Somme théologique

Somme théologique — La prima secundae

81. LA TRANSMISSION DU PÉCHÉ ORIGINEL

  1. Le premier péché de l'homme se transmet-il à la postérité par voie d'origine ?
  2. Tous les autres péchés du premier père, ou même d'autres ancêtres, se transmettent-ils à la postérité par voie d'origine ?
  3. Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d'Adam ?
  4. Serait-il transmis à ceux qui seraient miraculeusement formés d'une partie du corps humain ?
  5. Si la femme avait péché, mais non pas l'homme, y aurait-il eu transmission du péché originel ?

1. Le premier péché de l'homme se transmet-il à la postérité par voie d'origine ?

Objections

1. Il ne semble pas que le premier péché du premier père puisse, par une telle voie, se transmettre à d'autres. Il est dit en Ézéchiel (Ézéchiel 18.20) : « Le fils ne portera pas l'iniquité du père. » Or il la porterait s'il recevait de lui l'iniquité. Personne donc ne reçoit d'aucun de ses ancêtres, par son origine, un péché quelconque.

2. Un accident ne se transmet pas par voie d'origine, sinon par la transmission du sujet, car l'accident ne passe pas de sujet en sujet. Mais l'âme rationnelle qui est le siège de la faute ne se transmet pas héréditairement, nous l'avons montré dans la première Partie. Donc la faute ne peut se transmettre par voie d'origine.

3. Tout ce qui se transmet par origine humaine est produit par la semence. Or celle-ci ne peut pas produire le péché, n'ayant pas en elle cette âme raisonnable qui seule peut être cause du péché. Donc nul ne peut contracter un péché du fait de son origine.

4. Ce qui est d'une nature plus parfaite a plus de force pour agir. Or, la chair humaine parfaitement formée n'a pas le pouvoir d'infecter l'âme qui lui est unie ; sans quoi cette âme ne pourrait être purifiée de la faute originelle tant qu'elle reste unie à la chair. La semence a donc encore moins de pouvoir pour infecter l'âme.

5. Selon le Philosophe : « Nul ne blâme ceux qui sont laids par nature, mais on blâme ceux qui le sont par fainéantise et négligence. » Mais nous appelons laids par nature ceux qui le sont précisément par leur origine. Donc rien de ce qui est originel n'est blâmable et n'est péché.

En sens contraire, l'Apôtre dit (Romains 5.12) « Le péché est entré dans le monde par un seul homme. » Cela ne peut s'entendre d'une simple influence d'exemple ou d'excitation, comme quand la Sagesse (Sagesse 2.14) dit : « C'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde. » Reste donc que le péché soit entré dans le monde du fait du premier homme et par voie d'origine.

Réponse

Selon la foi catholique, il faut tenir que le premier péché du premier homme passe à la postérité par voie d'origine. C'est pour cela que les enfants sont portés au baptême aussitôt après leur naissance, comme devant être lavés de la souillure d'une faute. C'est le contraire de l'hérésie pélagienne, comme on le voit par S. Augustin dans un très grand nombre de ses livres.

Lorsqu'il s'est agi de découvrir comment le péché du premier père peut originellement passer à sa postérité, divers auteurs s'y sont diversement essayés. Les uns, considérant que le sujet du péché est l'âme raisonnable, ont soutenu que cette âme se transmet avec la semence, de manière que les âmes infectées semblent dériver d'une âme infectée. D'autres, au contraire, rejetant cela comme une erreur, se sont efforcés de montrer comment une faute de l'âme des parents se transmet aux enfants sans même qu'il y ait transmission d'âme, et par cela seul que les défauts du corps sont transmis par les parents à leurs enfants ; de même un lépreux engendre un lépreux, et un goutteux engendre un goutteux, à cause d'une corruption de la semence qui n'est pourtant ni la lèpre ni la goutte. Puisque le corps est proportionné à l'âme et que les défauts de l'âme se répercutent sur le corps, et réciproquement, on dit de la même façon que le défaut coupable de l'âme passe à l'enfant par la transmission de la semence, bien que la semence ne soit pas en acte le siège de la faute.

