- L'intelligence est-elle un don de l'Esprit Saint ?
- Ce don peut-il exister chez un homme en même temps que la foi ?
- Cette intelligence, qui est un don du Saint-Esprit, est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle en outre pratique ?
- Tous ceux qui sont en état de grâce ont-ils le don d'intelligence ?
- Chez quelques-uns ce don se trouve-t-il sans la grâce ?
- Quel rapport y a-t-il entre le don d'intelligence et les autres dons ?
- Ce qui correspond à ce don dans les béatitudes.
- Ce qui lui correspond dans les fruits du Saint-Esprit.
Objections
1. Il ne semble pas. Car les dons de la grâce sont distincts de ceux de la nature ils y sont surajoutés. Mais comme le montre Aristote, l'intelligence est dans l'âme un certain habitus naturel par lequel sont connus les principes naturellement évidents. On ne doit donc pas en faire un don de l'Esprit Saint.
2. Comme on le voit chez Denys, les dons divins sont participés par les créatures selon la proportion et le mode de celles-ci. Or le mode de la nature humaine, c'est de connaître la vérité, non pas d'une manière simple, ce qui est essentiel à l'intelligence, mais d'une manière discursive, ce qui est le propre de la raison, comme le montre aussi Denys. Donc la connaissance divine qui est donnée aux hommes doit être appelée plutôt un don de raison qu'un don d'intelligence.
3. Dans les puissances de l'âme, l'intelligence est distincte de la volonté, comme le montre Aristote. Mais aucun don de l'Esprit Saint n'est appelé volonté. Donc aucun non plus ne doit être appelé intelligence.
En sens contraire, il est dit en Isaïe (Ésaïe 11.2) : « Sur lui reposera l'esprit du Seigneur, l'esprit de sagesse et d'intelligence. »
Réponse
Le mot d'intelligence implique une certaine connaissance intime : faire acte d'intelligence c'est en effet comme « lire dedans. » Et c'est là une chose évidente pour ceux qui voient la différence entre l'intelligence et le sens ; car la connaissance par sensation est tout occupée de ce qui concerne les qualités sensibles extérieures, tandis que la connaissance intellectuelle pénètre jusqu'à l'essence de la réalité.
L'objet de l'intelligence, c'est en effet le « ce que c'est », comme dit Aristote. Or les choses cachées au-dedans sont de beaucoup de sortes, et il faut que la connaissance de l'homme pénètre pour ainsi dire au-dedans. Car, sous les accidents se cache la nature substantielle des choses, sous les mots se cache ce qui est signifié par les mots, sous les similitudes et les figures se cache la vérité figurée ; de même les réalités intelligibles sont en quelque sorte intérieures par rapport aux réalités sensibles qui se font sentir extérieurement, comme dans les causes sont cachés les effets, et inversement. D'où, par rapport à tout cela, on peut parler d'intelligence. Mais, puisque la connaissance, chez l'homme, commence par les sens comme à partir de l'extérieur, il est évident que plus la lumière de l'intelligence est forte, plus elle peut pénétrer à l'intime des choses. Or la lumière naturelle de notre intelligence n'a qu'une vertu limitée ; de là elle ne peut parvenir qu'à certaines limites déterminées. Donc, l'homme a besoin d'une lumière surnaturelle pour pénétrer au-delà, jusqu'à la connaissance de choses qu'il n'est pas capable de connaître par sa lumière naturelle. C'est cette lumière surnaturelle donnée à l'homme qui s'appelle le don d'intelligence.
Solutions
1. La lumière naturelle qui est innée en nous fait connaître immédiatement certains principes généraux qui sont connus naturellement. Mais, parce que l'homme est ordonné, avons-nous dit, à la béatitude surnaturelle, il est nécessaire qu'il parvienne au-delà jusqu'à des réalités plus hautes, et pour cela il faut le don d'intelligence.
