1. Antoine passa ensuite en Syrie[2] ; Cléopâtre vint à sa rencontre en Cilicie, et le rendit passionnément épris. Cent des plus notables parmi les Juifs, qui s'étaient adjoint les orateurs les plus capables de plaider leur cause, se rendirent de nouveau auprès de lui pour accuser Hérode et ses partisans. Messala leur répondit au nom des jeunes gens[3], en présence d'Hyrcan, qui était déjà devenu le beau-père d'Hérode. Antoine, après avoir entendu les deux partis à Daphné, demanda à Hyrcan lesquels des antagonistes seraient les mieux placés à la tête du peuple. Sur la réponse d'Hyrcan que c'était Hérode et son frère, Antoine, qui avait pour eux des sentiments anciens d'amitié, en souvenir des relations d'hospitalité qu'il avait nouées avec leur père, du temps où il se trouvait en compagnie de Gabinius, les nomma tous deux tétrarques, leur confia le gouvernement des Juifs, rédigea des instructions…, et jeta dans les chaînes quinze de leurs adversaires ; il allait même les mettre à mort, mais Hérode obtint leur grâce.
[1] Guerre, I, § 243-272.
[2] Automne 41 av. J..C.
[3] Singulière façon de désigner Hérode et Phasaël.
2. Même après cela ils ne restèrent pas tranquilles à leur retour d'ambassade. Mille hommes, en effet, vinrent encore au devant d'Antoine, à Tyr, où l'on supposait qu'il allait arriver. Mais Antoine, gagné au prix de sommes considérables par Hérode et son frère, ordonna au commandant de l'endroit de châtier les envoyés des Juifs, qui désiraient une révolution, et de consolider le pouvoir d'Hérode. Comme ils étaient campés sur la plage, devant la ville, Hérode alla aussitôt les trouver et leur conseilla de partir — Hyrcan était avec lui —, car s'ils entraient en contestation ils seraient cause d'un grand malheur. Ils refusèrent. Aussitôt les Romains se précipitant sur eux avec des poignards tuèrent les uns, en blessèrent quelques autres ; le reste s'enfuit chez soi et, pris de terreur, se tint coi. Puis, comme le peuple injuriait Hérode, Antoine exaspéré fit massacrer ses prisonniers[4].
[4] Sans doute les quinze ambassadeurs qu'il avait arrêtés plus haut.
3. Deux ans après[5], Pacoros, fils du roi, et Barzapharnès, satrape des Parthes, occupèrent la Syrie. Ptolémée, fils de Mennaios, mourut, et son fils Lysanias, qui hérita de son pouvoir, fit amitié avec Antigone, fils d'Aristobule, grâce aux bons offices du satrape qui avait sur lui beaucoup d'influence. Antigone[6] promit de donner aux Parthes mille talents et cinq cents femmes s'ils enlevaient le pouvoir à Hyrcan pour le lui donner et tuaient Hérode. Mais il ne devait pas tenir sa promesse. Les Parthes, ramenant Antigone, marchèrent donc vers la Judée, Pacoros le long de la côte, et le satrape Barzapharnès par l'intérieur. Les Tyriens fermèrent leurs portes à Pacoros, mais les habitants de Sidon et de Ptolémaïs le reçurent. Pacoros envoya vers la Judée, pour explorer la région et agir de concert avec Antigone, un détachement de cavalerie commandé par un échanson qui portait le même nom que le roi[7]. Aux environs du mont Carmel, quelques Juifs ayant rejoint Antigone[8], prêts à faire invasion avec lui, Antigone espérait, grâce à leur aide, s'emparer d'une partie du pays ; l'endroit se nomme Drymoi (les Chênaies). Ils rencontrèrent un parti ennemi qu'ils poursuivirent dans la direction de Jérusalem. Des nouveaux venus vinrent grossir leur nombre, et ils marchèrent tous sur le palais, qu'ils assiégèrent. Mais Phasaël et Hérode vinrent le défendre ; une bataille s'engagea dans l'agora, et les jeunes gens vainquirent leurs adversaires ; ils les contraignirent à se réfugier dans le temple et envoyèrent des soldats[9] occuper les maisons voisines ; mais le peuple soulevé brûla avec les maisons les malheureux qui ne reçurent aucun secours. Peu de temps après Hérode tira vengeance de cette injuste agression ; il attaqua les rebelles et leur tua beaucoup de monde.
