- La volonté peut-elle être le siège du péché ?
- Elle seule ?
- La sensualité peut-elle être le siège du péché ?
- Du péché mortel ?
- La raison peut-elle être le siège du péché ?
- Est-ce dans la raison inférieure que réside la délectation prolongée (morose) ou non ?
- Est-ce dans la raison supérieure que réside le consentement à l'acte ?
- La raison inférieure peut-elle être le siège du péché mortel ?
- La raison supérieure peut-elle être le siège du péché véniel ?
- Peut-il y avoir péché véniel dans la raison supérieure, quand il s'agit de son objet propre ?
Objections
1. Cela semble impossible. Denys dit en effet que le mal se tient en dehors de la volonté et de l'intention. Mais le péché, c'est le mal. Donc il ne peut pas être dans la volonté.
2. La volonté se porte toujours au bien ou à un bien apparent. Si c'est réellement le bien qu'elle veut, elle n'est pas en faute. Si elle veut un bien apparent qui n'est pas vraiment un bien, cela dénote plutôt, semble-t-il, un défaut d'intelligence qu'un défaut de volonté. Donc ni d'une manière ni de l'autre le péché n'est dans la volonté.
3. La même faculté ne peut à la fois être le sujet du péché et sa cause efficiente. Car le sujet du péché, c'est en réalité sa cause matérielle. Et il n'y a pas coïncidence de la cause matérielle et de la cause efficiente, dit le Philosophe. Or la volonté est la cause efficiente du péché : elle en est, dit S. Augustin, la cause première. Elle n'en est donc pas le sujet.
En sens contraire, S. Augustin dit aussi « C'est par la volonté que l'on pèche, et que l'on vit vertueusement. »
Réponse
Nous avons dit que le péché est un acte. Parmi les actes, il y en a, comme brûler ou couper, qui sont transitifs. Ces actes-là ont pour matière et pour sujet la chose dans laquelle passe l'action. Le Philosophe dit en ce sens, au livre III des Physiques que « le mouvement est l'acte transmis au mobile par le moteur ». Il y a au contraire d'autres actes qui ne passent pas dans une matière extérieure, mais qui demeurent dans l'agent, comme désirer et connaître ; tels sont tous les actes moraux, aussi bien ceux des vertus que ceux des péchés. Aussi faut-il qu'un acte de péché ait pour sujet propre la faculté qui en est le principe propre. Mais comme c'est le propre des actes moraux d'être volontaires, on l'a vu précédemment, il s'ensuit que la volonté, principe des actes volontaires, bons et mauvais, est le principe des péchés. C'est pourquoi le péché est dans la volonté comme dans son siège.
Solutions
1. On dit que le mal est en dehors de la volonté, parce que la volonté ne tend pas vers lui sous sa raison de mal. Mais parce que certain mal a l'apparence du bien, la volonté désire parfois un mal. Et ainsi le péché est dans la volonté.
2. Si la défaillance de la connaissance ne dépendait nullement de la volonté, il n'y aurait faute ni dans la volonté ni dans l'intelligence, comme cela se voit dans les cas d'ignorance invincible. C'est pourquoi il faut conclure que même une défaillance de l'intelligence qui dépend de la volonté, est imputée à péché.
3. Ce raisonnement est vrai lorsqu'il s'agit des causes efficientes dont l'action passe dans une matière extérieure ; ces causes ne se meuvent pas elles-mêmes, elles meuvent autre chose. Dans le cas de la volonté, c'est le contraire. L'argument est donc sans portée.
Objections
1. Oui semble-t-il. Car, dit S. Augustin, « on ne pèche que par la volonté ». Or le péché a pour siège la puissance d'où il émane. Donc la volonté seule est le siège du péché.
2. Le péché est un mal contraire à la raison. Mais le bien et le mal qui se rapportent à la raison sont objet de la seule volonté. Celle-ci est donc seule le siège du péché.
3. Tout péché est un acte volontaire ; car, dit S. Augustin, « il est tellement volontaire, que s'il n'y a plus rien de volontaire, il n'y a plus de péché ». Or les actes des autres facultés ne sont volontaires que dans la mesure où c'est la volonté qui les met en mouvement. Cela ne suffit pas pour qu'elles soient le siège du péché. Car, dans ces conditions, même les membres extérieurs, puisque la volonté les fait mouvoir, seraient le siège du péché : ce qui est évidemment faux. La volonté est donc seule le siège du péché.
En sens contraire, le péché est le contraire de la vertu, et les contraires portent sur le même point. Mais les vertus siègent dans l'âme en d'autres facultés que la volonté, nous l'avons dit, donc les péchés aussi.
Réponse
Il résulte de ce que nous avons dit que le péché a pour siège toute faculté qui est le principe d'un acte volontaire. Or les actes volontaires ne sont pas seulement les actes émanés de la volonté mais aussi les actes impérés par elle, comme nous l'avons dit au traité de l'acte volontaire. Par conséquent ce n'est pas seulement la volonté qui peut être le siège du péché, mais toutes les facultés dont la volonté peut mouvoir ou arrêter les actes. Et ces mêmes facultés seront aussi le siège des habitus moraux, bons ou mauvais, parce que l'acte et l'habitus ont la même origine.
