- Les préceptes judiciaires concernant les gouvernants.
- Ceux qui concernent les rapports entre citoyens.
- Ceux qui concernent les étrangers.
- Ceux qui concernent la vie domestique.
Objections
1. Il semble que la loi ancienne a mal légiféré au sujet des princes. En effet, Aristote dit que « le régime politique dépend avant tout du pouvoir dominant ». Or il ne se trouve dans la loi aucune règle relative à l'institution du souverain, tandis qu'il y est question des autorités subalternes, comme dans ce passage (Exode 28.21 s) : « Choisis dans l'ensemble du peuple des hommes habiles etc. » ; ou encore dans les Nombres (Nombres 11.16 s) : « Rassemble-moi soixante dix hommes d'entre les anciens d'Israël » ; ou dans ce texte (Deutéronome 1.13 s) : « Prenez parmi vous des hommes habiles et capables etc. » Bref, il y a une lacune dans les institutions politiques de la loi ancienne.
2. « Le parfait, au gré de Platon, ne peut rien faire que de parfait. » Or le régime parfait pour une cité ou un peuple quelconque est le gouvernement royal parce qu'il reproduit le mieux le gouvernement divin, par lequel un seul Dieu dirige l'univers. C'est donc dès le principe que la loi aurait dû mettre un roi à la tête du peuple, au lieu de laisser celui-ci en décider à son gré, selon la permission du Deutéronome (Deutéronome 17.14 s) : « Si tu dis : je vais mettre un roi sur moi, tu le mettras, etc. »
3. « Tout royaume divisé antérieurement devient un désert », lit-on en S. Matthieu (Matthieu 12.25), mais l'expérience l'avait vérifié avec éclat dans l'histoire du peuple juif, pour qui la division du royaume fut une cause de ruine. Or une loi doit viser avant tout à assurer les conditions du salut public. Ainsi le partage du royaume entre deux rois aurait dû être interdit par la loi, bien loin d'être l'effet d'une initiative divine; mais selon le premier livre des Rois (1 Rois 11.29 s) cette nouveauté fut annoncée par le prophète Ahia de Silo sur l'ordre de Dieu.
4. De même que les prêtres sont établis dans l'intérêt du peuple en ce qui regarde Dieu, comme il ressort du chapitre 5 de l'épître aux Hébreux, de même les princes sont établis au profit du peuple dans les affaires humaines. Mais aux prêtres et aux lévites dont parle la loi sont assignées certaines ressources devant assurer leur subsistance, dîmes, prémices et le reste; pareillement, des dispositions auraient dû être prises pour l'entretien des chefs du peuple, d'autant plus qu'il leur était interdit d'accepter des présents, selon l'Exode (Exode 23.8) : « Vous n'accepterez pas de présents, car les présents aveuglent les gens clairvoyants et ruinent les causes des justes. » Si la royauté est la meilleure forme de gouvernement, la tyrannie en est la pire déformation. Or, dès l'institution, le Seigneur a investi le roi d'un pouvoir tyrannique : « Voici le pouvoir du roi qui va régner sur vous : il emmènera vos jeunes gens etc. » (1 Samuel 8.11 s). Donc, en ce qui concerne le statut des chefs, les dispositions de la loi n'étaient pas satisfaisantes.
En sens contraire, le livre des Nombres (Nombres 24.5) fait l'éloge du peuple d'Israël pour son organisation sans défaut : « Qu'elles sont belles tes tentes, Jacob, et tes demeures, Israël ! » Or la beauté d'un établissement politique tient à une bonne organisation des pouvoirs. La loi assura donc au peuple cette bonne organisation.
Réponse
Deux points sont à observer dans la bonne organisation du gouvernement d'une cité ou d'une nation. D'abord que tout le monde participe plus ou moins au gouvernement, car il y a là, selon le deuxième livre des Politiques, une garantie de paix civile, et tous chérissent et soutiennent un tel état de choses. L'autre point concerne la forme du régime ou de l'organisation des pouvoirs; on sait qu'il en est plusieurs, distinguées par Aristote, mais les plus remarquables sont la royauté, ou domination d'un seul selon la vertu, et l'aristocratie, c'est-à-dire le gouvernement des meilleurs, ou domination d'un petit nombre selon la vertu. Voici donc l'organisation la meilleure pour le gouvernement d'une cité ou d'un royaume : à la tête est placé, en raison de sa vertu, un chef unique ayant autorité sur tous ; puis viennent un certain nombre de chefs subalternes, qualifiés par leur vertu ; et cependant la multitude n'est pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la possibilité d'être élus et tous étant d'autre part électeurs. Tel est le régime parfait, heureusement mélangé de monarchie par la prééminence d'un seul, d'aristocratie par la multiplicité de chefs vertueusement qualifiés, de démocratie enfin ou de pouvoir populaire du fait que de simples citoyens peuvent être choisis comme chefs, et que le choix des chefs appartient au peuple.
Et tel fut le régime institué par la loi divine. En effet, Moïse et ses successeurs gouvernaient le peuple en qualité de chefs uniques et universels, ce qui est une caractéristique de la royauté. Mais les soixante-douze anciens étaient élus en raison de leur mérite (Deutéronome 1.15) : « Je pris dans vos tribus des hommes sages et considérés, et je les établis comme chefs » ; voilà l'élément d'aristocratie. Quant à la démocratie, elle s'affirmait en ce que les chefs étaient pris dans l'ensemble du peuple, (Exode 18.21) : « Choisis parmi tout le peuple des hommes capables etc. » ; et que le peuple aussi les désignait (Deutéronome 1.13) : « Présentez, pris parmi vous, des hommes sages. » L'excellence des dispositions légales est donc incontestable en ce qui touche à l'organisation des pouvoirs.
Solutions
1. Dieu gouvernait ce peuples avec une sollicitude particulière (Deutéronome 7.6) : « Le Seigneur ton Dieu t'a choisi pour être son peuple particulier. » Pour ce motif, le Seigneur s'est réservé d'instituer lui-même le chef suprême, à la prière de Moïse : « Que le Seigneur, le Dieu des esprits de toute chair, place un homme à la tête de cette multitude » (Nombres 27.16). Effectivement, c'est sur l'ordre de Dieu que Josué fut promu au premier rang, comme successeur de Moïse et, à propos de chacun des juges qui parurent après Josué, l'Écriture déclare que « Dieu suscita un sauveur à son peuple » et que « l'Esprit du Seigneur était en eux », ainsi par exemple au livre des Juges (Juges 3.9-15). Toujours pour le même motif, le Seigneur n'abandonna pas au peuple mais se réserva le choix du roi, (Deutéronome 17.15) : « Le roi que tu établiras, c'est celui que le Seigneur aura choisi. »
2. La royauté est la forme la meilleure de gouvernement, si elle reste saine ; mais elle dégénère facilement en tyrannie, à cause du pouvoir considérable qui est attribué au roi, si celui qui détient un tel pouvoir n'a pas une vertu parfaite, comme dit Aristote : « Il n'appartient qu'au vertueux de soutenir comme il faut les faveurs de la fortune. » Or la vertu parfaite est rare ; les Juifs étaient particulièrement cruels et enclins à la rapacité, et c'est par ces vices surtout que les hommes versent dans la tyrannie. C'est pourquoi le Seigneur ne leur assigna pas dès le début un roi revêtu de l'autorité souveraine, mais un juge et un gouverneur qui veillât sur eux. C'est plus tard, à la demande du peuple et comme sous le coup de la colère, qu'il leur accorda un roi, disant clairement à Samuel, (1 Samuel 8.7) : « Ce n'est pas toi qu'ils ont écarté, c'est moi, ne supportant plus que je règne sur eux. »
Dès le début toutefois, Dieu a posé quelques règles concernant la royauté, et d'abord la manière de désigner le roi, avec cette double clause que dans le choix du roi on aurait recours au jugement du Seigneur, et qu'on ne prendrait pas pour roi un étranger, parce que les rois de cette sorte ont coutume de ne s'attacher guère aux gens qui leur sont soumis et, par conséquent, de ne pas s'occuper d'eux. — Ensuite, Dieu détermina quelle serait, les rois une fois établis, leur situation personnelle, limitant le nombre de leurs chars et de leurs chevaux et aussi de leurs femmes, ainsi que l'étendue de leurs richesses, car c'est par de telles convoitises que les princes sont amenés à verser dans la tyrannie et à s'écarter de la justice. Puis fut réglée leur attitude à l'égard de Dieu toujours ils auraient à lire et à méditer sa loi, remplis sans cesse de crainte et d'obéissance. — Enfin, envers leurs sujets, ils n'affecteraient pas un mépris superbe, se garderaient de les opprimer et ne s'écarteraient pas de la justice.