Tous ces essais sont pourtant insuffisants. Car, en admettant que des défauts corporels passent de père en fils par le seul fait de l'origine, et même certains défauts de l'âme par voie de conséquence, en raison du mauvais état du corps, comme il y a de temps à autre des idiots engendrés par des idiots ; il n'en reste pas moins que ce fait même de tenir un défaut de son origine paraît exclure toute idée de faute, puisqu'il est essentiel à la faute d'être volontaire. Aussi, à supposer même que l'âme raisonnable serait transmise, la souillure, dès lors qu'elle ne serait pas dans la volonté de l'enfant, perdrait le caractère spécifique d'une faute obligeant à une peine : « Personne, dit le Philosophe, ne blâmera un aveugle-né, on le plaindra plutôt. »

Il faut donc essayer une autre voie, en disant que tous les hommes qui naissent d'Adam, nous pouvons les considérer comme un seul homme. En effet, ils ont la même nature reçue du premier père : et c'est ainsi que dans la cité tous les membres d'une même communauté sont considérés comme un seul corps, et leur communauté tout entière comme un seul homme. Porphyre lui-même dit que « par leur participation à l'espèce, plusieurs hommes n'en font qu'un ». Ainsi donc, les multiples humains dérivés d'Adam sont comme autant de membres d'un seul corps. — Or dans le corps, si l'acte d'un membre, comme de la main, est volontaire, il n'est pas volontaire par la volonté de la main elle-même, mais par celle de l'âme, de l'âme qui est la première à mouvoir ce membre. C'est pourquoi l'homicide que commet une main ne lui serait pas imputé à péché si on la considérait comme séparée du corps ; mais il lui est imputé en tant qu'elle est quelque chose de l'homme et qu'elle reçoit le mouvement de ce qui est dans l'homme le premier principe moteur.

C'est donc ainsi que le désordre qui se trouve dans cet individu engendré par Adam, est volontaire non par sa volonté à lui fils d'Adam, mais par celle de son premier père, lequel imprime le mouvement, dans l'ordre de la génération, à tous ceux de sa race, comme fait la volonté de l'âme à tous les membres dans l'ordre de l'action. Aussi appelle-t-on originel ce péché qui rejaillit du premier père sur sa postérité, comme on appelle actuel le péché qui rejaillit de l'âme sur les membres du corps. Le péché actuel, qui est commis par un membre, n'est le péché de tel membre que dans la mesure où ce membre est quelque chose de l'homme lui-même, et on le nomme à cause de cela péché de la personne humaine. De même, le péché originel n'est le péché de telle personne en particulier que dans la mesure où elle reçoit sa nature du premier père, et il est appelé à cause de cela péché de la nature, au sens où l'Apôtre dit (Éphésiens 2.3) : « Nous étions par nature fils de colère. »

Solutions

1. On doit dire que le fils ne porte pas le péché de son père, parce qu'il n'est puni pour le péché de son père que si réellement il participe de sa faute. Et c'est précisément ce qui arrive dans le cas du péché originel, car la faute passe du père au fils par origine, comme le péché actuel passe d'un homme à l'autre par imitation.

2. L'âme n'est pas transmise, parce que la semence ne peut causer une âme raisonnable. Elle la prépare cependant de façon diapositive. Aussi est-ce vraiment par l'activité séminale que la nature humaine est transmise de père en fils, et, en même temps que la nature, le mal dont elle est infectée. En effet, celui qui naît à la vie humaine est associé à la faute du premier père du fait qu'il reçoit de lui la nature humaine par le flux des générations.

3. Bien que la faute originelle n'existe pas en acte dans la semence, elle y est cependant en vertu de la nature humaine qu'une telle faute accompagne toujours.

