Moïse montre la parité de la loi cérémoniale et de la loi morale (§ 84) ; les livres prophétiques font sentir en quoi elles diffèrent l’une de l’autre : l’observation extérieure des cérémonies du culte n’a aucune valeur en elle-même, Dieu regarde aux dispositions du cœur, et les sacrifices ne lui sont agréables que lorsqu’ils sont l’expression d’une piété réelle. A cet égard, les reproches de Samuel à Saül (1 Samuel 15.22, § 164), méritent vraiment d’être appelés le programme de la prophétie ; ils ont servi de texte à la plupart des discours que les prophètes ont adressés à leurs contemporains sur ce sujet, et dont les principaux se trouvent en Osée 6.6 ; Amos 5.21 ; Ésaïe 1.11 ; 58.3 ; Jérémie 6.20 ; 7.21 ; 14.12 ; Michée 6.6.
[On peut dire d’une manière générale que, depuis David, toutes les restaurations du culte, tous les réveils de la piété publique, ont été accompagnés d’une semblable déclaration de principes.]
Voyez également tant de passages des Psaumes : Obéir à Dieu, briser sa volonté propre et son orgueil, rechercher la pureté du cœur, voilà le sacrifice qui plaît seul à l’Éternel (Psaumes 40.7 ; 50.1-23 ; 51.18 et sq.). Parmi les marques auxquelles on peut reconnaître les vrais membres du peuple de Dieu (Psaumes 24.4-6 ; 15.1-5), il n’est pas même fait mention de l’oblation des victimes, ni de l’observation d’aucune loi cérémoniale.
D’autre part, loin du sanctuaire et des actes sacrés qui s’y consomment, — on est également éloigné de la grâce de Dieu. Aussi, voyez quelle joie lorsqu’on peut entrer dans la maison de Dieu, et quelle tristesse quand on est privé de ce précieux avantage (Psaumes 26.7 ; 27.4 ; Psaumes 42, 43, 84). C’est ce qu’il ne nous faut pas oublier, si nous voulons réellement bien comprendre la polémique des prophètes contre le culte.
On est souvent allé (Hitzig, Graf, etc.), jusqu’à prétendre que les prophètes avaient absolument condamné le culte et ses cérémonies. Jérémie en particulier, dit-on, parle des sacrifices (Jérémie 6.20 ; 7.22), comme il ne le ferait certainement pas s’ils étaient à ses yeux une institution divine. « Ainsi, a dit l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël : Ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices, et mangez de la chair, car je n’ai point parlé avec vos pères, ni ne leur ai point donné de commandement, au jour que je les fis sortir d’Egypte, touchant les holocaustes et les sacrifices. »
Schmieder a pensé résoudre la difficulté en disant que les sacrifices privés étaient le plus souvent volontaires et que la loi n’avait fait que de réglementer la manière en laquelle ils devaient être offerts, sans les ordonner ; que par conséquent, les lois sur les sacrifices n’avaient en vue que les sacrifices publics, les seuls dont parle Jérémie dans son fameux passage ; — mais la difficulté subsiste, car à côté de cela, Jérémie s’élève si fort contre la profanation du Sabbat (Jérémie 17.19 et sq.), qu’il ne pourrait évidemment pas s’exprimer comme il le fait dans ce dernier passage, s’il rejetait toute la loi cérémoniale. On répond que le quatrième commandement faisant partie du décalogue ne peut pas être assimilé aux lois cérémoniales. Bien, mais alors nous faisons une autre question : Si Jérémie rejette toute la loi cérémoniale, comment peut-il réserver une place au sacrifice dans le tableau qu’il trace à l’avance de l’économie du salut, comme il le fait non pas seulement dans Jérémie 33.18b, passage dont on a bien gratuitement mis en doute l’authenticité, mais encore dans Jérémie 17.26 ; 31.14 ; 33.11 ?
