Nous arrivons ici à un intervalle de 58 années, pendant lesquelles nous ne savons absolument des Juifs de Palestine que ce que nous en raconte Esdras 4.6-23, qui, nous venons de le voir, nous transporte au règne de Xerxès. Les Rabbins, qui n’ont jamais été forts en chronologie, n’ont pas même remarqué cette lacune dans les récits bibliques ; en toute bonne foi ils font d’Esdras et de Néhémie les contemporains de Zorobabel. Ewald place ici les Psaumes 45, 50, 74, 79, 85, 89, mais c’est là une pure supposition.
[Jérusalem aurait donc été pendant un temps attaquée, envahie et extrêmement humiliée par les peuples voisins. — Il y a bien eu quelque chose de semblable, mais le mal n’a pourtant pas été aussi grand.]
Théodoret et Théodore de Mopsueste racontent que c’est en ce temps qu’eut lieu la grande invasion des Scythes prédite dans Ézéchiel ch. 28 ; Joël ch. 3 ; Michée 4.11. Le premier de ces Pères prétend que Zorobabel battit les ennemis, et que c’est avec le butin qu’il leur prit, qu’il couvrit une grande partie des frais de la construction du temple. Mais il est évident que ce ne sont là non plus que des hypothèses auxquelles a donné naissance le désir pieux de trouver dans l’histoire un accomplissement à diverses prophéties.
En revanche, c’est pendant ces 58 ans, sous le règne de Xerxès, que se passa parmi les Juifs demeurés sur la terre étrangère, l’histoire d’Esther, dont la fête de Purim ne permet absolument pas de mettre en doute la réalité.
[Winer remarque à ce propos, dans son dictionnaire biblique, que les fêtes nationales ne s’improvisent point aussi facilement que les doutes sur l’authenticité de tel ou tel écrit sacré.– Quant au sens du mot ים הפורים, Purim, voyez Esther 3.7 ; 9.24-26. — Il est déjà parlé de cette fête dans 1 Maccabées 15.36, où elle est appelée la journée de Mardochée. L’introduction de la fête de Purim avait, pourtant soulevé dans le principe quelque opposition ; le Talmud de Jérémie : Mégilla, 70, 4. rapporte, que 85 anciens, au nombre desquels 30 prophètes, la blâmèrent comme une ridicule innovation ; mais du temps de Josèphe (Ant. XI, 6, 13), toute opposition avait disparu, probablement dès longtemps, et on ne lui consacrait pas moins de deux jours. On trouvera d’autres renseignements encore sur cette fête dans Herzog IV, 388.]
Le livre d’Esther est très remarquable comme miroir de l’état moral des Juifs à cette époque de leur histoire. Qu’il y a loin des Juifs du livre d’Esther à ce peuple de Dieu que nous dépeint idéalement Esaïe, et qui s’acquitte avec tant de zèle de la mission qu’il a reçue d’étendre au loin parmi les païens le règne de l’Éternel !
[Quand on lit Esther, dit fort bien Bertheau, on a l’impression très nette que le peuple à qui était promise la victoire sur le monde, s’éloigne de plus en plus du Dieu vivant, que de plus en plus il se confie en la chair, et que sur cette voie il ne peut manquer de succomber dans la lutte avec les puissances de la terre. Dans le texte hébreu du livre d’Esther, le nom de Dieu ne se rencontre pas une seule fois. Les Septante l’y ont introduit une couple de fois. On sait que l’antiquité chrétienne a fort hésité à l’admettre dans le canon, et que Luther (de servo arbitrio) en a dit beaucoup de mal. — Voyez Herzog, VII, page 251-258.]
C’est l’an 458 avant J.-C, en la septième année du règne d’Artaxerxès Longuemain, que le livre d’Esdras, au chap. 7, reprend enfin l’histoire longtemps interrompue des Juifs de Palestine. Leur condition était des plus misérables. Ils avaient, il est vrai, agrandi leur territoire vers le sud : les descendants de Juda avaient retrouvé leurs frontières naturelles, et s’étendaient depuis Jérusalem jusqu’à Beerséba. Mais les gouverneurs perses chargeaient lourdement le peuple, et les employés subalternes eux-mêmes ne se faisaient pas faute de l’opprimer (Néhémie 5.15). La Palestine eut certainement aussi à souffrir par contre-coup des défaites que, les Grecs firent alors subir aux Perses.
