Somme théologique

Somme théologique — La prima secundae

110. LA GRÂCE DE DIEU CONSIDÉRÉE DANS SON ESSENCE

  1. La grâce est-elle une réalité dans l'âme ?
  2. Est-elle une qualité ?
  3. Diffère-t-elle de la vertu infuse ?
  4. Quel est le siège de la grâce ?

1. La grâce est-elle une réalité dans l'âme ?

Objections

1. C'est dans le même sens que l'on dit de quelqu'un qu'il possède la grâce d'un homme ou la grâce dé Dieu ; ainsi lisons-nous dans la Genèse (Genèse 39.21) : « Le Seigneur fit trouver grâce à Joseph auprès du chef de la prison. » Or le fait qu'un homme trouve grâce devant un autre ne pose rien de réel en lui ; c'est en celui qui donne sa faveur qu'il faut placer une certaine complaisance. Donc la grâce de Dieu ne pose rien de réel dans l'âme, mais signifie seulement l'agrément divin.

2. De même que l'âme vivifie le corps, ainsi Dieu vivifie l'âme, selon cette parole du Deutéronome (Deutéronome 30.20) : « Il est lui-même ta vie. » Mais l'âme vivifie le corps sans intermédiaire. Ainsi en sera-t-il de Dieu par rapport à l'âme. La grâce ne pose donc rien de créé dans l'âme.

3. À propos de cette parole de l'épître aux Romains (Romains 1.7) : « À vous grâce et paix », nous lisons dans la Glose : « Grâce, cela veut dire rémission des péchés. » Or la rémission des péchés n'est pas une réalité dans l'âme, mais seulement en Dieu, du fait qu'il n'impute pas le péché, selon le Psaume (Psaumes 32.2) : « Heureux l'homme auquel le Seigneur n'impute pas de péché. » La grâce n'est donc pas une réalité dans l'âme.

En sens contraire, la lumière est quelque chose de réel dans l'objet qu'elle éclaire. Or la grâce est une certaine lumière de l'âme, car, dit S. Augustin : « C'est à juste titre que la lumière de la vérité abandonne le prévaricateur de la loi et fait, de celui qu'elle abandonne, un aveugle. » La grâce est donc une réalité dans l'âme.

Réponse

Dans le langage courant, le mot grâce revêt une triple signification. Il désigne en premier lieu la dilection que l'on a pour quelqu'un ; ainsi l'on dit d'ordinaire que tel soldat a la grâce du roi, en ce sens qu'il est aimé du roi. En outre, on emploie le mot grâce pour signifier un don accordé gratuitement, quand on dit par exemple : je te fais cette grâce. Enfin on donne au mot le sens d'un remerciement pour un bienfait gratuit ; ainsi quand nous rendons grâce pour les bienfaits reçus. De ces trois significations, la deuxième découle de la première : c'est en effet parce qu'on aime quelqu'un qu'on lui fait des cadeaux; et la troisième découle de la deuxième, puisque c'est à cause des bienfaits reçus que l'on rend grâce.

Pour ce qui est des deux derniers sens, il est manifeste que la grâce est quelque chose de réel dans celui à qui elle est attribuée, soit qu'il s'agisse du don reçu gratuitement, soit qu'il s'agisse de la reconnaissance manifestée à l'occasion du don. Quant au premier sens, il y a une différence à établir entre la grâce de Dieu et la grâce de l'homme. Le bien de la créature en effet vient de la volonté divine, et par conséquent l'amour par lequel Dieu veut du bien à la créature, fait jaillir le bien en elle. Au contraire, la volonté de l'homme est mue par le bien qui préexiste dans les choses ; d'où il suit que son amour ne cause pas la totalité du bien qui est dans la chose aimée, mais qu'il le présuppose en tout ou en partie. Il est donc clair que tout acte d'amour de Dieu fait naître dans la créature un bien, qui est causé, non coéternel à cet amour, lequel, lui, est éternel. Et c'est selon la différence du bien qu'il cause qu'on peut différencier l'amour de Dieu pour sa créature. Il y a en effet un amour commun selon lequel Dieu « aime tout ce qui existe », comme l'affirme le livre de la Sagesse (Sagesse 11.25), faisant largesse aux choses de leur être naturel. Mais autre est l'amour spécial selon lequel Dieu élève la créature rationnelle au-dessus de sa condition de nature. Celui que Dieu aime ainsi, il est dit simplement l'aimer, car par cet amour ce qu'il veut pour sa créature n'est pas un autre bien que le bien éternel qu'il est lui-même.

