Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVIII

CHAPITRE I
Quirinius et Coponius en Syrie et en Judée, désormais annexée à la Syrie ; sédition de Judas le Gaulanite et du Pharisien Saddok ; secte des Pharisiens ; secte des Sadducéens ; secte des Esséniens ; disciples de Judas de Galilée.

Quirinius va régler les affaires de Syrie avec Coponius comme procurateur de Judée. Le grand-pontife Joazar détermine les Juifs à leur obéir.

1.[1] Quirinius[2], membre élu du Sénat, qui, par toutes les magistratures, s'était élevé jusqu'au consulat et qui jouissait d'une considération peu commune, arriva en Syrie où l'empereur l'avait envoyé pour rendre la justice dans cette province et faire le recensement des biens. On lui avait adjoint Coponius, personnage de l'ordre équestre, qui devait gouverner les Juifs avec pleins pouvoirs. Quirinius vint aussi dans la Judée, puisqu'elle était annexée à la Syrie, pour recenser les fortunes et liquider les biens d'Archelaüs. Bien que les Juifs se fussent irrités au début à l'annonce de la déclaration des fortunes, ils renoncèrent à résister davantage, sur les conseils du grand pontife Joazar, fils de Boéthos. Persuadés par ses paroles, ils déclarèrent leurs biens sans plus d'hésitation. Mais un certain Judas le Gaulanite, de la ville de Gamala[3], s'adjoignit un Pharisien, Saddok, et se précipita dans la sédition. Ils prétendaient que ce recensement n'amenait avec lui rien de moins qu'une servitude complète et ils appelaient le peuple à revendiquer sa liberté ; car, disaient-ils, s'il leur arrivait de réussir, ce serait au bénéfice de la fortune acquise, et s'ils étaient frustrés du bien qui leur restait, ils obtiendraient du moins l'honneur et la gloire d'avoir montré de la grandeur d'âme d'ailleurs, la divinité collaborerait de préférence à la réussite de leurs projets si, épris de grandes choses, ils n'épargnaient aucune peine pour les réaliser. Comme les gens écoutaient avec joie leurs discours, l'audace de leur entreprise fit de grands progrès, et il n'y eut pas de mal qui ne fût engendré par eux et dont le peuple ne fût accablé plus qu'on ne saurait le dire : guerres dont nul ne pouvait éviter la violence continuelle, perte d'amis qui auraient pu alléger nos peines, énormes brigandages, meurtre des hommes les plus importants, et tout cela sous le prétexte de redresser les affaires communs, mais, en réalité, en vue de gains personnels. De là naquirent des séditions et des assassinats politiques, tantôt de concitoyens, immolés à la fureur qui les animait les uns contre les autres et à leur passion de ne pas céder à leurs adversaires, tantôt d'ennemis ; la famine poussant jusqu'aux extrémités les plus éhontées ; des prises et des destructions de villes, jusqu'à ce qu'enfin cette révolte livrât le Temple même de Dieu au feu de l'ennemi. Tant le changement des institutions nationales et leur bouleversement ont d'influence pour perdre ceux qu'ils atteignent, puisque Judas et Saddok, en introduisant et en éveillant chez nous une quatrième secte philosophique et en s'entourant de nombreux adhérents, remplirent le pays de troubles immédiats et plantèrent les racines des maux qui y sévirent plus tard, et cela grâce à cette philosophie inconnue avant eux et dont je veux parler un peu, principalement parce que c'est la faveur de la jeunesse pour leur secte qui fut cause de la ruine du pays.

[1] Section 1 = Guerre II, 117-118.

[2] P. Sulpicius Quirinus, consul en 12 avant J.-C., attaché à la personne de C. Julius Caesar, gouverneur de Syrie en 3-2 avant J. C. et en 6 après J.-C., mort en 21. Voir Luc II, 1-2 ; Actes V, 37.

[3] Sur une hauteur et à l'Est près du lac de Tibériade (Bell. jud. IV, 1, 1 ; cf. Schürer, I, 615). La Gaulanitide est un district de l'Est du lac ; cependant, partout ailleurs Judas est qualifié de Galiléen.

Sectes philosophiques des Juifs.

2.[4] Les Juifs avaient, depuis une époque très reculée, trois sectes philosophiques interprétant leurs coutumes nationales : les Esséniens, les Sadducéens et enfin ceux qu'on nommait Pharisiens. Bien que j'en aie parlé dans le deuxième livre de la Guerre des Juifs[5], je les rappellerai cependant ici en peu de mots.

[4] Section 2 = Guerre, II, 119-161.

[5] Voir Guerre, II, 119-166.

Pharisiens.