[5] 40 av. J.-C.
[6] D'après Guerre, la promesse fut faite par Lysanias.
[7] Non pas que le roi, qui s'appelait Orodès, mais que Pacoros (Guerre).
[8] Texte corrompu. On voit dans Guerre, que le détachement de l'échanson ravagea les environs du Carmel. C'est alors que les Juifs, se présentent et s'offrent à faire cause commune avec Antigone.
[9] Soixante (Guerre).
4. Chaque jour avaient lieu des escarmouches ; les ennemis attendaient la foule qui devait, de tout le pays, venir pour la fête appelée Pentecôte. Ce jour arrivé, des myriades d'hommes, avec ou sans armes, s'agglomérèrent autour du Temple. Ceux qui se trouvaient là occupèrent le Temple et la ville, sauf le palais qu'Hérode tenait avec quelques soldats. Pendant que Phasaël gardait les murailles, Hérode avec un détachement attaqua l'ennemi dans le faubourg, combattit vigoureusement et mit en fuite des myriades d'insurgés, dont les uns s'enfuirent dans la ville, les autres dans le Temple, quelques-uns dans le retranchement extérieur qui se trouvait en cet endroit ; Phasaël le soutint. Pacoros[10], général des Parthes, marcha alors sur la ville avec quelques cavaliers[11] à la demande d'Antigone, sous prétexte d'apaiser le soulèvement, en réalité pour aider Antigone à s'emparer du pouvoir. Phasaël vint à la rencontre de Pacoros, et le reçut comme un hôte ; celui-ci, pour lui tendre un piège, lui conseilla d'envoyer une ambassade à Barzapharnès. Phasaël, sans défiance, accepta, bien que cette démarche fût désapprouvée par Hérode, qui redoutait la déloyauté des barbares, et lui conseillait plutôt d'attaquer Pacoros et les nouveaux arrivants.
[10] L'échanson ou le prince royal ? Schürer se prononce pour l'échanson.
[11] Cinq cents (Guerre).
5. Hyrcan et Phasaël partirent donc en ambassade ; Pacoros, laissant à Hérode deux cents cavaliers et dix des guerriers appelés éleuthères (libres), les escorta. Quand ils arrivèrent en Galilée, les révoltés de ce pays[12] vinrent en armes à leur rencontre. Barzapharnès, après les avoir d'abord reçus avec empressement et comblés de présents, conspira contre eux. Phasaël et ses compagnons furent amenés à Ecdippa, au-dessus de la mer[13] ; là ils apprirent qu'Antigone avait promis aux Parthes mille talents et cinq cents femmes, promesses dirigées contre eux, et commencèrent à se défier des barbares. Enfin on leur fit savoir que ceux-ci préparaient contre eux un complot qu'on devait exécuter de nuit, et qu'on les gardait secrètement à vue ; ils auraient été déjà enlevés si l'on n'avait attendu que les Parthes laissés à Jérusalem se fussent emparés d'Hérode : car on craignait que si l'on commençait par s'assurer d'eux, Hérode ne l'apprit et ne pût s'échapper. Ce rapport était exact ; et ils étaient visiblement gardés. Certains conseillaient à Phasaël de monter à cheval et de s'enfuir sans plus tarder ; il y était poussé surtout par Ophellios, qui était renseigné par Saramallas, l'homme le plus riche de Syrie, et qui promettait de fournir des bateaux pour la fuite, car la mer était assez proche. Mais Phasaël ne voulait pas abandonner Hyrcan, ni mettre son frère en danger. Il alla donc trouver Barzapharnès, lui dit qu'il avait tort de nourrir de semblables projets à leur égard : car s'il avait besoin d'argent, il en aurait de lui bien plus qu'Antigone ne lui en donnait ; que d'ailleurs il serait honteux de mettre à mort des ambassadeurs innocents, venus confiants en sa loyauté. Le barbare, à ce discours, jura à Phasaël qu'il n'y avait rien de vrai dans ses conjectures, et qu'il était troublé par de faux soupçons. Puis il alla rejoindre Pacoros[14].
[12] Texte incertain. Je lis ἀφεστῶτες (au lieu de ἐφεστῶτες, ὑφεστῶτες) d'après Guerre.
[13] Ecdippa, entre Tyr et Ptolémaïs. Le texte a été corrigé par Niese d'après Guerre.