Solutions
1. Le péché n'existe en effet que si la volonté en est le premier moteur. Mais d'autres facultés s'y trouvent engagées comme recevant le mouvement de la volonté.
2. Le bien et le mal ressortissent à la volonté comme étant ses objets essentiels. Mais les autres puissances ont un bien et un mal déterminés. Et c'est en raison de quoi il peut y avoir dans ces facultés, pour autant qu'elle participent de la volonté et de la raison, vertu, vice et péché.
3. Les membres du corps ne sont pas les principes, mais seulement les organes des actes humains; aussi sont-ils pour l'âme qui les meut, comme l'esclave qui est mené et qui ne mène pas. Mais les facultés intérieures de désir sont comme les enfants de la maison qui, d'une certaine manière, mènent et sont menés, comme l'explique le livre I des Politiques. — En outre, les actes des membres extérieurs sont des actions transitives, par exemple l'action de frapper dans un péché d'homicide. Et c'est pour cela qu'on ne peut pas raisonner pour les membres extérieurs comme pour les facultés intérieures.
Objections
1. Cela semble impossible. Car le péché est propre à l'homme qui est par ses actes digne de louange ou de blâme. La sensualité au contraire est commune à nous et aux bêtes. Le péché ne peut donc résider en elle.
2. « Nul ne pèche, dit S. Augustin, dans les choses qu'il ne peut éviter. » Mais on ne peut éviter que la sensualité ait des actes désordonnés, car elle est dans une perpétuelle dépravation tant que nous sommes en cette vie mortelle, et à cause de cela S. Augustin la représente sous le symbole du serpent. Les mouvements désordonnés de la sensualité ne sont donc pas des péchés.
3. Ce que l'homme ne fait pas lui-même ne lui est pas imputé à péché. Mais nous ne sommes vraiment nous-mêmes, semble-t-il, que dans ce que nous faisons avec délibération de la raison, comme dit le Philosophe. Donc le mouvement de la sensualité, qui surgit sans délibération de la raison, n'est pas imputé à péché.
En sens contraire, il est dit dans l'épître aux Romains (Romains 7.15) : « je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. » S. Augustin l'interprète du mal de la convoitise, lequel est toujours un mouvement de sensualité. Donc il y a un péché dans la sensualité.
Réponse
D'après ce que nous venons de direr, on peut trouver le péché dans toute faculté dont l'acte peut être volontaire et désordonné, car c'est en cela que consiste la raison de péché. Or il est évident qu'un acte de sensualité peut être volontaire puisqu'il est naturel à la sensualité, autrement dit appétit sensible — de se laisser mouvoir par la volonté. Il reste donc que le péché puisse se trouver dans la sensualité.
Solutions
1. Certaines facultés sensibles, bien que communes à nous et aux bêtes, possèdent cependant une certaine excellence du fait qu'elles sont unies à la raison. C'est ainsi que notre connaissance sensible se distingue de celle des autres animaux, ainsi que nous l'avons dit dans la première Partie, par la cogitative et la réminiscence. Tel se présente aussi chez nous l'appétit sensible ; il a quelque chose de plus que chez les autres animaux : il lui est naturel d'obéir à la raison. C'est par là qu'il peut être le principe d'un acte volontaire, et partant le siège du péché.
2. Par cette perpétuelle dépravation de la sensualité il ne faut pas entendre autre chose que le foyer de corruption qui nous vient du péché originel et, en effet, ne disparaît jamais complètement durant cette vie ; car ce péché originel a une culpabilité qui passe et une activité qui demeure. Mais ce foyer persistant de mal n'empêche pas que l'homme ne puisse par sa volonté raisonnable réprimer, s'il les sent venir, chacun des mouvements désordonnés de la sensualité, par exemple en détournant sa pensée vers autre chose. Mais il peut se faire, pendant qu'on détourne ainsi sa pensée sur autre chose, qu'un mouvement désordonné s'élève aussi sur ce point-là. Lorsqu'un individu, voulant éviter des mouvements de convoitise, détache sa pensée des plaisirs de la chair pour l'appliquer aux spéculations de la science, ceci peut faire naître un mouvement de vaine gloire qui n'était pas prémédité. Voilà pourquoi l'homme ne peut éviter tous ces mouvements désordonnés qui procèdent du foyer que nous avons dit ; mais il suffit pour qu'il y ait vraiment faute volontaire, qu'il puisse les éviter un à un.
3. Ce que l'homme fait sans délibération de la raison, ce n'est pas parfaitement lui qui le fait, parce que rien n'agit alors de ce qui est principal en lui. Aussi n'est-ce pas parfaitement un acte humain. Et par là ce ne peut être un acte achevé de vertu ou de vice, mais quelque chose d'inachevé dans le genre. Aussi un tel mouvement de sensualité, lorsqu'il devance la raison, est-il péché véniel, c'est-à-dire quelque chose d'inachevé dans le genre péché.
