- Que sont les préceptes judiciaires ?
- Sont-ils figuratifs ?
- Leur durée.
- Leurs catégories.
Objections
1. Il semble que la raison d'être des préceptes judiciaires ne consiste pas en ce qu'ils ordonnent au prochain.
En effet, le mot « judiciaire » vient du latin judicium, qui veut dire « jugement ». Mais dans les rapports sociaux une part considérable n'a rien à voir avec l'organisation des jugements. L'épithète de judiciaires ne définit donc pas les préceptes réglant les rapports avec le prochain.
2. On sait que les préceptes moraux ne se confondent pas avec les préceptes judiciaires. Or un grand nombre de préceptes moraux, comme par exemple les sept derniers préceptes du décalogue, concernent les rapports sociaux. Ce n'est donc pas ce trait qui définit les préceptes judiciaires.
3. Les préceptes judiciaires intéressent les rapports avec le prochain comme les préceptes cérémoniels concernent les rapports avec Dieu, on l'a dit plus haut. Or plusieurs préceptes cérémoniels n'imposent de devoirs qu'envers soi-même, par exemple les observances alimentaires et vestimentaires ; il s'ensuit que la référence au prochain n'est pas le trait décisif pour définir les préceptes judiciaires.
En sens contraire, Ézéchiel (Ézéchiel 18.8) mentionne, parmi les œuvres du juste, que celui-ci « juge selon la vérité entre un homme et un homme ». Si les préceptes judiciaires tirent leur nom du jugement, on peut ainsi désigner les préceptes qui règlent les rapports des hommes entre eux.
Réponse
Comme on l'a dit précédemment, il y a en toute législation des préceptes qui ont force obligatoire par la seule dictée de la raison, parce que la raison naturelle décide que ceci doit être fait ou évité. De tels préceptes sont appelés moraux, parce que les mœurs humaines se définissent par la raison. D'autres préceptes tiennent leur force obligatoire, non pas du verdict même de la raison, parce que, considérés en eux-mêmes, ils n'impliquent pas essentiellement la notion du dû ou de l'indu ; mais ils tiennent leur force obligatoire du fait de leur institution divine ou humaine. Et telles sont certaines déterminations des préceptes moraux. Donc, si ces déterminations des préceptes moraux sont imposées par Dieu touchant les rapports avec Dieu, on les appelle préceptes cérémoniels. — Mais s'il s'agit d'ordonner les rapports des hommes entre eux, on les appelle préceptes judiciaires. Deux traits définissent donc les préceptes judiciaires : ils règlent les rapports des hommes entre eux, et ils tiennent leur force obligatoire non de la seule raison, mais du fait de leur institution.
Solutions
1. Les jugements sont rendus par l'autorité de tel ou tel souverain ayant pouvoir de justicier. Mais ce souverain n'a pas seulement à connaître des litiges ; il s'occupe aussi des engagements contractuels passés entre particuliers, et de tout ce qui intéresse la communauté et son gouvernement. On appelle donc judiciaires non seulement les préceptes qui ont trait au contentieux, mais encore tous ceux qui concernent les rapports sociaux, dont le prince est l'ordonnateur en qualité de juge suprême.
2. L'argument allégué n'atteint que les préceptes relatifs au prochain dont toute la force d'obligation procède d'une dictée de la raison.