4. La semence est le principe de la génération, et celle-ci est l'acte propre de la nature, au service de sa propagation. C'est pourquoi l'âme est infectée davantage par la semence que par la chair complètement formée, qui est dès lors celle d'une personne déterminée.

5. Il n'y a pas à reprocher à celui qui vient au monde ce qu'il tient de son origine, si on ne regarde que lui. Mais, si l'on considère cet individu par rapport à quelque principe, alors on peut lui reprocher ce qu'il a de naissance. C'est ainsi que quelqu'un peut avoir à souffrir de la déchéance de sa race, causée par la faute d'un de ses ancêtres.


2. Tous les autres péchés du premier père, ou même d'autres ancêtres, se transmettent-ils à la postérité par voie d'origine ?

Objections

1. Il semble bien que les autres péchés, soit du premier père lui-même, soit des autres ancêtres les plus proches, se transmettent à leurs descendants. Car la peine n'est jamais due qu'à la faute. Or certains sont punis, par sentence divine, pour une faute de leurs ancêtres les plus proches, suivant l'Exode (Exode 20.5) : « je suis un Dieu jaloux, poursuivant l'iniquité des pères dans leurs fils jusqu'à la troisième et quatrième génération. » Et de même, par sentence humaine, dans le crime de lèse-majesté, des fils sont déshérités pour la faute de leurs parents. Donc même la faute des proches parents passe à leur postérité.

2. On peut plus efficacement transférer à autrui ce qu'on a par soi-même que ce qu'on tient d'un autre ; pour chauffer, le feu a plus d'action que l'eau chaude. Or l'homme communique à sa race par voie d'origine le péché qu'il tient d'Adam. Donc à plus forte raison celui qu'il a commis lui-même.

3. Si nous contractons le péché originel du fait de notre premier père, c'est parce que nous étions réellement en lui comme dans le principe même d'une nature que lui-même a corrompue. Mais nous étions pareillement dans nos ancêtres les plus proches comme en certains principes d'une nature qui, bien que déjà corrompue, peut l'être encore davantage par le péché. Les fils contractent donc, par voie d'origine, les péchés de leurs ancêtres les plus proches, comme ils contractent celui de leur premier père.

En sens contraire, le bien a, plus que le mal, tendance à se répandre. Mais les mérites des ancêtres les plus proches ne sont pas transmis aux descendants. Les péchés le sont donc beaucoup moins.

Réponse

S. Augustin agite cette question dans son Enchiridion et la laisse sans solution. Mais si l'on y réfléchit bien, il est impossible qu'aucun péché de nos ancêtres les plus proches, ou de notre plus lointain ancêtre, autre que le premier péché, se transmette par voie d'origine. Et la raison en est que l'homme engendre bien un autre lui-même quant à l'espèce, mais non pas quant à l'individu. C'est pourquoi tout ce qui est strictement individuel, comme les actes personnels et ce qui s'y rapporte, n'est pas transmis par les parents aux enfants ; un grammairien ne transmet pas à son fils la science de la grammaire qu'il a acquise par son travail personnel. Au contraire, ce qui est spécifique se transmet des parents aux enfants, à moins d'une défaillance de la nature ; ainsi quelqu'un qui a bonne vue engendre des enfants qui ont bonne vue, si sa nature n'est pas en défaut. Et si la nature est vigoureuse, il y a même quelques traits individuels qui se transmettent aux enfants à titre de dispositions naturelles : agilité du corps, souplesse d'esprit, etc. ; jamais pourtant ce qui est purement personnel, comme on vient de le dire.