b – Il ne manquera jamais non plus, d’entre les sacrificateurs lévites, d’homme qui offre des holocaustes…
Nous pensons, — telle est notre explication, — que les prophètes lorsqu’ils disent tant de mal du culte et de ses cérémonies, ont recours à une figure de pensée fort ordinaire, qui consiste à présenter comme absolue une opposition qui n’est que relativec. Dieu regarde tellement à l’intérieur et Il ajoute une telle importance aux dispositions du cœur, que c’est à peine si l’on peut dire, à côté de cela, qu’il tienne aux sacrifices. Là où manquent les dispositions intérieures, tout manque. Ou bien pense-t-on peut-être que Dieu ait besoin des victimes qu’on lui offre et que le fait seul qu’elles sont sur son autel puisse le satisfaire ? Là où se trouvent les dispositions voulues, Dieu reçoit les sacrifices avec bienveillance, et Il y voit la preuve matérielle, la manifestation de ces dispositionsd. Aussi David s’écrie-t-il dans le Psaumes 4.6 : Offrez des sacrifices de justicee ! Comparez Deutéronome 33.19 : Ils offriront là des sacrifices de justice. — Aussi, Psaumes 51.8 n’empêche-t-il point le v. 20. Les sacrifices de Dieu sont l’esprit froissé, et néanmoins, quand Dieu aura édifié les murs de Jérusalem, alors Il prendra plaisir aux sacrifices de justice, et l’on offrira de jeunes taureaux sur son autel. — Aussi les prophètes peuvent-ils encore parler d’un culte extérieur dans l’économie du salut, à cette seule différence près, qu’alors les péchés étant pardonnés, il n’y aura plus de sacrifice pour le péché.
c – Winer. Grammaire, 7e édition, page 462. Bultmann, page 306.
d – Samuel n’a-t-il donc pas lui-même présenté des sacrifices à son Dieu et n’est-ce pas ce même livre de 1Sam, qui rapporte la chose ?
e – Et non pas : la justice en guise de sacrifices.
[Esaïe (Ésaïe 66.1-3) ne veut pas que les exilés qui persistent dans leur impénitence bâtissent un temple à l’Éternel, et pourtant, il y aura, dans la nouvelle Jérusalem, un nouveau temple et un culte nouveau (Ésaïe 56.7 ; 60.7 ; 66.20).]
Que dire maintenant de de Wette opposant prophètes à prophètes, et présentant Ezéchiel, Daniel et Malachie comme autant d’esprits entachés de lévitisme, tandis que David, Esaïe et plusieurs autres accordent, dit-on, une bien faible importance à l’observation de la loi cérémoniale ? Ezéchiel, il est vrai (il était sacrificateur), attache une grande valeur aux ordonnances cérémoniales ; il se félicite de n’avoir jamais rien mangé de souillé (Ézéchiel 4.14) ; il rappelle à ses concitoyens l’importance capitale du quatrième commandement, car (Ézéchiel 20.12), le Sabbat est un signe entre l’Éternel et son peuplef ; il consacre 9 chapitres (40 à 48) à dépeindre le culte du futur peuple de Dieug. Mais pour tout cela, il ne fait point consister la sainteté dans l’observation extérieure de ces ordonnances. Qui à ses yeux mérite le nom de juste ? Celui (ch. 18), qui ne se livre pas à l’idolâtrie, qui ne commet pas adultère, qui fuit l’impureté, qui a pitié de son débiteur, qui est miséricordieux envers le pauvre, qui méprise toute espèce de gain déshonnête. Que faudrait-il aux Israélites pour qu’ils devinssent vraiment le peuple de Dieu ? Un cœur nouveau (Ézéchiel 11.19 ; 36.26).
f – Mais nous avons vu que Jér. en fait autant, ainsi que Ésaïe 58.13.
g – Mais Jér. le fait aussi, quoique plus brièvement (Jérémie 33.18 et sq.).