3. Même dans nos rapports avec Dieu, il y a des devoirs moraux, dictés par la raison informée par la foi, par exemple que nous devons aimer et adorer Dieu. Et il y a d'autre part des prescriptions cérémonielles qui obligent en vertu d'une institution positive divine. Cependant les devoirs envers Dieu ne comportent pas seulement les sacrifices qu'on lui offre, ils incluent tout ce qui peut mettre dans les dispositions voulues pour faire des offrandes et rendre un culte à Dieu. En effet, Dieu est la fin de l'homme, et c'est pourquoi il appartient au culte divin et par suite aux préceptes cérémonials que l'homme possède l'aptitude requise pour servir Dieu. En revanche, le prochain n'est pas la fin de l'homme, et il n'y a pas lieu pour celui-ci de se régler antérieurement en fonction du prochain. Ce serait une attitude servile, s'il est vrai, comme dit Aristote, que l'esclave « en ce qu'il est, est la chose du maître ». Voilà pourquoi les règles concernant l'homme en lui-même ne relèvent pas des préceptes judiciaires, mais ont toutes un caractère moral parce que la raison, qui est le principe des mœurs humaines, joue dans l'homme, par rapport à tout ce qui l'intéresse personnellement, le même rôle que le prince ou le juge dans la cité. — Il convient cependant de noter que le comportement de l'homme à l'égard du prochain dépend plus de la raison que son attitude envers Dieu et que, par suite, les préceptes moraux qui règlent les rapports de l'homme avec le prochain sont plus nombreux que ceux qui règlent les rapports de l'homme avec Dieu. C'est pourquoi d'ailleurs il y a dans la loi plus de prescriptions cérémonielles que de prescriptions judiciaires.
Objections
1. Ce qui paraît être le propre des préceptes cérémoniels, c'est d'avoir été institués pour figurer une réalité. Donc, si les préceptes judiciaires étaient figuratifs, eux aussi, il n'y aurait pas de différence entre préceptes judiciaires et préceptes cérémoniels.
2. Comme les Juifs, les païens ont reçu des préceptes judiciaires, et ceux-ci, sans rien figurer, ordonnent ce qu'il faut faire. Il semble donc que les préceptes judiciaires de la loi ancienne n'étaient pas non plus figuratifs.
3. L'expression figurée s'imposait en matière de culte divin parce que les réalités divines dépassent notre raison, on l'a remarqué. Mais quand il s'agit du prochain, notre raison suffit. Les préceptes judiciaires qui règlent nos rapports avec le prochain ne devaient donc avoir aucune portée figurative.
En sens contraire, il est de fait qu'on interprète les préceptes judiciaires du chapitre 21 de l'Exode en un sens allégorique et moral.
Réponse
Un précepte peut être figuratif d'une manière immédiate et essentielle, s'il est institué premièrement pour figurer quelque chose. C'est le cas des préceptes cérémonials qui sont figuratifs parce qu'ils ont été institués principalement pour figurer quelque aspect du culte de Dieu et du mystère du Christ. — Il y a aussi des préceptes qui ne sont pas figuratifs en ce sens immédiat et essentiel, mais secondairement, et c'est ainsi que les préceptes judiciaires de la loi ancienne sont figuratifs. Ce n'est pas en effet pour jouer le rôle de figures qu'ils ont été institués, mais pour organiser selon la justice et l'équité la condition du peuple d'Israël. Seulement, ces préceptes avaient une portée figurative secondaire, dans la mesure où la condition de ce peuple, organisée selon ces préceptes, avait dans son ensemble une valeur figurative, selon le mot de S. Paul (1 Corinthiens 10.11) : « Tout leur arrivait en figure. »
Solutions
1. Cela prouve que les préceptes cérémonials ne sont pas figuratifs exactement au même titre que les préceptes judiciaires, on vient de le dire.
2. Le peuple juif avait été choisi par Dieu pour donner le jour au Christ. C'est pour cela, au dire de S. Augustin, que toute la manière de vivre de ce peuple était prophétique et figurative et que même les préceptes judiciaires imposés aux Juifs ont un sens figuratif qui les distingue des préceptes judiciaires imposés aux autres peuples. C'est ainsi du reste qu'on interprète au sens figuratif et mystique les guerres et les exploits de ce peuple, contrairement aux guerres et aux exploits des Assyriens et des Romains, qui sont pourtant beaucoup plus célèbres du point de vue humain.
3. Le règlement des rapports sociaux en Israël était, de soi, du ressort de la raison. Mais dans la mesure où il intéressait le culte de Dieu il dépassait la raison, et c'est par là qu'il avait un caractère figuratif.