2. Le mouvement discursif de la raison commence et se termine à l'intelligence ; nous raisonnons en effet à partir de certaines choses dont nous avons l'intelligence, et le mouvement de la raison est achevé dès que nous parvenons à l'intelligence de ce qui jusque-là nous était inconnu. Donc, ce que nous élaborons dans la raison découle de quelque chose que nous avions précédemment dans l'intelligence. Mais le don de la grâce ne découle pas de la lumière de la nature, il lui est au contraire surajouté, comme apportant une perfection à cette lumière. C'est pourquoi une telle addition n'est pas appelée raison mais plutôt intelligence, parce que cette lumière surajoutée a le même rôle à l'égard de ce qui nous est révélé surnaturellement, que la lumière naturelle à l'égard de ce que nous connaissons en premier lieu.
3. La volonté désigne simplement le mouvement de l'appétit, sans détermination d'aucune supériorité. Mais l'intelligence désigne dans la connaissance une certaine supériorité, celle de pénétrer à l'intime des choses. C'est pourquoi le don surnaturel s'appelle intelligence plutôt que volonté.
Objections
1. Apparemment non, car S. Augustin dit que « ce qui est compris est limité par la compréhension de celui qui comprend ». On ne comprend pas ce que l'on croit, selon l'Apôtre (Philippiens 3.12) : « Ce n'est pas que j'aie compris ni que je sois parfait. » Il semble donc que la foi et l'intelligence ne puissent pas exister chez le même individu.
2. On voit tout ce qui est saisi par l'intelligence. Or la foi, avons-nous dit, concerne ce qui ne se voit pas. La foi ne peut donc pas exister chez le même individu en même temps que l'intelligence.
3. Il y a plus de certitude dans l’intelligence que dans la science. Mais nous avons vu que science et foi ne peuvent avoir le même objet. Donc beaucoup moins intelligence et foi.
En sens contraire, S. Grégoire affirme : « L'intelligence éclaire l'esprit sur ce qu'on a entendu. » Or quelqu'un qui a la foi peut fort bien être éclairé en son esprit sur ce qu'il a entendu dire. De là le mot de Luc (Luc 24.45) : « Le Seigneur ouvrit l'esprit à ses disciples pour qu'ils aient l'intelligence des Écritures. » Donc l'intelligence peut exister en même temps que la foi.
Réponse
Ici une double distinction est nécessaire. L'une du côté de la foi ; l'autre du côté de l'intelligence.
Du côté de la foi il faut distinguer les choses qui par elles-mêmes et directement tombent sous la foi, celles qui dépassent la raison naturelle : que Dieu est trine et un, que le Fils de Dieu est incarné ; et d'autres vérités tombent sous la foi comme étant de quelque manière ordonnées à celles-là, par exemple toutes les vérités contenues dans la divine Écriture.
Du côté de l'intelligence il faut distinguer deux manières dont on peut dire que nous comprenons quelque chose. — D'une part nous comprenons parfaitement lorsque nous parvenons à connaître l'essence de la réalité que vise l'intelligence, et la vérité même de l'énoncé reçu par l'intelligence, selon ce que chaque chose est en elle-même. De cette manière nous ne pouvons comprendre ce qui tombe directement sous la foi, tant que dure le statut de la foi. Mais d'autres vérités ordonnées à la foi peuvent être comprises même de cette manière parfaite. — D'autre part, il arrive que l'on comprenne imparfaitement quelque chose, lorsque de l'essence même de la chose, ou de la vérité de la proposition, on ne sait pas ce qu'elle est, ou comment elle est, mais on sait seulement que ce qui apparaît du dehors ne s'oppose pas à la vérité de ce qui est ; l'homme comprend alors qu'il ne doit pas s'éloigner des vérités de foi à cause de ce qu'il voit du dehors. En ce sens rien n'empêche, tant que dure le statut de la foi, de comprendre même ce qui, par soi-même, tombe sous la foi.