Par ailleurs, de même que la personne possède quelque chose d'elle-même et quelque chose par don gratuit, de même aussi la nature peut avoir quelque chose par elle-même, c'est-à-dire venant de ses propres principes, et quelque chose par don gratuit. Tel fut précisément le cas de la justice originelle, nous l'avons dit dans la première Partie : elle était un don gracieux fait par Dieu à la nature humaine tout entière en la personne du premier père. Le premier homme a perdu ce don par le premier péché. Aussi, de même que la justice eût été transmise aux descendants en même temps que la nature, de même maintenant le désordre opposé à cette justice. — Quant aux autres péchés actuels du premier père ou des autres ancêtres, ils ne gâtent pas ce qu'il y a de naturel dans la nature, mais seulement ce qu'il y a de personnel, c'est-à-dire le penchant à l'acte ; aussi ces autres péchés ne se transmettent pas.

Solutions

1. S'il s'agit d'une peine spirituelle, explique S. Augustin, les fils ne sont jamais punis pour leurs pères, à moins qu'ils n'aient participé à leur faute, soit par origine, soit par imitation ; car toutes les âmes, comme il est écrit en Ézéchiel (Ézéchiel 18.4), viennent immédiatement de Dieu. Mais s'il s'agit d'une peine corporelle, de temps à autre, par sentence divine ou humaine, les fils sont punis pour leurs pères dans la mesure où corporellement le fils est quelque chose du père.

2. Ce qu'on a par soi-même, on peut en effet le transmettre plus efficacement, pourvu que ce soit transmissible. Or les péchés actuels de nos ancêtres les plus proches ne sont pas transmissibles parce qu'ils sont, on vient de le dire, purement personnels.

3. Le premier péché a corrompu la nature humaine d'une corruption qui affectait la nature ; mais les autres péchés la corrompent d'une corruption qui affecte seulement la personne.


3. Le péché originel est-il transmis à tous ceux qui descendent charnellement d’Adam ?

Objections

1. Il semble que le péché d'Adam ne passe pas, par voie d'origine, à tous les hommes. En effet la mort est la peine consécutive au péché originel. Or elle ne frappera pas, semble-t-il, tous les descendants d'Adam puisque l'Apôtre (1 Thessaloniciens 4.14) paraît dire que ceux qui seront trouvés vivants à l'avènement du Seigneur ne mourront jamais. Donc ceux-là ne contractent pas le péché originel.

2. On ne donne pas à autrui ce qu'on n'a pas soi-même. Mais le baptisé n'a plus le péché originel. Il ne le transmet donc pas à sa lignée.

3. Le don du Christ est plus grand que le péché d'Adam dit l'Apôtre (Romains 5.15). Pourtant le don du Christ ne passe pas à tous les humains. Donc le péché d'Adam non plus.

En sens contraire, l'Apôtre affirme (Romains 5.12 Vg) : « La mort a passé sur tous, dans la personne de celui en qui tous ont péché. »

Réponse

Selon la foi catholique, il faut tenir fermement qu'à la seule exception du Christ, tous les humains dérivés d'Adam contractent par Adam le péché originel. Sans quoi tous n'auraient pas besoin de la rédemption qui se fait par le Christ, ce qui est une erreur.

On peut en rendre raison par ce que nous avons dit plus haut : par le péché du premier père, la faute originelle est transmise à la postérité de la même manière que par la volonté de l'âme le péché actuel est transmis à tous les membres auxquels il appartient d'être mus par la volonté. Or il est évident que le péché actuel peut être transmis à tous les membres qui sont naturellement sous la motion de la volonté. Par conséquent, la faute originelle est transmise, elle aussi, à tous ceux dont la génération dépend de la motion d'Adam.

Solutions

1. Il est plus probable et plus logique de penser que tous ceux qui seront encore vivants à l'avènement du Seigneur, mourront et ressusciteront peu après, ainsi que nous l'exposerons plus complètement dans la troisième Partie. Si pourtant il est vrai que ceux-là n'auront pas à mourir, comme d'aucuns le pensent — S. Jérôme rapporte à ce sujet les opinions de plusieurs — il faut répondre ceci à l'objection : Bien que ces gens ne meurent pas, ils sont cependant astreints à la mort, mais Dieu leur remet cette peine, lui qui peut même remettre les peines des péchés actuels.