3. Si le royaume fut divisé et s'il y eut plusieurs rois, ce fut moins dans l'intérêt du peuple que pour châtier ses révoltes fréquentes, celle surtout qu'il opposa au juste gouvernement de David. Ainsi s'explique, en Osée (Osée 13.11), l'oracle porté contre Israël : « Dans ma fureur je te donnerai un roi », et, dans le même livre (Osée 8.4), ce reproche : « Ils ont fait des rois sans moi, ils ont établi des chefs à mon insu. »
4. L'accès au sacerdoce était héréditaire. Et cela pour qu'il soit davantage honoré, puisque n'importe quel homme du peuple ne pouvait devenir prêtre, ce qui tournait à l'honneur du culte divin. Mais, de ce fait, il fallut assigner à l'entretien du clergé des ressources particulières, tirées des dîmes ou des prémices ou encore des offrandes et des sacrifices. Les princes, eux, on l'a dit, étaient pris dans l'ensemble de la population ; des biens leur étaient donc assurés en propriété et leur permettaient de vivre. D'autant plus que, même chez le roi, le Seigneur interdisait richesses et faste excessifs. D'abord parce qu'il était difficile de ne pas en tirer occasion d'orgueil et de tyrannie ; en outre, la fortune des gouvernants étant modeste et leur présidence pleine de labeurs et de soucis, ils ne risquaient guère d'être enviés par les simples citoyens, et ainsi s'éloignait un sujet de révolte.
5. En fondant l'institution, Dieu ne donnait pas au roi un tel droit. C'est plutôt l'annonce du droit inique usurpé par des rois dégénérés en tyrans et en spoliateurs de leurs sujets. La suite du texte (1 Samuel 8.17) ne permet pas d'en douter : « Et vous serez leurs esclaves » ; c'est le caractère même de la tyrannie, puisque les tyrans traitent leurs sujets en esclaves. En parlant ainsi, Samuel voulait donc dissuader le peuple de réclamer un roi ; on lit d'ailleurs un peu plus loin (1 Samuel 8.19) : « Mais le peuple refusa d'écouter la voix de Samuel. » — Malgré tout, il peut arriver, même à un bon roi exempt de tyrannie, d'enrôler les jeunes gens, de désigner des chefs de mille et des chefs de cinquante et d'imposer force contributions à ses sujets, en vue d'assurer le bien commun.
Objections
1. La paix sociale est impossible si l'on s'empare du bien d'autrui. Or la loi à l'air d'admettre cet abus, si l'on en juge d'après le Deutéronome (Deutéronome 23.24) : « Entre dans la vigne de ton prochain, mange du raisin autant qu'il te plaira. » Ainsi la loi n'assurait pas convenablement la paix sociale.
2. D'après Aristote, ce qui mène à la ruine tant de cités et de royaumes, c'est surtout le fait que les héritages tombent aux mains des femmes. Or cette règle fut admise par la loi, (Nombres 17.8) : « Si quelqu'un meurt sans laisser de fils, l'héritage ira à sa fille. » La loi n'a donc pas assuré comme il convenait le bien public.
3. Aristote enseigne encore que la société humaine se maintient surtout par le commerce, qui permet aux hommes d'échanger entre eux les biens nécessaires. Mais la loi ancienne a détruit la force du contrat de vente, en décidant que le fonds vendu devrait faire retour au vendeur lors de la cinquantième année, celle du jubilé (Lévitique 24). Il y a donc, sur ce point, quelque chose qui pèche dans les institutions légales de ce peuple.
4. Il est fort utile à l'intérêt public que les prêts soient consentis facilement. Or cette facilité disparaît si les emprunteurs ne rendent pas ce qu'ils ont reçu, comme l'observe l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 29.10) : « Ce n'est pas par méchanceté que beaucoup refusent de prêter, mais ils craignent d'être spoliés en pure perte. » C'est pourtant ce que la loi admet. Tout d'abord, le Deutéronome (Deutéronome 15.2) décide ceci : « Si quelqu'un est le créancier de son ami, de son proche ou de son frère, il ne pourra réclamer son dû, parce que c'est l'année de rémission du Seigneur. » Et l'Exode (Exode 22.14) dispense l'emprunteur de rendre l'animal prêté qui est mort en présence du propriétaire. En second lieu, on prive le prêt de la garantie que lui procure le gage ; on lit en effet dans le Deutéronome (Deutéronome 24.10) : « Quand tu revendiqueras l'objet que te doit ton prochain, tu n'entreras pas dans sa maison pour y prendre un gage » ; et ceci encore (Deutéronome 24.12 s) : « Le gage ne demeurera pas chez toi pendant la nuit, mais tu le rendras sur l'heure. » Les dispositions de la loi en matière de prêts sont donc insuffisantes.
5. Le détournement des dépôts présente un danger particulièrement menaçant et appelle donc des précautions toutes spéciales ; c'est du reste pour cela que le deuxième livre des Maccabées (1 Maccabées 3.15) rapporte que « les prêtres appelaient l'aide du ciel pour que Celui qui a institué la loi sur les dépôts conservât ces biens intacts à ceux qui les avaient déposés ». Or, sur cet article, les préceptes de la loi ancienne offrent peu de sécurité, puisque selon l'Exode (Exode 22.10 s), en cas de disparition d'un dépôt, on s'en tient au serment du dépositaire. Voilà une disposition légale peu satisfaisante.
6. Le journalier loue ses services exactement comme d'autres louent une maison ou tout autre objet analogue. Mais il n'y a aucune nécessité que le locataire s'acquitte sur l'heure de son loyer. Il y a donc une rigueur excessive dans cette prescription du Lévitique (Lévitique 19:13) : « Le salaire de ton ouvrier ne restera pas chez toi jusqu'au lendemain. »
7. Comme la nécessité d'ester en justice se présente souvent, le recours au juge doit être facile. La loi eut donc tort de décider, dans le Deutéronome (Deutéronome 17.8 s), que tous s'adresseraient à un siège unique pour le règlement de leurs affaires.
8. Il peut arriver que non seulement deux personnes, mais trois ou davantage s'entendent pour mentir. On ne peut donc se contenter de cette règle (Deutéronome 19.15) : « Sur la parole de deux ou trois témoins, toute affaire sera terminée. »
9. La peine doit être pesée d'après la gravité de la faute, c'est l'idée qui se dégage de ce texte (Deutéronome 25.2) : « À la mesure du péché le nombre des coups. » Mais à égalité de fautes la loi ordonne parfois des peines inégales. Ainsi l'Exode (Exode 22.1) veut que le voleur rende cinq bœufs pour un bœuf, et quatre brebis pour une brebis. De même, des manquements relativement légers sont sanctionnés par une peine grave : ainsi d'après les Nombres (Nombres 15.32 s) quelqu'un qui avait ramassé du bois le jour du sabbat fut lapidé. Le Deutéronome encore (Deutéronome 21.18 s) nous apprend que le fils indocile, en raison de délits peu importants, en fait parce qu'il s'adonnait aux banquets et aux orgies, est condamné à la lapidation. La tarification légale des peines n'est donc pas satisfaisante.
10. D'après S. Augustin, « Cicéron dénombre dans les lois huit sortes de peines : l'amende, les fers, les coups, le talion, l'infamie, l'exil, la mort et l'esclavage. » La loi en connaît quelques-unes : l'amende, comme par exemple la condamnation du voleur au quintuple ou au quadruple; les fers, signalés en ce passage du livre des Nombres (Nombres 15.34) qui prescrit de mettre quelqu'un en prison ; le Deutéronome prévoit aussi les coups (Deutéronome 25.2) : « Si le coupable mérite d'être battu, les juges le feront étendre par terre et battre en leur présence » ; était noté d'infamie celui qui refusait d'agréer la femme de son frère défunt, celle-ci le déchaussant et lui crachant au visage ; la mort également était prévue par la loi (Lévitique 20.9) : « Quiconque maudit son père ou sa mère sera puni de mort. » Enfin la loi a admis la peine du talion, puisqu'on lit (Exode 21.24) : « Œil pour œil, dent pour dent. » On ne s'explique donc pas que la loi ancienne ait omis d'infliger les deux autres peines, l'exil et l'esclavage.