Solutions
Cela répond clairement aux Objections. Car les trois premières sont valables pour ce qui est d'avoir l'intelligence parfaite de quelque chose. Quant à l'argument En sens contraire, il est recevable s'il s'agit de l'intelligence des choses qui sont ordonnées à la foi.
Objections
1. Selon toute apparence, elle n'est pas pratique, mais spéculative seulement. En effet, l'intelligence, dit S. Grégoire, « pénètre des réalités plus hautes ». Mais les réalités ressortissant à l'intellect pratique ne sont pas élevées, ce sont des choses minimes : les particularités qui sont la matière même de nos actes. L'intelligence que l'on tient pour un don n'est donc pas une intelligence pratique.
2. L'intelligence qui est un don est quelque chose de plus noble que l'intelligence qui est une vertu intellectuelle. Mais la vertu intellectuelle d'intelligence concerne seulement le nécessaire, comme l'explique le Philosophe. Donc bien davantage le don d'intelligence concerne-t-il seulement le nécessaire. Or, l'intellect pratique ne s'occupe pas du nécessaire, mais du contingent, qui peut être autrement qu'il n'est : là est le domaine de ce qui peut être fait par l'activité de l'homme. Le don d'intelligence n'est donc pas l'intellect pratique.
3. Le don d'intelligence éclaire l'esprit pour ce qui dépasse la raison naturelle. Mais les activités de l'homme, qui sont l'objet de l'intelligence pratique, ne dépassent pas la raison naturelle, puisque c'est elle qui a la direction de l'action ; nous avons vu cela précédemment. Le don d'intelligence n'est donc pas un intellect pratique.
En sens contraire, il est dit dans le Psaume (Psaumes 111.10) : « Ils ont une bonne intelligence, ceux qui pratiquent la crainte du Seigneur. »
Réponse
Le don d'intelligence, nous venons de le dire, s'applique non seulement à ce qui tombe sous la foi à titre premier et principal, mais encore à tout ce qui est ordonné à la foi. Or les bonnes actions ont un certain ordre à la foi, car, dit l'Apôtre (Galates 5.6) : « La foi est agissante par la charité. » C'est pourquoi le don d'intelligence s'étend aussi à certaines actions. Il ne s'en occupe pas à titre principal mais dans la mesure où nous sommes réglés dans l'action « par ces raisons éternelles que s'attache à contempler et à consulter la raison supérieure », selon S. Augustin, raison supérieure qui est perfectionnée par le don d'intelligence.
Solutions
1. Les actions humaines, considérées en elles-mêmes, n'ont pas une haute excellence. Mais, en tant qu'elles se réfèrent à la règle de la loi éternelle et à la fin de la béatitude divine, elles prennent assez d'altitude pour que l'intelligence puisse s'en occuper.
2. Ce qui fait la dignité du don d'intelligence c'est qu'il regarde les réalités intelligibles qui son éternelles ou nécessaires, non seulement comme elles sont en elles-mêmes, mais aussi en tant qu'elles sont des règles pour les actes humains car la connaissance qui s'étend à des objets plus nombreux en devient plus noble.
3. Les actes humains ont pour règle, avons nous dit plus haut, et la raison humaine et la loi éternelle. Or la loi éternelle dépasse la raison naturelle. C'est pour cela que la connaissance des actes humains, en tant qu'ils sont réglés par la loi éternelle, dépasse la raison naturelle et a besoin de la lumière surnaturelle que lui procure le don de l'Esprit Saint.
Objections
1. Il semble bien que non, puisqu'il est donné, dit S. Grégoire, contre « l'hébétude d'esprit » et que beaucoup qui ont la grâce souffrent encore de cette hébétude d'esprit. Le don d'intelligence n'est donc pas chez tous ceux qui ont la grâce.
2. Dans le domaine de la connaissance, il n'y a que la foi qui semble nécessaire au salut, car « par la foi le Christ fait son habitation dans nos cœurs » (Éphésiens 3.17). Mais ceux qui ont la foi n'ont pas tous le don d'intelligence ; bien plus, dit S. Augustin « ceux qui croient doivent prier pour avoir l'intelligence ». Donc le don d'intelligence n'est pas nécessaire pour le salut, et il n'est pas chez tous ceux qui ont la grâce.
