1.[2] Quoique Antipater eût fait disparaître ses frères et chargé son père du plus impie des crimes et du remords qui les vengeait, ses espérances d’avenir ne s’accordaient pas à ses desseins. Délivré de la crainte de voir ses frères partager le pouvoir avec lui, il s’apercevait que l’accession au trône serait pour lui chose fort ardue et embarrassante, tant la nation avait conçu de haine contre lui. C’était là un obstacle gênant ; mais ce qui le tourmentait plus encore, c’étaient les mauvaises dispositions de l’élément militaire, de qui dépendait, toute la sécurité de la maison royale toutes les fois que le peuple venait, à tenter une révolution. Telle était la situation pleine de péril que lui fit la mort de ses frères.
[1] Un résumé du récit de Nicolas de Damas, source principale de Josèphe pour les sections 1-5, nous a été transmis par les Excerpta de Constantin Porphyrogénète (F. H. G., III, p. 352-3).
[2] Section 1 = Guerre, I, 552-558 ; 561.
Il partageait, néanmoins le pouvoir avec son père comme s’il eût été roi lui-même, et ce qui aurait dû causer sa perte que faisait que grandir son crédit, car il avait trouvé moyen d’affermir la bienveillance de son père, en faisant croire qu’il n’avait dénoncé ses frères que par souci du salut d’Hérode, et non par haine contre eux et surtout contre lui. Voilà les malédictions qui le poursuivaient. Toutes ces intrigues avaient été ourdies sur le chemin d’Hérode par Antipater afin d’écarter tous dénonciateurs possibles de ses projets et de priver Hérode de refuge et de secours le jour où Antipater se dresserait en ennemi déclaré. C’était donc par haine contre son père qu’il avait machiné la perte de ses frères et qu’il s’attachait de plus en plus à ne pas lâcher son entreprise ; car, si Hérode mourait, le pouvoir lui serait assuré mais, si le roi prolongeait encore sa vie, les dangers renaîtraient, en cas de révélation de la machination qu’il avait ourdie en forçant son père, à devenir son ennemi[3]. Aussi dépensait-il beaucoup pour se concilier l’entourage de son père, cherchant à contrebattre à force d’argent la haine soulevée contre lui ; surtout, il entretenait par de forts cadeaux le dévouement de ses amis de Rome, et, principalement de Saturninus, gouverneur de Syrie. Il espérait attirer à lui également le frère de Saturninus par l’importance de ses libéralités et, par les mêmes moyens, la sœur du roi, mariée à l’un des premiers de l’entourage d’Hérode. Nul n’était plus habile à provoquer la confiance en simulant l’amitié avec ses familiers, ni plus retors pour cacher la haine qu’il éprouvait contre qui que ce fut. Néanmoins il ne réussit pas à tromper sa tante, qui l’avait deviné depuis longtemps et ne se laissait plus berner par lui, ayant déjà par tous les moyens possibles lutté contre ses mauvais desseins. Pourtant sa fille[4] était mariée à l’oncle maternel d’Antipater[5] qui, par ses calculs et, ses manœuvres, lui avait fait épouser cette jeune femme, précédemment, mariée à Aristobule. L’autre fille de Salomé[6] était la femme du fils d’Alexas[7], mari de Salomé. Mais l’alliance n’empêchait pas plus Salomé de pénétrer les mauvais desseins d’Antipater que les liens de parenté ne précédemment arrêtée dans sa haine (contre Aristobule)[8].
[3] πολέμων ἠνάγκαζε τόν πατέρα καταστῆναι, sens obscur.
[4] Bérénice, veuve d’Aristobule.
[5] Ce personnage s’appelait Teudion, infra § 70 et Guerre, I, 592.
[6] On ignore le nom de cette princesse.
[7] Καλλέα παϊς mss. ; mais ce nom est inconnu et le passage parallèle, Guerre, I, 566, montre qu'il s'agit bien d'un fils (du premier lit) d'Alexas.
[8] Ces deux mot paraissent omis.
Salomé avait désiré s’unir à Syllaios l’Arabe, dont elle était passionnément amoureuse, mais Hérode la contraignit d’épouser Alexas : l’impératrice Julia[9] avait joint ses efforts à ceux du roi et persuadé Salomé de ne pas s’attirer, par le refus de ce mariage, une hostilité manifeste ; car Hérode avait juré de retirer toute affection à Salomé si elle n’acceptait pas Alexas. Elle s’inclina devant cet avis parce que Julia était la femme de l’empereur et ne cessait de lui donner les meilleurs conseils. A la même époque Hérode renvoya chez son père la fille du roi Archélaüs[10], naguère mariée à Alexandre, en lui rendant sur ses propres biens sa dot, afin d’éviter toute contestation[11].
