1. Après ces cérémonies de Béryte, Agrippa se rendit à Tibériade, ville de Galilée. Il était très admiré des autres rois ; aussi vinrent près de lui Antiochus, roi de Commagène[1], Sampsigéramos, roi d'Emèse[2], Cotys[3], roi de l'Arménie mineure, Polémon[4], qui était devenu prince du Pont, et Hérode, frère du roi et lui-même roi de Chalcis[5]. Il les reçut tous et les hébergea en les traitant amicalement, de manière à montrer au plus haut degré la grandeur de son âme et à prouver qu'il était bien digne d'être honoré de ces visites royales. Mais, tandis qu'ils étaient encore chez lui, arriva Marsus, gouverneur de Syrie. Observant donc les honneurs dus aux Romains, Agrippa s'avança à sa rencontre à plus de sept stades de la ville. Et pourtant cela devait être l'origine d'un dissentiment entre lui et Marsus. Il avait, en effet, emmené avec lui sur son char tous les autres rois. Leur concorde et une telle amitié entre eux furent suspectes à Marsus, qui ne jugeait pas utile aux Romains l'entente de tant de princes. Aussitôt il envoya à chacun d'eux certains de ses familiers pour les inviter à se retirer sans délai chacun dans son pays. Agrippa fut chagriné de ce procédé et, depuis ce temps-là, en voulut à Marsus. Il enleva à Matthias le grand-pontificat et mit à sa place Elionaios, fils de Canthéras.
[1] Antiochus IV de Commagène (Epiphenes Magnus), plusieurs fois détrôné et rétabli sur le trône par Caligula et Claude, détrôné définitivement en 72.
[2] Sampsigerarnos d'Émèse, beau-père d'Aristobule, frère d'Agrippa (cf. XVIII, 315).
[3] Cotys, fils de roi Thrace du même nom, roi de la Petite Arménie (à l'ouest de l'Euphrate) depuis 37-39.
[4] Polémon, frère de Cotys, régna sur le Pont et le Bosphore depuis 38. C'est le mari de Bérénice (cf. XX, 145). Il fut roi d'Arménie en 60.
[5] Hérode de Chalcis, frère d'Agrippa, roi de Chalcis depuis 38, mourut en 48 (voir Guerre, I, 28 ; XX, 3).
2.[6] Il y avait déjà trois ans accomplis qu'il régnait sur toute la Judée et il se trouvait à Césarée, ville appelée auparavant la Forteresse de Straton ; il y donnait des spectacles en l'honneur de l'empereur, sachant que ces jours de fête étaient institués pour le salut de celui-ci. Autour de lui il avait réuni en foule les dignitaires et les gens les plus en vue de la province. Le second jour des spectacles, revêtu d'une robe toute faite d'argent et admirablement tissée, il entra au théâtre au lever du jour. Là, aux premiers feux des rayons du soleil, l'argent reluisait et resplendissait merveilleusement, étincelant d'une manière terrible et même effrayante pour les gens qui y fixaient leurs regards. Aussitôt les flatteurs de pousser de tous côtés des acclamations, qui n'étaient même pas bonnes pour Agrippa, en le qualifiant de dieu. « Puisses-tu nous être propice, ajoutaient-ils, bien que nous ne t'ayons révéré jusqu'ici que comme un homme ; désormais nous reconnaissons que tu es au-dessus de la nature humaine ! » Le roi ne réprima pas leurs propos et ne repoussa pas leurs flatteries impies. Mais peu après, levant la tête, il vit au dessus de lui un hibou[7] perché sur un câble. Comprenant aussitôt qu'il lui annonçait des malheurs, comme il lui avait jadis annoncé le bonheur, il eut le cœur serré d'affliction. Il fut saisi d'une subite douleur d'intestins qui, dès le début, fut extrêmement vive. S'élançant donc vers ses amis : « Moi, votre dieu, dit-il, je suis déjà obligé de quitter la vie, car la destinée a immédiatement convaincu de mensonge les paroles que vous venez de prononcer à mon sujet ; et moi, que vous avez appelé immortel, je suis déjà entraîné vers la mort. Mais il convient d'accueillir la destinée comme Dieu l'a voulue. En effet, je n'ai jamais vécu d'une façon méprisable, mais dans une éclatante félicité. » Tout en disant cela, il était torturé par la violence du mal. Il se fit donc porter en hâte au palais et le bruit se répandit partout qu'il allait bientôt mourir. Aussitôt la populace, les femmes, les enfants, vêtus de cilices selon la coutume nationale, se mirent à prier Dieu pour le roi ; tout était plein de gémissements et de lamentations. Le roi, couché sur une terrasse élevée, les voyait tous de là-haut prosternés la tête contre terre, et ne pouvait lui-même s'empêcher de pleurer. Après avoir été éprouvé sans arrêt pendant cinq jours par ces douleurs abdominales, il quitta la vie à l'âge de cinquante trois ans passés et dans la septième année de son règne. En effet, il avait régné quatre ans sous l'empereur Caius, car il avait possédé trois ans la tétrarchie de Philippe et avait obtenu en outre la quatrième année celle d'Hérode ; de plus, il avait encore ajouté à cela trois ans où, sous le principat de l'empereur Claude, il avait régné sur les régions indiquées plus haut, possédant en outre la Judée, Samarie et Césarée. Il tirait de là les revenus les plus considérables, à savoir douze millions de drachmes, et cependant il dut emprunter beaucoup, car il était si généreux qu'il dépensait plus largement que ne le comportaient ses revenus et il n'épargnait rien dans ses libéralités.
[6] Section 2 = Guerre, II, 219.
[7] Cf. XVIII, 25.
3. Alors que le peuple ignorait encore qu'il eût expiré, Hérode, roi de Chalcis, et Helcias[8], général et ami du roi, envoyèrent d'un commun accord Ariston, le plus fidèle des serviteurs, tuer Silas, leur ennemi, comme si le roi l'avait ordonné.
[8] Cet Helcias est sans doute différent de celui qui est cité XVIII, 138 et 273, et qui fait partie de la famille royale. Le γαζοφύλαξ de XX, 194 est aussi un homonyme.