Objections
1. Il semble que les préceptes judiciaires de la loi ancienne obligeaient à perpétuité. En effet, le jugement étant la mise en œuvre de la justice, les préceptes judiciaires sont liés à la vertu de justice. Or, selon le livre de la Sagesse (Sagesse 1.15), « la justice est éternelle et ne meurt pas ». Les préceptes judiciaires obligent donc pour tous les temps.
2. Ce qui est institué par Dieu a plus de stabilité que ce qui est œuvre humaine. Or les préceptes judiciaires des lois humaines obligent sans limite de durée. À beaucoup plus forte raison les préceptes judiciaires de la loi divine.
3. Selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 7.18), « c'est à cause de son impuissance et de son inutilité que fut abrogée la législation ancienne ». Cela est vrai du statut cérémoniel « qui ne pouvait rendre parfait dans sa conscience celui qui s'en tenait aux observances d'aliments, de boissons, d'ablutions diverses et de justice charnelles ». Mais les préceptes judiciaires ne manquaient ni d'utilité ni d'efficacité pour leur but, c'est-à-dire pour l'établissement de la justice et de l'équité parmi les hommes. Les préceptes judiciaires ne sont donc pas abolis, mais gardent leur force.
En sens contraire, on lit aussi (Hébreux 7.12) : « Si le sacerdoce est passé, la loi passe inévitablement. » Le sacerdoce étant passé d'Aaron au Christ, toute la loi est passée avec lui, et les préceptes judiciaires sont désormais sans force obligatoire.
Réponses
Les préceptes judiciaires ne furent en vigueur que pour un temps, et ils ont été vidés de leur sens à l'avènement du Christ, mais en un autre sens que les préceptes cérémonials. Car ceux-ci furent abrogés de telle sorte que non seulement ils sont morts, mais qu'ils tuent ceux qui les observent depuis le Christ et surtout depuis la diffusion de l'Évangile. Tandis que les préceptes judiciaires sont bien morts, n'ayant plus de force obligatoire, mais toutefois ils ne tuent pas, et un prince pourrait sans pécher mettre en vigueur dans son royaume ces dispositions judiciaires ; à moins cependant qu'on ne les impose ou qu'on ne les observe comme des obligations tenant leur force de la loi ancienne. Ils tueraient si on les observait dans cet esprit.
Et cette différence s'explique si l'on se rappelle que les préceptes cérémoniels sont immédiatement et essentiellement figuratifs, étant institués au premier chef pour figurer les mystères du Christ à venir. On ne peut donc les observer sans attenter à la vérité de notre foi qui nous fait confesser ces mystères comme déjà accomplis. — Au contraire, les préceptes judiciaires n'ont pas été institués pour jouer le rôle de figures, mais pour organiser le statut de ce peuple qui préparait le Christ. Aussi, quand la venue du Christ modifia ce statut, les préceptes judiciaires perdirent leur force obligatoire, et c'est ce que veut dire S. Paul (Galates 3.24), lorsqu'il compare la loi à un pédagogue conduisant au Christ. Seulement, comme les préceptes judiciaires ne sont pas destinés à figurer mais à faire faire quelque chose, on ne lèse pas la vérité si on les observe tels quels. C'est l'intention de les observer comme une obligation légale qui porterait atteinte à la vérité de la foi, car on signifierait ainsi que le statut du peuple ancien dure toujours et que le Christ n'est pas encore venu.
Solutions
1. Certes, la justice doit toujours être sauvegardée, mais la définition de ce qui est juste, en vertu de l'institution positive divine ou humaine, change nécessairement si la condition des hommes se modifie.
2. Les préceptes judiciaires d'institution humaine demeurent perpétuellement en vigueur, tant que se maintient le régime établi. Mais, si la cité ou la nation inaugurent un nouvel ordre politique, les lois doivent être modifiées. Celles qui valent dans une démocratie, où le pouvoir appartient au peuple, ne valent pas dans une oligarchie, où le pouvoir appartient aux riches; ce point a été mis en lumière par le Philosophes. Il fallait donc, le statut du peuple juif ayant changé, modifier aussi les préceptes judiciaires.
