En quoi les souffrances des justes peuvent-elles, au point de vue de l’A. T., contribuer à l’avancement du règne de Dieu sur la terre ? En ceci, répond le Psaume 22, que les souffrances des justes fournissent à la fidélité et à la puissance de Dieu l’occasion de se manifester dans leur délivrance finale. Les autres justes ont alors une garantie de plus de la protection divine, et ceux qui ne connaissent pas Dieu sont bien obligés de reconnaître qu’il sauve ceux qui l’aiment. Que nous montre, en effet, le Psaume 22 ? Un innocent qui est livré en proie à ses ennemis, qui est torturé jusqu’à la mort, qui crie à son Dieu, et qui néanmoins en vient à pouvoir changer son ardente supplication en une confession joyeuse de son inaltérable confiance en l’Éternel. Et même, dans la seconde partie de ce Psaume, ce juste annonce sa délivrance ; il offre un grand sacrifice de prospérité ; tous les malheureux et tous les pauvres trouvent dans ce repas force et rafraîchissement, les païens jusqu’aux extrémités de la terre se convertissent à Dieu. Ce dernier trait rappelle d’une manière frappante Ésaïe 25.6, où il est aussi question d’un grand repas que Dieu, dans les temps messianiques, offrira sur Sion à toutes les nations, et dont l’effet pour ceux qui en goûteront sera de détruire la mort pour jamais.
[Il y a dans les effets bénis de ce festin qui ranime pour toujours le cœur de ceux qui étaient voués à la mort (Psaumes 22.27), bien plus et bien autre chose que le plaisir que les Israélites étaient invités à procurer aux pauvres à l’occasion de leurs sacrifices de prospérité.]
Quel que soit l’auteur de ce Psaume, — que ce soit David, dans la vie duquel on ne retrouve aucune situation qui s’y adapte exactement, pas même 1 Samuel 23.25, qu’indique Hofmann, — ou bien Jérémie, ou quelque autre serviteur de Dieu, un fait est constant : c’est que les suites de la mort de ce juste sont si magnifiques, qu’on ne saurait en vérité à la mort de quel homme de Dieu, si distingué qu’on le prenne, — attribuer une telle efficacité. Kimchi voit dans ce personnage accablé de maux, le peuple d’Israël tout entier. Mais le v. 23 s’y oppose péremptoirement, puisque l’auteur s’y distingue clairement du reste de-son peuple : « J’annoncerai ton nom à mes frères. » Non ! je crois, avec Hengstenberg dans la dernière explication qu’il a donnée de ce Psaume, qu’il est ici question d’une personnalité idéale, d’un insigne serviteur de Dieu, dont les souffrances surpassent celles de tous les autres en intensité, mais aussi en fruits excellents. Cette figure idéale est-elle le Messie ? On ne peut, pas le prouver rigoureusement. Mais pourquoi David, qui avait tant souffert avant de monter sur le trône, ne se serait-il donc pas représenté que le Messie suivrait la même voie, lui, le plus grand de ses descendants et son vrai fils ?
Ainsi donc le Psaumes 22, ne nous montre pas encore un Messie souffrant à la place de ses frères. Mais il y a quelque chose qui se rapproche déjà de cette notion dans les passages qui nous montrent des justes se mettant à la brèche pour leurs compatriotes coupables, intercédant pour eux et offrant d’être anathèmes à leur place. On se rappelle Genèse 18.23, et surtout Exode 32.32 ; Psaumes 106.23 ; Amos 7.1. Mais le péché peut, atteindre un tel degré de gravité, qu’il n’y ait plus, d’intercession possible : « Quand Moïse et Samuel se tiendraient devant moi, je n’aurais pourtant point d’affection pour ce peuple. Chasse-les (ce peuple) de devant ma face et qu’ils s’éloignent ! » (Jérémie 20.1) En temps ordinaire, c’est un devoir pour les prophètes de monter à la brèche (Ézéchiel 13.5) pour la maison d’Israël ; mais il y a une limite à tout, même au devoir de l’intercession. « Toi donc, dit l’Éternel à Jérémie, ne fais point de requête pour ce peuple-ci. » (Jérémie 11.14) Si donc c’était l’intercession qui devait sauver le peuple, ce moyen de salut lui ferait faux-bond au moment où il en aurait le plus grand besoin. D’ailleurs, le plus juste des justes a ses péchés, qui le rendent incapable de prendre véritablement sur lui la malédiction qui pèse sur son peuple. Tous les « Melitzim, מלתּים », c’est-à-dire tous les médiateurs qui peuvent chercher à s’interposer entre le peuple et Dieu, doivent se déclarer satisfaits, si leur justice suffit seulement à les sauver (Ésaïe 43.27 ; Ézéchiel 14.14). Tout ceci ne fait-il pas sentir le besoin d’une personnalité qui soit réellement en état de tenir, elle juste, devant Dieu, la place du peuple coupable ? Et c’est ce que nous trouvons enfin dans Ésaïe ch. 53.