Objections
1. Il semble bien. Car l'acte se connaît à l'objet. Or il y a des objets de sensualité, les jouissances de la chair par exemple, qui sont matière à pécher mortellement. Donc l'acte de sensualité peut être péché mortel. Et ainsi le péché mortel se trouve dans la sensualité.
2. Le péché mortel est le contraire de la vertu. Mais la vertu peut résider dans la sensualité ; la tempérance et la force sont en effet « les vertus des puissances non raisonnables de l'âme », dit le Philosophe. Ainsi, les contraires étant faits pour se porter sur le même point, il peut donc y avoir péché mortel dans la sensualité.
3. Le péché véniel est une disposition au péché mortel. Mais disposition et habitus se tiennent dans la même puissance. Si le péché véniel se tient dans la sensualité comme on vient de le dire, le péché mortel pourra donc s'y tenir aussi.
En sens contraire, on lit chez S. Augustin, ce qu'on trouve dans la Glose, que « le mouvement déréglé de la convoitise, qui n'est autre que le péché de sensualité, peut exister même chez ceux qui sont en état de grâce ». Pourtant il n'y a pas en eux de péché mortel. Le mouvement déréglé de la sensualité n'est donc pas un péché mortel.
Réponse
De même que le désordre qui attaque le principe de la vie corporelle cause la mort corporelle, de même celui qui attaque ce principe de vie spirituelle qu'est la fin ultime cause, avons-nous dit, cette mort spirituelle qu'est le péché mortel. Or il appartient non à la sensualité mais uniquement à la raison d'ordonner les choses à leur fin ; pareillement, de les en détourner. C'est la preuve que le péché mortel ne peut pas exister dans la sensualité, mais seulement dans la raison.
Solutions
1. L'acte de sensualité peut concourir au péché mortel. Mais l'acte même du péché mortel ne reçoit pas cependant son caractère mortel de ce qu'il vient de la sensualité ; il le tient de ce qu'il appartient à la raison, chargée d'ordonner toutes choses à leur fin. Et c'est pourquoi le péché mortel n'est pas attribué à la sensualité, mais à la raison.
2. L'acte de la vertu ne reçoit pas sa perfection de la sensualité seulement, mais bien davantage de la raison et de la volonté, parce que ce sont elles qui donnent la faculté de choisir, et qu'il n'y a pas d'acte de la vertu morale sans choix. De là vient qu'il y a toujours, avec l'acte de la vertu morale qui vient parfaire la puissance appétitive, un acte de la prudence qui vient parfaire la puissance rationnelle. Et il en est encore de même pour le péché mortel, nous venons de le dire.
3. Une disposition se présente de trois façons par rapport à la chose à laquelle elle prépare. C'est parfois la même chose dans la même puissance, comme une science à ses débuts est la disposition à une science parfaite. Parfois, c'est encore dans le même sujet, mais ce n'est pas la même chose, comme la chaleur dispose à la forme qu'est le feu. Parfois enfin ce n'est ni la même chose ni dans la même puissance, ainsi qu'il arrive pour les réalités qui ont entre elles un tel rapport qu'on peut passer de l'une à l'autre, comme une bonne qualité d'imagination est une disposition à la science qui réside dans l'intelligence. Voilà de quelle façon le péché véniel, qui est dans la sensualité, est une disposition au péché mortel, qui est dans la raison.
Objections
1. Il ne semble pas, car le péché d'une puissance est un défaut de cette puissance. Mais si la raison fait défaut, ce n'est pas un péché, c'est plutôt une excuse ; car on excuse quelqu'un d'avoir péché quand il l'a fait par ignorance. Donc il ne peut y avoir de péché dans la raison.
2. On a dit que le premier siège du péché est la volonté. Mais la raison passe devant la volonté, puisqu'elle dirige celle-ci. Donc le péché ne peut se trouver dans la raison.
3. Il ne peut y avoir de péché que dans les choses qui dépendent de nous. Or il ne dépend pas de nous d'avoir beaucoup de raison ou d'en manquer ; cela vient de la nature. Par conséquent le péché ne réside pas dans la raison.
En sens contraire, S. Augustin affirme que le péché réside dans la raison inférieure comme dans la raison supérieure.
Réponse
Il ressort de ce que nous avons dit que le péché d'une puissance quelconque consiste dans l'acte même de cette puissance. Or la raison a deux actes, l'un tout intime et relatif à son objet propre, qui est de connaître le vrai ; l'autre qui est de diriger les autres facultés. De deux façons par conséquent, le péché peut se loger dans la raison : en premier lorsqu'il y a erreur dans la connaissance du vrai, erreur ou ignorance qui sont coupables chaque fois qu'il s'agit d'une chose que la raison peut et doit savoir ; en second lieu, lorsqu'elle commande les mouvements désordonnés des facultés inférieures, ou que, même après avoir délibéré, elle ne les maîtrise pas.
