[Ce livre a été probablement composé peu avant la chute du royaume de Juda. Jérémie et Ezéchiel nous montrent combien dans les temps de malheurs publics la question de la justice divine s’impose aux esprits. (Jérémie ch. 12)]
Le livre de Job nous présente à la fois tous les problèmes qui ont jamais occupé l’esprit des sages israélites, et toutes les solutions qui ont été proposées. Mais il ne nous les présente pas sous la forme d’un traité dogmatique. C’est une histoire. Ce qui est arrivé à Job montre que les justes sont exposés à des épreuves telles, que leur foi risque de leur faire défaut, mais que, s’ils persévèrent jusqu’à la fin, ils seront brillamment récompensés de leur constance. On a dit que ce livre est une réfutation en règle du principe de la rémunération, qui est à la base du Mosaïsme ; il en est bien plutôt une confirmation formelle (Job 42.12). Seulement, il développe l’idée que Dieu ne se propose pas toujours le même but quand il afflige les enfants des hommes ; que toute souffrance n’est pas un châtiment, et qu’on s’expose à se tromper lorsqu’on fait remonter tous les maux à des péchés particuliers ; il montre qu’il y a tel cas où l’on fait décidément tort au malheureux quand on l’accuse de péchés proportionnés à la grandeur des souffrances qu’il endure ; il montre enfin qu’il faut se garder des sentences précipitées et que le plus sage est souvent de suspendre humblement son jugement.
On peut distinguer quatre espèces de souffrances. Il y en a d’abord qui sont des châtiments positifs. C’est ce que soutiennent sous toutes les formes les amis de Job (ch. 8 ; 15.20, 35 ; 18.20) ; c’est ce que Job finit par accorder (Job 27.11 et sq.), après avoir d’abord prétendu (ch. 21) qu’il n’y a point de punition pour les méchants sur la terre, ou que du moins (ch. 24) les grands malfaiteurs échappent toujours, et que les petits seuls sont pris.
Il y en a ensuite qui ne résultent que de la corruption générale et naturelle de la race humaine ; tribut salutaire que doivent acquitter les bons et les méchants indistinctement. Seulement, les bons souffrent patiemment et ils seront récompensés ; Dieu leur rendra leur bonheur perdu. Tel est le point de vue d’Eliphaz (Job 4.12-16) ; telle est l’importante vérité qui lui a été révélée dans une vision de nuit.
En troisième lieu, il y a des souffrances de purification, que Dieu dispense tout particulièrement aux justes pour les préserver de l’orgueil spirituel et les affermir dans la grâce. C’est le point de vue auquel se place Elihu (Job 33.14-29 ; 36.5-15). Eliphaz avait parlé des maux qu’un Dieu juste peut dispenser à tous les enfants d’Adam. Elihu parle de ceux, qu’un Dieu d’amour envoie aux justes, non point pour les punir de quoi que ce soit, mais pour les maintenir dans la bonne voie.
[Sans Elihu, l’un des buts que Dieu se propose en envoyant la souffrance aux enfants des hommes, serait entièrement passé sous silence dans le livre de Job. C’est lui, en outre, qui montre ce qu’il y a devrai dans l’affirmation des trois amis, que la souffrance a toujours quelque chose à faire avec le péché. C’est lui enfin qui prépare Job a s’humilier comme il le fait quand l’Éternel lui apparaît.]
Enfin, il y a des souffrances d’approbation, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui ont pour but de mettre en pleine lumière la fidélité des justes, de fournir à leur foi l’occasion de remporter une brillante victoire. C’est dans cette dernière catégorie que, d’après le prologue et l’épilogue, rentrent celles de Job. Voilà un juste qui est fortement ébranlé dans sa foi, qui est même sur le point de tomber dans le désespoir ; mais, loin de renier son Dieu, il donne au contraire tort à l’ennemi des hommes, ainsi qu’à ses amis qui, dans le feu de la discussion, se sont rapprochés insensiblement du point de vue de Satan. Aussi sa fidélité sort-elle de cette rude épreuve épurée et glorifiée, bien que Dieu lui ait fait sentir qu’il avait lieu, lui aussi, de s’humilier devant le Tout-Puissant. — Ce genre de souffrance n’est pas sans analogie avec celle du martyr qui meurt pour rendre témoignage à la vérité et parce que le zèle pour la maison de Dieu l’emporte chez lui sur l’amour de la vie.
