1. Hérode ne se laissa pas abattre sous le poids des maux qui l'accablaient ; il n'en devint que plus ingénieux à chercher des occasions de tentatives hardies. Il se rendit auprès de Malchos, roi des Arabes, qui lui avait d'anciennes obligations ; il voulait, maintenant qu'il en avait grand besoin, se faire payer de retour et lui demander de l'argent à titre de prêt ou de don, en invoquant tous les services rendus. Ignorant, en effet, le sort de son frère, il avait hâte de l'arracher aux ennemis moyennant rançon, prêt à payer une somme allant jusqu'à trois cents talents. C'est pourquoi il emmenait le fils de Phasaël, âgé de sept ans, pour le remettre en gage aux Arabes[2]. Mais il rencontra des messagers venant de la part de Malchos, chargés de lui donner l'ordre de s'éloigner, car les Parthes lui avaient interdit de recevoir Hérode. Malchos saisissait ce prétexte pour ne pas acquitter ses dettes, poussé d'ailleurs par les principaux des Arabes, désireux de s'approprier les dépôts qu'ils tenaient d'Antipater. Hérode répondit qu'il venait, non pour leur créer des difficultés, mais seulement pour conférer avec Malchos de choses de la dernière importance.
[1] Guerre, I, § 273-289.
[2] Il avait aussi pour garants des Tyriens (Guerre).
2. Puis, jugeant sage de s'éloigner, il prit prudemment la route d'Égypte. Il s'arrêta ce jour-là dans un sanctuaire où il avait laissé quelques-uns de ceux qui le suivaient ; le lendemain, arrivé à Rhinocouroura, il apprit le sort de son frère. Malchos, revenu sur sa détermination, courut après Hérode, mais sans résultat : Hérode était déjà loin, hâtant sa marche vers Péluse. Arrivé là, les navires mouillés dans le port refusèrent de l'emmener à Alexandrie[3] ; il alla voir les commandants, qui l'accompagnèrent avec de grandes marques d'honneur et de respect à la capitale, où Cléopâtre voulut le retenir. Celle-ci ne put le persuader de rester auprès d'elle ; il avait hâte de se rendre à Rome, malgré la mauvaise saison et le trouble et l'agitation où étaient les affaires d'Italie.
[3] Tel paraît être (d’après Guerre) le sens de cette phrase altérée.
3. Il s'embarqua donc pour la Pamphylie, fut assailli par une tempête terrible et put à grand'peine se sauver à Rhodes, après avoir dû jeter une partie de la cargaison par dessus bord. Deux de ses amis y vinrent à sa rencontre, Sapphinias et Ptolémée. Il trouva la ville encore toute ruinée par la guerre contre Cassius ; son propre dénuement ne l'empêcha pas de s'employer pour elle, et il contribua, au delà de ses forces, à la relever. Puis, ayant équipé une trirème, il s'embarqua avec ses amis pour l'Italie et débarqua à Brindes. De là il gagna Rome, où son premier soin fut d'informer Antoine de tout ce qui s'était passé en Judée : son frère Phasaël pris et mis à mort par les Parthes ; Hyrcan retenu prisonnier par eux ; Antigone par eux rétabli sur le trône, après avoir promis de leur donner mille talents et cinq cents femmes, qui devaient être des premières familles et de race juive ; comment lui-même avait emmené de nuit toutes ces femmes, et échappé aux mains des ennemis au prix de mille fatigues ; les dangers, enfin, que couraient ses parents et amis, qu'il avait dû laisser assiégés, pour s'embarquer en plein hiver, au mépris de tous les périls, et accourir auprès d'Antoine, désormais tout son espoir et son seul secours.
4. Antoine eut pitié du changement de la fortune d'Hérode et fit la réflexion commune que ceux qui sont le plus haut placés sont aussi plus exposés aux coups du sort ; partie en souvenir de l'hospitalité d'Antipater, partie à cause de l'argent qu'Hérode promettait de lui donner, s'il devenait roi, comme auparavant lorsqu'il avait été nommé tétrarque, surtout, enfin, en raison de sa haine contre Antigone, qu'il regardait comme un factieux et un ennemi des Romains, il fut tout disposé à soutenir les revendications d'Hérode. César, de son côté, en souvenir des campagnes d'Égypte où son père avait été aidé par Antipater, de l'hospitalité qu'il en avait reçue, de la bonne volonté témoignée par Hérode en toutes circonstances, aussi pour plaire à Antoine, qui s'intéressait vivement à lui, se montrait prêt à écouter la requête d'Hérode et à lui donner l'aide qu'il réclamât. Le Sénat fut donc réuni ; Messala, et après lui Atratinus[4], ayant présenté Hérode, dirent tous les services rendus par son père et rappelèrent les bonnes dispositions dont il avait fait preuve lui-même à l'égard des Romains ; ils accusèrent en même temps et dénoncèrent comme ennemi Antigone, non seulement à cause de la première offense dont il s'était rendu coupable envers eux, mais aussi pour avoir reçu le pouvoir des mains des Parthes, et montré ainsi son dédain pour les Romains. Le Sénat témoigna son irritation de ces insultes, et Antoine intervint pour faire remarquer qu'il importait aussi au succès de la guerre contre les Parthes qu'Hérode fût roi. La motion fut approuvée et votée à l'unanimité.