3. Ce qui est commun à tous ceux qui ont la grâce ne leur est jamais retiré tant qu'ils demeurent en état de grâce. Or la grâce de l'intelligence et des autres dons, selon S. Grégoire, « quelque fois se retire utilement, car parfois, tandis que l'esprit s'élève par l'intelligence qu'il a de chose sublimes, il traîne paresseusement par une lourde hébétude dans des choses infimes et viles ». Donc le don d'intelligence n'existe pas chez tous ceux qui ont la grâce.
En sens contraire, il est dit dans le Psaume (Psaumes 82.5) : « Sans savoir, sans comprendre, ils marchent dans les ténèbres. » Mais personne, s'il a la grâce, ne marche dans les ténèbres, selon ce qui est dit en S. Jean (Jean 8.12) : « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres. » Donc personne, ayant la grâce, n'est privé du don d'intelligence.
Réponse
Chez tous ceux qui ont la grâce existe nécessairement la rectitude de la volonté, puisque « par la grâce la volonté de l'homme est préparée au bien », dit S. Augustin. Mais la volonté ne peut être ordonnée correctement au bien sans que préexiste quelque connaissance de la vérité, car l'objet de la volonté c'est le bien perçu par l'intelligence, selon Aristote. Or, de même que par le don de la charité l'Esprit Saint dispose la volonté de l'homme à se porter directement vers un bien surnaturel, de même c'est aussi par le don d'intelligence qu'il donne à l'esprit de l'homme de la lumière pour connaître une certaine vérité surnaturelle, celle à laquelle doit tendre la volonté droite. Voilà pourquoi, de même que le don de la charité existe chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante, de même aussi le don d'intelligence.
Solutions
1. Parmi ceux qui ont la grâce sanctifiante, certains peuvent souffrir d'hébétude dans des choses qui ne sont pas nécessaires au salut. Mais dans celles qui sont nécessaires au salut, ils sont suffisamment instruits par l'Esprit Saint, selon cette parole de S. Jean (1 Jean 2.27) : « Son onction vous enseigne toutes choses. »
2. Ceux qui ont la foi n'ont pas tous la pleine intelligence des choses qui nous sont proposées à croire ; ils ont cependant assez d'intelligence pour saisir que c'est là ce qu'on doit croire et que pour rien on ne doit s'en écarter.
3. Jamais le don d'intelligence ne se dérobe aux saints en ce qui concerne les choses nécessaires au salut. Mais, en ce qui concerne les autres choses, de temps en temps il se retire de telle sorte qu'ils ne puissent pas pénétrer toutes choses clairement par l'intelligence, cela pour leur enlever tout sujet d'orgueil.
Objections
1. Il semble que oui. S. Augustin, commentant cette parole du Psaume (Psaumes 119.20) : « Mon âme désire ardemment tes justices », dit en effet : « L'intelligence vole en avant, le sentiment humain suit tardivement et faiblement. » Mais, chez tous ceux qui ont la grâce qui rend agréable à Dieu, le sentiment est prompt, en raison de la charité. Donc, chez ceux qui n'ont pas cette grâce, il peut y avoir pourtant le don d'intelligence.
2. Il est écrit en Daniel (Daniel 10.1) : « On a besoin d'intelligence dans la vision » prophétique. Ainsi, semble-t-il, il n'y a pas de prophétie sans le don d'intelligence. Mais la prophétie peut exister sans la grâce qui rend agréable à Dieu comme on le voit dans S. Matthieu (Matthieu 7.22, 23). À ceux qui disent : « Nous avons prophétisé en ton nom », est répondu : « je ne vous ai jamais connus. » Donc le don d'intelligence peut exister sans la grâce sanctifiante.