3.[6] Les Pharisiens méprisent les commodités de la vie, sans rien accorder à la mollesse ; ce que leur raison a reconnu et transmis comme bon, ils s'imposent de s'y conformer et de lutter pour observer ce qu'elle a voulu leur dicter. Ils réservent les honneurs à ceux qui sont avancés en âge et n'osent pas contredire avec arrogance leurs avis. Ils croient que tout a lieu par l'effet de la fatalité, mais ne privent pourtant pas la volonté humaine de toute emprise sur eux, car ils pensent que Dieu a tempéré les décisions de la fatalité par la volonté de l'homme pour que celui-ci se dirige vers la vertu ou vers le vice. Ils croient à l'immortalité de l'âme et à des récompenses et des peines décernées sous terre à ceux qui, pendant leur vie, ont pratiqué la vertu ou le vice, ces derniers étant voués à une prison éternelle pendant que les premiers ont la faculté de ressusciter. C'est ce qui leur donne tant de crédit auprès du peuple que toutes les prières à Dieu et tous les sacrifices se règlent d'après leurs interprétations. Leurs grandes vertus ont été attestées par les villes, rendant hommage à leur effort vers le bien tant dans leur genre de vie que dans leurs doctrines.

[6] Section 3 = Guerre, II, 162-163.

Sadducéens.

4.[7] La doctrine des Sadducéens fait mourir les âmes en même temps que les corps, et leur souci consiste à n'observer rien d'autre que les lois. Disputer contre les maîtres de la sagesse qu'ils suivent passe à leurs yeux pour une vertu. Leur doctrine n'est adoptée que par un petit nombre, mais qui sont les premiers en dignité. Ils n'ont pour ainsi dire aucune action ; car lorsqu'ils arrivent aux magistratures, contre leur gré et par nécessité, ils se conforment aux propositions des Pharisiens parce qu'autrement le peuple ne les supporterait pas.

[7] Section 4 = Guerre, II, 164-166.

Esséniens

5. Les Esséniens ont pour croyance de laisser tout entre les mains de Dieu ; ils considèrent l'âme comme immortelle et estiment qu'il faut lutter sans relâche pour atteindre les fruits de la justice. Ils envoient des offrandes au Temple, mais ne font pas de sacrifices parce qu'ils pratiquent un autre genre de purifications. C'est pourquoi ils s'abstiennent de l'enceinte sacrée pour faire des sacrifices à part. Par ailleurs ce sont de très honnêtes gens et entièrement adonnés aux travaux de la terre. Il faut aussi les admirer, plus que tous ceux qui visent à la vertu, pour leur pratique de la justice, qui n'a jamais existé chez les Grecs ou chez les barbares, pratique qui n'est pas nouvelle mais ancienne chez eux...[8]. Les biens leur sont communs à tous et le riche ne jouit pas plus de ses propriétés que celui qui ne possède rien. Et ils sont plus de quatre mille hommes à vivre ainsi.

[8] Les mots ἐν τῷ ἐπιτηδεύεσθαι μὴ κεκωλῦσθαι, nous paraissent inintelligibles ou corrompus.

Ils ne se marient pas et ne cherchent pas à acquérir des esclaves parce qu'ils regardent l'un comme amenant l'injustice, l'autre comme suscitant la discorde ; ils vivent entre eux en s'aidant les uns les autres. Pour percevoir les revenus et les produits de la terre ils élisent à main levée des hommes justes, et choisissent des prêtres pour la préparation de la nourriture et de la boisson. Leur existence n'a rien d'inusité, mais leur vie rappelle au plus haut degré celle des Daces appelés “Fondateurs”[9].

[9] Δακῶν τοῦς πλείστοις λεγομένοις. De toutes les corrections proposées, celle d'Ortellus κτίσαις paraît la plus probable. Posidinius (ap. Strabon, Vll, 3, 7) parle en effet, de certaines peuplades thraces qui vivaient sans femmes οὓς κτίσας καλεῖσθαι.

Disciples de Judas de Galilée.

6. La quatrième secte philosophique eut pour fondateur ce Judas le Galiléen. Ses sectateurs s'accordent en général avec la doctrine des Pharisiens, mais ils ont un invincible amour de la liberté, car ils jugent que Dieu est le seul chef et le seul maître. Les genres de mort les plus extraordinaires, les supplices de leurs parents et amis les laissent indifférents, pourvu qu'ils n'aient à appeler aucun homme du nom de maître. Comme bien des gens ont été témoins de la fermeté inébranlable avec laquelle ils subissent tous ces maux, je n'en dis pas davantage, car je crains, non pas que l'on doute de ce que j'ai dit à leur sujet, mais au contraire que mes paroles ne donnent une idée trop faible du mépris avec lequel ils acceptent et supportent la douleur. Cette folie commença à sévir dans notre peuple sous le gouvernement de Gessius Florus[10], qui, par l'excès de ses violences, les détermina à se révolter contre les Romains. Telles sont donc les sectes philosophiques qui existent parmi les Juifs.

[10] Procurateur de Judée en 65.

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