Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVI

CHAPITRE V
Dédicace de la ville de Césarée Sébaste à la vingt-huitième année du règne d'Hérode ; Hérode fonde la ville d'Antipatris en l'honneur de son père, la ville de Cypros en l'honneur de sa mère, et la ville de Phasaelis en l'honneur de son frère ; largesses d'Hérode.[1]

Dédicace de Césarée Sébaste.

1. Vers ce temps fut achevée Césarée Sébaste qu’Hérode construisait : tout l’ouvrage fut mené à bonne fin en dix ans ; la date d’achèvement fut fixée à la vingt-huitième année du règne[2], dans la cent quatre-vingt douzième Olympiade. Il y eut aussitôt pour la dédicace une grande fête et des préparatifs très coûteux. Le roi avait annoncé un concours de musique et de jeux athlétiques ; il avait préparé une grande quantité de gladiateurs et de fauves, une course de chevaux et force ornements luxueux venus de Rome et d’autres pays. Il dédia ce spectacle à l’empereur, en décidant de le faire célébrer tous les quatre ans. L’empereur régla sur ses ressources personnelles tous les frais de cette pompe, afin de rehausser encore l’éclat de sa magnificence ; l’Impératrice Julia[3] lui envoya en outre sur ses propres revenus beaucoup de choses les plus appréciées dans son pays, de sorte que le total de la dépense estimée ne s’éleva pas à moins de mille cents talents. Comme une grande foule était réunie dans la ville pour un spectacle, ainsi que des ambassades envoyées par les peuples en reconnaissance des bienfaits qu’ils avaient reçus d’Hérode, il accueillit tous ces gens, les logea, les reçut à sa table, leur offrit des fêtes continuelles. Le jour, l’assemblée avait le plaisir des spectacles ; la nuit, des divertissements d’un luxe coûteux, si bien que sa générosité devint fameuse. En effet, il s’efforçait, dans tout ce qu’il organisait, de dépasser en splendeur ce qu’on avait déjà vu avant lui. On dit même que l’empereur et Agrippa répétaient souvent que le pouvoir d’Hérode ne correspondait pas à sa magnificence, car il aurait fallu, pour agir ainsi, être le roi de toute la Syrie et de l’Égypte.

[1] = Guerre, I, 415

[2] 10 av. J.-C.

[3] Livie.

Fondations de villes.

2.[4] Après cette assemblée et ces fêtes, il fonda une autre ville, dans la plaine appelée Capharsaba[5], après avoir choisi un lieu bien irrigué et une terre très propre à la végétation car un fleuve coulait autour de la ville même et celle-ci était entourée d’une très belle forêt de grands arbres. Il nomma cette ville Antipatris, en l’honneur de son père Antipater. Il fonda aussi, au delà de Jéricho, une localité portant le nom de sa mère, Cypros, à la fois remarquable par la force de sa position et l’agrément des habitations. Il édifia à son frère Phasaël un très beau monument en souvenir de son affection, en élevant au-dessus de sa capitale une tour égale à celle du Phare et qu’il nomma Phasaël ; elle devait contribuer à la sécurité de la ville et son nom rappeler le souvenir du défunt. Il fonda encore une ville qui portait le prénom de son frère dans la vallée de Jéricho quand on se dirige vers le nord, si bien que la contrée environnante, naguère déserte, fut rendue plus fertile par le travail des habitants : et il nomma cette ville Phasaelis.

[4] Guerre, I, 417-418.

[5] Entre Césarée et Jérusalem, près d’Apollonia.

Libéralités d’Hérode.

3.[6] Il serait impossible d’énumérer tous les autres bienfaits dont Hérode combla les villes, tant en Syrie qu’en pays grec et dans toutes les régions où il lui advint de séjourner ; en effet, nombreuses sont les liturgies, les constructions d’intérêt public, les donations pour l’achèvement de travaux utiles, après épuisement des premiers fonds, qu’Hérode semble avoir prodiguées. Voici les plus grandes et les plus remarquables de ses œuvres, il releva pour les Rhodiens le temple Pythien à ses propres frais et leur donna beaucoup de talents d’argent pour construire des vaisseaux ; aux habitants de Nicopolis, ville fondée par l’empereur près d’Actium, il accorda une contribution pour la plupart de leurs édifices publics ; aux habitants d’Antioche, la principale ville de Syrie, qu’une large avenue traverse dans toute sa longueur, il offrit des portiques la bordant des deux côtés, et dans la partie découverte de la voie en pierres polies, contribuant ainsi singulièrement à la beauté de la ville et à la commodité des habitants. Quant aux jeux Olympiques, que l’absence de ressources avait rendus bien indignes de leur nom, il en accrut l’éclat en leur assignant des revenus et il rehaussa la dignité de cette réunion religieuse tant pour les sacrifices que pour les autres cérémonies ; en reconnaissance de cette libéralité, il fut inscrit par les Éléens comme agonothète perpétuel.

[6] Guerre, I, 422-428, où l’énumération des villes gratifiées est plus complète.

Explication des contrastes dans le caractère d’Hérode.

4. Il est arrivé aux autres historiens de s’étonner de la diversité des penchants naturels d’Hérode. Lorsque nous considérons ses dons et les bienfaits qu’il a prodigués à trous les hommes, il n’y a pas moyen que même ceux qui l’estiment le moins refusent de lui reconnaître une nature très généreuse ; mais si l’en considère ses rigueurs et ses iniquités à l’égard de ses sujets et de ses proches, si l’on observe combien son caractère a été dur et inexorable, on le juge nécessairement comme un être féroce et étranger à tout sentiment de modération. On en conclut qu’il y avait en lui comme deux volontés différentes et contradictoires. Quant à moi, je suppose que ces traits si divers procèdent à une seule et même cause. En effet, comme il était avide de gloire, et dominé par cette passion, il était incité à la prodigalité dès qu’il concevait l’espoir de laisser un grand souvenir à la postérité ou d’obtenir immédiatement une bonne renommée. Mais parce qu’il dépensait au delà de ses ressources, il était forcé de se montrer dur envers ses sujets. La multiplicité même de ses prodigalités faisait de lui un percepteur cruel ; ayant conscience que ses injustices envers ses sujets provoquaient leur haine, il jugeait difficile de réparer ses fautes — ce qui eût compromis ses revenus — et, bien au contraire, il rendait à ses sujets haine pour haine, tirant même de leur malveillance une nouvelle occasion de remplir ses coffres. En ce qui concerne ses familiers, si l’un d’eux ne le flattait pas en paroles en se reconnaissant son esclave ou paraissait exciter quelque trouble contre son pouvoir, il était incapable de se maîtriser ; il ne cessait de châtier à la fois ses parents et ses « amis » autant que ses ennemis, ne reculant devant aucune rigueur parce qu’il voulait être seul honoré. Ce qui prouve que c’était là sa passion la plus forte, ce sont les hommages qu’il multipliait envers l’empereur, Agrippa et ses autres amis ; car c’était les honneurs accordés par lui à de plus puissants qu’il voulait se voir rendre à lui-même, et en leur donnant, ce qu’il croyait de mieux, il montrait son désir d’être traité de même. Mais le peuple juif, lui, est incliné par sa loi à haïr ces choses et à l’habitude d’aimer la justice plutôt que la gloriole ; aussi n’était-il guère en faveur auprès d’Hérode, dont il ne pouvait flatter l’ambition par des statues, des temples et des dédicaces analogues. Telle me parait la raison des violences d’Hérode à l’égard de ses familiers, et de ses conseillers, aussi bien que de ses bienfaits envers des étrangers et ceux qui ne le touchaient en rien.

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