Le serviteur de l’Éternel de la seconde partie d’Esaïe est d’abord le peuple d’Israël. Mais peu à peu (§ 227) s’en dégage évidemment une personnalitéh qui rapproche le peuple de son Dieu, qui est la lumière des Gentils (Ésaïe 42.6), et qui, nouveau Josué, fait rentrer Israël dans son pays (Ésaïe 49.8). Mais si l’on peut encore au besoin rendre compte de ces passages quand on ne voit dans le serviteur de l’Éternel que le noyau fidèle du peuple, l’ensemble des serviteurs de Dieu, dont le prophète lui-même fait partie, — il n’en est pas ainsi du chap. 53. Impossible de ne pas le rapporter à un être individuel. Ewald l’a bien senti quand il a prétendu que ce fameux chapitre est un emprunt fait à un tout autre livre, où était racontée l’histoire de quelque martyr. Rien de plus erroné que l’interprétation, fort répandue aujourd’hui, qui consiste à mettre ce chapitre dans la bouche des Gentils. C’est le prophète qui y parle. Il parle tantôt au nom des prophètes en général : « Qui a cru à notre prédication ? » tantôt au nom du peuple tout entier : « Nous avons tous été errants comme des brebis ; nous nous sommes détournés pour suivre chacun notre propre chemin, et l’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous. » Les prophètes ont beau savoir qu’ils sont des serviteurs de Dieu ; le sentiment du péché est si vif chez eux qu’ils ne se séparent jamais de la masse souillée de leurs concitoyens (Ésaïe 59.12). Comment donc pourraient-ils se présenter efficacement devant Dieu en faveur de leurs frères ? (v. 16) Et ce qu’ils ne réussiraient pas à faire individuellement, leurs imperfections réunies les empêcheraient de le faire collectivement. Il faut donc admettre qu’au-dessus des fidèles témoins qui de tous temps ont souffert pour la vérité (Ésaïe 50.6 ; 57.1), le prophète contemple un homme qui, réalisant enfin complètement l’idéal du serviteur de l’Éternel, ne souffre pas pour ses propres péchés, mais pour les péchés de tout le peuple, — qui met son âme en oblation, אשם (v. 10. § 137), afin de payer la dette immense des méchants, — qui souffre tant, que ceux pour lesquels il meurt ne le reconnaissent pas, malgré toutes les prédications, tous les avertissements prophétiques, שמעתנו, qui ont été adressés au peuple pour le préparer à son apparition (v. 4) ; en sorte que ses concitoyens s’imaginent que Dieu le châtie pour ses propres péchés, et qu’ils le poursuivent de leurs malédictions jusque dans le sépulcre, comme il arrive pour des méchants dont la vie a été une suite d’outrages à la morale, ou pour des riches qui ne se sont enrichis qu’à force de tromperiesi. Mais voici, Dieu l’arrache à la mort et le transporte dans la gloire, d’où il devient pour beaucoup la source d’une justice parfaite.
h – Surtout aux ch. 42 et 49. Delitzsch compare la notion du serviteur de l’Éternel à une pyramide dont la base est tout Israël, le milieu l’Israël spirituel, et la pointe le Messie.
i – Voilà le v. 9. Il se compose de 4 membres de phrase. Le 1er et le 3e se répondent, comme le 2e et le 4e.
C’est ainsi que, dans un temps où Israël n’avait plus d’autel, et où le sang des taureaux et des boucs ne pouvait plus couler en expiation de ses péchés, l’Esprit de Dieu révélait aux prophètes qu’un juste accompli se présenterait un jour volontairement pour expier les crimes de son peuple et qu’il les expierait vraiment.