Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVIII

CHAPITRE II
Construction de villes par les tétrarques Hérode (Antipas) et Philippe ; profanation du Temple par les Samaritains, ils sont désormais interdits d'accès au Temple ; Hérode (Antipas) bâtit la ville de Tibériade, en l'honneur de Tibère ; Artabane roi des Parthes.

Création de villes par les tétrarques Hérode et Philippe.

1.[1] Après avoir liquidé les biens d'Archélaüs et terminé le recensement, ce qui eut lieu lu trente-septième année après la défaite d'Antoine par César à Actium[2], Quirinius dépouilla de sa dignité Joazar, le grand pontife, contre qui le peuple s'était révolté, et lui substitua Anan, fils de Seth. Hérode[3] et Philippe avaient pris chacun possession de leurs tétrarchies. Hérode fortifia Sepphoris, parure de toute la Galilée, et l'appela Autokratoris[4] (impériale) ; de même, après avoir entouré de murailles Betharamphtha, autre ville, il la nomma Julias d'après le nom de l'impératrice[5]. De son côté Philippe, ayant réorganisé Panéas, à la source du Jourdain, la nomma Césarée, tandis que le bourg de Bethsaïda, situé près du lac de Gennésareth, fut élevé par lui à la dignité de ville à cause du nombre de ses habitants et reçut le même nom de Julias en l'honneur de la fille de l'empereur[6].

[1] Sections I-3 = Guerre, II, § 167-169.

[2] 6 après J.-C. La bataille d'Actium (2 sept. 31 av. J.-C. et les jeux quadriennaux institués en souvenir de cette victoire ont servi de point de départ à une ère assez répandue qui se rencontre notamment à Tripoli de Syrie, Séleucie de Pièrie, Antioche et dans certaines villes du Péloponnèse. Josèphe lui-même date un fait du règne d'Hérode μετὰ τὴν πρώτην Ἀκτιάδα, Guerre, I, 20, 4, Cf. Kaestner, De aeris, p. 6 suiv.

[3] Hérode Antipas.

[4] ἦγεν (ou ἤγαγεν ou ἠγόρευεν αὐτήν Αὐτοκτατήριδα. Deltefzen et Naber : προσηγόρευεν Dindorf : ἀνῆκεν. Shürer (II, 211t) croit que la ville reçut l'autonomie, peut-être avec suprématie (nominale) sur les autres villes de Galilée, mais ensuite elle fut subordonnée à Tibériade (Vita, 9).

[5] On appelait aussi la ville Livias (Schürer, II, 214) et comme Livie ne reçut le nom de Julie que par le testament d'Auguste, il y eut probablement un changement de nom en 14 ap. J.C.

[6] Julie ayant été bannie en 2 av. J.-C, la fondation de Julias-Bethsaïda doit être antérieure à cette date (Schürer, II, 208).

Les Samaritains souillent le temple. Mort de Salomé. Gouvernement d'Ambivius, d'Annius Rufus et de Valerius Gratus.

2. Sous l'administration de Coponius, venu, comme je l'ai dit, avec Quirinius pour gouverner la Judée, il se passa le fait suivant. Lors de la célébration de la fête des pains azymes que nous appelons la Pâque, les prêtres avaient coutume d'ouvrir les portes du Temple à partir de minuit. Dès leur ouverture, cette fois, des Samaritains, entrés en secret à Jérusalem, jetèrent des ossements humains sous les portiques. Dès lors on interdit à tous les Samaritains l'accès du Temple, ce dont on n'avait pas l'habitude auparavant, et l'on se mit à le garder avec plus de vigilance. Peu de temps après, Coponius rentra à Rome et eut pour successeur Marcus Ambivius, sous lequel Salomé, sœur du roi Hérode, légua à Julia en mourant Iammée et toute sa toparchie, ainsi que Phasaélis dans la plaine, et Archélaïde où se trouve une grande palmeraie dont les fruits sont excellents[7]. Son successeur fut Annius Rufus, sous la magistrature duquel mourut Auguste. C'était le second empereur romain ; il avait régné cinquante-sept ans sis mois et deux jours, sur lesquels il avait partagé le pouvoir avec Antoine pendant quatorze ans, et il avait vécu soixante-dix sept ans. Son successeur fut Tiberius Nero, fils de sa femme Julia ; ce fut le troisième empereur romain. Il envoya comme gouverneur de Judée Valerius Gratus, pour succéder à Annius Rufus. Celui-ci destitua de la prêtrise Anan et désigna comme grand pontife Ismael, fils de Phabi. Il le destitua peu après et investit du grand pontificat Eléazar, fils du grand pontife Anan. Une année après, l'ayant également privé de ses fonctions, il transmit le grand pontificat à Simon, fils de Camith. Celui-ci n'avait pas rempli cette charge pendant plus d'un an quand lui succéda Joseph, appelé aussi Caïphe. Gratus, après avoir fait cela, rentra à Rome ; il avait passé onze ans en Judée. Ponce Pilate lui succéda[8].

