, avait envahi la Syrie. Il fut assiégé dans Laodicée par Cassius et s'y donna la mort (été 43).
[14] D'après Guerre, Hyrcan était du nombre des invités.
[15] On ne peut s'empêcher de concevoir quelques doutes sur la réalité des crimes et desseins attribués par Hérode — et d'après lui, par Nicolas — à Malichos.
7. Lorsque Cassius eut quitté la Syrie, des troubles s'élevèrent en Judée. Hélix, qui avait été laissé à Jérusalem avec des troupes[16], marcha contre Phasaël, et le peuple prit les armes. Hérode était en route pour rejoindre Fabius, qui commandait à Damas[17] ; il voulut aller au secours de son frère, mais la maladie l'en empêcha. Phasaël put enfin avec ses seules forces avoir raison d'Hélix, qu'il enferma dans une tour, puis relâcha après avoir traité avec lui. Il reprocha vivement à Hyrcan, n'ayant reçu que des bienfaits de son frère et de lui, de faire cause commune avec leurs ennemis. Le frère de Malichos venait, en effet, de faire défection et occupait quelques places fortes, et la mieux défendue de toutes, Masada[18]. Hérode, revenu à la santé, marcha contre lui, s'empara de toutes les forteresses qu'il possédait, et lui rendit la liberté après avoir traité.
[16] Sans doute par Hyrcan lorsqu'il s'était rendu à Tyr.
[17] Damas était le chef-lieu de la Cœlé-Syrie ; on ne voit pas bien comment Fabius (inconnu d'ailleurs) pouvait y être gouverneur si Hérode avait reçu ce titre (XI, 4). Fabius serait-il le neveu de Cassius que celui-ci laissa avec une légion en Syrie (Appien, Civ., IV, 63) ?
[18] Aujourd'hui Sebbeh, sur le rivage O. de la mer Morte.