Ainsi donc, quand nous disons que l’homme a la grâce de Dieu, cela signifie qu'une réalité surnaturelle lui est communiquée par Dieu. Parfois cependant, on entend par grâce de Dieu son amour éternel, et c'est en ce sens que l'on parle de la grâce de la prédestination pour signifier que Dieu a prédestiné ou élu certains d'une façon toute gratuite, et non en considération de leurs mérites, selon cette parole de l'Apôtre (Éphésiens 1.5-6) : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, à la louange de gloire de sa grâce. »

Solutions

1. Même quand on dit de quelqu'un qu'il possède la grâce ou la faveur d'un homme, cela signifie qu'il y a en lui quelque chose de réel qui agrée à cet homme. Ainsi en est-il quand nous disons de quelqu'un qu'il possède la grâce de Dieu. Il y a cependant une différence ; car ce qui agrée à un homme dans l'un de ses semblables, c'est quelque chose qui préexiste à son amour ; au contraire ce qui agrée à Dieu dans un homme est causé par l'amour divin, nous venons de le dire.

2. Dieu est la vie de l'âme par mode de cause efficiente, mais l'âme est la vie du corps par mode de cause formelle. Or, entre la matière et la forme, il n'y a pas d'intermédiaire, la forme informant directement par elle-même la matière ou le sujet. Au contraire l'agent informe le sujet, non par sa propre substance, mais par la forme qu'il produit dans la matière.

3. S. Augustin écrit : « Quand j'ai dit que la grâce consiste dans la rémission des péchés, et la paix dans la réconciliation avec Dieu, il ne faut pas l'entendre en ce sens que la paix elle-même et la réconciliation n'appartiendraient pas à la grâce en général, mais en ce sens que le mot grâce signifie d'une façon spéciale la rémission des péchés. » Ce n'est donc pas seulement cette rémission qui relève de la grâce, mais encore beaucoup d'autres dons de Dieu. D'ailleurs même la rémission des péchés ne s'opère pas sans qu'un effet soit divinement produit en nous, comme on le verra par la suite.


2. La grâce est-elle une qualité de l'âme ?

Objections

1. Aucune qualité s'agit sur son sujet, car l'action de la qualité n'est pas distincte de l'action du sujet, et il faudrait donc que le sujet agisse sur lui-même. Or la grâce agit sur l'âme, puisqu'elle la justifie. Elle n'est donc pas une qualité de l'âme.

2. La substance est plus noble que la qualité. Or la grâce est plus noble que la nature de l'âme. La preuve en est que la grâce nous permet de faire beaucoup de choses dont la nature est incapable, comme nous venons de le montrer. Donc la grâce n'est pas une qualité.

3. Aucune qualité ne demeure quand elle a cessé d'exister dans le sujet. Mais la grâce demeure. Elle ne se corrompt pas en effet, car cela voudrait dire qu'elle est annihilée, puisqu'elle est créée de rien. C'est pourquoi l'Apôtre (Galates 6.15) l'appelle « une créature nouvelle ». La grâce n'est donc pas une qualité.

En sens contraire, à propos de ce passage du Psaume (Psaumes 104.15) : « Pour que l'huile fasse resplendir le visage », nous lisons dans la Glose : « La grâce est la beauté de l'âme : c'est elle qui lui attire l'amour divin. » Or la beauté de l'âme est une qualité, comme la beauté du corps. La grâce est donc une qualité.

Réponse

Comme nous l'avons montré à l'article précédent, dire de quelqu'un qu'il a la grâce de Dieu c'est dire qu'il y a en lui un effet déterminé produit par l'amour gratuit de Dieu. Nous avons dit d'autre partit que l'homme est aidé d'une double manière par cette volonté divine toute gratuite. D'une part, en ce sens que l'âme humaine est mue par Dieu soit pour connaître, soit pour vouloir, soit pour agir. Sous ce rapport, l'effet gratuit produit dans l'homme n'est pas une qualité, mais un certain mouvement de l'âme : selon Aristote en effet, « le mouvement est l'acte de l'agent moteur, considéré dans le mobile ».