[4] L. Sempronius Atratinus, le futur consul suffect de l'an 34. Il était alors augure.
5. Le plus important effet du zèle d'Antoine pour Hérode ne fut pas seulement d'assurer à celui-ci la couronne sans qu'il l'espérât : ce n'était pas, en effet, pour lui-même qu'il était venu la demander, — il ne pouvait supposer qu'il l'obtiendrait des Romains dont la coutume était de la réserver à la famille légitime — mais pour le frère de sa femme[5], qui se trouvait être le petit-fils d'Aristobule par sa mère et d'Hyrcan par son père ; il y gagna encore, au bout de sept jours en tout, de pouvoir repartir d'Italie, après un succès bien inattendu. — Ce jeune prince fut, d'ailleurs, tué par Hérode, comme nous le raconterons le moment venu. — La séance du Sénat levée, Antoine et César, ayant entre eux deux Hérode, sortirent escortés des consuls et des autres magistrats, pour aller offrir un sacrifice et déposer le décret au Capitole. Antoine fêta par un banquet ce premier jour du règne d'Hérode. C'est ainsi que celui-ci fut nommé roi, dans la cent quatre-vingt-quatrième olympiade, sous le consulat de Cnæus Domitius Calvinus, consul pour la seconde fois, et de Caïus Asianus Pollion[6].
[5] Ce prince, fils d'Alexandre, s'appelait Aristobule comme il sera dit plus loin, livre XV, II, 5. Les mss. ont ici Ἀλεξάνδρου. Josèphe avait peut-être écrit Ἀλεξάνδρου μὲν υἱῳ, etc.
[6] 40 av. J.-C., à la fin de l'année. L'OI. 184 se termine en juillet 40 ; la concordance est donc inexacte. — D’après Appien. Civ., V, 75, il semble qu'Hérode fut seulement nommé roi Ἰδουμαίων δὲ καὶ Σαμαρέων.
6. Pendant tout ce temps, Antigone assiégeait les fugitifs enfermés à Masada ; ils étaient abondamment pourvus de tout, seule l'eau était rare, ce qui décida le frère d'Hérode, Joseph, à projeter de s'enfuir chez les Arabes avec deux cents de ses compagnons ; il avait appris, en effet, que Malchos se repentait de sa conduite à l'égard d'Hérode. Une pluie que Dieu envoya pendant la nuit le fit renoncer à son dessein ; car les citernes s'étant remplies d'eau, il n'était plus besoin de fuir. Les assiégés, reprenant, au contraire, courage, moins encore parce qu'ils avaient désormais en abondance ce qui leur avait manqué que parce qu'ils voyaient là une marque de la sollicitude divine, firent des sorties, et attaquant les troupes d'Antigone, tuèrent beaucoup de monde à l'ennemi, soit ouvertement, soit en cachette. Sur ces entrefaites, Ventidius, le général romain envoyé de Syrie pour repousser les Parthes[7], vint à leur suite en Judée, sous prétexte de porter secours à Joseph, mais dans l'unique dessein de se faire donner de l'argent par Antigone ; il campa donc tout près de Jérusalem et extorqua à Antigone une somme assez importante. Puis il se retira avec la plus grande partie de ses forces et, pour que sa perfidie ne fut pas trop manifeste, il laissa, avec quelques-uns de ses soldats, Silo[8]. Antigone sut aussi gagner cet officier pour qu’il ne lui causât pas d'embarras, en attendant que les Parthes lui envoyassent de nouveaux secours.
[7] P. Ventidius, envoyé par Antoine à la fin de l'an 40, chassa les Parthes d'Asie Mineure et de Cilicie, puis entra en Syrie (39).
[8] Dion, XLVIII, 41 l'appelle Πουπήδιος (sans doute Ποππήδιος Σίλων). Il était de la même famille que le célèbre chef des Marses dans la guerre sociale.