L’Ecriture des Hébreux proclamant dans de nombreux passages l’existence d’un tribunal où Dieu doit juger les âmes à leur sortie de la vie présente, l’a surtout déclaré par celui où elle dit : « Il établit son tribunal, les livres y furent ouverts et l’ancien des jours s’y installa ; un fleuve de feu roulait ses ondes devant lui ; des myriades de myriades le servaient, et des chiliades de chiliades se tenaient en sa présence (Daniel, VII, 10). »
Ecoutez maintenant Platon faisant mention du jugement de Dieu et spécialement du fleuve. Il passe en revue les demeures différentes des âmes pieuses et les châtiments des impies, toujours en écrivant d’après des expressions qui sont d’accord avec les discours des Hébreux. Il dit donc dans le Traité de l’âme :
« Le troisième fleuve débouche entre les deux que nous avons nommés, et, non loin de son éruption, traverse un vaste espace désolé par un feu violent où il forme un lac plus grand que n’est notre mer, dans lequel la vase se mêle aux bouillonnements de l’eau. De là, plein d’une boue brûlante, il décrit un cercle, tournant autour de la terre pour parvenir d’un autre côté Vers les bords extrêmes du lac Achérusiade, aux ondes duquel il ne se mêle pas. Dans le cours circulaire, qu’il décrit autour de la terre, il se décharge souvent plus bas que le Tartare. Ce fleuve est désigné sous le nom de Pyriphlégéthon. C’est lui dont les effluves forment les volcans dans tous les lieux de la terre où ils parviennent, en face de celui-ci se trouve un quatrième fleuve, qui se lance dans un premier terrain désolé et saunage, à ce qu’on rapporte, dont la couleur est celle du bleuâtre, surnommé Stygien, parce que le lac que ce fleuve produit, en s’y versant, est le Styx. Son onde, en y tombant, acquiert des vertus singulières : s’engouffrant dans la terre, il l’enceint par un cours contraire à celui du Pyriphlégéthon et arrive au lac Achérusiade par la rive opposée, sans que jamais son onde se mêle à la sienne, puis, continuant toujours à décrire son cercle qui le ramène sur lui-même, il finit par tomber dans le Tartare, à l’opposé du Pyriphlégéthon. Le nom que les poètes lui donnent est le Cocyte.
« Ces lieux étant tels que je viens de les décrire, lorsque les morts arrivent, amenés par le Dieu qui les transporte individuellement ; la première scène qui a lieu est un jugement contradictoire, pour savoir quels sont ceux qui ont vécu honnêtement, pieusement, dans la justice, et ceux qui ne l’ont pas fait. Pour ceux dont la vie ne semble ni tout à fait juste ni complètement injuste, on les dirige vers l’Achéron, sur des chars qui les transportent jusqu’au lac. C’est là qu’ils demeurent et se purifient, et que, subissant la peine des injustices qu’ils ont commises, chacun d’eux se lave des iniquités qui lui sont reprochées, en conservant le mérite de ses bonnes actions suivant leur importance. Ceux qui paraissent avoir contracté des souillures indélébiles par l’énormité de leurs fautes, telles que des sacrilèges considérables et en grand nombre, des meurtres injustes et répétée, en violation de la loi, et tout ce qui rentre dans cet ordre de crimes ; la Parque qui les poursuit, les plonge dans le Tartare, d’où ils ne ressortent plus jamais.
« Ceux dont les fautes ne sont pas incurables, encore qu’elles semblent graves, tels que ceux qui, dans un accès de colère, ont exercé des violences contre leur père ou leur mère, et qui ensuite, touchés de repentir, ont mené une meilleure, vie, ou les homicides pour une cause semblable : pour ceux-là, il y a nécessité qu’ils, soient plongée dans le Tartare et qu’après y avoir été plongés pendant un an, le flot les rejette : savoir, les homicides dans le Cocyte, les coupables de sévices envers leurs parents, dans le Pyriphlégéthon. Après· avoir été entraînés par le courant jusqu’au lac Achérusiade, ils crient et implorent, les uns ceux qu’ils ont tués, les autres ceux qu’ils ont maltraités, et les supplient de leur permettre d’entrer dans le lac et de les y recevoir. S’ils parviennent à les· toucher, ils sentent, et leurs souffrances sont terminées. Sinon, ils sont refoulés de nouveau dans le Tartare, et de là ensuite dans les fleuves, et ne cessent d’éprouver les mêmes souffrances· que quand ils ont apaisé ceux qu’ils ont offensés ; car telle était la sentence prononcée par les juges à leur égard. Ceux qui passent, par excellence, pour avoir vécu saintement, sont ceux qui, même dès cette vie, s’étant affranchis et entièrement détachés des affections terrestres, comme les captifs de leurs chaînes, se sont élevés jusqu’à la demeure céleste et pure, quoique encore retenus sur la terre. Parmi ceux-ci se distinguent les hommes suffisamment purifiés par la philosophie et pour ceux-là une vie à jamais exempte de peines, pendant tout le temps à venir, leur est échue, ainsi que l’accès dans des demeures tellement belles qu’il n’est pas facile de les décrire ; ce que d’ailleurs, le temps qui me reste ne me permettrait pas de faire. Mais d’après tout ce qui vient d’être dit, vous devez, ô Simmias, faire tous vos efforts pour acquérir dans cette vie la vertu et la prudence : le prix qui y est attaché est noble, et l’espérance immense. »
Cette tirade est due à Platon. Comparez maintenant ces paroles : Ils auront accès dans des demeures tellement belles qu’il n’est pas facile de les décrire, ce que le temps, qui me reste ne me permettrait pas de faire, » avec celles qu’on trouve chez nous : (I Cor. II, 9) « L’œil n’a point vu, l’oreille n’a pas entendu, le cœur de l’homme n’a point conçu ce que Dieu a préparé à ceux qu’il aime. »
A ces demeures dont parle Platon, comparez (Jean, XIV, 2) « Il y a plusieurs demeures annoncées par mon père aux amis de dieu. Aux peintures du Pyriphlégéthon opposez le feu éternel dont les impies sont menacés, suivant les paroles qui leur sont adressées par le prophète des Hébreux : « Qui vous annoncera que le feu brûle ? qui vous annoncera ce lieu éternel ? » Puis encore : « Leur ver ne périra pas, le feu ne s’éteindra pas, ils seront en spectacle à toute chair. » Observez comme Platon parle de concert avec toutes ces pensées, lorsque, après avoir dit que les· impies iront dans le Tartare, il ajoute « d’où ils ne sortiront jamais ; » puis encore, après avoir dit que les pieux vivront dans des séjours fortunés, il ajoute « à jamais, et pendant tous les temps à venir. » Et ce qui est encore dit par lui, que leur existence sera exempte de peines, n’est-il pas semblable à ces autres paroles : « La douleur, la tristesse et le gémissement ont pris la fuite. » En disant que ceux qui s’avancent vers l’Achéron n’y arrivent pas immédiatement, mais seulement après être montés dans des chars : que veut-il signifier par ces chars, sinon les corps dans lesquels les âmes des morts étant enfermées, elles partagent leurs châtiments, suivant les opinions des Hébreux ?
Cependant, ce livre ayant atteint une étendue suffisante, je vais passer au douzième livre de la Préparation évangélique.