D'autre part, l’homme est secouru par la volonté gratuite de Dieu en ce sens que Dieu infuse dans l'âme un don habituel. Et il le fait parce qu'il ne convient pas que sa providence soit moins attentive à l'égard de ceux que son amour gratifie du bien surnaturel, qu'à l'égard des créatures auxquelles son amour donne le bien naturel. Quand il s'agit des simples créatures en effet, Dieu, dans sa providence, ne se contente pas de les mouvoir à leurs actes naturels; mais encore il leur octroie des formes et des vertus qui sont les principes de leurs actes et les portent à agir en tel ou tel sens conformément à ce qu'elles sont elles-mêmes. C'est pourquoi les mouvements que Dieu imprime aux créatures leur sont connaturels et faciles, selon cette parole du livre de la Sagesse (Sagesse 8.1) : « Il dispose toutes choses avec douceur. » À bien plus forte raison, en ceux qu'il meut vers la conquête du bien surnaturel éternel, Dieu infuse-t-il des formes et des qualités surnaturelles grâce auxquelles ils sont mus par lui avec suavité et promptitude vers l'acquisition du bien éternel. Et c'est ainsi que le don de la grâce est une qualité.

Solutions

1. La grâce, en tant qu'elle est une qualité, n'agit pas sur l'âme par manière de cause efficiente, mais par manière de cause formelle ; ainsi la blancheur rend un objet blanc, la justice fait d'un individu un juste.

2. La substance, c'est soit la nature même d'une chose, soit une partie de la nature ; en ce dernier sens, on donne le nom de substance à la matière ou à la forme. Or, étant donné que la grâce est au-dessus de la nature humaine, elle ne peut être une substance ou une forme substantielle ; mais elle est une forme accidentelle de l'âme. Ce qui en effet est en Dieu de façon substantielle, se trouve par mode d'accident dans l'âme qui participe à la bonté divine ; ainsi en est-il de la science, par exemple. Et puisque l'âme participe imparfaitement à la bonté divine, cette participation qu'est la grâce ne peut se trouver dans l'âme que sous un mode d'être inférieur à celui de l'âme elle-même qui subsiste en soi. Et pourtant la grâce, non pas dans son mode d'être, mais en tant qu'expression ou participation de la bonté divine, est plus noble que la nature de l'âme.

3. Comme dit Boèce, « être pour l'accident, c'est inhérer (à la substance) ». C'est pourquoi l'on donne à l'accident le nom d'être, non pas parce qu'il possède l'être, mais en ce sens que, par lui, quelque chose est, aussi selon Aristote doit-on le regarder plutôt comme une détermination d'être que comme un être proprement dit. Et puisque le devenir et la corruption appartiennent à ce qui est, il s'ensuit qu'à proprement parler l'accident ni ne devient, ni ne se corrompt ; si on lui attribue le devenir ou la corruption, c'est en ce sens que le sujet commence ou cesse d'être actualisé par lui. Et c'est dans ce sens qu'on dit que la grâce est créée, pour dire que les hommes sont créés en l'être de grâce, c'est-à-dire qu'ils reçoivent un être nouveau à partir de rien, on veut dire : non à partir de mérites antécédents, selon cette parole de l'Apôtre (Éphésiens 2.10) : « Nous sommes créés dans le Christ Jésus en vue des bonnes œuvres. »


3. La grâce diffère-t-elle de la vertu infuse ?

Objections

1. Selon S. Augustin, « la grâce opérante, c'est la foi qui agit par amour ». Mais la foi qui agit par amour est une vertu. La grâce est donc une vertu.

2. Quand une définition convient à une chose, le terme ainsi défini peut également lui être attribué. Or les définitions de la vertu données par les saints et les philosophes conviennent à la grâce : celle-ci en effet « rend bon celui qui la possède et fait que son œuvre est bonne » ; elle est aussi « une qualité bonne de l'âme grâce à laquelle on vit correctement ». Et ce sont là précisément des définitions de la vertu, parmi d'autres qu'on pourrait citer. La grâce est donc une vertu.

