Pour autant qu’on peut le conjecturer d’après certains passages d’Ezéchiel et de Jérémie, comme par exemple, Jérémie 29.5-7, les exilés ne paraissent pas avoir eu à gémir sous une trop dure oppression. Ils purent continuer de vivre entre eux, plus ou moins séparés des païens ; ils purent conserver leurs anciens Ézéchiel 14.1 ; 20.1 ; Jérémie 29.1) ; le livre de Suzanne nous montre les Juifs de Babylone constitués en une communauté à part ayant sa propre juridiction. Sans doute nul véritable Israélite ne pouvait être complètement heureux loin de la terre sainte (Psaumes 137.4-6) ; c’était un continuel sujet de tristesse que de devoir manger un pain souillé par l’absence des cérémonies qui en temps ordinaire sanctifiaient la nourriture du peuple (Ézéchiel 4.13 ; Osée 9.3, § 136). Mais la parole prophétique, en laquelle les derniers événements montraient assez que l’on pouvait avoir confiance, était encore là pour faire prendre patience au peuple, en lui parlant, de la chute prochaine de Babylone et de sa propre délivrance. Que seulement Israël, dans l’attente de ce consolant avenir vive dans la pureté et dans la repentance, comme une épouse qui, après avoir commis infidélité, est séparée pour un temps de son mari, mais ne reçoit point de lettre de divorce et n’ose point contracter une nouvelle union (Ésaïe 50.1 ; Osée 3.1-5).
Malgré tant de bienfaits au sein d’un si grand châtiment, la racine de l’idolâtrie se trouvait encore vivace dans bien des cœurs (Ézéchiel 14.3 ; Ésaïe 45.3 et sq. ), en sorte qu’il importait autant que jamais que le peuple demeurât séparé des pays qui l’entouraient ; et, comme la célébration du culte lévitique était absolument impossible sur la terre étrangère (Osée 9.4), nous voyons les prophètes insister d’autant plus sur les ordonnances qui étaient de nature à être observées loin du temple de Jérusalem. Le sacrifice des lèvres tend à prendre la place des sacrifices sanglants ; Ezéchiel parle souvent du Sabbat (§ 201) ; évidemment les serviteurs de Dieu cherchent à élever autour de leurs compatriotes une barrière nouvelle à la place de celle que l’exil avait abattue.
Ces serviteurs de Dieu, c’étaient maintenant exclusivement des prophètes, car il n’y avait plus de roi ni de sacrificateurs. On voit, à différents traits de la vie d’Ezéchiel (Ézéchiel 14.1 ; 20.1 ; 8.1 ; 11.25 ; 24.19), que les prophètes remplirent parmi les exilés un ministère tout à fait pareil à celui qu’ils avaient rempli jadis auprès des Israélites fidèles du royaume des dix tribus : aux uns comme aux autres, ils servirent de point de ralliement et d’appui. Les âmes avides de consolation et d’instruction se groupaient tout naturellement autour d’eux, et c’est peut être là qu’il faut chercher l’origine des synagogues (Batté Kenéseth, בתי כנסת, maisons de réunion).
Quatre fêtes nouvelles, quatre jours de jeûne et de deuil, vinrent pendant l’exil enrichir le calendrier sacré des Juifs (Zacharie 7.3, 5 ; 8.19). Le premier, le 10 du dixième mois, était l’anniversaire du commencement du siège de Jérusalem ; le second était celui de l’entrée des Chaldéens dans la ville, le 9 du onzième mois ; le 10e jour du cinquième mois était consacré au souvenir de la ruine du temple et de la ville ; au septième mois (le troisième jour de ce mois, d’après la tradition, car l’A. T. se contente d’indiquer le mois), on menait deuil sur le meurtre de Guédalja.
[Plus tard, la deuxième fête fut transportée an 17e jour du 4e mois, en souvenir de la prise de Jérusalem par Titus. C’était, du reste, un jour néfaste que le 17 du 4e mois, puisque c’est à pareille date que Moïse doit avoir brisé les tables de la loi, lors de l’affaire du veau d’or.]
Un des côtés les plus intéressants de l’activité des prophètes durant l’exil, c’est sans contredit l’influence qu’ils exercèrent sur la société païenne au milieu de laquelle ils se trouvaient transportés, et cela d’autant plus que la Chaldée était le principal siège de la magie. Les sages, les devins et les astrologues eurent ainsi l’occasion de se mesurer avec les prophètes du Dieu vivant. La lutte que l’Éternel avait soutenue jadis en Egypte avec les dieux du pays, va se reproduire à Babylone, à cette seule différence près qu’en Egypte il s’était agi de la toute-puissance, tandis qu’en Babylonie la lutte porte plutôt sur la toute-science. Mais la question est la même : il s’agit de savoir si c’est chez, les serviteurs du Dieu d’Israël ou chez ceux des faux dieux, que se trouve la connaissance de l’avenir, et si, par conséquent, c’est le Dieu d’Israël ou telle ou telle divinité païenne qui gouverne les nations et qui préside à leurs destinées. Le grand champion de l’Éternel dans cette campagne de la toute-science divine contre les prétentions des mages, c’est Daniel, qui se trouve ainsi défendre pratiquement la même cause que défend dans ses discours Esaïe ch. 40 à 46, quand il s’écrie, par exemple : « C’est moi, dit l’Éternel, qui ai annoncé les choses à venir, et il n’y a point eu parmi vous de dieu étranger qui l’ait fait ! » (Ésaïe 43.12)
Certains passages Ésaïe 47.6 ; 51.13, 23 (voyez aussi Ésaïe 14.3) semblent indiquer qu’à mesure que les années s’écoulèrent, la condition des exilés devint plus malheureuse. Tant pour réprimer les menées séditieuses de certains Juifs qui n’avaient pas la patience d’attendre l’heure de la délivrance (Ésaïe 50.11) que pour punir les prophètes de leur attitude courageuse en face du paganisme et de la mauvaise partie des exilés (Ésaïe 57.3), on fit peser sur les Juifs un joug toujours plus pénible. Ces souffrances étaient nécessaires pour purifier le noyau fidèle du peuple, et c’est là, pour le dire en passant, ce qu’il ne faut pas perdre de vue si l’on veut comprendre ce serviteur de l’Éternel qui est gardé au sein des plus grandes épreuves et qui en sort glorifié, ainsi que nous le présente la seconde partie d’Esaïe.