2. Par le baptême le péché originel est enlevé quant à la culpabilité, et l'âme dans sa partie spirituelle retrouve la grâce. Cependant, le péché originel reste en activité dans ce foyer qu'est le désordre des facultés inférieures de l'âme et celui du corps lui-même. Or c'est par le corps que l'homme engendre, et non par l'esprit. Voilà pourquoi les baptisés transmettent le péché originel ; car les parents n'engendrent pas en tant qu'ils ont été renouvelés par le baptême, mais en tant qu'ils gardent encore quelque chose de la vétuste du premier péché.

3. De même que le péché d'Adam est transmis à tous ceux qui sont engendrés corporellement par Adam, de même la grâce du Christ est transmise à tous ceux qui sont engendrés spirituellement par lui, au moyen de la foi et du baptême ; et ce n'est pas seulement pour éloigner la faute du premier père, mais aussi pour écarter les péchés actuels et faire accéder à la gloire.


4. Le péché originel serait-il transmis à ceux qui seraient miraculeusement formés d'une partie du corps humain ?

Objections

1. Il semble que si quelqu'un était miraculeusement formé de chair humaine, il contracterait le péché originel. En effet, une certaine Glose affirme, au sujet du chapitre 4 de la Genèse : « Toute la postérité d'Adam a été totalement corrompue dans sa puissance génératrice, car elle a commencé à se distinguer de lui non au paradis de vie, mais plus tard sur la terre d'exil. » Mais si un homme était formé miraculeusement comme on l'a dit, sa chair se distinguerait de celle d'Adam sur la terre d'exil. Donc il contracterait le péché originel.

2. C'est l'infection de l'âme par la chair qui cause en nous le péché originel. Mais la chair de l'homme est tout entière infectée. Quelle que soit donc la portion de cette chair dont l'homme serait formé, son âme serait infectée du mal originel.

3. Le péché originel du premier père nous atteint tous dans la mesure où tous étaient en lui lorsqu'il pécha. Or, ceux mêmes qui seraient formés de chair humaine auraient existé en Adam. Donc ils contracteraient le péché originel.

En sens contraire, ils n'auraient pas existé en Adam comme dans un principe séminal; or cela seulement cause la transmission du péché originel, d'après S. Augustin.

Réponse

On vient de le dire, le péché originel est transmis par le premier père à ses descendants dans la mesure où ils reçoivent de lui l'influence de la génération, comme les membres sont mus par l'âme à commettre le péché actuel. Or il n'y a réellement de génération que par le moyen de la vertu active qui s'y emploie. Aussi, ceux-là seuls contractent le péché originel qui descendent du premier homme par la vertu dérivée d'Adam, à l'origine, dans l'acte de la génération ; c'est ainsi qu'on descend de lui par le principe séminal; car celui-ci n'est rien d'autre que la vertu à l'œuvre dans la génération. Or, si quelqu'un était formé de chair humaine par une vertu divine, il est manifeste que ce ne serait pas par une force active venue d'Adam. Aussi cet homme ne contracterait pas le péché originel, pas plus que la main n'aurait part au péché de la personne, si cette main était mise en mouvement non par la volonté de la personne, mais par une force extérieure.

Solutions

1. Adam n'a été dans le lieu d'exil qu'après son péché. Ce n'est donc pas parce qu'il est en exil mais parce qu'il a péché, que la faute originelle est transmise à tous ceux qui ont vraiment été engendrés par son action.

2. L'âme n'est infectée par la chair que dans la mesure où celle-ci est le principe actif servant à la génération, nous venons de le dire.

3. Celui qui serait formé simplement de la chair humaine serait issu de la substance corporelle, mais non du principe séminal du premier homme, et c'est pourquoi il ne contracterait pas le péché originel.