11. Seuls les coupables doivent être punis. Les animaux sans raison ne pouvant être coupables, c'est à tort que l'Exode (Exode 21.28 s) leur inflige un châtiment : « Le bœuf qui a tué un homme ou une femme sera lapidé » ; et aussi le Lévitique (Lévitique 20.16) : « Si une a eu des rapports avec une bête, on tuera tout ensemble la femme et l'animal. » D'où il apparaît que les dispositions de la loi ancienne relatives aux rapports sociaux ne sont pas satisfaisantes.
12. Enfin, selon l'Exode (Exode 21.12), le Seigneur a prescrit que l'homicide serait puni de mort d'homme. Mais la mort d'un animal sans raison ayant beaucoup moins de prix que la mort d'un homme, il ne saurait suffire de frapper un animal sans raison pour compenser l'homicide. On ne peut donc approuver les dispositions du Deutéronome (Deutéronome 21) « pour le cas où l'on découvre le cadavre de la victime sans connaître le meurtrier : les anciens de la ville la plus proche prendront au troupeau une génisse qui n'a pas encore porté le joug ni tiré la charrue, ils la mèneront dans une vallée sauvage et rocailleuse qui n'a encore reçu ni culture ni semences, et là ils lui briseront la nuque ».
En sens contraire, c'est le souvenir d'un bienfait signalé qu'évoque ce verset du Psaume (Psaumes 147) : « Il n'a pas agi de la sorte avec le reste des nations, il ne leur a pas manifesté ses ordonnances. »
Réponse
S. Augustin cite cette définition du peuple par Cicéron : « C'est la multitude rassemblée par les liens de l'unité de droit et de la communauté d'intérêts. » Cela suppose essentiellement entre les citoyens des rapports réglés par de justes lois. Mais entre les citoyens il y a deux sortes de rapports : les uns sont fondés sur l'autorité publique, les autres sur la volonté individuelle des particuliers. Et nulle volonté ne peut s'exercer que dans les limites de son pouvoir, il faut réserver à l'autorité publique, qui a pouvoir sur les personnes, la connaissance des litiges entre particuliers et le châtiment des malfaiteurs. Au contraire, les particuliers ont pouvoir sur leurs biens ; ils peuvent donc, à cet égard, traiter librement entre eux, par exemple acheter, vendre, faire donation, etc.
Ces deux sortes de rapports ont été convenablement réglés par la loi. Elle a établi des juges (Deutéronome 16.18) : « Tu établiras des juges et des greffiers dans toutes les villes, et ils jugeront le peuple avec justice. » Elle a établi une procédure équitable : « Jugez selon la justice : qu'il s'agisse d'un compatriote ou d'un étranger, qu'il n'y ait pas de différence entre les personnes » (Deutéronome 1.16-17). En interdisant aux juges de recevoir des présents, elle a coupé court à une occasion d'injustice (Exode 23.8 ; Deutéronome 16.19). Elle a fixé à deux ou trois le nombre des témoins (Deutéronome 17.6 ; 19.15). Enfin, on le verra plus loin, elle a prévu des peines déterminées selon la diversité des délits.
Quant aux biens, l'idéal, selon Aristote, est que les propriétés soient distinctes, mais que l'usage en soit partiellement commun et partiellement distribué par la volonté des propriétaires. Or ces trois principes se firent jour dans la loi. En premier lieu, les terres furent partagées entre les particuliers (Nombres 33.53 s) : « J'ai mis cette terre en votre possession ; vous vous la partagerez au sort. » Mais comme, au témoignage d’Aristote, l'inégalité des biens a conduit maints États à la ruine, la loi a préparé un triple remède à cet égard. Le premier consistait dans une répartition des terres exactement proportionnée au nombre de têtes : « Vous donnerez un héritage plus grand aux familles plus nombreuses, un héritage moindre aux moins nombreuses » (Nombres 33.54). Autre remède : les fonds n'étaient pas aliénables à perpétuité, mais revenaient au temps marqué à leur propriétaire, sans fusion des parts. Un troisième remède pour éviter ces accroissements, c'était la dévolution de l'héritage aux parents du défunt : au fils en premier lieu, puis à la fille, troisièmement aux frères, ensuite aux oncles paternels, enfin, en dernier lieu, à la parenté (Nombres 27.8 s). En outre, pour maintenir la répartition des patrimoines, la loi a établi que les filles héritières se marieraient dans leur tribu (Nombres 36.8).
En second lieu, la loi a établi dans une certaine mesure l'usage commun. Et tout d'abord, en ce qui concerne la gestion, le Deutéronome prescrit (Deutéronome 22.1-4) : « Si tu vois s'égarer le bœuf ou la brebis de ton frère, tu ne t'en détourneras pas, mais tu les ramèneras à ton frère. » On pourrait citer d'autres exemples. — Puis, en ce qui concerne la jouissance : tous en effet, sans exception, étaient autorisés à entrer dans la vigne d'un ami et à y manger du raisin, sans toutefois en emporter. À propos des pauvres en particulier, on devait leur abandonner les gerbes oubliées ainsi que les grappes et les fruits restants (Lévitique 19.9-10 ; Deutéronome 24.19-21). De même les produits de l’année sabbatique étaient mis en commun (Exode 23.11 ; Lévitique 25.4-7).
En troisième lieu, la loi a organisé une distribution effectuée par les propriétaires eux-mêmes : tantôt à titre purement gratuit (Deutéronome 14.28-29) : « Tous les trois ans, tu mettras à part une autre dîme, et le lévite, l'étranger, l'orphelin et la veuve viendront s'en nourrir et s'en rassasier » ; tantôt contre un avantage équivalent, dans le cas d'une vente, d'une location, d'un prêt ou d'un dépôt ; de tous ces actes, les conditions sont précisées par la loi. D'où il ressort clairement que la loi ancienne a convenablement réglé la vie sociale de ce peuple.
Solutions
1. L'Apôtre enseigne aux Romains (Romains 13.8) qu'en aimant le prochain on accomplit la loi. C'est que tous les préceptes de la loi, et notamment ceux qui regardent le prochain, apparaissent orientés vers ce but : que les hommes se portent une affection mutuelle. Or la direction incite les hommes à se communiquer leurs biens car, lisons-nous dans la première épître de S. Jean (1 Jean 3.17), « si quelqu'un voit son frère dans le besoin et lui ferme son cœur, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » Voilà pourquoi la loi tâchait d'accoutumer les gens à se faire part volontiers de leurs biens. L'Apôtre, (1 Timothée 6.18), enjoint lui aussi aux riches de distribuer et de partager libéralement. Or, interdire au prochain ces menus prélèvements qui ne lèsent guère le propriétaire, c'est manquer de libéralité. Aussi la loi a-t-elle ordonné qu'il serait loisible d'entrer dans la vigne du voisin et d'y manger des grappes ; toutefois, elle interdit d'en emporter, ne voulant pas donner par là prétexte à un dommage sérieux qui troublerait la paix sociale. Mais, entre gens raisonnables, ces légers grappillages, loin d'avoir un tel effet, mettent le sceau à l'amitié et entretiennent une atmosphère de libéralité.
2. C'est à défaut de descendance mâle que la loi a admis la succession des femmes aux biens paternels. Mais, dans ce cas, il était nécessaire d'accorder cette consolation à un père qui aurait trouvé pénible de voir son héritage passer entièrement à des étrangers. Toutefois, avec une juste circonspection, la loi imposait aux filles héritières des biens paternels le mariage avec un homme de leur propre tribu, de façon à maintenir distincts les lots de chaque tribu (Nombres 36).
