[1] Tels furent donc les présents dont nous favorisait la divine et céleste grâce de la manifestation de notre Sauveur ; telle aussi était l'abondance des biens qui étaient procurés à tous les hommes par notre paix ; et c'était ainsi que nos affaires prospéraient dans la joie et les réunions de fête. [2] Mais l'envie haineuse du bien et le démon ami du mal ne pouvaient supporter la vue de ce spectacle ; ainsi même pour Licinius ce ne fut pas une leçon suffisante de prudence que ce qui était arrivé aux tyrans cités plus haut. Lui qui avait été jugé digne de posséder le pouvoir en pleine prospérité, d'avoir l'honneur du second rang après le grand empereur Constantin, ainsi que d'un mariage et de la plus haute alliance de famille, il abandonna l'imitation des bons et se porta avec zèle à la perversité vicieuse des tyrans impies ; lui qui avait vu de ses yeux la fin de leur vie, il choisit de suivre leur sentiment, plutôt que de demeurer fidèle à l'amitié et à l'affection de celui qui était meilleur. [3] Pénétré d'envie contre son bienfaiteur suprême, il lui fit une guerre criminelle et tout à fait indigne, sans respect pour les lois de la nature, ne gardant souvenir en son âme ni des serments, ni du sang, ni des traités. [4] A lui, en effet, l'empereur excellent avait donné des preuves d'une véritable bienveillance. Il n'avait pas refusé d'entrer dans sa famille et lui avait accordé une union brillante, la main d'une sœur. Bien plus, il l'avait jugé digne de le faire participer à la noblesse de ses pères et au sang impérial qu'il tenait de ses aïeux ; il lui avait donné de jouir du pouvoir souverain comme à un parent et à un associé du trône impérial ; il lui avait fait la grâce de commander et de gouverner une partie, et non la moindre, des peuples soumis aux Romains. [5] Lui, au contraire, tenait une conduite opposée. Chaque jour il ourdissait des machinations contre l'excellent prince ; il inventait toutes sortes d'embûches comme s'il eût voulu payer avec des maux son bienfaiteur. Tout d'abord, en effet, il essayait de cacher son jeu. Il faisait semblant d'être son ami ; s'appliquant à la ruse et à la fourberie la plupart du temps, il espérait pouvoir atteindre facilement son but. [6] Mais, pour Constantin, Dieu était un ami et un vigilant gardien ; pour lui, il fit paraître à la lumière les complots machinés dans le secret et dans l'ombre, et il les confondit. Tant vaut la grande arme de la religion pour la protection contre les ennemis et la conservation du salut personnel ; protégé par elle, notre empereur très cher à Dieu échappa aux desseins de ce fourbe au nom odieux. [7] Celui-ci voyant que ses machinations cachées ne lui réussissaient pas à son gré, parce que Dieu rendait toute ruse et méchanceté manifestes au pieux empereur, n'étant plus au reste capable de dissimuler, il se résolut à une lutte ouverte. [8] En même temps qu'il déclarait la guerre à Constantin, il se préparait déjà à la faire au Dieu de l'univers qu'il savait honoré par ce prince. Il se mit à combattre les chrétiens ses sujets dont les dispositions n'avaient jamais causé absolument rien de fâcheux à son pouvoir. Il le fit d'abord sournoisement et lentement. Il agissait ainsi poussé par sa méchanceté native à une terrible erreur. [9] Il ne mettait pas en effet devant ses regards le souvenir de ceux qui avaient avant lui persécuté les chrétiens, non plus que de ceux dont il avait été lui-même le destructeur et dont il avait vengé les impiétés auxquelles ils s'étaient laissés aller. Mais il s'écartait de la sage raison et tournait ouvertement son esprit à la folie ; il se décidait à faire la guerre à Dieu lui-même, comme au protecteur de Constantin, au lieu de la faire au protégé.
