Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVII

CHAPITRE XIII
Règne d'Archélaüs ; à la dixième année de son règne, les principaux des Juifs et des Samaritains l'accusent devant l'empereur ; l'empereur envoie Archélaüs en exil en lui assignant pour résidence Vienne, ville de Gaule ; songe prémonitoire d'Archélaüs ; le pays d'Archélaüs est rattaché à la Syrie et l'empereur envoie Quirinius pour en faire le recensement.

Règne d’Archélaüs.

1.[1] Lorsque Archélaüs, ayant obtenu l’ethnarchie, fut arrivé en Judée, il dépouilla du grand-pontificat Joazar, fils de Boéthos, auquel il reprochait d’avoir conspiré avec les révoltés, et il établit à sa place son frère Eléazar. Il rebâtit aussi avec magnificence le palais de Jéricho et détourna la moitié des eaux qui servaient à arroser le village de Néara pour les amener dans une plaine transformée par lui en palmeraie. Il fonda aussi un bourg qu’il nomma Archélaüs. Enfin, au mépris des lois nationales, il épousa Glaphyra, fille d’Archélaüs et veuve de son frère Alexandre, de qui elle avait eu des enfants, alors qu’il est interdit aux Juifs d’épouser leurs belles-sœurs[2]. Éléazar non plus ne resta pas longtemps grand-pontife, car on lui substitua de son vivant Jésus, fils de Sié[3].

[1] Sections 1-2 = Guerre, II, 111.

[2] Voir Deutéronome, 25, 5 ; Lévitique, 18, 16 ; 20, 21 (Léon Hermann).

[3] C’est vers cet endroit que devait cesser l’histoire de Nicolas de Damas. Privé de ce guide excellent et détaillé, Josèphe ne présente plus, jusqu’à l’époque de sa vie, qu’un récit incomplet, haché et anecdotique.

Nouvelles accusations contre lui.

2. La dixième année du règne d’Archélaüs[4], les principaux des Juifs et des Samaritains, ne supportant plus sa cruauté et sa tyrannie, l’accusèrent auprès de l’empereur, surtout lorsqu’ils surent qu’il avait contrevenu aux ordres de celui-ci qui lui enjoignait de se montrer modéré envers eux. L’empereur, quand il entendit ces accusations, entra en colère ; il manda le chargé d’affaires d’Archélaüs à Rome, qui se nommait aussi Archélaüs, et, jugeant au dessous de sa dignité d’écrire à celui-ci : « Toi, lui dit-il, embarque-toi immédiatement et amène-le nous sans retard ». L’autre, étant aussitôt parti, arriva en Judée, où il trouva Archélaüs festoyant avec ses amis ; il lui révéla les dispositions de l’empereur et pressa son départ. A son arrivée l’empereur écouta sa défense contre certains de ses accusateurs, puis l’envoya en exil en lui assignant pour résidence Vienne, ville de Gaule, et il confisqua ses biens[5].

[4] 6 après J.-C.

[5] Cf. Dion Cassius LV, 27 ; Strabon, XVI, 2, 46.

Son exil en Gaule, révélé par un songe comme la mort de sa femme.

3.[6] Avant qu’Archélaüs eût été invité à se rendre à Rome, il eut le songe suivant, qu’il raconta à ses amis. Il avait vu dix épis de blé pleins de froment ; déjà arrivés chacun à pleine maturité, et il lui avait semblé que des bœufs les dévoraient. Une fois éveillé, pensant que sa vision lui présageait des choses graves, il fit venir les devins qui s’occupaient d’interpréter les songes. Comme ils différaient d’avis les uns des autres — car tous étaient loin de s’accorder — Simon, Essénien de race, après avoir demandé qu’on lui garantit sa sûreté, dit que cette vision présageait à Archélaüs un changement peu favorable dans ses affaires ; en effet, les bœufs étaient signe de souffrance, puisque c’étaient des animaux assujettis à un labeur pénible ; quant au changement de situation, il s’annonçait par le fait que la terre labourée par leur travail ne pouvait rester dans le même état ; les dix apis signifiaient un nombre égal d’années puisqu’il y a une moisson par année : c’était le terme fixé pour la puissance d’Archélaüs. Telle fut son interprétation de ce songe. Cinq jours après avoir vu cette vision, Archélaüs vit arriver l’autre Archélaüs envoyé en Judée par l’empereur pour le citer en justice.

[6] Section 3 = Guerre, II, 112-116.

4. Chose analogue survint à Glaphyra sa femme, la fille du roi Archélaüs, qu’avait épousée, comme je l’ai dit plus haut, vierge encore, Alexandre, fils d’Hérode et frère d’Archélaüs. Après qu’Alexandre eut été mis à mort par son père, elle épousa Juba, roi de Libye. Ce Libyen mort[7], elle vivait dans le veuvage en Cappadoce chez son père, quand Archélaüs l’épousa après avoir répudié sa femme Mariamne[8], tant l’amour qu’il éprouvait pour cette Glaphyra l’avait bouleversé. Or, devenue l’épouse d’Archélaüs, elle eut le songe que voici. Il lui sembla voir Alexandre se tenant devant elle ; joyeuse, elle l’embrassait avec empressement ; mais lui la réprimandait en disant : « Glaphyra tu confirmes donc le dicton qui dit qu’il ne faut pas se fier aux femmes[9], toi qui me fus fiancée et mariée vierge, toi qui, ayant eu des enfants de moi, as oublié mon amour et désiré te remarier. Cet outrage ne t’a pas encore contentée et tu as osé faire partager ta couche à un troisième époux, rentrant indignement et sans pudeur dans ma maison et épousant Archélaüs, ton beau-frère, mon frère. Mais moi je n’oublierai pas ma bienveillance envers toi et je te libérerai de tout blâme en te reprenant pour femme comme autrefois ». Elle raconta ce songe à ses suivantes, et, quelques jours après, elle quitta la vie.

[7] Juba II, descendant de Massinissa et roi de Numidie, puis de Maurétanie, régna jusqu’en 23 après J.-C. ; sans doute Glaphyra avait-elle été répudiée.

[8] On en a fait sans raison suffisante une fille d’Aristobule (Guerre, I, 552).

[9] Citation homérique. C’est ce que l’ombre d’Agamemnon fait à Ulysse (Odyssée, XI, 456). Dans les deux cas, c’est une ombre qui parle (George Mathieu).

5. J’ai pensé que ces faits n’étaient pas en dehors de mon sujet puisqu’ils touchent à l’histoire des rois et que, d’autre part, ils sont un exemple à citer en faveur de l’immortalité de l’âme et de la providence divine qui embrasse les choses humaines ; c’est pourquoi j’ai jugé bon d’en parler. Que ceux qui ne croient pas à de telles histoires gardent leur opinion personnelle à ce sujet, mais ne blâment pas qui les raconte pour exhorter à la vertu.

Le pays d’Archélaüs fut rattaché en tributaire à la Syrie et l’empereur envoya Quirinius, personnage consulaire, pour faire le recensement en Syrie et liquider les propriétés d’Archélaüs.

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