3. Le salut de l'État ou de la nation est étroitement lié à l'équilibre des propriétés. Cette règle, formulée par Aristote explique selon lui pourquoi, en certaines cités de l'antiquité païenne, la constitution interdisait « la cession des patrimoines, hormis le cas d'une détresse évidente ». En effet, quand les propriétés peuvent être librement aliénées, elles risquent de se concentrer en quelques mains, et les habitants se voient obligés de quitter la cité ou le pays. Pour écarter ce danger, la loi ancienne a été conçue de telle sorte qu'il fût satisfait aux besoins de ses ressortissants, puisqu'elle admettait l'aliénation temporaire des fonds, mais sans encourir d'inconvénient puisque le fonds vendu devait à une certaine date faire retour au vendeur. Ces dispositions tendaient à empêcher la confusion des lots et à maintenir toujours identique leur exacte répartition entre les tribus.
Mais les immeubles urbains, n'étant pas lotis, prouvaient légalement être aliénés sans retour, tout comme les meubles. C'est que le nombre des habitations urbaines n'était pas fixé comme était définie la surface des domaines, qui n'était pas susceptible d'extension, tandis que l'on pouvait accroître le nombre des immeubles urbains. Quant aux maisons rurales, sises dans une campagne non close de murs, elles ne pouvaient être aliénées définitivement, attendu que ce genre de constructions n'est destiné qu'à l'exploitation et à la surveillance des domaines; aussi la loi a-t-elle pu les assimiler à ceux-ci dans sa réglementation.
4. On vient de le dire, la loi se proposait par ses prescriptions d'incliner les gens à s'entraider de bonne grâce dans leurs besoins, car il n'est rien qui stimule davantage l'amitié. Cette prompte assistance trouvait place non seulement dans les actes gratuits et de pure libéralité, mais aussi en matière d'échanges réciproques, d'autant que les interventions de ce genre sont plus fréquentes et s'imposent à plus de gens. La loi s'y est prise de bien des façons pour inculquer cette attitude obligeante.
D'abord on consentirait de bonne grâce les prêts de consommation, sans se laisser arrêter par la proximité de l’année de rémission (Deutéronome 15.7-11). De plus, en consentant un prêt de consommation, pour ne pas accabler l'emprunteur on ne stipulerait aucun intérêt, on ne saisirait pas en gage les objets indispensables à son existence, ou du moins on les lui restituerait au plus tôt. Tout cela est exprimé par le Deutéronome (Deutéronome 23.20) : « Tu ne feras pas à ton frère de prêt à intérêt » et encore (Deutéronome 24.6) : « Tu ne prendras pas en gage la meule de dessus ni la meule de dessous : ce serait t'emparer de sa vie même » ; et dans l'Exode (Exode 22.26) : « Si tu as pris en gage le vêtement de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. » — En troisième lieu, on ne ferait pas de réclamation importune, comme le veut l'Exode (Exode 22:25) : « Si tu as prêté de l'argent à un pauvre de mon peuple qui demeure avec toi, tu ne le harcèleras pas comme ferait un usurier. » Le Deutéronome prescrit dans le même sens (Deutéronome 24.10-11) : « Tandis que tu réclames à ton prochain ce qu'il te doit, tu n'entreras pas dans sa maison pour y saisir un gage, mais tu te tiendras à la porte et c'est lui qui t'apportera ce dont il peut disposer » ; car la maison étant pour chacun l'abri le plus sûr, il serait intolérable d'y être pourchassé ; d'ailleurs la loi n'admet pas que le créancier se saisisse d'un gage à sa convenance, mais plutôt que le débiteur offre ce dont il a un moindre besoin. — En quatrième lieu, la loi décida que tous les sept ans les dettes seraient remises intégralement. À ceux qui le pouvaient commodément, il convenait de s'acquitter avant la septième année, et de ne pas frustrer celui qui gracieusement leur avait prêté. Mais, s'ils étaient définitivement insolvables, on devait leur faire remise de leur dette pour ce même motif de direction qui exigeait qu'on leur donne à nouveau, en raison de leur indigence.
En ce qui concerne les animaux prêtés, la loi a décidé que l'emprunteur serait tenu à dédommagement, du fait de sa négligence, si en son absence les bêtes mouraient ou dépérissaient. Si au contraire elles étaient mortes ou avaient dépéri sous ses yeux et sous sa garde diligente, il n'y était pas tenu, et cela surtout s'il les avait en location ; car dans ces conditions les animaux risquaient aussi bien de mourir ou de dépérir entre les mains du propriétaire qui, par conséquent, eût tiré un avantage contraire à la nature du prêt gratuit, si la conservation de l'animal lui était ainsi garantie. Cette règle s'imposait tout spécialement à propos d'animaux loués, puisque dans ce cas le propriétaire recevait pour l'usage de ses bêtes une redevance déterminée, en sorte que nulle compensation supplémentaire n'était due en raison de la moins value, si les animaux avaient été gardés sans négligence. En revanche, s'il ne s'était agi que d'un prêt gratuit, un dédommagement aurait pu paraître équitable, au moins jusqu'à concurrence du loyer qu'on aurait pu tirer de l'animal perdu ou détérioré.
5. Entre le prêt et le dépôt il y a cette différence que le prêt se fait pour l'utilité de l'emprunteur, tandis que le dépôt est pour l'utilité du déposant. Voilà pourquoi, le cas échéant, on était plus exigeant pour la restitution de la chose prêtée que pour la restitution du dépôt. Or la disparition du dépôt pouvait se présenter de deux façons : soit à cause d'un fait inévitable qui pouvait être naturel, comme la mort ou l'affaiblissement de l'animal remis en dépôt, ou d'origine extérieure, si par exemple il était tombé entre les mains de l'ennemi ou sous la dent des fauves. Dans ce dernier cas, le dépositaire était bien tenu de présenter au propriétaire ce qui pouvait rester de l'animal, mais dans tous les autres cas il n'avait rien à restituer ; tout au plus, afin d'écarter le soupçon de fraude, était-il tenu de prêter serment. Mais en second lieu le dépôt pouvait disparaître à cause d'un fait qui aurait pu être évité, par exemple à raison d'un vol. Dans ce cas, pour sa négligence, le dépositaire était tenu à ré était tenu même si l'animal était mort ou avait dépéri en son absence. Il fallait en effet une faute plus grave pour engager la responsabilité du dépositaire, tenu seulement en cas de vol.
6. Les journaliers qui louent leurs bras étant des gens peu fortunés qui vivent au jour le jour de leur travail, la loi a sagement décidé que le salaire leur serait versé immédiatement, afin d'assurer leur subsistance. Au contraire, ceux qui mettent d'autres biens en location sont généralement dans l'aisance et ils n'ont pas un besoin aussi urgent de leurs loyers pour vivre au jour le jour. Ainsi les deux cas ne sont pas comparables.
7. Les juges sont établis dans une société pour déterminer les points de droit qui demeureraient douteux entre les parties. Or le doute peut se présenter à deux niveaux. Et tout d'abord aux yeux des simples. Pour le résoudre dans ce cas, il est prescrit que « des juges et des greffiers soient établis en chaque tribu pour juger le peuple selon la justice », dit le Deutéronome (Deutéronome 16.18). Mais le doute peut surgir aussi dans l'esprit des sages et alors, pour le lever, la loi impose à tous de recourir au chef-lieu désigné par Dieu; on devait y trouver d'une part un grand prêtre qualifié pour trancher les différends en matière de rites, et d'autre part un juge souverain pour ce qui touche les litiges privés, de même qu'aujourd'hui encore par voie d'appel ou de consultation, la connaissance des procès passe du juge inférieur au juge supérieur. C'est ce qu'exprime le texte allégué du Deutéronome (Deutéronome 17.8 s) : « Si une affaire te parait difficile et douteuse et si elle soulève un désaccord entre les juges dans ta ville, monte au lieu désigné par le Seigneur et adresse-toi aux prêtres lévites et au juge alors en fonction. » Les difficultés de cette sorte étant relativement rares, le système n'était pas trop onéreux pour le public.
