- La foi est-elle infusée à l'homme par Dieu ?
- La foi informe est-elle un don de Dieu ?
Objections
1. Il semble que non, car S. Augustin affirme : « La foi est engendrée, nourrie, défendue, et fortifiée en nous par la science. » Mais ce qui est engendré en nous par la science semble être plus acquis qu'infus. La foi n'est donc pas en nous, à ce qu'il semble, par infusion divine.
2. Ce que l'homme atteint en écoutant et en regardant paraît bien être acquis par lui. Mais l'homme parvient à croire en voyant les miracles et en écoutant l'enseignement de la foi. Il est écrit en S. Jean (Jean 4.58) : « Le père se rendit compte que c'était l’heure à laquelle Jésus lui avait dit : “Ton fils est vivant.” Aussi crut-il, lui et toute sa maison. » Et S. Paul écrit (Romains 10.17) : « La foi vient de ce qu'on entend. » L'homme possède donc la foi par acquisition.
3. Ce qui réside dans la volonté de l'homme peut être acquis par l'homme. Or, dit S. Augustin : « la foi réside dans la volonté des croyants ». Donc elle peut être acquise par l'homme.
En sens contraire, il est écrit (Éphésiens 2.18) : « C'est par la grâce que vous avez été sauvés moyennant la foi ; cela ne vient pas de vous, afin que nul ne se glorifie : c'est un don de Dieu. »
Réponse
Deux conditions sont requises pour la foi. L'une est que les choses à croire soient proposées à l'homme, et cette condition est requise pour que l'homme croie à quelque chose d'une manière explicite. L'autre condition requise pour la foi est l'assentiment du croyant à ce qui est proposé. Quant au premier point, il faut nécessairement que la foi vienne de Dieu. Car les vérités de foi dépassent la raison humaine. Aussi ne sont-elles pas connues par l'homme si Dieu ne les révèle. Mais, tandis qu'à certains il les révèle immédiatement, comme il l'a fait aux Apôtres et aux Prophètes, à certains il les propose en envoyant les prédicateurs de la foi selon S. Paul (Romains 10.15) : « Comment prêcheront-ils s'ils ne sont pas envoyés ? » Quant à la seconde condition, qui est l'assentiment de l'homme aux choses de la foi, on peut considérer une double cause. Il en est une qui de l'extérieur induit à croire : ce sera par exemple la vue d'un miracle ou l'action persuasive d'un homme qui exhorte à la foi. Ni l'une ni l'autre de ces deux causes n'est suffisante ; car, parmi ceux qui voient un même miracle et qui entendent la même prédication, les uns croient et les autres ne croient pas. Voilà pourquoi il faut admettre une autre cause, intérieure celle-ci, qui meut l'homme à adhérer aux vérités de foi. Mais cette cause, les pélagiens la plaçaient uniquement dans le libre arbitre de l'homme, et c'est pourquoi ils affirmaient que le commencement de la foi vient de nous, en ce sens qu'il dépend de nous que nous soyons prêts à adhérer aux vérités de foi ; seul l'achèvement de la foi vient de Dieu, parce que c'est lui qui nous propose ce que nous devons croire. Mais cela est faux, parce que lorsqu'il adhère aux vérités de foi, l'homme est élevé au-dessus de sa nature ; il faut donc que cela vienne en lui par un principe surnaturel qui le meuve du dedans, et qui est Dieu. C'est pourquoi la foi, quant à l'adhésion qui en est l'acte principal, vient de Dieu qui nous meut intérieurement par sa grâce.
Solutions
1. La science engendre et nourrit la foi à la manière d'une persuasion extérieure qui provient d'une certaine science. Mais la cause principale de la foi, sa cause propre, c'est ce qui intérieurement porte à l'assentiment.
2. Cet argument, lui aussi, est valable pour la cause qui propose extérieurement les vérités de foi, ou qui exhorte à croire par des paroles ou par des faits.
3. L'acte de croire réside bien dans la volonté des croyants. Mais il faut que la volonté de l'homme soit préparée par Dieu moyennant la grâce, pour que cette volonté soit élevée à des choses qui dépassent la nature, nous venons de le dire.
Objections
1. Il ne semble pas, car il est écrit au Deutéronome (Deutéronome 32.4) : « Les œuvres de Dieu sont parfaites », alors que la foi informe est quelque chose d'imparfait. Elle n'est donc pas une œuvre de Dieu.