[9] Il s’agit naturellement de Livie.
[10] Glaphyra.
[11] συμφορᾷ (συμπεριφυρᾷ Niese) τοΰ δικαίου, texte obscur.
2.[12] Hérode élevait lui-même avec beaucoup de soin les enfants de ses fils, car Alexandre avait eu de Glaphyra deux garçons[13] et Aristobule avait eu de Bérénice, fille de Salomé, trois garçons[14] et deux filles[15]. Un jour, en présence de ses amis, après avoir placé près de lui ces enfants et déploré le sort de ses fils, il souhaita que leurs fils n’eussent pas les mêmes malheurs, et que, embellis par la vertu et l’esprit de justice, ils fussent en mesure de lui rendre les soins qu’il leur donnait[16]. Il avait, promis en mariage, pour le moment où ils atteindraient l’âge voulu, à l’aîné des fils d’Alexandre[17] la fille de Phéroras, à l’aîné des fils d’Aristobule[18], celle d’Antipater ; il désigna pour le fils d’Antipater une fille d’Aristobule et la seconde pour Hérode, son propre fils, qu’il avait eu de la fille du grand-prêtre, car nos coutumes nationales admettent qu’on ait plusieurs épouses à la fois. Le roi conclut les fiançailles de ces enfants par pitié pour leur état d’orphelins et pour leur concilier par ces alliances la bienveillance d’Antipater. Or, Antipater ne cessait d’ourdir à l’égard des fils de ses frères les mêmes desseins qu’à l’égard de ceux-ci ; l’affection de son père envers eux ne faisait que l’exciter davantage, car il s’attendait à les voir devenir plus puissants que ses frères mêmes, surtout que, lorsqu’ils auraient l’âge viril, Archélaüs, un personnage royal, appuierait ses petits-fils, et Phéroras, qui était aussi tétrarque, son gendre[19]. Enfin son irritation s’exaspérait en voyant tout le peuple témoigner sa pitié aux orphelins et sa haine contre lui parce qu’il persistait à manifester en tout ses mauvais sentiments envers ses frères. Il intriguait donc pour obtenir la révocation des décisions de son père, voyant du danger dans une intimité avec des princes dont la puissance s’accroîtrait tellement. Hérode changea d’avis, cédant aux instances d’Antipater, et décida que celui-ci épouserait lui-même la fille d’Aristobule, tandis que le fils d’Antipater épouserait celle de Phéroras.
[12] Section 2 = Guerre, I, 559-561, 564-565.
[13] Alexandre et Tigrane, futur roi d’Arménie.
[14] Hérode de Chalcis, Agrippa, Aristobule.
[15] Mariamne et Hérodiade.
[16] Le discours prononcé par Hérode (Guerre, I, 556) est ici mis en style indirect.
[17] Nommé également Alexandre.
[18] Hérode de Chalcis.
[19] Le second Alexandre.
3.[20] Les accords matrimoniaux furent ainsi réglés contre l’intention[21] du roi. Le roi Hérode avait alors neuf épouses : d’abord la mère d’Antipater[22] et la fille du grand-prêtre[23], dont il avait eu un fils, nommé comme lui Hérode. Il avait également épousé une fille de son frère et une de ses cousines germaines ; ni l’une ni l’autre n’eut, d’enfant[24]. Il avait aussi parmi ses épouses une Samaritaine[25] qui lui avait donné pour fils Antipas et Archélaüs, pour fille Olympias ; celle-ci fut plus tard la femme de Joseph, neveu du roi[26] ; quant à Archélaüs et à Antipas, ils étaient élevés à Rome chez un particulier. Il avait, encore épousé Cléopâtre de Jérusalem dont il eut deux fils, Hérode et Philippe, ce dernier aussi élevé à Rome. Une autre de ses femmes était Pallas, mère d’un fils, Phasaël. Enfin il avait encore Phèdre et Elpis qui lui donnèrent deux filles, Roxane et Salomé. De ses filles aînées, sœurs utérines d’Alexandre, que Phéroras avait dédaigné d’épouser, il maria l’une[27] à Antipater, fils de sa sœur[28], l’autre[29] à Phasaël qui était, lui, le fils de son frère[30]. Telle était la famille d’Hérode.
[20] Section 3 = Guerre, I, 562-563.
[21] ἄκοντος vulg. : ἔκοντος Naber.
[22] Doris.
[23] Mariamne (II) d’Alexandrie.
[24] Nous ignorons le nom de ces deux femmes.
[25] Malthaké.
[26] Fils de son frère Joseph.
[27] Kypros.
[28] Salomé.
[29] Salampsio.
[30] Phasaël I.