3. D'après ce passage d'Isaïe (Ésaïe 7.9) selon une autre version : « Si vous n'avez pas la foi, vous n'aurez pas d'intelligence », le don d'intelligence correspond à la vertu de foi. Mais la foi peut exister sans la grâce sanctifiante. Donc aussi le don d'intelligence.
En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (Jean 6.45) : « Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son école vient à moi. » Mais, quand nous apprenons et pénétrons ce que nous entendons, c'est par l'intelligence, comme le montre S. Grégoire. Donc quiconque a le don d'intelligence vient au Christ ; ce qui exige la grâce sanctifiante. Donc le don d'intelligence n'existe pas sans la grâce sanctifiante.
Réponse
Les dons de l'Esprit Saint, avons-nous dit, perfectionnent l'âme en ce sens qu'elle est alors facilement mue par l'Esprit Saint. Ainsi donc, la lumière intellectuelle procurée par la grâce est considérée comme le don d'intelligence dans la mesure où l'esprit de l'homme se prête bien à l'action de l'Esprit Saint. Or la caractéristique d'un tel mouvement est que l'homme appréhende la vérité concernant sa fin. Aussi, à moins que l'esprit humain soit mû par l'Esprit Saint pour avoir une juste appréciation de la fin, il n'a pas encore obtenu le don d'intelligence, si grande que soit en lui, sous la lumière de l'Esprit, la connaissance de certaines autres vérités qui sont des préambules. Or, cette juste appréciation de la fin, celui-là seul la possède, qui ne fait aucune erreur à l'égard de cette fin, mais s'attache fortement à elle comme à ce qu'il y a de meilleur. Cela appartient seulement à celui qui a la grâce sanctifiante, comme du reste en morale, si l'homme a une juste évaluation de la fin, c'est qu'il a l'habitus de la vertu. Par conséquent, nul ne possède le don d'intelligence sans la grâce sanctifiante.
Solutions
1. S. Augustin donne le nom d'intelligence à toute illumination de l'esprit, quelle qu'elle soit. Celle-ci cependant ne parvient à la parfaite réalisation du don que si l'esprit de l'homme est amené jusqu'à ce point où l'on a une juste appréciation de la fin.
2. L'intelligence qui est nécessaire pour la prophétie est une certaine illumination de l'esprit relative à ce qui est révélé aux prophètes. Mais ce n'est pas une illumination de l'esprit relative à la juste appréciation de la fin ultime, qui appartient au don d'intelligences.
3. La foi implique uniquement l'adhésion à ce qui est proposé. Mais l'intelligence implique une certaine perception de la vérité, qui peut exister seulement, en ce qui concerne la fin, chez celui qui a la grâce sanctifiante, comme on vient de le dire. C'est pourquoi on ne peut raisonner de la même manière pour l'intelligence et pour la foi.
Objections
1. Il semble que le don d'intelligence ne se distingue pas des autres dons. Car les réalités qui ont les mêmes réalités opposées sont identiques. Or la sottise s'oppose à la sagesse, l'intelligence à l'hébétude, le conseil à la précipitation, la science à l'ignorance, comme le montre S. Grégoire. Mais on ne voit pas de différence entre sottise, hébétude, ignorance et précipitation. Donc l'intelligence ne se distingue pas des autres dons.
2. L'intelligence classée comme vertu intellectuelle diffère des autres vertus intellectuelles en ce qui lui est propre : elle a pour objet les principes évidents par eux-mêmes. Mais le don d'intelligence n'a pas pour objet de tels principes. Car, pour les choses qui sont naturellement connues par elles-mêmes, il suffit de l'habitus naturel des premiers principes ; quant aux réalités surnaturelles, il suffit de la foi, puisque les articles de la foi sont, avons-nous dit, comme les premiers principes de la connaissance surnaturelle. Le don d'intelligence n'est donc pas distinct des autres dons intellectuels.