A côté des chapitres où il explique ainsi les souffrances des justes, le livre de Job renferme des pages bien remarquables sur la Providence. Deux choses nous montrent que nous pouvons avoir une confiance implicite en la justice divine : Dieu est si puissant et l’on voit si bien qu’il dirige la nature à son gré, — qu’il n’y a pas lieu de craindre aucune injustice de sa part. La première de ces idées est celle que développe Elihu Job 31.10 et sq. Dieu n’est pas pour le monde un étranger ; le monde ne Lui a pas été confié par quelque autre ; il Lui appartient en propre, parce que tout ce qu’il renferme a reçu la vie de Lui seul. Comment ferait-il tort aux enfants de sa toute-puissance ? Le créateur du monde doit en être aussi le sage et juste roi ; et à la fin sa justice, plus ou moins longtemps voilée, ne manquera pas de resplendir. La justice aura le dernier mot dans l’histoire des individus et dans celle des nations. Tel est aussi le thème du second discours de l’Éternel (ch. 40) : pour que l’homme eût le droit de se prétendre plus sage que Dieu, il faudrait qu’il commençât par être plus puissant que Lui.
La contemplation de la nature est bien propre aussi à augmenter notre confiance en la Providence divine. Lors même que nous ne sommes pas en état de saisir la pensée elle-même qui a présidé à la création et qui préside à l’histoire du monde (Job ch. 28. § 237), nous trouvons cependant dans le monde des traces assez nombreuses et assez évidentes de la sagesse de Dieu, pour que nous ne doutions aucunement que Dieu préside également en souverain absolu à nos propres -destinées individuelles. C’est une pensée sur laquelle Elihu revient à plusieurs reprises. « Qui pourrait enseigner comme le Dieu fort ? מיכמהו מורה » (Job 36.22). Il se présente à l’homme de toutes parts dans la nature ; Il lui révèle en tous lieux sa sagesse et sa force. La nature, il est vrai, renferme bien des mystères ; mais cela précisément doit nous aider à accepter ce qu’il y a souvent de mystérieux dans notre vie. « Dans ce moment (un orage s’avance), on ne voit plus la lumière du soleil, qui pourtant resplendit dans les cieux. Le vent s’élève et chasse les nuages. L’or vient du septentrion. Il y a autour de Dieu une majesté redoutable. Nous ne pouvons pas trouver ce Tout-puissant ; Il est grand en puissance, en jugement et en abondance de justice. Il ne fausse pas le droit. C’est pourquoi les hommes Le craignent. Il n’accorde ses regards à aucun de ceux qui sont sages à leurs propres yeux. » (Job 37.21 et sq.) C’est-à-dire que Dieu est lumière, alors même que souvent nous ne comprenons pas ses voies, de même que le soleil n’a pas cessé d’exister et de briller dans les cieux lorsque ses rayons sont obscurcis pour nous par d’épaisses nuées. Le nord est sombre ; c’est le côte de l’ombre et de la nuit ; et pourtant il renferme de l’or dans son sein ; de même, il n’y a que lumière, lumière pure et joyeuse, derrière les obscurités de la volonté suprême. Elihu conclut de là que Job, au chap. 28, a montré une résignation trop pleine de découragement. Nous en savons assez sur la sagesse que Dieu déploie en toutes circonstances, pour attendre avec une pleine confiance, — et non pas avec une soumission qui touche au désespoir, — le moment où il Lui plaira d’écarter les nuages et de faire de nouveau luire sur nous la lumière de sa face.