Nous ne parlons pas ici de cette foule d’images confuses qui se pressent dans le cerveau de l’homme endormi, mais uniquement de ces rêves frappants qui réveillent assez le sentiment de la personnalité assoupie par le sommeil, pour qu’on s’en souvienne à son réveil. Ces rêves-là, nous l’avons vu déjà dans le § 66, l’A. T. admet qu’ils renferment parfois des avertissements divins.
[Toute l’antiquité païenne partage ce point de vue, car elle estime que moins l’homme veut, plus Dieu peut aisément agir sur lui. — Voyez aussi Psaumes 16.7 : « Même les nuits mes pensées m’instruisent, » et Job 33.15 : « Dieu parle en songe, par des visions de nuit, quand un profond sommeil tombe sur les hommes. »]
Mais ce mode de révélation est décidément d’une nature inférieure à l’inspiration prophétique ; ce sont les faux prophètes qui en appellent continuellement à leurs songes. Jérémie leur en laisse volontiers le monopole (Jérémie 23.25. Comparez Deutéronome 13.2 ; Zacharie 10.2), et il s’écrie en comparant aux leurs les révélations dont il a été honoré : « Quel rapport y a-t-il de la paille avec le froment ? » v. 28. Après avoir ainsi parlé, ce serait bien étonnant qu’il revendiquât jamais pour lui l’honneur d’avoir eu des songes, et c’est assurément à tort qu’on a vu quelque chose de semblable dans Jérémie 31.26e. Les visions nocturnes de la première partie de Zacharie ne sont point des rêves ordinaires. Voyez plutôt Zacharie 4.1 : L’ange commencerait-il par réveiller un homme à qui il voudrait parler par un rêve ?
e – « Je me suis réveillé et j’ai regardé, et mon sommeil m’a été doux. »
[La faiblesse de la nature humaine, l’incapacité de l’homme à soutenir un commerce tant soit peu prolongé avec les choses supersensibles, s’était fait sentir chez Zacharie. C’est de cet état de somnolence spirituelle que l’ange tire le prophète, (Hengstenberg, Christologie. 2e Ed. III, 1, page 290.)]
Daniel commence par avoir un songe (Daniel 7.1), mais ce songe se trouve être bientôt une véritable vision.
Et la raison pour laquelle le rêve n’occupe parmi les différents modes de révélation qu’une place tout à fait subordonnée, n’est pas difficile à saisir. Le sommeil, pendant lequel l’on est en quelque sorte séquestré du monde extérieur et tout entier replié sur soi-même, favorise sans doute l’action de l’Esprit de Dieu sur l’esprit de l’homme ; mais d’un autre côté, lorsqu’on se réveille, on ne peut pas toujours distinguer clairement les pensées qui vous sont venues de Dieu de celles qui ne sont peut-être que le produit de votre propre cœur (Jérémie 23.16 חזון לב, la vision de leur cœur). Or, il ne faut pas que les prophètes puissent même se demander si telle ou telle pensée leur vient de Dieu ou de leur propre fonds.
Mais les prophètes ne se trouvent-ils pas quelquefois dans un état de profond assoupissement qui ressemble fort au sommeil ? (Daniel 8.18 ; 10.9 : נרדם תרדמה ; Nombres 24.4,15.)f Oui ! et même il y a parfois enlèvement, élévation entre la terre et les cieux (Ézéchiel 8.1-3 ; 11.1) ; le prophète plane en quelque sorte dans un ravissement qui est voisin de la mort, tant l’âme est séparée du corps (2 Corinthiens 12.2-4. Delitzsch, Psychol. bibl. 2me édit. Page 285).
f – Balaam est là à terre, les yeux fermés, mais l’œil intérieur ouvert.
[Malgré une certaine ressemblance extérieure, il y a pourtant entre les phénomènes magnétiques et les ravissements de certains prophètes, cette différence essentielle que les prophètes ne cessent pas d’avoir conscience d’eux-mêmes. C’est grâce à cela que les révélations qui leur sont accordées exercent sur eux une influence durable et décisive. Voyez Ennemoser, Le magnétisme dans ses rapports avec la nature et la religion, page 91 et 241. « A quelque point de vue que se place la critique, dit cet auteur, on doit reconnaître que l’inspiration des vrais prophètes est un phénomène unique en son genre. »]
Mais ce sont-là des exceptions, et dans la grande majorité des cas nous pouvons nous représenter le prophète à qui Dieu parle, comme un homme profondément recueilli, mais pleinement éveillé.
A y regarder de près, ce n’est donc point à un homme endormi que ressemble le prophète inspiré, mais bien plutôt à un homme profondément absorbé par la prière. Quand Dieu parle à ses prophètes, il leur répond, ענה ; c’est le même mot que lorsqu’il est question d’un exaucement de prière (Michée 3.7 ; Habakuk 2.1 ; Jérémie 23.35) ; et en effet, il y a souvent une grande analogie entre ; la manière dont Dieu répond aux prières de ses serviteurs et celle dont il s’approche d’eux pour leur communiquer des révélations. Tel Israélite pieux, au milieu de son oraison, a tout à coup le sentiment très vif qu’il est exaucé, il sait que Dieu l’a entendu, qu’il lui a répondu : « Maintenant, s’écrie David au Psaumes 20.7, je sais que l’Éternel délivre son oint ! » Eh bien ! c’est là quelque chose de tout à fait semblable à ce qui se passe dans l’âme du prophète à qui Dieu répond, et c’est sans doute pour cela que tel Psaume qui commence sur le ton de la prière, se termine avec l’accent de la prophétie.
