1. Artabane, roi des Parthes, s'aperçut que les satrapes complotaient contre lui et, voyant qu'il n'était pas en sécurité avec eux, décida de s'en aller chez Izatès dans l'intention d'obtenir de lui les moyens d'assurer son salut, et de rentrer si possible dans son royaume. Il arriva donc chez Izatès, entouré d'environ mille parents et serviteurs, et le rencontra en route ; il le connaissait parfaitement sans être connu de lui. S'approchant d'Izatès, il se prosterna d'abord devant lui selon l'habitude de son pays, puis : « O roi, lui dit-il, ne méprise pas ton suppliant et ne dédaigne pas ma prière. Humilié par mon changement de fortune et devenu de roi simple particulier, j'ai besoin de ton secours. Considère donc l'instabilité de la fortune ; pense que le malheur est chose commune à nous deux et sois prévoyant pour toi-même ; car si tu dédaignes de me venger, nombreux seront ceux qui s'enhardiront, contre les autres rois. » Il disait cela en pleurant et en baissant la tête. Izatès, en apprenant son nom et en voyant que celui qui se tenait en suppliant devant lui et se lamentait ainsi était Artabane, sauta rapidement à bas de son cheval. « Prends courage lui dit-il, ô roi, et que la présente calamité ne te bouleverse pas comme si elle était irréparable : ton chagrin se changera rapidement en joie. Tu trouveras en moi un ami et un allié meilleur que tu ne l'espérais ; en effet, où je te réinstallerai dans le royaume des Parthes, ou je perdrai le mien ».
2. Avant ainsi parlé, il fit monter Artabane à cheval et l'accompagna lui-même à pied pour lui rendre cet hommage comme à un roi plus grand que lui. Mais Artabane, voyant cela, ne put le supporter et jura par la fortune et la gloire qu'il avait à présent, qu'il descendrait de cheval si l'autre n'y montait aussitôt et ne le précédait. Izatès, déférant à son désir, sauta à cheval, et l'ayant amené au palais royal, lui rendit tous les honneurs dans les assemblées et lui attribua la place la plus élevée dans les festins, sans avoir égard à sa fortune présente, mais en raison de sa dignité passée et en considérant que les vicissitudes de la fortune sont communes à tous les hommes. Il écrivit aussi aux Parthes pour leur conseiller de recevoir Artabane, en leur offrant sa foi, ses serments et sa médiation pour les assurer qu'on oublierait leurs actes. Les Parthes ne refusèrent pas de recevoir Artabane, mais dirent qu'il ne leur était guère possible de le faire parce que le pouvoir avait été confié à un autre — celui qui le possédait s'appelait Cinname — et qu'ils craignaient qu'une guerre n'en résultât. Cinname, apprenant leur volonté, écrivit lui-même à Artabane, car il avait été élevé par lui et sa nature était belle et loyale ; il l'invita à se lier à lui et à venir reprendre son royaume. Artabane se fia à lui et revint. Cinname vint à sa rencontre, se prosterna en le saluant du titre de roi et, enlevant, le diadème de sa tête, le mit sur celle d'Artabane.
3. Ainsi, grâce à Izatès, Artabane fut rétabli sur le trône d'où les grands l'avaient naguère précipité. Il ne fut pas ingrat pour les services qu'il avait reçus et il en récompensa Izatès par les plus grands honneurs : il lui permit de porter la tiare droite[1] et de coucher dans un lit d'or, alors que cet honneur et cet insigne sont réservés aux seuls rois des Parthes. Il lui donna aussi un grand pays fertile qu'il détacha des possessions du roi d'Arménie. Ce pays s'appelle Nisibis. Les Macédoniens y fondèrent autrefois la ville d'Antioche qu'ils nommèrent Epimygdonienne. Tels furent les honneurs dont Izatès fut gratifié par le roi des Parthes.
[1] Insigne du pouvoir absolu dès le temps de l'empire perse (cf. Aristophane, Oiseaux, 487 ; Xénophon, Anabase, II, 5, 23).
4. Peu après, Artabane mourut en laissant le trône à son fils Vardane. Celui-ci se rendit auprès d'Izatès et essaya de le convaincre, comme il était sur le point de faire la guerre aux Romains, de s'allier avec lui et de lui fournir son appui. Mais il ne le convainquit point, car Izatès connaissait la puissance et la fortune des Romains et croyait l'entreprise impossible. De plus, il avait envoyé cinq de ses fils encore jeunes pour apprendre avec soin notre langue nationale et recevoir notre éducation, et il avait aussi envoyé, comme je l'ai dit auparavant, sa mère se prosterner au Temple ; il était donc assez hésitant et détournait Vardane d'agir, en lui décrivant sans cesse la force et les exploits des Romains, pensant ainsi l'effrayer et le faire renoncer à ses projets d'expédition contre eux. Le Parthe, irrité de cela, déclara immédiatement la guerre à Izatès ; mais il ne retira aucun profit de cette entreprise, car Dieu anéantit toutes ses espérances. En effet, lorsque les Parthes apprirent les projets de Vardane et sa décision de combattre les Romains, ils se débarrassèrent de lui et donnèrent le pouvoir à son frère Cotardès[2]. Celui-ci mourut peu après, victime d'un complot et eut pour héritier son frère Vologèse[3], qui confia à ses deux frères de père de grands gouvernements : Pacorus, l'aîné, eut la Médie, et Tiridate[4], le cadet, eut l'Arménie.
[2] Gotarzès selon Tacite, Annales, XI, 8-17.
[3] Cf. Tacite, Annales, XII, 12-14.
[4] Cf. ibid., XII, 50-51.