Solutions
1. Cette objection est valable s'il s'agit d'un défaut de la raison dans son acte propre face à son objet propre ; et cela sur un point que l'individu ne peut pas savoir et n'est pas tenu de savoir. Alors, l'absence de raison n'est pas un péché mais une excuse, comme cela est évident dans les actes commis par des fous. Mais si le manque de raison se produit sur un point que l'homme peut et doit savoir, il n'est pas complètement excusé, et le défaut de raison lui-même est imputé à péché. — Quant à ce manque de raison, lorsqu'il s'agit seulement de diriger les autres facultés, il est toujours coupable, parce que c'est là une défaillance à laquelle la raison peut remédier par sa propre activité.
2. Nous l'avons expliqué précédemment, en traitant des actes de la volonté et de la raison : d'une manière la volonté meut la raison et la précède, et d'une certaine manière, la raison meut et précède la volonté ; si bien que le mouvement de la volonté peut être rationnel, et l'acte de la raison peut être dit volontaire. Et ainsi le péché se trouve dans la raison : soit parce que la défaillance de celle-ci est volontaire, soit parce que l'acte de la raison est le principe d'un acte de la volonté.
3. Ce que nous avons dit donne la réponse.
Objections
1. Le péché de délectation morose ou prolongée, ne semble pas résider dans la raison. Car, nous l'avons dit, la délectation implique un mouvement de l'appétit, et l'appétit est distinct de la raison qui est une faculté de connaissance.
2. L'objet permet de reconnaître à quelle puissance appartient l'acte qui ordonne la puissance à l'objet. Or la délectation s'attarde parfois aux biens sensibles sans se soucier de ceux de la raison. C'est la preuve que le péché de délectation morose n'est pas dans la raison.
3. S'attarder implique longueur de temps. Mais la longueur de temps n'est pas une raison pour qu'un acte appartienne à une puissance. Donc la délectation prolongée ne relève pas de la raison.
En sens contraire, S. Augustin estime que « si l'acquiescement aux mauvais attraits ne va pas plus loin que la pensée de la délectation, c'est que la femme est encore seule à avoir mangé le fruit défendu ». Mais la femme, S. Augustin l'explique au même endroit, c'est la raison inférieure. Donc le péché de délectation morose est dans la raison.
Réponse
Le péché, avons-nous dit, réside parfois dans la raison, non seulement lorsqu'elle procède à son acte propre, mais parfois aussi en tant qu'elle dirige les autres actes humains. Or il est évident qu'elle n'a pas seulement la direction des actes extérieurs, mais aussi celle des passions intérieures. C'est pourquoi, lorsqu'elle est en défaut dans ce gouvernement des passions, on dit que le péché est dans la raison, comme aussi lorsqu'elle est en défaut dans la direction des actes extérieurs. Or, elle a deux manières d'être en défaut dans le gouvernement des passions. La première, c'est de commander des passions illicites comme celui qui provoque en soi délibérément un mouvement de colère ou de convoitise ; la seconde, c'est de ne pas réprimer un mouvement illicite de passion, comme celui qui, après s'être rendu compte que le mouvement passionné qui surgit est désordonné, s'y arrête néanmoins et ne le chasse pas. En ce sens on dit que le péché de délectation prolongée réside dans la raison.
Solutions
1. La délectation est bien dans l'appétit comme en son principe prochain, mais elle est dans la raison comme en son moteur premier, suivant ce que nous avons dit plus haut des actions immanentes, qui ont pour sujet le principe même d'où elles émanent.
2. La raison a un acte propre portant sur son objet propre, et qui peut être illicite. Mais elle a aussi une direction à exercer sur tous les objets des facultés inférieures soumises à son gouvernement. C'est ainsi que même la délectation se rapportant aux biens sensibles relève de la raison.
3. La délectation est appelée « morose » non pas à cause de sa prolongation (mora), mais du fait que la raison délibérante s'y attarde (immoratur), au lieu de la repousser. Comme dit S. Augustin : « On retient et on rumine avec plaisir ce qu'on aurait dû rejeter aussitôt que l'esprit en a été frôlé. »
Objections
1. Il ne semble pas, car consentir est un acte de l'appétit, on l'a vu au traité des actes humains. Mais la raison est une faculté de connaissance.
2. La raison supérieure est celle qui, selon S. Augustin « s'applique à pénétrer et à consulter les raisons éternelles ». Or il lui arrive parfois de consentir à l'acte sans avoir consulté les raisons éternelles, car l'homme ne pense pas toujours aux réalités divines lorsqu'il consent à un acte. Ce péché n'est donc pas toujours dans la raison supérieure.
3. Les raisons éternelles, de même qu'elles peuvent être pour l'homme la règle des actes extérieurs, peuvent être aussi la règle des délectations et autres passions intérieures. Or, le fait de consentir à la délectation « sans avoir le dessein de passer à l'acte », selon S. Augustin, est un acte de la raison inférieure. Donc la faute de consentir à l'acte du péché doit être attribuée de temps à autre à la raison inférieure.