[7] Iammia, près de la côte, entre Jopé et Azot ; Archélais et Phasaélis, dans la plaine du Jourdain au N. de Jéricho.

[8] [Ici s'arrête le texte révisé et annoté par M. Théodore Reinach, mort le 28 octobre 1928. – S. R.].

Fondation de Tibériade.

3. Le tétrarque Hérode, en raison de la très grande amitié qui l'unissait à Tibère, bâtit une ville qu'il nomma Tibériade d'après son nom, située dans la meilleure partie de la Galilée près du lac de Gennésareth. Il y a dans un bourg du voisinage, nommé Emmaüs, des sources thermales. Là vint habiter une foule d'hommes, beaucoup de Galiléens, ainsi que tous les gens qui, dans le pays d'Hérode, étaient forcés contre leur gré et par la violence d'émigrer pour s'établir là, et même quelques dignitaires. Il installa comme habitants à côté d'eux tous les gent sans ressources qu'il avait rassemblés de partout, quelques-uns même dont la qualité d'homme libres n'était pas clairement établie. Il les dota de toute sortes de libertés et de bienfaits, en les obligeant cependant à ne pas abandonner la ville ; il leur fit construire à ses frais des maisons et leur donna des terres, car il savait que demeurer là était contraire à la loi ancestrale des Juifs, parce que Tibériade était construite sur de nombreuses sépultures qu'on osait détruites, alors que notre loi déclare souillés pour sept jours[9] ceux qui habitent un tel lieu.

[9] Voir Nombres, XIX, 16.

Artabane s'empare du royaume des Parthes.