8. Dans les affaires humaines où les démonstrations ne parviennent pas à une rigueur infaillible, on se contente de ces présomptions vraisemblables qu'un orateur sait rendre persuasives. Et donc, bien que deux ou trois témoins puissent s'entendre pour mentir, un tel accord n'est ni commun ni probable ; aussi tient-on pour véridique leur témoignage, surtout s'ils n'hésitent pas dans leur déposition et ne sont par ailleurs nullement suspects. De plus, pour que les témoins ne s'éloignent pas aisément de la vérité, la loi a prescrit de les contrôler avec le plus grand soin et de punir avec la dernière rigueur ceux qui seraient convaincus de mensonge (Deutéronome 19.16 s).
Pour expliquer davantage pourquoi ce nombre de témoins a été arrêté, remarquons qu'il symbolisait la vérité infaillible des personnes divines ; celles-ci en effet apparaissent tantôt au nombre de deux, le Saint-Esprit établissant un lien entre elles, tantôt explicitement au nombre de trois. C'est ainsi que S. Augustin commente cette parole en S. Jean (Jean 8.17) : « Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. » La gravité de la peine infligée ne tient pas seulement à la gravité de la faute, mais encore à d'autre motifs. Tels sont en premier lieu l'importance de l'infraction : si elle est grave, toutes choses égales d'ailleurs, elle mérite une peine plus lourde ; en deuxième lieu, le caractère habituel de l'infraction, car il n'est pas facile, sinon par des peines sévères, de détourner les hommes de leurs manquements habituels ; en troisième lieu, la vivacité de l'attrait ou du plaisir qu'offre l'acte défendu et qui fait qu'on s'en abstient difficilement, s'il n'est pas gravement puni. Enfin la facilité avec laquelle l'infraction peut être commise et tenue secrète exige que, si elle est découverte, les coupables soient plus fortement châtiés, pour l'intimidation des autres.
En ce qui concerne l'importance même de l'infraction, on notera quatre situations inégales, quand même il s'agirait d'un seul et même acte matériel. Le premier degré est celui d'une infraction commise involontairement. Alors, si l'acte est parfaitement involontaire, son auteur est exempté de tout châtiment ; c'est ainsi que le Deutéronome (Deutéronome 22.25 s) dispose que la fille qui est violentée en plein champ « n'est point passible de mort, car elle a crié à l'aide mais nul ne s'est trouvé là pour la délivrer. » Si la volonté est de quelque façon engagée, mais que le délinquant toutefois ait agi par faiblesse, notamment sous l'influence de la passion, le délit est atténué, et en toute justice la peine doit être moindre ; à moins cependant, répétons-le, que l'utilité commune ne requière une plus grande rigueur, de façon à détourner les gens de ce genre de fautes.
Le deuxième degré est celui d'un délit commis par ignorance. Dans ce cas le délinquant était considéré comme coupable pour avoir négligé de s'instruire ; toutefois il n'était pas puni par les juges, mais il devait expier sa faute par des sacrifices, selon le Lévitique (Lévitique 4.2 s) : « Lorsqu'un homme aura péché par erreur etc. » Du reste, il ne s'agit pas là de l'ignorance du précepte divin, que nul ne peut ignorer, mais d'une ignorance du fait.
Au troisième degré, nous trouvons le péché d'orgueil, c'est-à-dire celui qui était commis par détermination ferme et malice assurée. Dans ce cas la peine suivait l'importance du délit.
Au quatrième degré enfin se trouvait le pécheur cynique et obstiné. Alors, considéré comme un rebelle et un danger pour l'ordre public, il devait absolument être mis à mort.
En s'inspirant de ces principes, en répondra que dans la répression du vol, la loi prenait en considération la fréquence probable de chaque sorte d'infraction. Ainsi pour le vol de ces différents objets que l'on peut facilement soustraire aux entreprises d'un voleur, celui-ci ne restituait que le double. Mais les moutons qui paissent dans la campagne sont autrement difficiles à garder, et les vols de moutons se présentaient assez fréquemment ; la loi les assortit donc d'une peine plus forte qui consistait à rendre quatre têtes pour une. La garde des bovins est encore plus difficile car ils se tiennent aussi dans les champs, mais plus dispersés dans les pâturages que les troupeaux de moutons ; aussi la loi a-t-elle fixé une peine encore plus forte, à savoir la restitution au quintuple. Tout cela s'entend sauf le cas où la bête vivante aurait été retrouvée chez le voleur ; celui-ci ne restituait alors que le double, comme dans les vols ordinaires, parce qu'on pouvait présumer que le voleur l'avait laissée en vie dans l'intention de la rendre.
Ou bien, disons avec la Glose que l'on tire des bovins cinq sortes d'utilités: le sacrifice, le labour, la viande, le lait, le cuir ; voilà pourquoi pour une bête on en devait cinq. Mais la brebis ne présente que quatre utilités : le sacrifice, la viande, le lait, la laine. — Ce n'est pas parce qu'il festoyait que le fils insoumis était mis à mort, mais à cause de son opiniâtreté et de sa rébellion, crimes capitaux, on l'a dit. — Et celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat fut lapidé parce que la loi de l'observance du sabbat qu'il avait violée signifiait la foi en la création du monde : c'est donc pour son infidélité que cet homme fut mis à mort.
10. La loi ancienne infligeait la peine de mort pour certains crimes particulièrement graves : offenses contre Dieu, homicide, rapt, irrévérence envers les parents, adultère, inceste. Eue punissait de l'amende les autres vols. Aux coups et dommages corporels elle appliquait la peine du talion, ainsi qu'au crime de faux témoignage. Pour les autres délits de moindre gravité, les coupables étaient flagellés ou notés d'infamie.
La loi admit l'esclavage en deux cas. D'abord lorsqu'un esclave, au retour de la rémission septennale, refusait le bénéfice de la libération légale ; pour le punir, on l'obligeait à demeurer perpétuellement en esclavage. En second lieu, on voit dans l'Exode (Exode 22.3) que cette peine était infligée au voleur incapable de restituer. L'exil absolu n'a pas été admis comme peine légale. C'est que ce peuple était le seul à rendre un culte au vrai Dieu, tous les autres étant souillés d'idolâtrie ; l'homme qui aurait été définitivement exilé aurait donc été exposé à l'idolâtrie. Aussi le premier livre de Samuel (1 Samuel 26.19) rapporte-t-il cette protestation adressée par David à Saül : « Maudits ceux qui m'ont chassé aujourd'hui, pour m'empêcher de participer à l'héritage du Seigneur, en disant : “Va servir des dieux étrangers.” » Il y avait toutefois un exil relatif, puisque le Deutéronome (Deutéronome 19.4) nous apprend que « celui qui avait tué son prochain par mégarde et sans avoir été son ennemi avéré » se rendait à l'une des villes de refuge et y demeurait jusqu'à la mort du grand prêtre. À ce moment il lui était permis de rentrer chez lui ; un deuil public ayant pour effet ordinaire d'apaiser les ressentiments privés, les parents du mort étaient moins tentés de mettre à mort le meurtrier.
11. On prescrivait la mise à mort des animaux, non à cause d'une faute quelconque de leur part, mais pour punir les propriétaires qui auraient dû les surveiller et les empêcher de commettre pareils méfaits. Aussi le propriétaire était-il puni plus légèrement si le taureau était devenu furieux à l'improviste que si l'animal avait déjà frappé de la corne la veille ou l'avant-veille, circonstance qui permettait de prévoir le danger. — D'autre part abattre l'animal c'était réprouver son acte détestable et épargner à l'entourage certaine impression d'effroi que sa vue eût pu provoquer.
12. Voici la raison littérale de ce commandement selon Maïmonide. Le meurtrier appartient d'ordinaire à une cité du voisinage ; aussi l'abattage de la génisse avait pour but de faire la lumière sur un meurtre clandestin. Le but était atteint de trois manières : d'abord les anciens juraient qu'ils n'avaient rien négligé pour la sûreté des chemins ; d'autre part le propriétaire de la génisse subissait un dommage si la bête était abattue, mais elle ne l'était pas si l'affaire était éclaircie à temps ; enfin le lieu où son abattage était opéré devait demeurer en friche. Pour éviter ce double dommage, les habitants de la localité étaient donc portés à révéler le meurtrier, s'ils le connaissaient, et il ne pouvait guère manquer de se produire quelque parole ou indice en ce sens.