3. La grâce est une qualité. Mais il est manifeste qu'elle n'appartient pas à la quatrième espèce de qualité qui se définit : « la forme ou figure qui circonscrit un corps », car la grâce n'est pas corporelle. Elle n'appartient pas davantage à la troisième espèce qui est « une passion ou une qualité passive » dont le siège, comme le montre Aristote, est la partie sensible de l'âme, la grâce en effet réside principalement dans la partie spirituelle de l'âme. Elle n'appartient pas non plus à la deuxième espèce qui est « une puissance ou une impuissance naturelle », car la grâce est au-dessus de la nature ; de plus elle n'est pas indifférente au bien et au mal comme la puissance naturelle. Reste donc la première espèce de qualité qui est l'habitus ou la disposition. Mais les habitus de l'esprit sont des vertus; même la science, d'une certaine manière, est une vertu, nous l'avons dit. Donc la grâce est la même chose que la vertu.

En sens contraire, si la grâce est une vertu, il semble qu'elle sera, d'abord et avant tout, une des trois vertus théologales. Mais elle n'est ni la foi, ni l'espérance lesquelles peuvent exister dans l'âme sans la grâce sanctifiante. Elle n'est pas non plus la charité, car, selon S. Augustin « la grâce devance la charité ». La grâce n'est donc pas une vertu.

Réponse

Certains ont prétendu que grâce et vertu sont essentiellement la même chose, et qu'elles ne diffèrent que pour la raison; on parlerait de la grâce pour signifier qu'elle rend l'homme agréable à Dieu ou qu'elle est donnée gratuitement ; on l'appellerait vertu parce qu'elle perfectionne l'âme en vue du bien agir. Telle paraît être la pensée du Maître des Sentences.

Pourtant, à bien considérer la nature de la vertu, une opinion semblable ne peut se soutenir. Selon le Philosophe en effet : « La vertu est une disposition de l'être parfait ; et j'appelle parfait ce qui est disposé conformément à la nature. » Il apparaît donc que, dans toute réalité, on parle de la vertu par rapport à une nature préexistante ; elle signifie qu'un être est ordonné selon qu'il convient à sa nature. Or, il est manifeste que les vertus acquises par les actes humains, dont nous avons parlé antérieurement, sont des dispositions qui permettent à l’homme d'être harmonieusement ordonné en regard de sa nature d'homme. Les vertus infuses disposent l’homme d'une manière supérieure et en vue d'une fin plus haute, ce qui suppose qu'elles le font en regard d'une nature plus élevée, à savoir la nature divine participée, qu'on appelle lumière de la grâce. Aussi lisons-nous dans la 2° épître de S. Pierre (2 Pierre 1.4) : « De très grandes et précieuses promesses nous ont été données pour que, par elles, vous deveniez participants de la nature divine. » Et c'est dans la réception de cette nature que nous sommes régénérés comme fils de Dieu.

De même donc que la lumière naturelle de la raison est autre chose que les vertus acquises, lesquelles sont ordonnées à cette lumière ; de même la lumière de la grâce, qui est participation de la nature divine, est autre chose que les vertus infuses, lesquelles sont dérivées de cette lumière et ordonnées à elle. C'est pourquoi l'Apôtre écrit (Éphésiens 5.8) : « Autrefois vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur : marchez donc comme des fils de lumière. » Les vertus acquises en effet perfectionnent l'homme de façon à lui permettre de se conduire conformément à la lumière de la raison ; et les vertus infuses perfectionnent l'homme pour qu'il se conduise conformément à la lumière de la grâce.

Solutions

1. S. Augustin donne le nom de grâce à la foi qui agit par amour, parce que l'acte émis par cette foi est le premier où se manifeste la grâce sanctifiante.

2. L'attribut de bonté dont il est question dans la définition de la vertu, exprime ce qui convient à une nature déjà préexistante, qu'il s'agisse de la nature essentielle ou de la nature participée. Ce n'est pas en ce sens que nous disons que la grâce est bonne, mais en tant qu'elle est la racine de la bonté dans l’homme, ainsi que nous venons de le dire dans la réponse.