4. La raison supérieure est au-dessus de la raison inférieure, comme la raison est au-dessus de l'imagination. Or, il arrive à l'homme d'agir sous l'impression de son imagination sans aucune délibération de la raison, comme lorsqu'on fait machinalement un mouvement de la main ou du pied. Pareillement, il peut donc arriver à la raison inférieure de consentir à un acte de péché, indépendamment de la raison supérieure.
En sens contraire, S. Augustin dit, plus loin dans le même livre : « Si l'acquiescement au mauvais usage du corps et des sens est tellement décidé qu'on est prêt à aller jusqu'au bout si l'on peut, cela signifie que la femme a donné le fruit défendu à l'homme » qui symbolise la raison supérieure. C'est donc à la raison supérieure qu'il appartient de consentir à l'acte du péché.
Réponse
Le consentement implique un jugement sur le point où l'on consent ; car la raison pratique rend jugement et sentence en matière d'action, comme la raison spéculative en matière de pensée. Or il faut remarquer qu'en tout jugement la sentence définitive est réservée à la plus haute instance judiciaire; de même nous le voyons en matière spéculative : on n'est définitivement fixé sur une proposition que si on la ramène aux premiers principes. En effet, tant qu'il reste un principe supérieur, à la lumière duquel la question peut être encore examinée, on peut dire que le jugement demeure en suspens, parce que la sentence finale n'est pas encore rendue. Or, il est évident que les actes humains peuvent être soumis à la règle de la raison humaine, règle tirée des réalités créées telles que l'homme les connaît naturellement; et en outre, à la règle de la loi divine, ainsi qu'il a été dit au traité des actes humains. puisque cette règle de la loi divine est la règle supérieure, il faut en conclure que la sentence ultime, celle qui met fin au jugement, appartient à la raison supérieure, c'est-à-dire à celle qui s'applique aux réalités éternelles. — D'autre part, lorsqu'il y a plusieurs choses à juger, le jugement doit se clore sur celle qui vient en dernier lieu. Or ce qui vient en dernier lieu dans les actions humaines, c'est l'acte lui-même ; la délectation, qui induit à l'acte, est comme le préambule. Voilà pourquoi il appartient en propre à la raison supérieure de consentir à l'acte ; au contraire, à la raison inférieure dont le jugement est moins élevé, il appartient de rendre ce jugement préliminaire qui concerne la délectation. Toutefois, la raison supérieure peut juger même de la délectation, du fait que tout ce qui est soumis au jugement de l'inférieur l'est aussi au jugement du supérieur, mais ce n'est pas réciproque.
Solutions
1. Consentir est un acte de l'appétit, non absolument toutefois, mais, comme nous l'avons dit en son lieu, c'est un acte de la volonté consécutif à un acte de la raison délibérant et jugeant. Le consentement s'achève en effet dans l'adhésion de la volonté à ce qui est désormais jugé par la raison. De là vient que l'on peut attribuer le consentement et à la volonté et à la raison.
2. De fait que la raison supérieure ne dirige pas les actions humaines selon la loi divine en empêchant l'acte du péché, on dit qu'elle consent, qu'elle songe ou qu'elle ne songe pas à la loi éternelle. Car lorsqu'elle songe à la loi de Dieu, elle la méprise effectivement. Mais lorsqu'elle n'y songe pas, il y a dans cette omission une négligence. De toute façon par conséquent, le fait de consentir à l'acte du péché provient de la raison supérieure parce que, selon S. Augustin, « on ne peut décréter efficacement en son esprit de perpétrer efficacement le péché, sans que cette intention de l'esprit, qui a tout pouvoir pour mettre les membres à l'œuvre ou les en détourner, abdique devant la mauvaise action ou y contribue ».
3. La raison supérieure peut, par la considération de la loi éternelle, diriger ou arrêter l'acte extérieur, et de même la délectation intérieure. Cependant, avant qu'on en vienne au jugement de la raison supérieure, dès que la sensualité propose la délectation, la raison inférieure, délibérant avec des motifs temporels, accepte parfois cette délectation ; c'est alors que le consentement appartient à la raison inférieure. Si au contraire, même après avoir réfléchi aux raisons éternelles, l'homme persévère dans ce même consentement, celui-ci appartiendra à la raison supérieure.
4. La connaissance par l'imagination est subite et non délibérée ; c'est pourquoi elle peut faire naître un acte avant que la raison, supérieure ou inférieure, ait le temps de délibérer. Au contraire, le jugement de la raison inférieure ne va pas sans délibération, et cette délibération demande du temps, pendant lequel la raison supérieure peut délibérer elle aussi. Par suite, si par sa délibération elle n'empêche pas l'acte du péché, cet acte lui est imputé.
Objections
1. Il semble que le consentement à la délectation ne soit pas un péché mortel. En effet, ce consentement est un acte de la raison inférieure, qui n'a pas à s'appliquer aux raisons éternelles ou à la loi divine, ni par conséquent à s'en détourner. Or, tout péché mortel provient de l'aversion à l'égard de la loi divine, comme on le voit par la définition de S. Augustin placée en tête de ce traité.