3. Toute connaissance intellectuelle est ou spéculative, ou pratique. Mais le don d'intelligence, avons-nous dit, est l'un et l'autre. Il n'est donc pas distinct des autres dons intellectuels, mais les englobe tous.
En sens contraire, toutes les réalités qu'on énumère ensemble doivent être de quelque façon distinctes les unes des autres, puisque la distinction est le principe de l'énumération. Mais le don d'intelligence, on le voit en Isaïe (Ésaïe 11.2) est énuméré avec les autres dons. Il en est donc distinct.
Réponse
La distinction du don d'intelligence et des trois autres dons, de piété, de force et de crainte, est évidente puisque le don d'intelligence ressortit à la faculté de connaissance, tandis que ces trois ressortissent à la faculté d'appétit. Mais la différence entre ce don d'intelligence et les trois autres, de sagesse, de science et de conseil, qui appartiennent aussi à la faculté de connaissance, n'est pas aussi évidente. Il semble à certains que le don d'intelligence soit distinct des dons de science et de conseil par le fait que ces deux-ci s'attachent à la connaissance pratique, celui-là au contraire à la connaissance spéculative. Quant au don de sagesse, rattaché aussi à la connaissance spéculative, il s'en distingue en ce que le jugement ressortit à la sagesse, et à l'intelligence se rattache la capacité de lire au-dedans de ce qui est proposé, c'est-à-dire la pénétration dans l'intime des choses. Précédemment nous avons énuméré les dons d'après ce principe. Mais, pour un regard attentif, le don d'intelligence ne se limite pas à la spéculation ; comme nous venons de le dire, il s'attache également à l'action ; et pareillement, le don de science, comme nous allons le dire plus loin, s'attache aussi à l'une et à l'autre. Voilà pourquoi il faut entendre autrement la distinction des dons. En effet, ces quatre dons sont ordonnés à la connaissance surnaturelle, qui se fonde en nous sur la foi. Or, « la foi vient de ce qu'on entend » (Romains 10.17). Aussi faut-il proposer certaines vérités à la croyance non comme vues, mais comme entendues, pour que la foi y adhère. Or la foi s'attache premièrement et principalement à la Vérité première, secondairement à certaines considérations concernant les créatures ; ultérieurement, elle s'étend même à la direction des activités humaines en tant qu'elle devient « une foi agissant par la charité », nous l'avons montré. Il s'ensuit donc qu'envers ces propositions de foi que nous devons croire une double exigence s'impose. En premier lieu, il s'agit de les pénétrer, de les saisir intellectuellement, et c'est l'affaire du don d'intelligence. Mais en second lieu il faut qu'on ait à leur sujet un jugement droit, en estimant que c'est bien à cela qu'on doit s'attacher, et du contraire de cela qu'on doit s'éloigner. Ce jugement-là, par suite, quant aux réalités divines, relève du don de sagesse ; quant aux réalités créées, il relève du don de science ; quant à l'application aux actions particulières, il relève du don de conseil.
Solutions
1. Telle qu'on vient de la définir, la différence entre les quatre dons s'accorde manifestement avec la distinction de ces choses que S. Grégoire déclare leur être opposées. L'hébétude est en effet le contraire de l'acuité ; or, par comparaison, on dit qu'une intelligence est aiguë quand elle peut pénétrer à l'intime de ce qui est proposé ; aussi l'esprit est-il émoussé, hébété, lorsqu'il n'a pas de quoi pénétrer au fond des choses. D'autre part, le sot est celui qui juge de travers en ce qui concerne la fin générale de la vie ; et c'est là proprement l'opposé de la sagesse qui donne un jugement droit sur la cause universelle. L'ignorance implique une insuffisance de l'esprit même en toutes sortes de réalités particulières, et elle s'oppose à la science, qui permet à l'homme d'avoir un jugement droit dans domaine des causes particulières, c'est-à-dire des créatures. Quant à la précipitation, elle est l’opposé du conseil, qui fait qu'on ne passe pas à l’action avant que la raison en ait délibérée.