[14] Sans doute le prince de ce nom.
6. Dès qu'il fut parti, quelques-uns des Parthes enchaînèrent Hyrcan et Phasaël, qui leur reprochèrent durement de violer leur serment. — L'échanson[15] envoyé à Hérode avait pour instructions de l'attirer hors des murailles et de s'emparer de lui. Mais Phasaël avait expédié des messagers à son frère pour lui dévoiler la conduite déloyale des Parthes. Hérode, à la nouvelle que les ennemis avaient capturé ces courriers, se rendit auprès de Pacoros[16] et des chefs des Parthes, qui avaient tout pouvoir sur les autres. Bien qu'au courant de tout, ils montrèrent une dissimulation pleine de perfidie et lui dirent qu'il fallait qu'il vint avec eux, hors des murs, au devant des courriers qui apportaient les lettres, car ces messagers n'avaient pas été pris par les rebelles et arrivaient certainement avec l'annonce des succès de Phasaël, Hérode ne se fia point à eux : il avait appris d'un autre côté que son frère avait été fait prisonnier ; et les conseils de la fille d'Hyrcan[17], à la fille de laquelle il était fiancé, ne firent qu'accroître ses soupçons à l'égard des Parthes. Bien que les autres n'eussent pas grande confiance en elle, il crut cette femme, qui était d'un grand sens.
[15] οἰνοχόος, Guerre ; εὐνοῦχος, Ant., mais l'ancienne traduction latine a pincerna (échanson) et il s'agit sûrement de l'échanson Pacoros. S'il a escorté Hyrcan et Phasaël, il faut admettre qu'il est ensuite retourné à Jérusalem.
[16] L'échanson, comme il résulte clairement de Guerre.
[17] Alexandre, fils d'Aristobule, avait épousé Alexandra, fille d'Hyrcan.
7. Les Parthes tinrent conseil sur ce qu'ils devaient faire, car ils n'osaient s'attaquer ouvertement à un pareil homme, et remirent leur décision au lendemain. Hérode, profondément troublé, et plus porté à croire les nouvelles relatives à son frère et aux complots des Parthes que les assurances contraires, résolut, la nuit venue, de profiter de l'obscurité pour s'enfuir, sans tarder davantage, comme s'il y avait doute sur les dangers qui le menaçaient de la part des ennemis. Il partit donc avec tout ce qu'il avait de soldats, chargea sur des bêtes de somme les femmes, sa mère, sa sœur, sa fiancée, fille d'Alexandre fils d'Aristobule, la mère de celle-ci, fille d'Hyrcan, avec son plus jeune frère, tous leurs serviteurs et toute leur suite et se dirigea vers l'Idumée, sans que l'ennemi s'en aperçût. Et nul, assistant à ce départ, n'aurait en le cœur assez dur pour ne pas prendre en pitié le sort des fugitifs : les femmes emmenant leurs enfants en bas âge, abandonnant avec des larmes et des gémissements leur patrie et leurs amis captifs, sans garder pour elles-mêmes grand espoir de salut.
8. Hérode sut élever son âme au-dessus du malheur qui le frappait. Non seulement il endurait lui-même avec fermeté ce malheur, mais encore, allant de l'un à l'autre pendant le voyage, exhortait chacun à reprendre courage et à ne pas s'abandonner à l'affliction : l'abattement ne pouvait que nuire à leur fuite, qui restait leur seule chance de salut. Ses compagnons essayèrent, suivant ses conseils, de supporter leur triste sort. Quant à lui, son char avant versé et sa mère avant été en danger de mort, peu s’en fallut qu’il ne se tuât, tant par suite des inquiétudes qu'il eut au sujet de sa mère, que dans la crainte que les ennemis qui le poursuivaient, profitant du retard causé par cet accident, ne s'emparassent de sa personne. Il avait déjà tiré son épée et allait se frapper quand ses compagnons l’en empêchèrent ; ils eurent raison de lui grâce à leur nombre et en lui remontrant qu'il ne pouvait les abandonner ainsi à l’ennemi ; car il n'était pas généreux de se soustraire lui-même au danger sans se soucier de ses amis qui y restaient exposés. Hérode fut donc forcé de renoncer à sa tentative de suicide, tant par la honte que lui causèrent ces discours, que par le nombre de ceux qui arrêtèrent sa main. Puis sa mère ayant recouvré la santé et obtenu les soins que permettaient les circonstances, il continua son voyage, en hâtant sa marche vers la forteresse de Masada[18]. Il eut à subir de nombreuses attaques de la part des Parthes, qui le harcelaient et le poursuivaient, mais il en sortit toujours vainqueur.