2. Consentir à une chose n'est mauvais que parce que la chose à laquelle on consent est mauvaise. Mais c'est un principe qu'en toute chose, ce pourquoi on agit est ce qu'il y a de plus fort ; en tout cas ce ne peut être moindre. Ce à quoi l'on consent ne peut donc être moins mauvais que le consentement. Or la délectation sans l'action n'est pas péché mortel, mais seulement véniel. Donc le consentement à la délectation n'est pas péché mortel.
3. Le Philosophe enseigne que la différence morale des délectations correspond à celle des opérations. Or la pensée, acte intérieur, est une tout autre opération que l'acte extérieur, celui de la fornication par exemple. Donc la délectation qui s'attache à l'acte de la pensée diffère moralement de celle qui s'attache à la fornication, autant qu'une pensée intérieure diffère d'un acte extérieur. Et par conséquent la même différence se retrouve aussi dans le fait de consentir à ces deux délectations. Mais l'acte intérieur de pensée n'est pas un péché mortel, pas davantage le consentement qu'on y donne, ni non plus par conséquent celui qu'on donne à sa délectation.
4. L'acte extérieur de la fornication ou de l'adultère n'est pas un péché mortel en raison de la délectation, puisque celle-ci se trouve aussi bien dans l'acte du mariage, mais en raison du désordre de l'acte même. Or celui qui consent à la délectation ne consent pas pour autant au désordre de l'acte. Il semble donc qu'il ne pèche pas mortellement.
5. Le péché d'homicide est plus grave que celui de fornication simple. Or, le fait de consentir à la délectation qui s'attache à la pensée de l'homicide, n'est pas un péché mortel. Donc beaucoup moins encore le fait de consentir à la délectation qui s'attache à la pensée de la fornication.
6. S. Augustin dit que l'oraison dominicale se récite chaque jour pour la rémission des péchés véniels. Or il enseigne que le consentement à la délectation est une faute que doit effacer l'oraison dominicale. Il affirme en effet : « Il est beaucoup moins grave de se délecter ainsi dans la pensée du péché que d'être décidé à l'accomplir en réalité, et c'est pour ces sortes de mauvaises pensées qu'il faut demander pardon, se frapper la poitrine, et dire : “Pardonnez-nous nos offenses”. » Donc ce consentement à la délectation est péché véniel.
En sens contraire, S. Augustin ajoute : « L'homme sera damné tout entier si par la grâce du Médiateur il n'obtient pas la rémission de ces sortes de fautes qui, parce qu'on n'a pas la volonté de les commettre mais qu'on a cependant la volonté de s'y délecter en esprit, ne sont que des péchés de pensée. » Mais l'on n'est damné que pour le péché mortel. Le consentement à la délectation est donc péché mortel.
Réponse
Sur ce point les avis sont partagés. Les uns ont dit : ce consentement n'est que véniel. Les autres ont dit : il est mortel. L'opinion de ces derniers est plus commune et plus vraisemblable.
Il faut en effet considérer que toute délectation, selon la doctrine des Éthiques, découle d'une opération. Et puisque toute délectation a un objet, on peut toujours mettre une délectation en relation avec deux choses : l'opération qu'elle accompagne, et l'objet qui lui plaît. Or, on peut lui donner pour objet une opération tout comme on lui donnerait autre chose, car il est possible de trouver dans l'opération elle-même un bien et une fin où l'on se délecte et où l'on se repose. Et parfois même, c'est la propre opération à laquelle se rattache la délectation qui devient l'objet de celle-ci, dans la mesure où l'appétit auquel il appartient de se délecter fait retour sur l'opération elle-même, ainsi que sur une bonne chose ; c'est le cas de celui qui pense et qui se délecte à penser parce que sa pensée lui plaît. Parfois au contraire, la délectation attachée à une opération, à une pensée par exemple, a pour objet une autre opération qui est comme la réalité à laquelle on pense ; alors une telle délectation provient de ce qu'on a de l'inclination non pas précisément pour la pensée, mais pour l'opération vers laquelle se porte la pensée.
Ainsi donc, celui qui pense à la fornication peut se délecter de deux choses : sa propre pensée, ou l'acte auquel il pense. La délectation que lui donne cette pensée fait suite à son inclination affective pour cette pensée. Or la pensée n'est pas en soi un péché mortel. Elle peut être un péché simplement véniel, par exemple quand on retient inutilement une pensée comme celle qu'on vient de dire. Mais elle peut aussi être tout à fait exempte de péché, quand il est utile de la garder, par exemple lorsqu'on veut prêcher ou discuter là-dessus. Voilà pourquoi l'inclination et la délectation que l'on éprouve ainsi pour une pensée de fornication ne sont pas matière à péché mortel ; c'est parfois péché véniel, et parfois ce n'est pas péché du tout. Le consentement à cette délectation n'est donc pas non plus péché mortel, et à cet égard la première opinion est dans le vrai.
Mais si celui qui pense à la fornication se délecte dans l'acte même auquel il pense, cela vient de ce que son cœur incline déjà à cet acte, et partant le fait de consentir à cette sorte de délectation n'est pas autre chose que de consentir à aimer la fornication, car on ne se délecte que dans ce qui est conforme à son désir. Or choisir délibérément d'aimer ce qui est matière à péché mortel, c'est péché mortel. Aussi ce consentement à une délectation qui a pour objet un péché mortel, est lui-même péché mortel, comme le veut la seconde opinion.