2. Le don d'intelligence concerne les premiers principes de la connaissance dans l'ordre de la grâce, mais autrement que la foi. Car il revient à la foi d'adhérer à ces principes, tandis que le rôle du don d'intelligence est de pénétrer par l'esprit ce qui est dit.
3. Le don d'intelligence se rapporte à l'une et l'autre connaissance, spéculative et pratique. Il s'y rapporte, non pas quant au jugement, mais quant à la simple appréhension qui fait qu'on saisit ce qui est dit.
Objections
1. Il semble que le don d'intelligence ne corresponde pas à la sixième béatitude : « Heureux les cœurs purs parce qu'ils verront Dieu. » En effet, la pureté du cœur semble au plus haut point affaire de sentiment, tandis que le don d'intelligence n'est pas affaire de sentiment, mais concerne plutôt la faculté intellectuelle ; la sixième béatitude ne correspond donc pas au don d'intelligence.
2. Il est écrit dans les Actes (Actes 15.9) : « Purifiant leurs cœurs par la foi. » Mais c'est la purification du cœur qui assure sa pureté. La béatitude en question se rattache donc à la vertu de foi plus qu'au don d'intelligence.
3. Les dons de l'Esprit Saint nous perfectionnent dans la vie présente. Mais la vision de Dieu n'est pas pour la vie présente, car c'est elle, avons-nous dit, qui nous rend bienheureux. Donc cette sixième béatitude, qui implique la vision de Dieu ne se rattache pas au don d'intelligence.
En sens contraire, selon S. Augustin, « la sixième opération de l'Esprit Saint, c'est l'intelligence ; elle convient à ceux qui ont le cœur pur, parce que ce sont eux qui peuvent d'un regard pur voir ce que l'œil n'a pas vu ».
Réponse
Dans la sixième béatitude, ainsi que dans les autres, il y a deux éléments : l'un par mode de mérite, c'est la pureté du cœur ; l'autre par mode de récompense, c'est la vision de Dieu, nous l'avons dit précédemment. L'un et l'autre appartiennent de quelque manière au don d'intelligence. Il y a en effet une double pureté. L'une sert de préambule et de disposition à la vision de Dieu : elle consiste à purifier le sentiment de ses affections désordonnées ; cette pureté de cœur s'obtient assurément par les vertus et les dons qui se rattachent à la puissance d'appétit. Mais l'autre pureté de cœur est celle qui est comme un achèvement en vue de la vision divine ; c'est à coup sûr une pureté de l'esprit, purifié des phantasmes et des erreurs, de telle sorte que ce qui est dit de Dieu ne soit plus reçu par manière d'images corporelles, ni selon des déformations hérétiques ; cette pureté, c'est le don d'intelligence qui la produit. Semblablement, il y a aussi une double vision de Dieu. L'une est parfaite, dans laquelle est vue l'essence de Dieu. Mais l'autre, imparfaite, est celle par laquelle, bien que nous ne voyions pas de Dieu ce qu'il est, nous voyons cependant ce qu'il n'est pas ; et dans cette vie notre connaissance de Dieu est d'autant plus parfaite que notre intelligence saisit davantage qu'il dépasse tout ce que peut embrasser l'intelligence. Cette double vision se rattache au don d'intelligence ; la première, au don consommé d'intelligence, tel qu'il sera dans la patrie ; mais la seconde, au don commencé, tel qu'on l'a dans notre état de voyageurs.
Solutions
Cela donne la Réponse aux Objections. Car les deux premières sont valables s'il s'agit de la première sorte de pureté. Quant à la troisième, elle vaut pour la parfaite vision de Dieu ; mais les dons, nous l'avons dit plus haut, nous perfectionnent dès ici-bas d'une manière inchoative, et ils atteindront dans l'avenir leur plénitude, on l'a dit précédemment.