[18] Sur la rive O. de la mer Morte.
9. Il ne fut pas non plus dans sa fuite épargné par les Juifs. Ceux-ci l'attaquèrent à soixante stades de la ville et le long de la route engagèrent le combat. Hérode les battit et les mit en fuite, non point en homme qui se trouvait en proie au dénuement et aux difficultés, mais comme s'il avait eu à sa disposition de nombreuses et importantes ressources pour faire la guerre. Plus tard, devenu roi, il bâtit à l'endroit où il avait vaincu les Juifs un magnifique palais, autour duquel il fonda une ville qu'il appela Hérodion. Quand il arriva à la place forte d'Idumée nommée Thressa, son frère Joseph vint à sa rencontre, et il tint conseil sur la conduite à tenir. Le nombre des fugitifs qui l'accompagnaient, en dehors même des mercenaires, était considérable, et la forteresse de Masada, qu'Hérode avait choisie comme refuge, se trouvait trop petite pour recevoir une pareille cohue. Hérode en renvoya donc la plus grande partie, plus de neuf mille, après leur avoir recommandé de se mettre en sûreté de côté et d'autre en Idumée, et leur avoir donné un viatique. Conservant avec lui les plus lestes et ses familiers les plus intimes il arriva à la forteresse. Là il laissa les femmes et leur suite, environ huit cents personnes ; la place était bien pourvue de vivres, d'eau et de ressources de tout genre. Lui-même alors marcha vers Pétra, en Arabie. Le jour venu, les Parthes pillèrent Jérusalem et le palais, ne respectant que les trésors d'Hyrcan, qui montaient à environ trois cents talents. Une grande partie des richesses d'Hérode échappèrent au pillage, notamment tout ce que par prudence il avait déjà fait passer d'avance en Idumée. Les Parthes ne se contentèrent pas du butin qu'ils firent dans la ville ; ils se répandirent dans tout le pays environnant, qu'ils pillèrent, et ils détruisirent la ville considérable de Marissa.
10. Antigone, ramené ainsi en Judée par le roi des Parthes, reçut Hyrcan et Phasaël mis aux fers. Mais il était fort embarrassé par la fuite des femmes, qu'il avait l'intention de donner aux ennemis, car il les avait promises comme paiement outre l'argent. Dans la crainte que le peuple n'arrachât Hyrcan aux mains des Parthes qui le gardaient et ne le rétablît sur le trône, il lui fit couper les oreilles[19], afin que cette mutilation l'empêchât de jamais redevenir grand-prêtre, la loi réservant cette charge aux seuls hommes exempts de toute infirmité[20].
[19] Guerre prétend qu'Antigone coupa les oreilles d'Hyrcan avec ses dents !
[20] Lévitique, XXI, 17 suiv. Guerre dit que les Parthes emmenèrent Hyrcan prisonnier en Parthyêne (?).
Il faut admirer le courage de Phasaël, qui, à la nouvelle qu'il devait être égorgé, ne recula pas devant l'idée de la mort, mais trouvant trop d'amertume et de déshonneur à la recevoir d'un ennemi, et n'ayant pas, dans ses fers, les mains libres pour se la donner, se tua en se brisant la tête contre une pierre : par cette fin, la plus belle, à son gré, que lui laissait son dénuement, il enleva à son ennemi la possibilité de disposer de lui selon son plaisir. Il se blessa grièvement et l'on dit qu’Antigone envoya des médecins, sous prétexte de le soigner, mais qui l'achevèrent avec des poisons mortels appliqués sur sa blessure. Avant cependant de rendre le dernier soupir, Phasaël apprit par une femme que son frère Hérode avait échappé aux Parthes ; alors il supporta courageusement la mort, sachant qu’il laissait quelqu'un qui saurait le venger et châtier ses ennemis[21].
[21] On voit par Guerre qu'il y avait deux versions : l'une suivant laquelle Phasaël serait mort sous les coups, l'autre qui racontait l'empoisonnement. Il y en avait même une troisième, d'après laquelle il aurait péri dans une bataille (Jules Africain, ap. Syncelle, I, 581, Dindorf).