L’action de la Sagesse, si sensible dans la nature, ne l’est pas moins dans la société civile et chez l’homme en général. Le grand principe organisateur de l’univers préside évidemment aussi à toutes les relations de la vie humaine. La Sagesse a fait sa demeure sur la terre et parmi les hommes ; elle s’y manifeste constamment.
Nous ne parlerons pas ici de la théocratie, car les livres canoniques de l’A. T. n’en mettent jamais les institutions en rapport avec la Sagesse divine ; ce ne sont que les apocryphes qui nous la présentent comme la source de la révélation : ainsi l’Ecclésiastique n’hésite pas à l’identifier avec la présence de Dieu, qui remplissait le sanctuaire de Sion (Siracide 24.10 et sq.). Mais, en revanche, il n’y a point d’autorité, point de gouvernement qui ne découle de la Sagesse. « C’est par moi que dominent les seigneurs, les princes et tous les juges de la terre », dit-elle, dans Proverbes 8.16. C’est précisément parce qu’elle est la source de toute sagesse, qu’elle est quelquefois appelée Chokemoth, חכמות, les sagesses (Proverbes 1.20 ; 9.1). Elle élève sa maison sur sept colonnes ; elle envoie ses servantes inviter les simples et les humbles au repas qu’elle a apprêté (Proverbes 9.1-5). Dans Proverbes 1.20, elle fait elle-même ses invitations, elle fait retentir sa voix dans les places publiques et elle appelle à soi les gens les plus inexpérimentés du pays. Or, les places publiques sont les lieux où se rendait la justice, où se traitaient presque toutes les affaires, où les sages se faisaient entendre, où les prophètes prophétisaient (§ 169), et c’est peut-être à ces diverses circonstances qu’il faut rapporter ceci. La sagesse éternelle parle par les juges, par les anciens, par les sages et les prophètes. Mais il y a autre chose encore que cela dans cette description de la sagesse : elle adresse ses appels en tous temps et en tous lieux, au milieu des occupations de la vie ordinaire ; pour l’entendre, il suffit d’avoir des oreilles ; pour en voir partout les traces bienfaisantes ou sévères, il suffit d’avoir des yeux.
Mais ces appels, comment les adresse-t-elle ? Comment les fait-elle parvenir aux hommes ? « Voici (Proverbes 1.23), je vous communiquerai de mon Esprit en abondance et je vous annoncerai mes paroles. » L’Esprit et la Parole, — la Parole, canal de transmission de l’Esprit, — telle est la réponse que la sagesse elle-même fait à notre question.
Quand on écoute la Parole et qu’on la reçoit dans son cœur, on ne tarde pas à se sentir placé sous une discipline, — nous ne trouvons pas d’autre mot pour rendre l’hébreu מוסר, qui n’est pas bien traduit par le mot trop didactique et trop peu moral d’instruction.
[Le mot d’instruction ne répond exactement à Mousçar que lorsqu’on l’emploie avec le verbe recevoir. Recevoir instruction a un sens moral. La notion qui nous occupe ici est fort importante. Œtinger se plaît a voir dans la discipline l’une des 7 colonnes du palais de la sagesse. En fait de passages qui prouvent que Mousçar signifie éducation bien plus qu’instruction, je citerai seulement Proverbes 3.11, où il est question de l’école de la souffrance, et Proverbes 13.24 ; 22.15, où il est parlé de la manière dont il faut élever les enfants.]
La sagesse et la discipline sont inséparables l’une de l’autre (Proverbes 1.2,7 ; 23.23). Pour parvenir à la sagesse, il faut accepter cette discipline (Proverbes 1.3, comp. à Proverbes 19.20) ; et une fois qu’on a acquis la sagesse, on ne peut la conserver que si l’on continue à se laisser éduquer par la Sagesse de Dieu (Proverbes 4.13 ; 10.17). Cette éducation est souvent accompagnée de sévères châtiments, תוכחת, Proverbes 1.23, 25, 30.
[De הוכיה, Hôkiach, ἐλέχειν. Les deux notions de discipline et de châtiment sont fort souvent coordonnées (Proverbes 3.11 ; 5.12 ; 10.17 ; 12.1 ; 13.18 ; 15.5).]
Quand la Sagesse entreprend, l’éducation d’un homme, elle doit souvent recourir aux punitions, car les enfants d’Adam sont naturellement enclins au mal, et par eux-mêmes, ils ignorent le chemin du salut. Ils sont פתי, ouverts, simples (Proverbes 1.4,22). Ils ont besoin d’être convaincus par la Loi de leur impuissance à faire le bien, et du danger qu’ils courent sur la voie où ils se trouvent placés de par leur nature. Le malheureux qui ne veut pas consentir à ne rien savoir, et à ne rien pouvoir par soi-même, arrive à haïr la sagesse et montre par là même qu’il est un insensé (כסיל et même בער, Proverbes 12.1). Il est incorrigible (Proverbes 27.22), et il n’échappera pas à la mort (Proverbes 1.24 ; 13.18). Quand, au contraire, on se soumet à la discipline d’En-haut, quand on se détourne résolument du mal, quoi que puissent dire les séducteurs et les mauvais instincts du cœur, — alors on est en bon chemin, on est sur la voie de la sagesse, — et c’est ainsi que la Sagesse divine produit un fruit précieux de sagesse chez ceux qui se sont laissé exercer par elle. De la Sagesse objective, et grâce à son action salutaire sur l’homme, nous voici donc ramenés au point de départ de toute sagesse subjective, qui est la crainte de Dieu.