En 445 avant J.-C., la vingtième année du règne d’Artaxerxès, Néhémie obtint du roi la permission d’aller à Jérusalem « procurer du bien aux enfants d’Israël et rebâtir la ville des sépulcres de ses pères. » Il s’y rendit aussitôt, escorté par des capitaines de guerre et par de la cavalerie, et, en dépit des ennemis du peuple (Néhémie 2.10, 19), qui comptaient parmi les Juifs eux-mêmes un certain nombre de partisans (Néhémie 6.17 ; 13.4,28), il réussit à relever les murailles et les portes de Jérusalem (ch. 3 et 4) ; après quoi il s’occupa de porter remède aux misères morales de ses compatriotes. Les riches traitaient les pauvres avec toute la rigueur des plus âpres créanciers ; aussi la haine des prolétaires pour leurs oppresseurs était-elle extrême. « Nous avons beaucoup de fils et de filles. Fournissez-nous donc du blé, afin que nous ayons de quoi manger et vivre (Néhémie 5.2). Notre corps est aussi bon que celui de nos frères ; nos enfants sont comme leurs enfants ; et voilà que nous devons soumettre à l’esclavage nos fils et nos filles, et il y a déjà de nos filles qui le subissent, et nous ne pouvons rien faire, et nos champs et nos vignes sont à d’autres (v. 5). » Néhémie s’éleva énergiquement contre ces abus, fit rendre aux pauvres les propriétés qu’ils avaient été obligés d’aliéner et de mettre en gage (Néhémie 5.6-13), et prit diverses mesures pour faire régner dans le pays le bon ordre et la sécurité (ch. 7).
Le huitième chapitre de Néhémie nous ramène à Esdras. Ensuite d’un grand jour de jeune pendant lequel on lut des parties considérables de la loi (ch. 9), le peuple prit par écrit l’engagement solennel d’être désormais fidèle à son Dieu.
[C’est une des particularités de l’histoire du peuple de Dieu que ces prestations de serment qui se renouvellent de temps en temps ; ainsi sous Joas, sous Josias et ici.]
Esdras fut seul à ne pas signer ce document. Il remplit un rôle analogue à celui de Moise quand le peuple promit pour la première fois fidélité à son Dieu (Exode ch. 24) ; il fait l’office de médiateur entre l’Éternel et le peuple. Certainement, c’est là une haute position. Et pourtant, que les temps étaient changés ! Là, un médiateur choisi directement par Dieu et puissant en œuvres miraculeuses ; ici, un homme qui tient d’un roi païen ses pleins pouvoirs, et qui n’a point la prétention d’apporter aucune révélation nouvelle. Là, un peuple qui vient d’être délivré du joug d’une nation idolâtre à main forte et à bras étendu, un peuple qui sait que son Dieu est un Dieu vivant et qu’il demeure avec lui ; là, un pauvre débris de cette race privilégiée, un misérable reste qui s’écrie : « Voici, nous sommes aujourd’hui esclaves ! et même le pays que tu as donné à nos pères pour en manger les fruits et les biens, — ce pays rapporte en abondance pour les rois que tu as établis sur nous à cause de nos péchés. » (Néhémie 9.36-37) Là, l’arche de l’alliance, la présence du grand Roi, l’urim et le thummim par lesquels l’Éternel répond quand on le consulte ; là, une loi écrite, un rouleau auquel le peuple témoigne désormais tout son respect (Néhémie 8.5). Ce serait aller trop loin que d’appeler Esdras le rénovateur de la théocratie. Il a remis en honneur la loi ; mais il l’a entourée, comme d’une haie, סיג התורה, d’ordonnances destinées à en prévenir la violation ; c’est pourquoi il mérite bien plutôt le titre de père du Judaïsme, et c’est comme tel qu’il occupe une si grande place dans l’histoire du royaume de Dieu.
[Nous avons vu que dans l’affaire des mariages mixtes il va plus loin que Moïse. Dans Néhémie 13.26, il cherche à excuser cette sévérité en rappelant les suites funestes du mariage de Salomon avec des étrangères.]
S’il pencha, c’est du moins du bon côté. C’est la gloire d’Esdras d’avoir compris qu’il fallait à tout prix maintenir le peuple élu pur de tout alliage, et qu’à cette condition seulement Israël serait capable d’être jusqu’à leur accomplissement le dépositaire scrupuleux des oracles de Dieu et fournir ce résidu (Romains 3.2 ; 11.5), λεῖμμα κατ᾽ ἑκλογὴν χάριτος cette branche fidèle sur laquelle devait venir s’enter l’Israël de l’alliance nouvelle. Dans le fait, le parti de la fusion avec les païens était devenu si puissant à Jérusalem, que si les choses avaient marché quelque temps encore de ce pas, il n’y aurait bientôt plus eu de Juifs.
Après avoir passé douze ans en Palestine, Néhémie s’en retourna en Perse en 433. Mais de nouveaux abus s’étant produits en son absence, il revint neuf ans après.
[Nous disons 9 ans, car nous rapportons à Artaxerxès le המלכ.ֻ, hammelech (le roi) de la fin de Néhémie 3.6. C’est ce qui nous paraît le plus naturel. D’autres y voient Darius Nothus.]