[10] D'abord, il chasse tout chrétien de sa maison. Il se prive lui-même, le malheureux, de la prière qu'ils adressaient pour lui à Dieu ; ce leur est, en effet, un enseignement des ancêtres de prier pour tous. Ensuite, il ordonne que dans chaque ville les soldats soient mis à part, et chassés de leur grade, s'ils refusent de sacrifier aux démons. Et encore cela était jugé peu de chose en comparaison de mesures plus graves. [11] Faut-il rappeler en détail chacun des actes de celui qui haïssait Dieu ? Comment cet homme hors la loi inventa des lois illégales ? Il légiféra que les malheureux qui souffraient dans les prisons ne seraient pas soulagés et ne recevraient de nourriture de personne ; que ceux qui étaient dans les chaînes, rongés par la faim, ne seraient pas l'objet de la pitié ; que personne ne serait bon simplement ; que ceux qui par nature étaient attirés à compatir au prochain ne feraient plus aucun bien. Et parmi ses lois, celle-ci était tout à fait odieuse et impitoyable, et contrecarrant toute nature civilisée ; elle établissait comme châtiment pour ceux qui avaient eu pitié, qu'ils souffriraient la même peine que ceux dont ils avaient eu pitié, qu'ils seraient enchaînés et enfermés en prison ; ceux qui avaient exercé la philanthropie étaient soumis à la même peine que ceux qu'ils avaient secourus dans leur malheur. [12] Telles étaient les ordonnances de Licinius. Faut-il compter les nouveautés au sujet des noces ou les innovations qu'il fit concernant ceux qui quittent la vie ? Il osait ainsi abroger les antiques lois romaines, si bien et si sagement établies ; à la place il en introduisait de barbares et de féroces, lois vraiment illégales et hors la loi. Il inventait des milliers de sujets d'accusation contre le peuple soumis à sa puissance, toutes sortes d'exigences d'or et d'argent, de nouveaux arpentages de la terre, et contre les hommes qui n'étaient plus aux champs, mais qui étaient morts depuis longtemps, de profitables amendes. [13] Combien en outre ce prince haineux pour les hommes n'imaginait-il pas de bannissements contre des gens qui n'avaient rien fait de mal ? Combien d'arrestations de personnages nobles et honorables, dont il faisait divorcer les épouses légitimes, afin de les donner à ses familiers pervers pour les outrager honteusement ? A combien de femmes mariées et de jeunes vierges ce vieillard décrépit n'insultait-il pas, pour satisfaire la convoitise désordonnée de son âme ? Mais pourquoi prolonger cette énumération ? L'excès de ses derniers actes prouve que ses premiers crimes étaient peu de chose et n'étaient rien.
[14] A la fin, sa folie l'amena contre les évêques ; il les jugeait alors, en tant que serviteurs du Dieu souverain, comme les adversaires de ce qu'il faisait ; il leur dressait des embûches, non pas au grand jour, par crainte du prince supérieur, mais en cachette et d'une façon perfide ; il faisait périr par artifice les plus en renom de ces chefs. Le genre de mort qu'on employait contre eux était étrange, et jamais jusque-là on n'en avait entendu parler. [15] Ce qui fut réalisé à Amasie et dans les autres villes du Pont, dépasse tout excès de cruauté. Là, parmi les églises de Dieu, les unes étaient de nouveau détruites de fond en comble, les autres étaient fermées, pour que personne de ceux qui en avaient coutume ne pût entrer pour une assemblée ni donner à Dieu les honneurs qui lui sont dus. [16] Il ne pensait pas, en effet, qu'on fît les prières pour lui ; il imaginait cela dans sa mauvaise conscience. Il se persuadait qu'au contraire, c'était pour l'empereur ami de la religion, que nous faisions tout et que nous adressions à Dieu nos supplications. C'est pourquoi il commença à lancer contre nous sa colère. [17] Alors parmi les gouverneurs, ceux qui étaient courtisans, persuadés qu'ils faisaient plaisir à ce scélérat, accablaient certains évêques des châtiments en usage pour les criminels. Ils étaient arrêtés et punis sans prétexte, comme on l'aurait fait pour des assassins, eux qui étaient innocents. Quelques-uns enduraient alors un tout nouveau genre de mort. Avec le glaive on dépeçait leur corps en un grand nombre de morceaux, et après ce spectacle barbare et qui fait frissonner, ils étaient jetés dans les profondeurs de la mer, comme nourriture aux poissons.
[18] Alors recommença la fuite des hommes religieux, et de nouveau les campagnes, ainsi que les bois déserts et les montagnes, reçurent les serviteurs du Christ. Comme cela s'accordait avec la manière de voir de l'impie, celui-ci au demeurant se mit en tête d'exciter une persécution générale. [19] Ce sentiment prévalait en son esprit, et il n'y avait aucun obstacle à ce qu'il passât à l'action, si, très rapidement, Dieu, le défenseur dos âmes ses serviteurs, n'avait prévu ce qui allait arriver. Comme dans une obscurité épaisse et une nuit très ténébreuse paraît subitement un grand flambeau qui devient le salut de tous, ainsi, de son bras puissant, il conduisit son serviteur Constantin vers ces contrées ainsi affligées.