3. Ces préceptes judiciaires faisaient régner dans le peuple la justice et l'équité, mais selon les exigences de sa condition d'alors. Celle-ci a dû changer après le Christ, au point qu'il n'y a plus dans le Christ, à distinguer les Juifs des païens, comme on le faisait auparavant. Il s'ensuit qu'un changement des préceptes judiciaires était nécessaire.
Objections
1. Les préceptes judiciaires ne semblent pas susceptibles d'une classification ferme. Ils règlent en effet les rapports sociaux ; mais tous les points qui, dans l'intérêt des hommes, demandent un règlement, échappent aux classifications tranchées, car ils sont en nombre infini. Il n'y a donc pas moyen de fixer une répartition des préceptes judiciaires.
2. Les préceptes judiciaires apportent une détermination aux préceptes moraux. Mais on ne peut classer ceux-ci sans les ramener à l'ordre du décalogue. Les préceptes judiciaires ne sont donc pas susceptibles d'un classement particulier.
3. Parce que les préceptes cérémonials comportent des catégories définies, la loi suggère leur répartition en mentionnant les sacrifices et les observances. Comme elle ne propose rien de tel touchant les préceptes judiciaires, c'est que ceux-ci ne se répartissent pas en catégories définies.
En sens contraire, tout ordre implique distinction. L'idée d'ordre étant inséparable des préceptes judiciaires, précisément institués pour faire régner l'ordre dans le temple juif, ces préceptes doivent se prêter éminemment à une distinction précise.
Réponse
La loi est en quelque sorte l'art d'organiser et de régler la vie humaine. Or, si nous considérons un art quelconque, nous en voyons les règles s'ordonner en catégories distinctes ; de même faut-il que toute loi organise ses préceptes selon un ordre dé par sa confusion même. Il y a donc lieu d'affirmer que les préceptes judiciaires de la loi ancienne, destinés à régler les rapports sociaux, s'organisent en catégories tenant à la structure même de l'organisation sociale.
Or l'organisation sociale d'un peuple comporte quatre éléments : d'abord, les rapports entre chefs et sujets ; puis, les rapports de sujets à sujets ; ensuite, les rapports entre citoyens et étrangers, et enfin les rapports domestiques, du père au fils, de l'épouse au mari, du maître au serviteur. Voilà les quatre divisions entre lesquelles peuvent se répartir les préceptes judiciaires de la loi ancienne. Il y a en effet des préceptes touchant la désignation des chefs, leurs fonctions, le respect qui leur est dû ; c'est la première classe des préceptes judiciaires. — Il y en a d'autres qui regardent les relations entre concitoyens, par exemple en matière de ventes, de procès, de peines, et c'est la seconde classe des préceptes judiciaires. — Il y a encore des préceptes qui traitent des étrangers, comme à propos de la belligérance contre les ennemis ou de la réception des voyageurs et des étrangers; c'est la troisième classe. — Enfin la loi comporte certains préceptes intéressant la vie domestique, touchant les esclaves, les femmes, les enfants, ce qui forme la quatrième classe de préceptes judiciaires.
Solutions
1. Tout en étant en nombre infini, les exigences de l'ordre social n'en peuvent pas moins se ramener à quelques points fermes, en rapport avec les éléments de l'organisation sociale.
2. On a vu que les préceptes du décalogue sont fondamentaux dans l'ordre moral ; il est donc juste d'organiser autour d'eux le classement des autres préceptes moraux. Mais les préceptes cérémonials et judiciaires, qui tirent leur force obligatoire de leur seule institution positive et non de la raison naturelle, ont un autre fondement. Il faut donc chercher ailleurs leur principe de distinction.
3. Par le contenu même des prescriptions légales formulées dans les préceptes judiciaires, la loi suggère suffisamment la distinction entre ces préceptes.