Oui ! c’est la crainte de Dieu qui est le commencement de la connaissance » (Proverbes 1.7 ; 9.10 ; Psaumes 111.10 ; Job 28.28), mais la crainte dont il est ici question n’est pointd cette impression vague de terreur qu’inspire à l’homme la pensée d’une puissance absolue disposée à lui disputer continuellement l’existence. C’est là, si l’on veut, la crainte de Dieu des Musulmans, aux yeux desquels la liberté humaine n’existe pas ; mais je n’y reconnais point celle de l’A. T. « La crainte de l’Éternel est la connaissance du Très-Saint », lisons-nous en Proverbes 9.10. Or, le Très-Saint n’est pas seulement le Dieu souverainement élevé au-dessus de la créature, ni même au-dessus des souillures de la créature. Le Très-Saint, tout en se tenant absolument à l’écart d’un monde pécheur, communique cependant avec lui pour détruire en lui le péché, et lui faire part de sa félicité. C’est en vertu de sa sainteté que Dieu choisit un peuple, qu’il le met à part, qu’il en fait sa propriété spéciale et qu’il lui parle par sa Loi. La loi, c’est Dieu faisant connaître sa volonté à l’homme libre. On ne fait pas des règlements pour des machines. Nous voici bien loin de cette crainte aveugle et toute passive, dont on a voulu faire le trait distinctif du Judaïsme. L’Israélite pieux connaît le Dieu qu’il craint ; il sait le but qu’il se propose à l’égard de l’humanité ; il comprend qu’il s’agit pour lui de laisser briser sa volonté pécheresse ; la crainte de l’Éternel, c’est la crainte de léser une volonté sainte et seule salutaire, c’est une crainte toute morale, qui consiste à haïr le mal, l’orgueil, l’arrogance et la mauvaise conduite (Proverbes 8.13). Celui qui en est animé s’efforce d’abord de comprendre en toute occasion ce que Dieu se propose et ce qu’il attend de lui ; — c’est ce qu’on pourrait appeler la sagesse théorique ; puis, de réaliser ce qui lui est apparu comme la volonté de Dieu, — c’est là la sagesse pratique, celle dont parle le sage quand il nous recommande dans Proverbes 3.6, de « considérer Dieu dans toutes nos voies. »
d – Quoi qu’en dise Hegel dans sa Philosophie de la religion, II, 1re édition, page 67.
Ce n’est donc pas en s’appuyant sur ses propres forces, en se confiant en ses propres lumières, en étant sage à ses propres yeux, qu’on arrive à la sagesse ; ce sont là tout autant de dispositions contre lesquelles les Proverbes nous mettent soigneusement en garde (Proverbes 3.5,7 ; 12.15 et sq.). Le sage est un serviteur de Dieu. Le sage méritera toujours d’être appelé un serviteur de l’Éternel et vice-versa. Ce sont là deux notions qui se valent. « Heureux est l’homme qui est continuellement dans la crainte », מפחד תמיד, qui veille continuellement, à ne pas transgresser la volonté de son Dieu (Proverbes 28.14). Cette délicatesse de conscience forme dans l’échelle de la moralité l’extrême opposé à l’endurcissement, מקשה לבו ; et elle ne fait point du serviteur de Dieu un esclave. « L’Éternel se communique avec familiarité (סוד) à ceux qui le craignent. » (Psaumes 25.14 ; Proverbes 3.32)