3. La grâce se ramène à la première espèce de qualité. Elle n'est pourtant pas la même chose que la vertu : elle est un certain état habituel présupposé aux vertus infuses, comme leur principe et leur racine.


4. Quel est le siège de la grâce ?

Objections

1. D'après S. Augustin la grâce est à la volonté ou au libre arbitre ce que le cavalier est à sa monture. Mais la volonté, comme le libre arbitre, est une puissance, nous l'avons dit dans la première Partie. La grâce a donc pour sujet une puissance de l'âme.

2. Selon S. Augustin encore, « c'est à partir de la grâce que commencent les mérites des hommes ». Or le mérite consiste en un acte, lequel procède d'une puissance. Il semble donc que la grâce est la perfection d'une puissance de l'âme.

3. Si l'essence de l'âme est le sujet propre de la grâce, il s'ensuit que par cela même qu'elle est une âme, toute âme est capable de la grâce. Mais cela est faux, car cela voudrait dire que toute âme, quelle qu'elle soit, est capable de la grâce.

4. L'essence de l'âme est antérieure à ses puissances. Or l'antécédent peut être conçu sans le conséquent. Il s'ensuivra donc que l'on pourra concevoir la grâce dans l'âme indépendamment de toute autre partie ou puissance de l'âme, donc indépendamment de l'intelligence, de la volonté et de quelque autre faculté de l'âme ; ce qui est inadmissible.

En sens contraire, par la grâce nous sommes engendrés à nouveau et devenons fils de Dieu. Mais la génération aboutit à l'essence avant de se terminer aux puissances. La grâce se trouve donc dans l'essence de l'âme avant d'être dans ses puissances.

Réponse

Ce problème dépend du précédent. Si en effet la grâce est la même chose que la vertu, il est nécessaire qu'elle ait pour sujet une puissance de l'âme, car une telle puissance est le sujet propre de la vertu, ainsi que nous l'avons exposé précédemment. Mais si la grâce diffère de la vertu, on ne peut dire que la puissance de l'âme soit son sujet, car toute perfection d'une puissance a raison de vertu, nous l'avons déjà dit. Il reste donc que la grâce, puisqu'elle est antérieure à la vertu, ait aussi un sujet antérieur aux puissances de l'âme ; et ce ne peut être que l'essence de l'âme. De même en effet que la puissance intellectuelle de l’homme participe de la connaissance divine par la vertu de foi et que sa puissance volontaire participe de l'amour divin par la vertu de charité, de même la nature de l'âme humaine participe, selon une certaine similitude, de la nature divine par le moyen d'une régénération ou d'une création nouvelle.

Solutions

1. De même que de l'essence de l'âme découlent ses puissances qui sont principes d'opérations, ainsi dérivent de la grâce dans les puissances de l'âme, les vertus par le moyen desquelles les puissances se portent à l'acte. Sous ce rapport, la grâce est comparée à la volonté comme le moteur au mobile ou, si l'on veut, comme le cavalier à sa monture, mais non comme un accident à son sujet.

2. C'est ce qui permet de résoudre la deuxième objection. La grâce en effet est principe de l'œuvre méritoire par le moyen des vertus, comme l'essence de l'âme est principe des actes vitaux par le moyen des puissances.

3. L'âme est sujet de la grâce parce que sa nature est spécifiquement intellectuelle ou rationnelle. Or l'âme n'est pas constituée spécifiquement par une puissance, puisque les puissances sont des propriétés naturelles qui découlent de la spécificité de l'âme. C'est pourquoi l'âme, en son essence, diffère spécifiquement des autres âmes, animales ou végétales. Et, pour cette raison, si l'essence de l'âme humaine est sujet de la grâce, il ne s'ensuit pas que n'importe quelle âme puisse l'être également. Cela ne convient à l'essence de l'âme humaine qu'en tant qu'elle est de telle nature spécifique.

4. Parce que les puissances de l'âme sont des propriétés naturelles dérivant de l'espèce, l'âme ne peut exister sans elles. Retenons cependant que, même sans ces puissances, l'âme pourrait encore être dite spécifiquement intellectuelle ou rationnelle ; non pas comme possédant actuellement ces puissances, mais à cause de la spécificité de son essence, d'où ces puissances découlent naturellement.

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