2. Comme on dit qu'un acte est difforme parce qu'il est privé de la forme requise, ainsi dit-on que la foi est informe parce qu'elle est privée de la forme requise. Or l'acte difforme du péché ne vient pas de Dieu, avons-nous dit précédemment. La foi informe ne vient donc pas non plus de Dieu.
3. D'ailleurs, tout ce que Dieu guérit, il le guérit totalement selon cette parole en S. Jean (Jean 7.23) : « Alors qu'un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat pour que la loi de Moïse soit respectée, vous vous indignez contre moi parce que j'ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat. » Mais par la foi l'homme est guéri de l'infidélité. Quiconque par conséquent reçoit de Dieu le don de la foi est guéri en même temps de tous ses péchés. Mais cela ne se produit que par la foi formée. Elle seule est donc un don de Dieu, et non la foi informe.
En sens contraire, une glose dit que « la foi qui est sans la charité est un don de Dieu ». Or cette foi est la foi informe ; donc celle-ci est un don de Dieu.
Réponse
Le manque de forme est une privation. Mais il faut considérer que la privation appartient parfois à la raison de l'espèce ; parfois non, car elle s'ajoute à une réalité qui a déjà son espèce propre. Ainsi la privation de l'équilibre normal des humeurs définit ce qui constitue spécifiquement la maladie ; en revanche, l'obscurité n'entre pas dans la définition de ce qui constitue spécifiquement la matière diaphane, elle s'ajoute seulement à cette matière. Donc, lorsqu'on assigne à une réalité sa cause, cela s'entend de l'assignation de la cause qui fait que la réalité existe dans sa propre espèce. Aussi ne peut-on dire que ce qui n'est pas cause de la privation soit cause de la réalité, quand la privation entre précisément dans la définition spécifique de cette réalité. Ainsi, on ne peut assigner comme cause de la maladie ce qui n'est pas cause d'un déséquilibre des humeurs. On peut cependant dire d'une chose qu'elle est cause d'une matière diaphane, bien qu'elle ne soit pas cause de l'obscurité, parce que celle-ci ne fait pas partie de la définition même du corps diaphane. Ainsi le manque de forme dans la foi n'appartient pas à la notion spécifique de la foi elle-même, puisque la foi est dite informe par le défaut, avons-nous dit, d'une certaine forme extérieure à elle. C'est pourquoi cela est cause de la foi informe, qui est cause de la foi tout court. Or c'est Dieu, avons-nous dite. Il reste donc que la foi informe soit un don de Dieu.
Solutions
1. Bien que la foi informe ne soit pas parfaite absolument de la perfection qui fait la vertu, elle l'est cependant d'une certaine perfection qui suffit à la raison de foi.
2. La difformité dans l'action atteint celle-ci dans ce qu'elle a de spécifique en tant qu'acte moral, nous l'avons dit à propos des actes humains. Une action est difforme en effet par la privation d'une forme qui lui est intrinsèque, n'étant autre que la juste mesure dans toutes les circonstances de l'acte. C'est pourquoi on ne peut jamais dire que Dieu soit cause d'un acte difforme, parce que Dieu n'est pas cause d'un pareil manque de forme, encore qu'il soit cause de l'acte en tant qu'acte. — Ou encore, il faut remarquer que le manque de forme peut impliquer non seulement la privation de la forme que l'acte devrait avoir, mais aussi la disposition contraire. De ce point de vue la difformité est à l'acte ce que la fausseté est à la foi. C'est pourquoi, de même que Dieu n'est pas l’auteur d'un acte déformé il ne l'est pas non plus d’une foi faussée. Et, de même que Dieu est l’auteur d'une foi qui n'est qu'informe, il l'est aussi des actes qui sont bons dans leur genre quoique pas informés par la charité, comme il arrive la plupart du temps chez les pécheurs.
3. Celui qui reçoit de Dieu la foi sans la charité, n’est pas absolument guéri de l'infidélité, la culpabilité de son infidélité précédente n'est pas enlevée. Il est guéri jusqu'à un certain point, c'est-à-dire qu'il ne commet plus le péché d'infidélité. C'est là un cas qui se présente fréquemment : quelqu'un s'arrête, par l'action de Dieu, de commettre un acte de péché, qui cependant ne s'arrête pas, sous l'influence de sa propre iniquité, d'accomplir l'acte d'un péché d'une autre sorte. C'est de cette manière que Dieu donne quelquefois à un homme de croire, sans lui accorder cependant le don de la charité, comme il accorde aussi à quelques-uns, en dehors de la charité, le don de prophétie ou quelque chose de semblable.