5. Si la femme avait péché, mais non pas l'homme, y aurait-il transmission du péché originel ?

Objections

1. Selon toute apparence, oui. Car nous recevons de nos parents le péché originel dans la mesure où nous avons existé en eux, selon le mot de l'Apôtre (Romains 5.12 Vg) : « Celui en qui tous ont péché. » Mais l'homme ne préexiste pas moins dans sa mère que dans son père. Il contracterait donc le péché originel à partir du péché de sa mère, comme il le contracte à partir du péché de son père.

2. Si Ève avait péché mais non pas Adam, les enfants naîtraient cependant passibles et mortels, puisque « dans la génération c'est la mère qui donne la matière », dit le Philosophe ; la mort, comme toute passibilité, provient de l'exigence de la matière. Mais la passibilité et la nécessité de mourir sont la peine du péché originel. Donc si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants contracteraient le péché originel.

3. Le Damascène dit que « l'Esprit Saint a prévenu cette faute chez la Vierge » et l'en a purifiée, afin que le Christ pût naître de Marie sans la souillure originelle. Mais une telle purification n'aurait pas été nécessaire si la souillure ne venait pas aussi de la mère. Donc l'infection du péché originel se communique par la mère. Ainsi le péché d’Ève eût fait dériver sur ses enfants la faute originelle, même si Adam n'avait pas péché.

En sens contraire, d'après l'Apôtre (Romains 5.12) : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde. » Si la femme avait transmis à sa descendance le péché originel, il aurait mieux valu dire « par deux », puisque tous deux ont péché ; ou plutôt « par la femme », puisqu'elle a péché la première. Donc les enfants ne reçoivent pas le péché originel de la mère mais du père.

Réponse

La solution de ce problème ressort de ce qui précède. Nous avons dit en effet que le péché originel est transmis par le premier père dans la mesure où c'est vraiment lui qui contribue à la génération de ses descendants. Voilà pourquoi, avons-nous dit, si quelqu'un n'était fils d'Adam que matériellement et par la chair, il ne contracterait pas le péché originel. Or il est évident, d'après ce que disent les philosophes que dans la génération le principe actif vient du père et que la mère fournit la matière. C'est pourquoi le péché originel ne vient pas de la mère mais du père ; de sorte que si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants ne contracteraient pas le péché originel, tandis que ce serait le contraire si Adam avait péché et non pas Ève.

Solutions

1. Le fils préexiste en son père comme dans un principe actif, en sa mère comme dans un principe matériel et passif. Aussi la comparaison ne vaut pas.

2. Certains pensent que si Ève avait péché et non Adam, les enfants auraient été exempts de la faute, mais auraient eu à endurer la nécessité de mourir et les autres possibilités de souffrir qui proviennent des exigences de la matière, puisque c'est la mère qui fournit la matière, non à titre de peine mais avec les limites qui lui viennent de la nature. — Mais cela ne parait pas cohérent. L'immortalité et l'impassibilité de l'état primitif ne dépendaient pas des conditions de la matière, comme nous l'avons dit dans la première Partie mais bien de la justice originelle, par laquelle le corps était soumis à l'âme aussi longtemps que l'âme serait soumise à Dieu. Or, l'absence de cette justice originelle, c'est le péché originel. Donc si, Adam ne péchant pas, le péché d'Ève n'eût pas suffi à transmettre le péché originel à ses enfants, il est évident qu'il n'y aurait pas eu chez ceux-ci absence de justice originelle ni, par suite, passibilité d'aucune sorte ou nécessité de mourir.

3. Cette purification prévenante en faveur de la Bienheureuse Vierge n'était pas requise pour empêcher la transmission du péché originel, mais parce qu'il fallait que la Mère de Dieu brillât d'une pureté extrême. Car rien n'est digne d'être la demeure de Dieu, sans la pureté, selon le Psaume (Psaumes 93.5) : « La sainteté convient à ta maison, Seigneur. »

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