[Au reste, il ne faut pas oublier ce que nous avons dit (§ 188) sur le rilualisme dans lequel on chercha, précisément pendant l’exil et du temps d’Ezéchiel, à envelopper le peuple pour le garantir de la contagion du paganisme. Non pas que nous voulions dire qu’Ezéchiel ait été ritualiste. Il a remis en honneur le lévitisme ; voilà tout. Les exagérations de cette tendance ne sont pas son fait.]
Malachie reproche énergiquement au peuple la manière frauduleuse dont il s’acquitte de ses sacrifices et de ses dîmes (Malachie 1.6-2.9 ; 3.7-12). Mais c’est que ces fraudes trahissent des cœurs corrompus ; l’Éternel prendra plaisir (Malachie 3.3) aux sacrifices que le peuple, purifié par l’épreuve, lui offrira dans la justice.
Pour ce qui est enfin de Daniel, à qui l’on reproche de faire grand cas d’une légalité toute extérieure, et d’être ainsi en complet désaccord avec les prophètes qui l’ont précédé, — il refuse sans doute la nourriture royale, il prie trois fois le jour, il se tourne vers Jérusalem pour invoquer son Dieu, il recommande au roi d’exercer la charité. Mais, reprenant les uns après les autres ces divers griefs, pourquoi se refuse-t-il à manger des mets qui ont figuré sur la table royale ? Parce qu’ils ne pouvaient être préparés selon les prescriptions mosaïques et que la viande en particulier avait, été sacrifiée aux idoles. Il n’y avait là d’extraordinaire : Ézéchiel 22.26 ; 44.23 ; Ésaïe 65.4 ; 66.17, parlent tout à fait comme Daniel agit. — Il prie trois fois le jour. Mais voyez Psaumes 55.17 : « Le soir, le matin et à midi, je parlerai et je crierai, et Il entendra ma voix ! » Pour s’achopper à ce trait, il faut être de ceux qui estiment qu’il n’y a de vrais adorateurs que ceux qui n’ont absolument rien de régulier dans leurs habitudes de dévotion. — Il prie la face tournée vers Jérusalem ? Mais que veut donc dire 1 Rois 8.38 : « Exauce-les, lorsqu’ils auront étendu leurs mains vers cette maison » (§ 62) ? Quoi de plus naturel pour un Israélite pieux, rongé du plus légitime mal du pays qui fut jamais, que de témoigner ainsi et sa tristesse et son espérance ? — Il recommande enfin à Nébukadnézar (Daniel 4.27) de racheter ses péchés par la justiceh, et ses iniquités en faisant miséricorde aux pauvres : ce sera peut-être une prolongation à sa prospérité. Est-ce donc là ce qui s’appelle prêcher les œuvres mortes ? Point du tout ! Daniel indique simplement au roi la manière en laquelle il peut donner à connaître le changement de son cœur. Paul ne parle-t-il pas dans Romains 2.7, 10 de païens qui cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité par la persévérance dans le bien ? Si l’on prête à Daniel la pensée que l’on peut, en faisant l’aumône, effacer ses péchés et s’attirer la bénédiction d’En-haut, — il faut la prêter également à Esaïe, celui de tous les prophètes qui jusqu’à présent est resté le plus à l’abri de semblables reproches. En effet, ne pourrait-on pas trouver dans Esa. ch. 58, la pensée que, si le jeûne est une chose assez indifférente, il n’en est pas ainsi de la bienfaisance et de l’observation du sabbat, qui, même extérieures, vous méritent Ja grâce de Dieu et vous rendent, justes à ses yeux ? Et cependant, le prophète a soin de ne nommer dans ce passage que les œuvres qui sont la manifestation la plus naturelle d’une vraie piété. — Un homme qui a prononcé la confession des péchés de Daniel 9.4 et sq., n’a jamais pu prêcher le salut par des œuvres mortes.
h – Justice, et non pas aumônes.