Ou encore cette procédure tendait à l'intimidation, pour inspirer l'horreur de l'homicide. En immolant une génisse, animal utile et plein de vigueur, surtout tant qu'il n'a pas encore porté le joug, on signifiait que tout meurtrier, quels que fussent ses services ou sa valeur, devait mourir, et d'une mort cruelle, évoquée par la nuque brisée ; et que son objection et sa dégradation le mettaient au ban de la société, ce qui ressortait du fait que la génisse abattue était abandonnée, destinée à la pourriture, dans un lieu sauvage et désert.
En voici le sens mystique : la génisse enlevée au troupeau représente la chair du Christ ; elle n'a pas porté le joug, car elle n'a point péché ; elle n'a pas divisé la terre par le soc de la charrue, entendez qu'elle ne « s'est souillée d'aucune marque de rébellion ». Si la génisse mourait dans un vallon en friche, cela signifiait le mépris dont fut entourée la mort du Christ, par laquelle tous péchés sont lavés et le diable désigné comme auteur de l'homicide.
Objections
1. S. Pierre a dit (Actes 10.34) : « En vérité, je reconnais que Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice lui est agréable. » Or ceux qui sont agréables à Dieu ne doivent pas être exclus de l'Église de Dieu. Il y a donc quelque chose de choquant dans cette prescription (Deutéronome 23.3) qui interdit « aux Ammonites et aux Moabites, même au-delà de la dixième génération et pour toujours, d'entrer dans l'assemblée du Seigneur » : alors qu'en revanche il est déclaré au même endroit, en faveurs d'autres nations : « Tu n'auras pas de haine pour l'Iduméen, car c'est ton frère, ni pour l'Égyptien, car tu as résidé comme immigré dans son pays. »
2. Nous ne pouvons pas être punis pour ce qui ne dépend pas de nous. Mais si quelqu'un est eunuque ou de naissance illégitime, il n'en n'est pas responsable. Le Deutéronome (Deutéronome 23.1 s) a donc tort de décider que « l'eunuque ou le fruit de rapports illicites ne sera pas admis dans l'assemblée du Seigneur ».
3. La loi ancienne est humaine lorsqu'elle interdit de maltraiter l'étranger, comme au chapitre 22 de l'Exode : « Tu ne brimeras pas l'immigré et tu ne le maltraiteras pas, car vous avez été vous-mêmes immigrés dans le pays d'Égypte. » Cependant c'est maltraiter quelqu'un que de l'accabler par l'usure. La loi (Deutéronome 23.19 s), a donc tort d'autoriser les pratiques usuraires envers l'immigré.
4. Les hommes sont beaucoup plus proches de nous que les arbres. Or nous devons une affection plus intense et plus active aux êtres qui nous tiennent de plus près, selon cette maxime de l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 13.19) : « Tout vivant aime son semblable ; de même aussi tout homme aime son prochain. » On ne comprend donc pas que le Seigneur ordonne (Deutéronome 20.13) d'exterminer tous les habitants des villes qui auront été prises, et cependant de respecter les arbres fruitiers.
5. Selon la vertu, chacun doit préférer le bien commun à son bien particulier ; or, c'est le bien commun qui est en cause quand on fait la guerre aux ennemis. Il est donc choquant que le Seigneur ordonne (Deutéronome 20.5 s) de renvoyer certains hommes dans leurs foyers au moment du combat, ceux par exemple qui viennent de construire une maison, de planter une vigne ou de se marier.
6. Nul ne doit tirer avantage de sa faute. C'est bien une faute, un manquement à la vertu de force, que d'avoir peur et de manquer de courage. Il n'était donc pas juste que les poltrons et les lâches fussent dispensés des fatigues du combat (Deutéronome 20.8).
En sens contraire, la Sagesse divine déclare dans les Proverbes (Proverbes 8.8) : « La droiture règle tous mes discours ; il ne s'y trouve rien de difforme ni de tortueux. »
Réponse
Avec les étrangers, le peuple peut entretenir deux sortes de rapports : dans la paix et dans la guerre. Pour régler les uns et les autres, la loi comportait les préceptes qu'il fallait. Dans la paix, une triple occasion s'offrait aux Juifs d'entrer en contact avec les étrangers : tout d'abord quand des étrangers en voyage traversaient le pays ; ou bien quand des étrangers venaient dans le pays pour s'y installer en qualité d'immigrés. Dans ces deux cas, les prescriptions légales ont un caractère d'humanité ; ce sont les maximes de l'Exode (Exode 22.21) : « Tu ne brimeras pas l'hôte étranger », et (Exode 23.9) : « Tu ne seras pas cruel pour le voyageur étranger. » Le troisième cas est celui d'étrangers désirant être reçus en pleine communauté de vie et de culte avec le peuple : à leur endroit on observait certaines formalités, et leur admission à l'état de citoyens n'était pas immédiate. De même, selon Aristote, c'était une règle chez certaines nations de réserver la qualité de citoyens à ceux dont l'aïeul, voire le trisaïeul, avait résidé dans la cité. Et cela se comprend, à cause des multiples inconvénients occasionnés par la participation prématurée des étrangers au maniement des affaires publiques, si, avant d'être affermis dans l'amour du peuple, ils entreprenaient quelque chose contre lui. C'est pourquoi, selon les dispositions de la loi, certaines nations plus ou moins liées avec les juifs, comme les Égyptiens au milieu desquels ils étaient nés et avaient grandi, les Édomites descendants d'Ésaü, le frère de Jacob, étaient accueillis dès la troisième génération dans la communauté du peuple. D'autres au contraire qui avaient montré de l'hostilité pour les juifs, comme les descendants d'Ammon et de Moab, n'y étaient jamais admis ; quant aux Amalécites qui leur avaient été particulièrement hostiles et ne leur étaient liés à aucun degré de parenté, on devait à jamais les traiter en ennemis, selon l'Exode (Exode 17.16) : « De génération en génération, Dieu sera en guerre avec Amalec. » De même pour les rapports de belligérance avec l'étranger, les prescriptions légales étaient satisfaisantes. En premier lieu il était prescrit par le Deutéronome (Deutéronome 20.10) d'engager la guerre selon la justice, car, au moment d'attaquer une cité, on devait commencer par lui faire des offres de paix. — Ensuite, la guerre une fois engagée, il était prescrit de la mener vigoureusement, en se fiant à Dieu ; à cet effet la loi disposait qu'un prêtre, au moment du combat, relèverait les courages en promettant le secours de Dieu. — En troisième lieu, voulant que rien ne vint gêner les combattants, la loi ordonnait de renvoyer chez eux ceux qui risquaient d'embarrasser. — Enfin, la loi prescrivait la modération dans la victoire, voulant qu'on épargnât femmes et enfants, et même qu'on se gardât de couper les arbres fruitiers du pays.
Solutions
1. Aucune nation n'est écartée par la loi de ce qui concerne le culte de Dieu et le salut de l'âme, car l'Exode (Exode 12.48) ordonne : « Si quelque étranger en résidence chez vous veut célébrer la Pâque du Seigneur, que tout mâle lui appartenant soit d'abord circoncis, et alors il célébrera régulièrement et sera en tout comme le naturel du pays. » Mais au temporel, en ce qui concerne la société politique, on n'admettait pas d'emblée le premier venu, pour la raison qu'on vient de dire; les uns étaient admis à la troisième génération : les Égyptiens et les Édomites; les autres, les Moabites, les Ammonites et les Amalécites étaient exclus à perpétuité, en abomination de leur crime passé. De même en effet qu'un individu porte la peine de la faute qu'il a commise, pour qu'intimidés par ce spectacle les autres cessent de mal faire, de même aussi une nation ou une cité peut être punie à raison d'un péché pour que les autres s'abstiennent de les imiter.
Toutefois, par dispense individuelle, un particulier pouvait, à raison de quelque haut fait, être agrégé au sein du peuple ; on lit dans Judith (Judith 14.6) que le chef des Ammonites, Achior, fut incorporé au peuple d'Israël, lui et toute sa postérité. Il en fut de même pour Ruth, une Moabite, femme de grande vertu ; mais peut-être la prohibition ne visait-elle que les hommes, les femmes ne jouissant pas à proprement parler de la qualité de citoyens.
