Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIX

CHAPITRE VII
Mise en prison de Silas, le commandant de l'armée du roi ; Agrippa renforce les remparts de Jérusalem, mais est arrêté par Marsus qui écrit à l'empereur ; nature pieuse et douce d'Agrippa ; organisation de combats de gladiateurs dans l'amphithéâtre des Bérytiens construit par Agrippa.

Disgrâce de Silas.

1. Silas, le commandant de l'armée du roi, lui avait été fidèle dans toutes ses infortunes, n'avait jamais refusé de partager aucun de ses dangers et avait même souvent assumé les tâches les plus dangereuses ; aussi était-il plein d'assurance, supposant que son amitié éprouvée avait droit à des honneurs égaux. Il ne le cédait donc absolument en rien au roi, usait d'une complète liberté de langage dans tous leurs entretiens, se montrait insolent dans leurs colloques familiers, se faisait valoir immodérément et rappelait fréquemment au roi ses infortunes pour attester le zèle qu'il avait, montré jadis. Il ne cessait de raconter longuement combien il avait pris de peine pour lui. A force de dépasser la mesure, il semblait faire des reproches au roi ; aussi celui-ci éprouvait-il quelque déplaisir de la liberté de langage excessive de cet homme, car le souvenir d'un temps de honte est pénible et celui qui rappelle sans cesse les services rendus est un sot. Silas finit par irriter grandement le cœur du roi et celui-ci, obéissant plus à la colère qu'à la raison, ne se contenta pas de le priver de son commandement, mais le fit enchaîner pour l'exiler dans son pays. Pourtant, avec le temps, sa colère s'adoucit, et il jugea l'homme d'après la saine raison, en se remémorant toutes les peines qu'il avait subies pour lui. Le jour donc où il célébrait son anniversaire, jour de joie et de fête pour tous ses sujets, il rappela Silas pour le faire souper immédiatement avec lui. Mais Silas, dont le caractère était indépendant, croyait avoir un juste sujet de ressentiment et ne le cacha pas à ceux qui vinrent le trouver : « A quel honneur, leur dit-il, le roi me rappelle-t-il pour me le faire perdre bientôt ? Car même les premiers honneurs que m'avait valus mon dévouement pour lui, bien loin de m'être conservés, m'ont été outrageusement ravis. Croit-il que j'aie abdiqué ma liberté de langage ? Parce que j'en ai pleinement conscience, je clamerai davantage encore tous les dangers dont je l'ai délivré, toutes les peines que j'ai supportées pour lui assurer la sécurité et la gloire, tous les services pour lesquels mes récompenses ont été des chaînes et un obscur cachot. Je n'oublierai jamais cela ; peut-être même, délivrée de ma dépouille charnelle, mon âme gardera-t-elle la mémoire de ma bravoure. » Voilà ce qu'il hurlait en ordonnant de le redire au roi ; celui-ci, voyant, son caractère intraitable, le laissa de nouveau en prison.

Arrêt du renforcement des murs de Jérusalem.

2.[1] Agrippa était alors occupé à renforcer aux frais de l'État les remparts de Jérusalem du côté de la ville neuve, en les élargissant et en les élevant. Il aurait réussi à les rendre inexpugnables pour toute force humaine si Marsus, le gouverneur de Syrie, n'avait dénoncé cette entreprise par une lettre à l'empereur Claude. Celui-ci, craignant quelque révolte, ordonna à Agrippa d'arrêter sur le champ la construction des remparts, et le roi ne voulut pas désobéir.

[1] Section 2 = Guerre, II, 218.

Constructions du roi Agrippa, notamment à Berytus.

3. La nature de ce roi le portait à être bienfaisant par ses dons, à tenter de donner à ses peuples une haute idée de lui et à s'assurer la célébrité par beaucoup de dépenses ; il se réjouissait de faire plaisir aux gens et aimait qu'on louât sa vie, différent entièrement en cela du roi Hérode son prédécesseur. Ce dernier, en effet, avait une nature perverse ; il châtiait durement ; il haïssait sans mesure. Il se reconnaissait mieux disposé pour les Grecs que pour les Juifs ; il ornait les villes des étrangers en leur donnant de l'argent et en y édifiant parfois des bains et des théâtres ; il éleva dans certaines villes des temples, des portiques dans d'autres, tandis qu'il n'accordait à aucune ville juive la moindre réparation ou le moindre don digne de mémoire. Au contraire, le caractère d'Agrippa était doux et sa bienfaisance était égale pour tous. Il était plein d'humanité pour les gens de races étrangères et leur témoignait aussi sa libéralité, mais il était également serviable pour ses compatriotes et leur marquait encore plus de sympathie. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il vivait volontiers et continuellement à Jérusalem et qu'il gardait dans leur intégrité les institutions des ancêtres. Il se maintenait lui-même dans une complète pureté et ne laissait pas écouler un jour sans offrir les sacrifices prescrits.

4. Or, il arriva qu'un natif de Jérusalem, appelé Simon, qui avait la réputation de connaître avec exactitude les lois, convoqua la foule à une assemblée, alors que le roi était parti pour Césarée, et osa l'accuser d'être impur et de mériter de se voir chasser du Temple, dont l'accès n'était permis qu'aux gens du pays. Une lettre du préfet de la ville fit connaître au roi que Simon avait ainsi harangué le peuple. Le roi le fit venir et, comme il était alors au théâtre, il lui lit prendre place à côté de lui. Puis avec calme et douceur : « Dis-moi, dit-il, s'il y a ici quelque chose qui soit défendu par la loi. » L'autre, ne sachant que répondre, le pria de lui pardonner. Alors le roi se réconcilia avec lui plus vite qu'on ne s'y attendait, car il jugeait que la douceur est plus digne d'un roi que la colère et savait que la modération convient plus à la grandeur que l'emportement. Il renvoya Simon, après lui avoir même fait quelque présent.

5. Il avait construit nombre d'édifices en beaucoup d'endroits ; mais il honora les Bérytiens d'une manière particulière. En effet, il leur bâtit un théâtre qui l'emportait sur beaucoup d'autres par son luxe et sa beauté, un amphithéâtre très coûteux et en outre des bains et des portiques, sans chercher dans aucun de ces ouvrages à épargner la dépense, à lésiner sur la beauté ou sur la grandeur. Il fit des largesses magnifiques quand on le consacra. Ainsi il organisa dans le théâtre des spectacles où il présenta des œuvres musicales de tout genre et des compositions donnant des plaisirs variés ; il montra sa générosité par le nombre des gladiateurs amenés dans l'amphithéâtre où, voulant charmer les spectateurs également par des combats en masse, il mit aux prises deux troupes de sept cents hommes. Pour cela il désigna tous les criminels dont il disposait, afin de les châtier tout en faisant d'un spectacle de guerre une réjouissance pacifique, et il fit tuer tous ces hommes jusqu'au dernier.

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