Objections
1. Il ne semble pas que, parmi les fruits, ce soit la foi qui corresponde au don d'intelligence. En effet, l'intelligence est un fruit de la foi, selon Isaïe (Ésaïe 7.9) : « Si vous n'avez pas la foi, vous n'aurez pas l'intelligence », suivant une autre version, à l'endroit où nous avons « Si vous n'avez pas la foi, vous ne tiendrez pas. » La foi n'est donc pas le fruit de l'intelligence.
2. Ce qui est avant n'est pas le fruit de ce qui est après. Or la foi semble bien être avant l'intelligence, puisqu'elle est le fondement, avons-nous dit plus haut, de tout l'édifice spirituel. La foi n'est donc pas le fruit de l'intelligence.
3. Les dons se rapportant à l'intellect sont plus nombreux que ceux se rapportant à l'appétit. Pourtant, entre les fruits, il ne s'en trouve qu'un se rapportant à l'intellect, c'est la foi ; tous les autres, au contraire, se rapportent à l'appétit. Le fruit de la foi ne répond donc pas davantage, semble-t-il, à l'intelligence qu'à la sagesse ou à la science ou au conseil.
En sens contraire, la fin de toute réalité, c'est son fruit. Mais le don d'intelligence semble ordonné principalement à procurer cette certitude de foi qui est qualifiée de fruit. Il est dit en effet dans la Glose que ce fruit de foi, c'est « la certitude des réalités invisibles ». Parmi les fruits, c'est donc la foi qui répond au don d'intelligence.
Réponse
Comme il a été dit plus haut lorsqu'il s'est agi des fruits, on appelle fruits de l'Esprit certaines activités ultimes et délectables qui proviennent en nous de la vertu de l'Esprit Saint. Or, l'ultime délectable a raison de fin, et la fin, c'est l'objet propre de la volonté. Voilà pourquoi il faut que ce qui est dernier et délectable dans l'ordre de la volonté soit en quelque sorte le fruit de toutes les autres activités qui se rattachent aux autres puissances. Ainsi, le don ou la vertu qui perfectionne une puissance peut donc offrir un double fruit : l'un se rattache à sa puissance propre ; mais il y en a un autre, quasi ultime, qui se rattache à la volonté. Selon cette distinction, il faut conclure qu'au don d'intelligence correspond, comme fruit propre, la foi, c'est-à-dire la certitude de foi ; mais, comme fruit ultime, à l'intelligence répond la joie, qui se rattache à la volonté.
Solutions
1. L'intelligence est bien le fruit de la foi, de la foi qui est vertu. Or ce n'est pas dans ce sens-là qu'on prend la foi lorsqu'on l'appelle un fruit ; mais on la prend pour une certitude de foi, à laquelle on parvient par le don d'intelligence.
2. La foi ne peut pas devancer en tout l'intelligence ; en effet, l'homme ne pourrait pas adhérer en croyant à des choses qui lui sont affirmées s'il n'avait quelque peu l'intelligence de ces choses. Mais, à la suite de la foi qui est vertu, il y a une perfection d'intelligence ; et ce qui fait suite à cette perfection d'intelligence, c'est une certitude de foi.
3. Le fruit d'une connaissance pratique ne peut pas être dans cette connaissance même, parce que dans une telle connaissance on ne sait pas pour savoir, mais en vue d'autre chose. Au contraire, la connaissance spéculative a son fruit en elle-même, et ce fruit est la certitude des choses qui sont de son domaine. Voilà pourquoi, au don de conseil qui regarde uniquement la connaissance pratique, ne répond aucun fruit propre, alors qu'aux dons de sagesse, d'intelligence et de science, qui peuvent s'élever même à la connaissance spéculative, répond seulement un fruit unique qui est la certitude signifiée par le nom de foi. Il y a, en revanche, des fruits en plus grand nombre se rapportant à la partie appétitive parce que, nous venons de le dire, cette raison de fin impliquée dans le mot de fruit regarde la partie appétitive plus que la partie intellectuelle.