- La crainte est-elle un effet de la foi ?
- La purification du cœur est-elle un effet de la foi ?
Objections
1. Il semble que non, car l'effet ne précède pas la cause. Or la crainte précède la foi, selon l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 2.8) : « Vous qui craignez Dieu, croyez-le. » La crainte n'est donc pas un effet de la foi.
2. Une même chose n'est pas la cause d'effets contraires. Or la crainte et l'espérance, avons-nous dit, à propos des passions, sont des contraires. Mais il est dit dans la Glose que « la foi engendre l’espérance ». Elle n'est donc pas cause de crainte.
3. Un contraire, enfin, n'est pas cause de son contraire. Or l'objet de la foi est un bien, la Vérité première ; tandis que celui de la crainte, nous l’avons dit, est un mal. Or, les actes tirent leur espèce de leurs objets. La foi ne peut donc pas causer la crainte.
En sens contraire, il y a la parole de S. Jacques (Jacques 2.19) : « Les démons croient, et ils tremblent. »
Réponse
La crainte, avons-nous dit, est un certain mouvement de la puissance appétitive. Mais le principe de tous les mouvements d'appétit, c'est la connaissance d'un bien ou d'un mal. Il faut donc que la crainte, comme tous les mouvements d'appétit, ait pour principe une perception. Or la foi produit précisément en nous une certaine perception concernant certains maux, qui sont les châtiments infligés selon le jugement de Dieu. De cette façon, la foi est cause de la crainte par laquelle on redoute d'être puni par Dieu, et qui est la crainte servile. La foi est aussi cause de la crainte filiale, par laquelle on redoute d'être séparé de Dieu, ou bien par laquelle on évite de se comparer à Dieu par respect pour lui. Cela vient de la foi qui nous fait estimer Dieu comme un bien immuable et suprême : être séparé de lui est le plus grand mal, et vouloir s'égaler à lui est mal. Mais la première crainte, qui est servile, a pour cause la foi informe. La seconde, la crainte filiale, a pour cause la formée, celle qui fait que par la charité l'homme adhère à Dieu et se soumet à lui.
Solutions
1. La crainte de Dieu ne peut précéder la foi en tout, car si nous étions tout fait dans l'ignorance de Dieu quant aux récompenses ou aux châtiments dont nous sommes instruits par la foi, nous ne le craindrions en aucune façon. Mais, supposé que la foi existe dans une âme touchant quelques-uns des articles de foi, touchant par exemple l'excellence divine, la crainte révérencielle s'ensuit, et cette crainte à son tour entraîne l'homme à soumettre son intelligence à Dieu pour croire à tout ce qui est promis par Dieu. D'où ce mot à la suite du texte cité : « Et votre récompense ne manquera pas. »
2. Une même chose peut bien, sous des aspect contraires, causer des effets contraires ; mais non la même chose sous un même aspect. D'un côté la foi engendre l'espérance en nous faisant apprécier les récompenses que Dieu accorde aux justes. Mais, d'un autre côté, elle est cause de crainte en tant qu'elle suscite en nous la pensée des châtiments qu'il veut infliger aux pécheurs.
3. L'objet premier et formel de la foi, c'est ce bien qui est la Vérité première. Mais matériellement, dans ce qui est proposé à la foi, on doit croire aussi à certains maux, par exemple que c'est un mal de ne pas se soumettre à Dieu ou d'être séparé de lui, et que les pécheurs auront à supporter les châtiments de Dieu. À cet égard la foi peut être cause de crainte.
Objections
1. Il ne semble pas. Car la pureté du cœur se situe surtout dans les affections. Mais la foi est dans l'intelligence. Donc elle ne cause pas la purification du cœur.
2. Ce qui cause la purification du cœur ne peut exister en même temps que l'impureté. Or la foi peut exister en même temps que l'impureté du péché, comme on le voit chez ceux qui ont une foi informe. Donc la foi ne purifie pas le cœur.
3. Si la foi purifiait en quelque manière le cœur de l'homme, c'est surtout son intelligence qu'elle purifierait. Mais elle ne purifie pas l'esprit de son obscurité puisqu'elle est une connaissance énigmatique. D'aucune manière donc elle ne purifie le cœur.
En sens contraire, S. Pierre dit (Actes 15.9) : « Dieu a purifié leurs cœurs par la foi. »
Réponse
Une chose est impure en ce qu'elle est mélangée à de plus viles. On ne dit pas en effet que l'argent est impur par l'alliage de l'or, qui augmente sa valeur ; mais il l'est par l'alliage du plomb ou de l'étain. Or il est évident que la créature raisonnable a plus de dignité que toutes les créatures temporelles et corporelles. C'est pourquoi elle est rendue impure par le fait qu'elle se soumet à elles par l'amour. De cette impureté elle est ensuite purifiée par le mouvement contraire, c'est-à-dire lorsqu'elle tend à ce qui est au-dessus d'elle, à Dieu. Dans ce mouvement, il est sûr que le premier principe c'est la foi : « Celui qui s'approche de Dieu doit croire » (Hébreux 11.6). Et voilà pourquoi le principe premier de la purification du cœur est la foi. Et si cette foi trouve sa perfection dans une charité formée, elle cause une parfaite purification.
Solutions
1. Ce qui est dans l'intelligence est le principe de ce qui est dans les affections, en tant que le bien perçu par l'intelligence met en mouvement l'affection.
2. Même informe, la foi exclut une certaine impureté qui lui est opposée : l'impureté de l'erreur. Cette impureté provient de ce que l'intelligence humaine adhère d'une manière désordonnée aux réalités inférieures, aussi longtemps qu'elle veut mesurer le divin d'après des raisons qui ne s'appliquent qu'aux choses sensibles. Mais quand la foi est formée par la charité, alors elle ne souffre plus avec elle aucune impureté : « La charité couvre toutes les fautes », selon les Proverbes (Proverbes 10.12).
3. L'obscurité de la foi ne relève pas de l'impureté de la faute, mais plutôt du défaut naturel de l'intelligence humaine dans l'état de la vie présente.
Il faut étudier maintenant ce qui concerne le don d'intelligence (Q. 8) et le don de science (Q. 9), qui correspondent à la vertu de foi.