Solutions
1. Le consentement à la délectation est le fait non seulement de la raison inférieure, mais aussi de la raison supérieure, nous venons de le dire. Et pourtant la raison inférieure elle-même peut être détournée des raisons éternelles. Car, si elle n'a pas à s'occuper de gouverner d'après elles, ce qui est le propre de la raison supérieure, elle veut cependant être gouvernée selon elles, ce qui fait qu'en se détournant d'elles, elle peut pécher mortellement. Car il n'est pas jusqu'aux actes des facultés inférieures et même des membres, qui ne puissent être des péchés mortels lorsqu'ils ne sont pas soumis aux ordres de la raison supérieure les réglant selon les raisons éternelles.
2. Consentir à un péché qui est véniel par nature, c'est un péché véniel. Et ainsi l'on peut conclure que le consentement donné à la délectation qui n'a pour objet que la vaine pensée de la fornication, est péché véniel. Mais la délectation, qui a pour objet l'acte même de la fornication, est péché mortel par nature. S'il arrive qu'il y ait avant le consentement un péché véniel seulement, c'est par accident, uniquement à cause de l'inachèvement de l'acte. Cet inachèvement disparaît dès que survient le consentement délibéré. Aussi, de ce fait, le péché est amené à sa nature de péché mortel.
3. Cet argument vaut pour la délectation qui a la pensée pour objet.
4. La délectation qui a pour objet l'acte extérieur ne peut exister sans complaisance pour et acte tel qu'il est en soi, même si l'on n'est pas décidé à l'accomplir, à cause d'une interdiction supérieure. Aussi l'acte devient-il désordonné, et par conséquent la délectation sera désordonnée.
5. Le consentement donné à la délectation qui provient d'une complaisance dans la pensée d'un projet homicide est péché mortel. Ce qui n'en est pas un, c'est le consentement donné à la délectation qui provient d'une complaisance dans des pensées sur la question de l'homicide.
6. L'oraison dominicale est à réciter non seulement contre les péchés véniels mais aussi contre les péchés mortels.
Objections
1. Il semble qu'il n'y ait pas place pour le péché véniel dans la raison supérieure en tant que celle-ci dirige les facultés inférieures, c'est-à-dire en tant qu'elle consent à l'acte du péché.
En effet, S. Augustin dit que la raison supérieure « s'attache aux raisons éternelles ». Mais on pèche mortellement par aversion des raisons éternelles. Il semble donc qu'il ne puisse y avoir dans la raison supérieure d'autre péché que le péché mortel.
2. La raison supérieure est dans la vie spirituelle comme un principe, ainsi que le cœur dans la vie corporelle. Or les maladies du cœur sont mortelles. Donc les péchés de la raison supérieure sont mortels.
3. Le péché véniel devient mortel s'il est fait par mépris. Mais pécher de propos délibéré, même véniellement, ne paraît pas exempt de mépris. Donc, puisque le consentement de la raison supérieure s'accompagne toujours de délibération sur la loi divine, il semble qu'elle ne peut pécher que mortellement, par mépris de la loi divine.
En sens contraire, le consentement à l'acte du péché appartient, nous l'avons dit, à la raison supérieure. Or le consentement à l'acte de péché véniel est lui-même péché véniel. Il peut donc y avoir péché véniel dans la raison supérieure.
Réponse
Comme dit S. Augustin, la raison supérieure s'attache à pénétrer et à consulter les raisons éternelles. A les pénétrer en regardant leur vérité, à les consulter en jugeant et en réglant tout le reste à la lumière de ces raisons éternelles. Et c'est en délibérant à cette lumière que la raison supérieure consent à un acte ou s'y oppose. Or il arrive que le désordre de l'acte auquel on consent, parce qu'il ne marque aucun éloignement de la fin ultime, ne soit pas contraire aux raisons éternelles comme l'est un acte de péché mortel ; il est seulement en dehors d'elles, comme l'acte du péché véniel. Par conséquent, lorsque la raison supérieure consent à un acte de péché véniel, elle ne se détourne pas des raisons éternelles. Aussi ne pèche-t-elle pas mortellement mais véniellement.
Solutions
1. Cela donne réponse à la première objection.
2. Il y a deux sortes de maladies du cœur. L'une atteint l'organe dans sa substance même et en modifie la constitution naturelle : cette maladie est toujours mortelle. L'autre sorte de maladie provient d'un désordre dans le mouvement du cœur ou dans la région du cœur, et cela n'est pas toujours mortel. Il en est de même dans la raison supérieure : il y a toujours péché mortel quand disparaît totalement son ordination à son propre objet par les raisons éternelles. Mais quand le désordre est extérieur, le péché n'est pas mortel, il est véniel.
3. Le consentement délibéré au péché ne montre pas toujours du mépris pour la loi divine mais seulement quand le péché est contraire à celle-ci.
