1. Cependant de jour en jour les dissentiments de la maison d’Hérode prenaient une tournure plus grave, car Salomé avait à son tour conçu contre les jeunes princes comme une haine héréditaire tout ce qui avait réussi contre leur mère la remplissait de démence et d’audace, si bien qu’elle ne voulait laisser survivre aucun descendant qui pu venger cette femme dont elle avait procuré la mort. D’autre part, les adolescents avaient eux aussi quelque audace et, quelque malveillance à l’égard de leur père, parce qu’ils se souvenaient de ce que leur mère avait injustement souffert, et qu’ils avaient le désir de régner. Et les mêmes machinations se répétaient que précédemment ils déblatéraient contre Salomé et Phéroras ; ceux-ci témoignaient de mauvais sentiments envers les adolescents et s’appliquaient à leur tendre des pièges. La haine était égale de part et d’autre, mais la manière de haïr différente : les jeunes gens étaient portés à injurier et à insulter ouvertement, parce que, dans leur inexpérience, ils croyaient agir noblement en manifestant leur colère sans réticence ; les autres n’agissaient pas de la même façon, mais se servaient de la calomnie avec adresse et astuce provoquant sans cesse les jeunes gens dans l’espoir que leur témérité les amènerait à un coup de force contre leur père. Car, n’ayant aucune honte des fautes de leur mère et croyant, inique son châtiment, ils étaient poussés irrésistiblement à la venger même de leurs propres mains sur celui qui leur paraissait le coupable. Finalement toute la ville fut remplie de rumeur sur ce sujet, et, comme dans les luttes judiciaires, on avait pitié de l’inexpérience des jeunes gens ; mais le succès était du côté de la diligente Salomé, qui trouvait dans la conduite de ses adversaires même un prétexte de paraître dire la vérité. En effet, ils étaient si irrités de la mort de leur mère, victime comme eux de calomnies[2], qu’ils rivalisaient de zèle pour montrer combien elle était à plaindre — et elle l’était en effet — et combien ils étaient à plaindre eux-mêmes d’être obligés de vivre avec ses meurtriers et de partager leurs intérêts.
[1] III, sections 1 et 2 – Guerre, I, 447.
[2] ἐπειδὴ κἀκείνην καὶ σφᾶς αὐτοὺς κακῶς ἔλεγον, texte douteux.
2. La situation avait empiré pendant l’absence du roi, qui fournissait, une occasion de trouble. Dès qu’Hérode revint et qu’il eut parlé au peuple comme nous l’avons raconté plus haut, il fut immédiatement assailli par Phéoras et Salomé qui lui dépeignaient quel danger il courait de la part de ces jeunes gens, menaçant ouvertement, de ne pas supporter que le meurtre de leur mère restât sans vengeance. Ils ajoutaient encore que ceux-ci s’appuyaient sur les espérances que leur donnait Archélaüs de Cappadoce de pouvoir, grâce à lui, arriver jusqu’à l’empereur pour accuser leur père. Dès qu’il eut entendu ces discours, Hérode fut troublé et d’autant plus effrayé que quelques autres lui faisaient les mêmes rapports. Il revenait, sur ses malheurs précédents et se les remémorait ; il se disait qu’à cause des dissensions de sa maison il n’avait jamais pu jouir des affections les plus chères, ni de l’amour d’une femme qu’il chérissait, et, pressentant que le malheur futur serait encore plus lourd et plus grand que les précédents, il tombait dans un profond désarroi moral. En effet, si la divinité lui accordait les plus nombreux avantages et les plus inespérés quant à sa prospérité extérieure, à l’intérieur de sa famille les affaires les plus importantes échouaient contre son attente ; de sorte que les deux faces de sa destinée se développaient comme on ne l’aurait jamais cru et faisaient douter lequel valait mieux, ou de jouir d’une telle fortune dans les affaires étrangères au prix de maux domestiques, ou d’échapper à de si grands malheurs dans ses affections familiales en renonçant même à tout ce qui faisait la parure de la royauté.
3.[3] Dans son trouble et ces dispositions il manda, afin de brider les jeunes princes, un autre fils qu’il avait eu avant d’être roi et qui se nommait Antipater. Il décida de le combler d’honneurs, non qu’il se mit, comme plus tard, complètement sous sa domination et s’en rapportât à lui de toutes choses, mais parce que, par cette politique, il croyait diminuer l’arrogance des fils de Mariamne et leur donner à réfléchir : ils seraient moins orgueilleux s’ils se persuadaient que la succession au trône n’était pas due nécessairement et uniquement à eux. Dans cette pensée il introduisait Antipater comme une manière de suppléant, croyant faire acte de prudence et de sagesse, et espérant qu’il pourrait, après avoir calmé les jeunes princes, trouver chez eux en temps opportun de meilleurs sentiments. Mais le résultat ne fut pas conforme à ses prévisions. D’une part ses enfants se jugèrent gravement lésés par l’injustice commise à leur égard ; d’autre part, Antipater, qui était d’un caractère redoutable, lorsque ses nouvelles espérances lui eurent donné quelque liberté, n’eut plus qu’un seul but : faire du tort à ses frères, ne pas leur céder le premier rang et s’attacher à son père, déjà aliéné par les calomnies et facile à amener là où Antipater visait, c’est-à-dire à s’irriter de plus en plus contre ceux qu’on avait noircis à ses yeux. Il se gardait bien de paraître l’unique source de tels rumeurs et évitait que ces médisances semblassent inspirées de lui ; il se servait plutôt de complices à l’abri du soupçon et qu’on pouvait croire mûs seulement par leur affection pour le roi. Déjà beaucoup de gens lui faisaient leur cour, flattaient ses espérances et séduisaient Hérode, parce qu’ils semblaient parler par dévouement. Et tandis que les gens se distribuaient ainsi les rôles en se montrant fidèles les uns aux autres, les adolescents leur fournissaient de plus en plus d’occasions. On les voyait pleurer des insultes dont on les humiliait ; ils invoquaient souvent leur mère et s’efforçaient ouvertement de convaincre leur père d’injustice auprès de leurs familiers. Or, tout cela, malignement guetté par l’entourage d’Antipater et rapporté avec exagération à Hérode, finit par envenimer cette querelle domestique. Le roi, exaspéré par ces calomnies et voulant abaisser les fils de Mariamne, ne faisait qu’avancer Antipater dans les honneurs[4]. Finalement, dominé par lui, il fit revenir sa mère[5] à la cour et, écrivit souvent à son sujet à l’empereur en le lui recommandant particulièrement comme un excellent sujet. Comme Agrippa partait pour Rome après avoir passé dix ans à administrer l’Asie Mineure, il s’embarqua en Judée et Hérode l’y rencontra, accompagné du seul Antipater, qu’il lui confia pour le conduire à Rome avec beaucoup de présents, afin qu’il devint l’ami de l’empereur. Ainsi désormais tout semblait déjà au pouvoir d’Antipater et les adolescents paraissaient complètement exclus de l’empire.
[3] Section 3 – Guerre, I, 448-451.
[4] Le récit de Guerre, § 451, va jusqu’à préciser qu’il fut officiellement déclaré héritier du trône (T. R.).
[5] La juive Doris (Guerre, I, 241). Il est singulier que le texte des Antiquités ne la nomme pas (T. R.).