[Il est d’autant plus porinis de le supposer, que nous savons par Hérod. VII, 89, qu’une partie des vaisseaux de Xerxès furent construits et équipés dans les ports de la Palestine.]
Puis, les ordonnances mosaïques étaient loin d’être observées comme elles l’auraient dû ; la tiédeur religieuse se manifestait dans le grand nombre des mariages mixtes qui s’étaient contractés, et qui se contractaient tous les jours. On trouve dans le livre de l’Ecclésiaste, qui date probablement de cette époque, l’expression du découragement qui s’était emparé de tous les cœurs dans ces temps fâcheux.
[Voyez Hengstenberg, l’Ecclésiaste, page 12, sq. Il va un peu trop loin dans la manière dont il cherche à expliquer le livre par l’histoire des Perses, mais il y a beaucoup de choses excellentes dans cet ouvrage. — La canonicité de ce livre n’était pas encore établie à la lin du 1er siècle de notre ère. Le N. T. ne le cite pas une seule fois.]
Les affaires commencèrent à prendre une tournure plus heureuse lorsqu’en la septième année d’Artaxerxès, — et non pas de Xerxès, en dépit de Josèphe, Ant. 9.5, — Esdras arriva de Babylone à Jérusalem à la tête de ce que nous appellerons le second retour. Il se composait de 1 590 hommes, sans compter les prêtres et les Lévites. Ces derniers, au reste, étaient cette fois encore très peu nombreux. Peut-être cela vient-il de ce que, avant l’exil, les Lévites s’étaient, plus que les prêtres, prêtés à l’envahissement de l’idolâtrie (Ézéchiel 44.9 ; 48.11), et de ce que, par conséquent, durant l’exil, ils s’étaient sentis moins mal à l’aise au milieu des païens. Ou bien n’est-ce pas plutôt par suite de la vieille jalousie dont ils étaient animés à l’égard des prêtres, que les Lévites se tinrent ainsi en arrière lorsqu’il s’agit de retourner à Jérusalem, et qu’ils virent des descendants d’Aaron profiter de la bienveillance des rois perses ? Quoi qu’il en soit, Esdras, qui était un prêtre et un docteur de la loi, reçut des pleins pouvoirs pour rétablir à Jérusalem le culte du Dieu des Juifs. C’est à dessein que nous nous exprimons ainsi, car il est évident que l’édit d’Artaxerxès (Esdras 7.13 et sq.) est, comme celui de Cyrus, inspiré par un sentiment religieux. Esdras est chargé de faire strictement observer aux Israélites d’au-delà l’Euphrate les lois de Moïse tout comme celles du roi.
Le premier soin d’Esdras à son arrivée fut de faire renvoyer toutes les femmes païennes, et dans sa manière de procéder en cette circonstance il se montra sensiblement plus rigoureux que la loi de Moïse elle-même (§ 102). — Des douze ans qui suivirent, nous ne savons rien que ce que rapporte Esdras 4.7-23h, à savoir que les Juifs voulurent relever les murs de Jérusalem, sans en avoir préalablement obtenu la permission ; qu’ils reçurent l’ordre de suspendre leurs travaux et que bientôt même ils eurent la douleur de voir leurs fortifications naissantes rasées par les Perses, auxquels, à cette occasion, les peuplades voisines, toujours zélées quand il s’agissait de nuire aux Juifs, donnèrent un bon coup de main.
h – Néhémie 1.3, n’a pas trait à la destruction de Jérusalem par les Chaldéens. mais à l’interruption que subirent les travaux des Juifs sous Artaxerxès.
[Esdras espérait peut-être que la chose serait tolérée de la part d’un roi qui lui avait été si favorable jusqu’alors. — En tous cas, on comprend parfaitement que l’idée d’entourer Jérusalem de murailles plût à un homme qui, comme Esdras, cherchait par tous les moyens possibles à séparer son peuple de ses voisins idolâtres.]
Ici commence le récit de Néhémie.