Objections
1. Il ne semble pas qu'il y ait place pour le péché véniel dans la raison supérieure lorsqu'il s'agit d'elle-même, c'est-à-dire lorsqu'elle pénètre les raisons éternelles. En effet, l'acte d'une puissance n'est en défaut que parce qu'il est déréglé par rapport à son objet. Or, la raison supérieure a pour objet les raisons éternelles à l'égard desquelles on ne peut être déréglé sans péché mortel. Donc la raison supérieure ne peut avoir par elle-même de péché véniel.
2. Puisque la raison est la faculté délibérante, son acte s'accompagne toujours de délibération. Mais en ce qui concerne Dieu, tout mouvement désordonné, s'il s'accompagne de délibération, est péché mortel. Donc, dans la raison supérieure considérée en elle-même, il n'y a jamais de péché véniel.
3. Un péché de surprise peut parfois être véniel. Mais un péché délibéré est mortel, du fait que la raison qui délibère recourt à quelque bien supérieur, et que celui qui agit contre ce bien pèche plus gravement ; ainsi, lorsqu'en délibérant sur un acte agréable qui est désordonné, la raison comprend qu'il est contraire à la loi de Dieu, son consentement est plus grave que si elle considérait seulement cet acte comme contraire à la vertu morale. Mais la raison supérieure ne peut avoir recours à quelque chose qui soit plus élevé que son objet. Donc, si le mouvement imprévu n'est pas péché mortel, la délibération survenant ne pourra faire qu'il le soit : ce qui est évidemment faux. Donc, dans la raison supérieure prise en elle-même, il ne peut y avoir de péché véniel.
En sens contraire, un mouvement imprévu d'infidélité est péché véniel. Mais il appartient à la raison supérieure selon ce qu'elle a de propre. Donc il y a place en elle, selon ce qu'elle a de propre, pour le péché véniel.
Réponse
La raison supérieure se porte différemment vers son objet, et vers les objets des facultés qu'elle a sous sa direction. En effet, elle ne se porte vers les objets des autres facultés que pour consulter à leur sujet les raisons éternelles, ce qui ne peut se faire que par manière de délibération. Or un consentement délibéré en matière de péché mortel est lui-même péché mortel. C'est pourquoi la raison supérieure pèche toujours mortellement si les actes des facultés inférieures auxquels elle consent sont des péchés mortels.
Mais à l'égard de son objet propre elle a deux actes : la simple intuition, et la délibération lorsqu'elle en vient à consulter même sur son objet propre les raisons éternelles. Or, dans la simple intuition elle peut éprouver par rapport aux choses divines un mouvement désordonné, un soudain mouvement d'infidélité par exemple. Alors, bien que l'infidélité soit mortelle de sa nature, ce brusque mouvement n'est cependant que véniel. Puisqu'un péché mortel n'existe que s'il est contraire à la loi de Dieu, un point de foi peut se présenter brusquement à l'esprit sous un tout autre aspect, avant que l'on consulte ou que l'on puisse même consulter à son sujet la raison éternelle, c'est-à-dire la loi de Dieu. Tel est le cas de celui qui voit soudain la résurrection des morts comme impossible à la nature et qui, à cette pensée, se relâche, avant d'avoir le temps de se rappeler que cela nous a été donné à croire, selon la loi divine. Mais si après une pareille délibération, le mouvement d'infidélité persiste, il y a un péché mortel.
C'est pourquoi, à l'égard de son objet propre, et même lorsqu'il y a matière à péché mortel, la raison supérieure peut pécher véniellement par des mouvements imprévus, ou bien mortellement s'il y a consentement délibéré. Mais dans le gouvernement des facultés inférieures, elle pèche toujours mortellement lorsqu'il y a matière à péché mortel, non lorsqu'il y a matière à péché véniel.
Solutions
1. Le péché contraire aux raisons éternelles, bien que mortel de sa nature, peut cependant être véniel à cause de l'imperfection de l'acte soudain.
2. Dans l'action, la raison à laquelle appartient la délibération doit avoir aussi l'intuition simple des principes d'où procède la délibération ; de même, dans la spéculation, c'est à la raison de faire les syllogismes et aussi de formuler les propositions. C'est pourquoi la raison aussi peut avoir un mouvement soudain.
3. Une seule et même réalité peut offrir plusieurs aspects, dont l'un est plus élevé que l'autre. Ainsi, l'existence de Dieu peut être considérée soit comme une réalité connaissable à la raison humaine, soit comme un objet de la révélation divine, ce qui est un aspect plus élevé. C'est pourquoi, bien que l'objet de la raison supérieure soit ce qu'il y a de plus élevé au plan de la nature, il peut donner lieu à une considération plus élevée. Et pour cette raison, ce qui n'est pas péché mortel, à cause de la soudaineté du mouvement, devient péché mortel, comme nous venons de l'exposer, parce que la délibération l'a fait passer sur un plan plus élevé.
Nous devons étudier à présent les causes du péché, d'abord en général (Q. 75), puis en particulier (Q. 76-84).