Il sévit sans ménagement contre tous les fauteurs des désordres, et il chassa même un petit-fils du grand prêtre Eliascib parce qu’il avait pris pour femme une tille de Samballat, qui était probablement Samaritain.
[Josèphe dit qu’il était le satrape de Samarie. En tous cas, il était de race sacerdotale, ce qui prouve (voyez aussi Esdras 10.18-22) que les prêtres furent obligés, tout comme d’autres, de se soumettre à l’ordonnance, qui interdisait les mariages mixtes.]
Le petit-fils d’Eliascib, dont la Bible tait le nom, n’est autre que ce Manassé auquel Josèphe (Ant. 11.8), attribue la fondation du temple de Garizim. Seulement Josèphe se trompe quand il place ce fait sous Darius Codoman et Alexandre le Grand. Il a confondu Darius Codoman avec Darius Nothusi. Les Samaritains s’accrurent alors de tous les Juifs qui ne voulurent pas renoncer à leurs femmes païennes ou qu’exaspéra (Josèphe 11.8.7) la sévérité des règlements touchant le Sabbat, etc. A partir de ce moment, il y eut réellement une certaine quantité de Juifs chez les Samaritains. Aussi Garizim commença-t-il alors à se réclamer de la loi de l’Éternel aussi bien que Jérusalem, mais tout cela ne fit que d’augmenter la haine que ressentaient dès longtemps l’un pour l’autre les deux peuples voisins. « Il est deux peuples que mon âme hait, dit le fils de Sirach (Sira.50.25-26), et le troisième n’est même pas un peuple : ceux qui habitent la montagne de Séir, les Philistins et le peuple insensé de Sichem. »
i – Petermann, dans Herzog XIII, 367, prétend que le récit de Néhémie, ne doit point être identifié avec celui de Josèphe. Mais est-il donc naturel d’admettre deux petits-fils de-grands-prêtres épousant les filles de deux Samballat ?
La plupart des prophètes valaient assez peu de chose du temps de Néhémie ; Sémaja et la prophétesse Noadja se mettent au service de Samballat, et travaillent contre Néhémie (Néhémie 6.6-14). Cependant, c’est probablement pendant le second séjour de Néhémie en Palestine que vécut l’auteur du dernier livre prophétique de l’Ancien Testament.
[Il se pourrait, au reste, que Malachie, qui signifie l’ange de l’Éternel, soit un nom figuré plutôt qu’un nom propre, et que l’auteur du livre ne s’appelât point ainsi. Voyez Malachie 3.1.]
Le peuple auquel il adresse ses reproches a tout ce qu’il faut pour devenir un jour la victime du pharisaïsme : il se contente d’une observation tout extérieure de la loi, d’un légalisme, superficiel, d’œuvres mortes (Malachie 1.6 ; 3.7) ; il méprise le temps des petits commencements et voudrait que Dieu manifestât enfin sa gloire et fit passer ses jugements sur les païens (Malachie 2.17 ; 3.13) ; il oublie que le jugement de Dieu commencera par sa maison (Malachie 4.1,5).
[Ewald remarque avec beaucoup de raison que Malachie, avec ses questions et ses réponses, les points interrogatifs qu’il pose et les longs développements dont il les fait suivre, rappelle déjà la forme dialoguée de l’enseignement de l’école.]
C’est ainsi que se clôt la série des prophètes de l’ancienne alliance ; car la glorieuse époque des Macchabées ne réussira pas à en produire un seul (1 Maccabées 4.49 ; 9.27 ; 14.41), et ce sera tout à fait gratuitement que Josèphe décernera le titre de prophète à Jean Hyrcan (Ant. 13.10.7) et à divers Esséniens (13.11.2, 15.10.5).
[Dans Bell. jud. III, 8, 9, il semble réclamer pour lui-même, le don de prophétie. — Une chose digne de remarque, c’est que, de même que les faux prophètes pullulaient dans les années qui précédèrent la prise de Jérusalem par Nébukadnézar, de même il en parut une foule durant la guerre judaïque, sous Vespasien et Titus. (Bell. jud. VI, 5, 2.) Et non seulement ils parurent, mais on les crut, tandis qu’on tournait en ridicule les prophéties véritables (IV, 6, 3). — Après que la vraie prophétie se fut tue, on chercha pour ainsi dire à lui rendre la parole en écrivant des ouvrages apocalyptiques, tels que le livre d’Enoch, les livres sybillins juifs, le 4e livre d’Es-dras, le Psautier de Salomon. Ce sont surtout les Esséniens qui se livrèrent à ce genre d’étude (Bell. jud. II, 8, 12). Mais dans ces écrits la révélation a complètement fait place à la réflexion : on cherche à s’expliquer la marche de l’histoire à l’aide des prophéties ; on attache aussi une grande importance aux nombres symboliques.]
Et pourtant, la dernière parole de Malachie est bien vraie : Dieu enverra encore un grand prophète, le plus grand de tous (Math.11.11), avant que le jour grand et redoutable de l’Éternel arrive, mais alors le soleil d’En-haut aura déjà brillé à l’horizon, et Jean-Baptiste ne paraîtra que pour s’écrier : Il faut qu’il croisse et que je diminue !