2. Aristote distingue deux degrés dans la citoyenneté, un degré parfait et un degré relatif Est citoyen parfait celui qui peut exercer les fonctions civiques, comme intervenir dans les délibérations et les décisions publiques. On peut qualifier de citoyen en un sens relatif quiconque habite la cité, gens du commun, enfants et vieillards, inhabiles aux fonctions de caractère public. On comprend donc que les bâtards, pour la honte attachée à leur naissance, fussent exclus de l'assemblée, c'est-à-dire du corps politique, jusqu'à la dixième génération. Il en allait de même des eunuques qui ne pouvaient prétendre à l'honneur dont la paternité était entourée à bon droit, dans ce peuple juif surtout où le culte de Dieu se perpétuait par la voie de la génération charnelle; car même chez les païens, si l'on en croit Aristote, ceux qui avaient eu de nombreux enfants recevaient des témoignages particuliers de considération. Cependant, répétons-le, du point de vue de la grâce de Dieu les eunuques n'étaient pas écartés, non plus que les hôtes d'origine étrangère. On peut alléguer en ce sens Isaïe (Ésaïe 56.3) : « Que le fils de l'étranger qui s'est attaché au Seigneur ne dise pas : « Le Seigneur m'exclura de son peuple », et que l'eunuque ne dise pas « je suis un arbre sec. »
3. L'intention de la loi n'était pas que l'on tirât de l'étranger un profit usuraire ; elle laissait faire, pour ainsi dire, tant les Juifs étaient enclins à la cupidité ; d'ailleurs, elle espérait qu'ils entretiendraient avec les étrangers des rapports plus pacifiques, puisqu'ils y gagnaient.
4. On distinguait entre les villes ennemies. Certaines, étant éloignées, n'entraient pas dans la catégorie des villes dont la possession était promise aux Juifs ; lorsqu'ils les avaient conquises, ils en exterminaient tous les mâles qui avaient combattu contre le peuple de Dieu, mais ils épargnaient les femmes et les enfants. S'agissait-il au contraire des villes voisines qui leur avaient été promises, il était de règle que tous les habitants en fussent immolés, à cause de leurs iniquités antérieures ; le peuple d'Israël les châtiait, comme mandaté par le Seigneur pour l'exécution de la justice divine ; c'est ce qui paraît dans la Deutéronome (Deutéronome 9.5) : « C'est parce que ces nations ont commis l'iniquité que tu es entré chez elles pour leur ruine. » Quant aux arbres fruitiers, il était prescrit de les sauvegarder, pour l'avantage même du peuple juif qui devait entrer en possession de la cité et de son territoire.
5. Ceux qui venaient de bâtir une maison, de planter une vigne ou de prendre femme étaient écartés du combat pour un double motif. C'est d'abord qu'on a communément plus d'amour pour les biens qu'on vient d'acquérir ou qu'on est sur le point d'acquérir, et que par conséquent on redoute davantage de les perdre. On pouvait donc estimer que par suite de cet amour, la crainte excessive de la mort, rendrait de tels hommes moins courageux au combat. — En second lieu, selon une observation d'Aristote, c'est parce que « celui qui est sur le point de saisir un bien et qui s'en trouve frustré semble victime d'un mauvais sort » ; ainsi donc, pour éviter que la situation de ces malheureux privés par la mort d'un bonheur imminent, ne désolât davantage les parents qu'ils laissaient, ou bien même que le peuple, à ce spectacle, ne fût frappé de terreur, on mettait de tels hommes à l'abri du danger, en les éloignant du champ de bataille.
6. Ce n'est pas pour leur avantage personnel qu'on renvoyait chez eux les poltrons, mais pour épargner au peuple l'inconvénient de leur présence, car leur peur et leur fuite pouvaient être contagieux.
Objections
1. Aristote dit : « En ce qu'il est, l'esclave appartient au maître. » Or la propriété est perpétuelle. C'est donc à tort que l'Exode (Exode 21.2) ordonne la mise en liberté des esclaves à la septième année.
2. Comme l'âne, comme le bœuf ou un animal quelconque, l'esclave est la propriété du maître. Mais le Deutéronome, d'une part (Deutéronome 22.1-3), prescrit de restituer à leur propriétaire les animaux égarés, et il donne d'autre part (Deutéronome 23.15) cette règle contradictoire : « Tu ne remettras pas à son maître l'esclave qui se sera réfugié chez toi. »
3. Plus encore que la loi humaine, la loi divine doit inciter les cœurs à la pitié. Or les lois humaines punissent sévèrement ceux qui traitent avec trop de rigueur leurs esclaves de l'un ou l'autre sexe ; d'autre part, il n'est pas de traitement plus rigoureux que celui qui entraîne la mort. On ne saurait donc approuver la loi, établie par l'Exode (Exode 21.20 s), selon laquelle « si l'esclave mâle ou femelle survit jusqu'au lendemain, le maître qui l'aura battu échappera à tout châté du maître ».
4. Le père n'a pas sur son fils le même pouvoir que le maître sur l'esclave, si l'on en croit Aristote, et le pouvoir de mettre en vente l'esclave ou la servante appartient au droit du maître. C'est donc à tort que la loi, dans l'Exode (Exode 21.7), autorise un particulier à vendre sa fille comme esclave ou comme servante.
5. Les fautes doivent être châtiées par celui qui a autorité sur le coupable, et c'est le père qui a autorité sur le fils. Il est donc anormal qu'aux termes du Deutéronome (Deutéronome 21.18) le père doive conduire son fils devant les anciens de la ville pour le faire châtier.
6. D'après le Deutéronome (Deutéronome 7.3 s), un précepte divin interdisait le mariage avec les étrangères et, d'après le premier livre d'Esdras (10), de telles unions devaient même être rompues. Il est donc incohérent que Dieu (21) permette aux Israélites d'épouser leurs captives étrangères (Deutéronome 21.10 s).
7. Par ordre de Dieu, selon le Lévitique (Lévitique 18), les mariages sont prohibés à certains degrés de consanguinité ou d'affinité. Il est donc incohérent que Dieu prescrive (Deutéronome 25.5) que, si un homme meurt sans laisser d'enfants, sa veuve doit épouser le frère du défunt.
8. À l'intimité parfaite qui règne entre époux, doit correspondre une inviolable fidélité qui n'est concevable que dans une union indissoluble. On s'étonne donc que, par la permission de Dieu (Deutéronome 24.1-4), le mari eût licence de renvoyer sa femme, moyennant une lettre de répudiation, et qu'il ne lui fût plus permis de la reprendre par la suite.
9. Si la femme peut être infidèle à son mari, l'esclave peut aussi être infidèle à son maître, et le fils à son père. Or la loi n'a institué de sacrifice d'aucune sorte en vue de découvrir la faute de l'esclave ou du fils contre les droits du maître ou du père. Il n'y avait donc pas de raison d'instituer le sacrifice de jalousie, dont il est question dans les Nombres (Nombres 5.12 s), pour découvrir l'adultère de la femme. On voit donc qu'en matière familiale les préceptes judiciaires de la loi laissent à désirer.
En sens contraire, le Psaume (Psaumes 19) assure : « Les décrets du Seigneur sont vrais, ils trouvent en eux-mêmes leur justification. »
Réponse
On lit dans Aristote : « La communauté qui s'établit entre membres d'une même famille est liée aux activités journalières commandées par les besoins de la vie. » Or la vie humaine est assurée d'une double manière. D'abord au plan individuel, en ce sens que l'homme subsiste dans son identité distincte ; pour se conserver en ce sens, la vie humaine se sert des biens extérieurs qui procurent à l'homme la nourriture, le vêtement et autres articles de nécessité vitale, et c'est afin d'y pourvoir que l'homme a besoin d'esclaves. D'autre part, au plan spécifique, la vie humaine se conserve par la génération : à cet effet l'homme a besoin d'une femme qui lui donne une progéniture. Si bien que la communauté domestique comporte un triple système de rapports : de maître à esclave, de mari à femme, de père à fils. Or, sur chacun d'eux, la loi ancienne offrait des prescriptions satisfaisantes.
