Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVIII

CHAPITRE VII
Hérodiade voit avec jalousie la puissance de son frère Agrippa ; elle excite son mari Hérode (Antipas) à aller à Rome trouver l'empereur ; Caligula (Caius) prive Hérode de sa tétrarchie qu'il annexe au royaume d'Agrippa et le condamne avec sa femme à l'exil perpétuel à Lyon en Gaulle.

Hérode et Hérodiade sont jaloux d'Agrippa.

1.[1] Hérodiade, sœur d'Agrippa et femme d'Hérode, tétrarque de Galilée et de Pérée, regardait avec jalousie la puissance de son frère parce qu'elle le voyait parvenu à une bien plus grande dignité que son mari et parce que, après s'être enfui faute de pouvoir payer ses dettes, il revenait avec des honneurs et une telle félicité. Elle en était donc chagrinée et supportait mal un si grand changement ; surtout, quand elle le voyait avec les insignes habituels de la royauté et environné de multitudes, elle ne pouvait dissimuler la souffrance causée par sa jalousie. Par ses sollicitations, elle excitait son mari à s'embarquer pour Rome afin de revendiquer des honneurs égaux ; en effet la vie leur serait à charge si Agrippa, fils du roi Aristobule que son père avait condamné à mort, réduit à une indigence si désespérée qu'il avait fallu lui fournir tout le nécessaire pour chaque jour et forcé de s'embarquer pour fuir ses créanciers, revenait en roi, alors que lui, Hérode, bien qu'il fût fils de roi et que sa proximité du trône l'appelât à jouir d'un changement analogue, se contentait de vivre en simple particulier. « Même si auparavant, Hérode, disait-elle, tu n'étais pas attristé de te trouver à un rang moins élevé que le père dont tu es né, maintenant du moins aspire à la dignité qu'a ton parent et ne supporte pas d'être au-dessous de cet homme qui te dépasse et honneurs après avoir courtisé ta richesse ; ne reconnais pas que sa pauvreté puisse avoir eu plus de vertu que notre opulence, et considère comme honteux d'être surpassé par ceux qui, hier et naguère, n'ont pu vivre que grâce à ta pitié. Allons donc à Rome sans épargner notre peine, notre argent et notre or, car il ne vaut pas mieux les garder que de les dépenser pour acquérir la royauté

[1] Section 1 = Guerre, II. 182.

Caligula les exile à Lyon et donne à Agrippa leur territoire et leur fortune.

2.[2] Hérode résista un certain temps ; content de sa tranquillité, il se méfiait des embarras de Rome et essayait de chapitrer sa femme. Mais elle insistait d'autant plus qu'elle le voyait reculer davantage et elle l'exhortait à ne rien négliger pour devenir roi ; elle ne cessa pas avant d'avoir réussi à le convaincre d'accepter son avis, bien qu'à contrecœur, car il était impossible à Hérode d'échapper à ce que sa femme avait décidé à ce sujet. Ayant donc fait des préparatifs aussi somptueux qu'il le pouvait et sans épargner aucune dépense, Hérode s'embarque pour Rome en emmenant Hérodiade. Mais Agrippa, ayant deviné leurs dispositions et le but de leurs préparatifs, se préparait lui-même dès qu'il les sut embarqués, il envoya lui aussi à Rome son affranchi Fortunatus, porteur de présents pour l'empereur ainsi que d'une lettre contre Hérode, et chargé de renseigner directement Caius s'il en avait l'occasion. Fortunatus qui s'était embarqué à la poursuite d'Hérode et avait fait une heureuse traversée, fut devancé par Hérode de si peu qu'au moment où Hérode rencontrait Caius, l'autre débarquait et remettait sa lettre. Tous deux prirent terre à Dicéarchia et trouvèrent Caius à Baies, petite ville[3] de Campanie située à environ cinq stades[4] de Dicéarchia. Il y a là une résidence royale luxueusement installée, car chacun des empereurs a fait de son mieux pour éclipser ses prédécesseurs. Ce lieu possède aussi des sources thermales naturelles qui jaillissent du sol, et dont les bains sont bons pour la santé en contribuant à l'agrément du séjour. Caius, tout en parlant à Hérode, à qui il avait donné audience en premier lieu, lisait en même temps la lettre qu'Agrippa avait rédigée pour l'accuser. Or, Agrippa accusait Hérode d'avoir jadis conspiré contre le pouvoir de Tibère avec Séjan et de conspirer maintenant avec Artabane le Parthe contre le pouvoir de Caius. Comme preuve à l'appui de ses dires, il indiquait que des armes pour soixante-dix mille fantassins se trouvaient dans l'arsenal d'Hérode. Ému par cette découverte, Caius demanda à Hérode si cette indication touchant les armes était vraie. L'autre, qui ne pouvait dire le contraire, parce que la vérité était certaine, avoua, et Caius, ajoutant foi aux accusations de complot, le priva de sa tétrarchie, qu'il annexa au royaume d'Agrippa à qui il donna aussi la fortune d'Hérode, et il condamna celui-ci à l'exil perpétuel en lui imposant pour résidence Lyon, ville de Gaule. Apprenant qu'Hérodiade était la sœur d'Agrippa, il lui assigna sa fortune personnelle et lui dit que son frère était le protecteur qui l'empêchait de partager le malheur de son mari. Mais elle lui répondit : « C'est avec magnanimité et avec la dignité qui te convient, ô empereur, que tu parles ainsi, mais mon dévouement pour mon mari m'empêche de profiter de la faveur que tu m'accordes, car, ayant partagé son bonheur, je jugerais injuste de l'abandonner quand il est dans l'infortune. » Caius, irrité par cet orgueil, l'exila aussi avec Hérode et donna ses biens propres à Agrippa. C'est ainsi que la haine d'Hérodiade contre son frère et la foi ajoutée par Hérode aux bavardages de sa femme furent châtiées par Dieu. Quant à Caius, il administra les affaires de l'empire avec assez de grandeur d'âme pendant la première et la seconde années ; sa modération lui valut une grande popularité chez les Romains eux-mêmes et chez leurs sujets. Mais, avec le temps, il cessa de se regarder comme un homme, se divinisant lui-même à cause de la grandeur de sa puissance, et il en arriva à se conduire en tout sans respecter les dieux.

[2] Section 2 = Guerre, II, 183.

[3] πολίδιον A : πολύδριον Niese πολίδριον Naber.

[4] Faute de texte ou erreur manifeste de Josèphe car, à vol d'oiseau la distance de Pouzzoles à Baïes est de plus de trois kilomètres.

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