4. Vers le même temps mourut aussi Phraates, roi des Parthes, par suite des embûches dressées contre lui par son fils Phraataces pour la raison que voici. Alors que Phraates avait des enfants légitimes, une jeune esclave d'Italie, nommée Thermusa[10], lui fut envoyée par Jules César[11] avec d'autres présents. Il l'eut d'abord pour concubine ; puis, frappé par sa grande beauté, après un certain temps, comme elle lui avait donné un fils, Phraataces[12], il fit de cette femme son épouse et la combla d'honneurs. Comme elle était en mesure de persuader au roi tout ce qu'elle voulait et qu'elle aspirait à donner à son fils le royaume des Parthes, elle réfléchit qu'elle y réussirait seulement au prix de quelque stratagème pour écarter les enfants légitimes de Phraates. Elle persuada donc celui-ci d'envoyer à Rome ses enfants légitimes comme otages. Comme il n'était guère facile à Phraates de résister aux volontés de Thermusa, ils y furent envoyés. Mais Phraataces, élevé seul pour le pouvoir, supportait avec peine et trouvait trop long d'attendre pour le recevoir que son père le lui donnât. C'est pourquoi il complota contre son père avec la complicité de sa mère dont il passait pour être l'amant. Cette double raison le fit haïr, car ses sujets eurent son inceste en horreur autant que son parricide. Surpris par une révolte avant d'avoir consolidé sa puissance, il fut chassé du pouvoir et tué. Les plus nobles des Parthes tombèrent d'accord qu'il leur était impossible de rester sans roi pour les gouverner ; or leurs rois devaient être des Arsacides, la tradition interdisant à tout autre de régner. C'était assez, à leurs yeux, que la royauté eût été déjà et à maintes reprises abaissée par le mariage du roi avec une esclave italienne et par la postérité de celle-ci. Ils rappelèrent, donc par ambassadeurs Orodès qui, sans doute, était haï du peuple et blâmé pour son excessive cruauté — en effet, il était d'humeur difficile et intraitable dans ses colères — mais qui était de la famille. Or, il fut assassiné par des conspirateurs, à ce que disent certains, au milieu d'une beuverie et d'un banquet — car tout le monde a l'habitude là-bas de porter des armes — à ce que disent d'antres, à une chasse où on l'avait entraîné. Des ambassadeurs envoyés à Rome demandèrent comme roi un des otages, et l'on envoya Vononès qui fut préféré à ses frères. A celui-ci la fortune paraissait céder[13], puisque les deux plus grandes puissances de l'univers, la sienne et l'autre[14], la lui apportaient. Mais il y eut bien vite un revirement chez les barbares, inconstants de nature, contre l'indignité de ce traitement — car ils refusaient d'obéir à un esclave étranger, considérant un otage comme un esclave — et contre la honte de cette désignation, car ce n'était pas en vertu du droit de la guerre que ce roi était imposé aux Parthes, mais, ce qui était bien pire, par suite d'une pair outrageante. [48] Aussitôt ils mandent Artabane, roi des Mèdes, de la dynastie des Arsacides. Artabane se laisse persuader et arrive avec son armée. Vononès se porte à sa rencontre et comme, au début, la plus grande partie des Parthes reste d'accord avec lui, il vainc son rival en bataille rangée et Artaban s'enfuit vers les frontières de Médie. Mais, peu après, il rassemble de nouveau ses troupes, attaque Vononès et remporte la victoire. Vononès s'enfuit à cheval à Séleucie avec quelques-uns de ses partisans. Artabane, après avoir fait dans la poursuite un grand carnage pour épouvanter les barbares, se dirige avec ses troupes vers Ctésiphon. Il régna désormais sur les Parthes. Vononès se réfugia en Arménie et tout d'abord revendiqua le pouvoir en ce pays ; il envoya, à cet effet, des ambassadeurs aux Romains. Mais comme Tibère lui opposa un refus, tant à cause de sa lâcheté qu'à cause des menaces du Parthe qui avait annoncé par des ambassadeurs qu'il se tenait prêt à faire la guerre : comme, d'autre part, il n'avait aucun autre moyen d'obtenir la royauté parce que les plus puissants des Arméniens de la région du Niphates[15] s'étaient ralliés à Artabane, il se rendit Silanus, gouverneur de Syrie. Il fut gardé avec déférence en Syrie en raison de son éducation à Rome, et l'Arménie fut donnée par Artaban à Orodès, un de ses fils.

[10] Θερμοῦσα M.W. Φορμοῦσα A. E. (= Formosa) Naber. Le nom est sans doute emprunté au langage de la galanterie qui, à Rome, était le grec.

[11] Sans doute Auguste, désigne ici par son gentilice, car les événements suivants se passent sous Tibère.

[12] [ἐκ] Φραατάκου nos = ἐκ Φραατάκου codd.

[13] Sur ces événements voir Tacite, Annales II, 1-4.

[14] Au premier siècle, la monarchie parthe est la seule puissance qui compte à côté de l'empire romain.

[15] Ala-Daghr d'Arménie – aux sources de l'Euphrate (N. du lac de Van).

Révolte de la Commagène. Mort de Germanicus.

5. En ce temps là mourut encore Antiochus, roi de Commagène, et il y eut une révolte du peuple contre les nobles. Des deux côtés furent envoyées des ambassades, les nobles réclamant un changement dans la forme du gouvernement et la réduction du pays en province, tandis que le peuple demandait à avoir un roi, selon la coutume nationale. Un sénatus-consulte désigna Germanicus[16] pour aller régler les affaires d'Orient ; c'était l'occasion de mourir que la fortune lui réservait, car lorsqu'il fut arrivé en Orient et eut tout réglé, il fut empoisonné par Pison, comme d'autres historiens l'ont raconté[17].

[16] Sur cette mission voir Tacite, Annales II, 43 et suiv.

[17] Voir Tacite, Annales, II, 69 et suiv. Josèphe renvoie sans doute ici à une les sources de Tacite.

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