Elle a voulu que les esclaves fussent traités avec modération, et d'abord qu'on ne les accablât point de travaux excessifs : ainsi le Deutéronome (Deutéronome 5.14) rapporte ce commandement divin « qu'au jour du sabbat ton serviteur et ta servante se reposent comme toi-même ». Modération aussi dans les châtiments qu'on devrait leur infliger, car la loi a condamné ceux qui auraient mutilé leurs esclaves, à leur rendre la liberté (Exode 21.26 s). Même disposition en faveur de la servante qu'on aurait maltraitée. Touchant en particulier les esclaves israélites, le livre de l'Exode (Exode 21.2 s) a prescrit qu'ils s'en iraient librement à la septième année avec tout ce qu'ils avaient apporté, y compris leurs vêtements ; et le Deutéronome (Deutéronome 15.13 s) demande en outre qu'on leur donne un viatique.
Au sujet des femmes, voici les règles légales en matière matrimoniale : l'épouse devra appartenir à la même tribu que le mari (Nombres 36.5 s), et ceci pour maintenir la répartition des terres entre les tribus. On devra épouser la veuve de son frère mort sans enfant (Deutéronome 25.5 s), disposition qui tend à procurer, au moins par manière d'adoption, une postérité à celui qui n'a pu en avoir par descendance charnelle, et par suite à sauver la mémoire du défunt d'une disparition complète. De plus le mariage était interdit avec deux catégories de personnes : les étrangères, à cause de leur influence dangereuse, et les proches parentes, pour la réserve que la nature prescrit à leur égard. — La manière de traiter les femmes dans le mariage était également réglée. On ne devait pas compromettre leur réputation à la légère : ainsi une peine est portée contre celui qui accuse sa femme faussement (Deutéronome 22.13 s). Un fils ne devait pas, en haine de sa mère, être désavantagé (Deutéronome 21.15 s). De plus, en cas de désaccord, la femme ne devait pas être persécutée, mais plutôt renvoyée, par acte écrit (Deutéronome 24.1). Enfin, pour accroître dès le début l'affection conjugale, il est prescrit (Deutéronome 24.5) que le nouveau marié sera exempté de toute obligation de caractère public, afin de pouvoir, en compagnie de sa femme, jouir librement de son bonheur.
En ce qui concerne les fils, la règle était que les pères devaient pourvoir à leur éducation, en les instruisant de la foi, comme le signale l'Exode (Exode 12.26 s) : « Quand vos fils vous demanderont “Que signifie cette cérémonie” vous leur direz “C'est la Pâque du Seigneur” » ; et en les instruisant de la morale, car les pères devaient proclamer, selon le Deutéronome (Deutéronome 21.20) : « Mon fils méprise mes avertissements, il s'adonne aux excès de la débauche et de l'intempérance. »
Solutions
1. Le Seigneur, après avoir libéré de la servitude les enfants d'Israël et les avoir attachés au service divin, ne voulait plus qu'ils connussent un esclavage perpétuel. Le Lévitique (Lévitique 25.39 s) en tire cette conséquence : « Si, poussé par la pauvreté, ton frère se vend à toi, tu ne feras pas peser sur lui la servitude des esclaves, mais il sera comme un salarié ou un hôte. C'est de moi en effet qu'ils sont esclaves et je les ai fait sortir de la terre d'Égypte : qu'ils ne soient pas vendus comme esclaves. » Aussi, comme il s'agissait d'un esclavage relatif et non d'un esclavage proprement dit, ils étaient remis en liberté au bout d'un certain temps.
2. Cette règle s'entend de l'esclave que son maître recherche pour le tuer ou pour l'employer au mal.
3. En ce qui concerne les sévices sur la personne des esclaves, la loi semble avoir distingué. Si le tort était évident, elle infligeait une peine : pour une mutilation, c'était la perte de l'esclave, qu'il était prescrit d'affranchir ; pour la mort de l'esclave, c'était la peine prévue pour l'homicide si la victime mourait entre les mains du maître qui le battait. — À dé un esclave lui appartenant, par exemple lorsque l'esclave frappé ne mourait pas sur le champ, mais survivait quelques jours. Il n'était pas sûr en effet que la mort fût causée par les mauvais traitements. Du reste, eût-on maltraité un homme libre, pourvu toutefois que celui-ci ne mourût pas sur l'heure mais pût marcher à l'aide d'un bâton, on n'était pas convaincu d'homicide. Sans doute l'Exode (Exode 21.18-19) ordonne-t-il de dédommager la victime de ses frais médicaux, mais ce règlement ne pouvait avoir lieu de meure à esclave, car tout ce que l'esclave possédait, et sa personne même, était en un sens la propriété du maître. C'est pourquoi celui-ci est expressément exempté de l'amende pour ce motif « qu'il s'agit de la propriété du maître ».
4. On l'a dit, nul Juif ne pouvait détenir un de ses compatriotes en esclavage pur et simple; c'était un esclavage relatif, une sorte de service à gages et temporaire. En ce sens, la loi permettait de vendre son fils ou sa fille, quand l'indigence y contraignait. C'est bien ce que marquent les termes de la loi dans l'Exode (Exode 21.7) : « Lorsqu'un homme aura vendu sa fille comme servante, elle ne s'en ira pas à la manière des esclaves. » Dans ces conditions, on pouvait encore non seulement vendre un enfant mais se vendre soi-même, en qualité de mercenaire plutôt que d'esclave, comme le suggère le Lévitique (Lévitique 25.39 s) : « Si ton frère, contraint par l'indigence, se vend à toi, tu ne lui imposeras pas un service d'esclave, mais il sera comme un salarié ou un hôte. »
5. Aristote remarque que la puissance paternelle comporte un simple pouvoir de remontrance et non la force de coercition qui permet de contraindre les indociles et les rebelles. Aussi, en ce cas, la loi voulait que le fils rebelle fût châtié par les chefs de la cité.
6. Le Seigneur fit défense de contracter mariage avec des étrangères pour écarter le danger d'une séduction qui mènerait à l'idolâtrie. L'interdiction concernait spécialement les femmes originaires des peuples voisins, comme ayant plus de chance de persévérer dans leurs pratiques religieuses. Mais si quelqu'une voulait renoncer au culte idolâtrique et passer à celui de la loi, on pouvait l'épouser : ce fut le cas de Ruth, épousée par Booz. N'avait-elle pas dit à sa belle-mère : « Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu » (Ruth 1.16) ? Pour cette raison, une captive ne pouvait être prise en mariage qu'elle ne se fût d'abord rasé la chevelure et rogné les ongles, qu'elle n'eût quitté sa robe de captivité et pleuré son père et sa mère, en quoi s'exprime le rejet définitif de l'idolâtrie.
7. L'explication est fournie par S. Jean Chrysostome : « Pour les Juifs qui n'avaient d'autre perspective que la vie présente, la mort paraissait un mal sans rémission ; la règle était donc d'épouser la veuve de son frère afin de donner un fils à celui-ci et d'apporter un certain adoucissement au deuil. Nul toutefois, en dehors du frère ou du proche parent, n'était obligé de prendre la femme du défunt, le fruit de ces autres unions n'ayant pas le même titre à passer pour fils du disparu, sans compter que l'obligation de relever la maison du défunt ne s'imposait pas aux étrangers avec la même force qu'au frère, par la loi du sang. » Cela montre qu'en épousant la veuve de son frère, il tenait la place du défunt.
8. La loi a admis la répudiation de l'épouse, non que cette pratique soit juste en elle-même, mais à cause de l'endurcissement des juifs, selon les paroles de Notre Seigneur en S. Matthieu (Matthieu 19.8). On reviendra plus longuement sur cette question au traité du mariage.
9. L'infidélité de la femme adultère est fréquente, vu l'attrait du plaisir, et dissimulée, car, comme on le lit dans Job (Job 24.15), « L'œil de l'adultère guette la tombée du jour ». Du fils au père, de l'esclave au maître, la situation est toute différente : ici l'infidélité ne procède pas de la convoitise, mais plutôt d'un naturel méchant, et elle ne saurait se dissimuler comme celle de la femme adultère.
Continuons en étudiant la loi de l'Évangile, qu'on appelle la loi nouvelle. Nous la considérerons d'abord en elle-même (Q. 106), puis dans ses rapports avec la loi ancienne (Q. 107), enfin dans son contenu (Q. 108).