Mais, dira-t-on, toute réponse suppose une demande, une question, une prière ? — Aussi bien voyons-nous dans plus d’un cas les prophètes commencer par indiquer à Dieu les points obscurs sur lesquels ils désirent obtenir quelque lumière (Jérémie 32.16 ; 42.4 ; Habakuk 1.2-4 ; Daniel 9.4 et sq.). Dans Jérémie 33.3, la prière est même présentée comme la condition, à laquelle seule le prophète recevra des révélations : « Crie vers moi et je te répondrai, et je te déclarerai des choses grandes et cachées, lesquelles tu ne sais pas. »
C’est ici un point qui est tout particulièrement propre à nous faire comprendre le caractère moral des rapports que le prophète soutient avec son Dieu. Sans doute, il y a des cas où Dieu, usant de cette toute-puissance en vertu de laquelle Il est le maître de tous les esprits et de toutes les langues (Psaumes 139.4,7), inspire un homme en dépit de lui-même. L’Éternel fait. dire à un Balaam le contraire de ce qu’il dirait s’il ne tenait qu’à lui ; Il accorde à un Nébukadnézar les plus magnifiques révélations ; Il se sert des devins et des augures pour pousser le roi de Babylone à faire à Jérusalem la guerre qu’il veut qu’il lui fasse (Jérémie 23.26-27 : « Le roi de Babylone s’est arrêté… pour consulter les devins… il a interrogé les idoles, il a regardé au foie ; la divination est à sa main droite contre Jérusalem, pour y mettre des béliers, pour animer la tuerie… » ). Il inspire à un Caïphe une prophétie involontaire. Mais ce sont là des exceptions ; dans la règle il y a une entente morale entre le prophète et Dieu.
[Dusterdieck (De rei propheticæ natura ethica. 1852) a été amené dans sa réaction contre Hengstenberg et Hofmann, à mettre peut-être un peu trop exclusivement l’accent sur le côté moral de l’inspiration.]
Dieu choisit et appelle ; le prophète doit tout au moins entrer dans le conseil de Dieu, se prêter à ses vues, se montrer disposé à lui servir d’organe (Amos 3.3). En lui parlant Dieu tient compte de ses expériences personnelles ; Il rattache ses révélations à ce que le prophète peut savoir déjà, aux observations qu’il a déjà faites, et même aux événements qui ont pu se passer dans sa famille (Osée ch. 1 ; Ézéchiel 24.18 et sq.) ; Il donne à ses révélations des formes appropriées au caractère et à la manière de voir du prophète, en sorte que celui-ci n’a pas trop à faire pour leur imprimer en les rédigeant le sceau de son individualité. Mais cela ne veut aucunement dire que les révélations ne soient au fond que le résultat du travail spirituel et de la réflexion de l’homme. Croyons-en le plus grand des prophètes : Personne ne peut rien recevoir, s’il ne lui a été donné du ciel ! (Jean 3.27) Un exaucement n’est pas quelque chose qui se puisse commander ; il faut savoir encore si Dieu voudra se laisser trouver (Ésaïe 55.6 ; Psaumes 33.6 et sq.) ; il y a des temps où, malgré les plus ferventes prières, le ciel reste fermé. Il en est exactement de même de l’inspiration. Un prophète peut bien revêtir les dispositions nécessaires pour recevoir une révélation, mais il ne peut ni forcer Dieu à lui parler, ni prescrire à l’Éternel ce qu’il a à lui dire. Il faut souvent attendre longtemps (Ésaïe 21.8 ; Jérémie 42.7,4)g, quelquefois même en vain.
g – Jérémie fait requête à l’Éternel, v. 4, et n’obtient de réponse qu’après dix jours d’attente, v. 7
Une dernière remarque à l’occasion de ce dernier mot. Hecker, dans son livre sur les visions, pages 11 et 13, — cherchant à expliquer les prophéties d’une manière toute naturelle, — prétend que lorsqu’on se représente vivement une chose, vraie ou fausse, on peut arriver, à l’aide d’une excitation nerveuse tant soit peu prolongée et d’un certain échauffement naturel, à croire que l’on a une vision. Et, il ajoute que c’est ainsi que se sont fondées toutes les religions. Mais manquait-il donc d’excitation nerveuse et d’échauffement naturel au temps de Jérémie et des Macchabées ? Et pourtant : « Les prophètes n’ont reçu aucune vision », — soupire Jérémie (Lamentations 2.9), et Asaph s’écrie : « Nous ne voyons plus nos signes, il n’y a plus de prophètes, et il n’y a plus personne avec nous qui sache jusques à quand. » (Psaumes 74.9.) Pendant le siège de Jérusalem par les Romains l’excitation nerveuse et l’échauffement naturel ont produit des prophètes, mais quels hommes c’étaient que ces inspirés ! On ne peut expliquer les périodes durant lesquelles les vrais prophètes ont fait défaut, que si l’on considère les révélations comme des communications parfaitement libres que Dieu accorde au monde quand Il lui plaît.