1.[1] Entre les Samaritains et les Juifs s'élevèrent aussi des haines pour la raison suivante. Les Galiléens avaient coutume, pour se rendre aux fêtes dans la ville sainte, de traverser le pays de Samarie. Alors, pendant qu'ils étaient en route, des habitants d'un bourg appelé Ginae[2], situé aux confins du pays de Samarie et de la grande plaine, engagèrent un combat avec eux et en tuèrent beaucoup. Apprenant ces faits, les premiers des Galiléens vinrent trouver Cumanus et lui demandèrent de venger ces gens injustement assassinés. Mais lui, persuadé par les Samaritains qui l'avaient acheté à prix d'argent, négligea leur requête. Irrités, les Galiléens décidèrent la masse des Juifs à courir aux armes et à soutenir la cause de leur liberté ; ils leur dirent, en effet, que si la servitude était déjà amère en elle-même, celle à laquelle s'ajoutait l'outrage était absolument intolérable. Leurs magistrats s'efforcèrent de les apaiser et leur promirent qu'ils décideraient Cumanus à venger les victimes ; mais les Juifs ne les écoutèrent pas. Prenant les armes et appelant à leur aide Eléazar, fils de Dinaios, brigand qui vivait depuis de longues années dans la montagne, ils pillèrent et incendièrent certains bourgs samaritains. Lorsque Cumanus eut connaissance de cet acte, il prit avec lui l'escadron de Sébaste et quatre cohortes[3] de fantassins, fit armer les Samaritains et marcha contre les Juifs ; il les attaqua, en tua un grand nombre et en prit beaucoup vivants. Les premiers des habitants de Jérusalem par la naissance et les honneurs, voyant la gravité des maux où ils étaient tombés, se revêtirent de cilices et se couvrirent la tête de cendres ; ils supplièrent de toutes les façons les révoltés, puisqu'ils avaient sous les yeux leur patrie qui allait être abolie, le Temple qui allait être détruit, enfin leurs femmes et leurs enfants qui allaient être réduits en esclavage avec eux, de changer de dessein, de mettre bas les armes et de rester tranquilles après avoir regagné leurs maisons. Ces paroles persuadèrent les mutins qui se dispersèrent, et les brigands retournèrent dans des lieux inexpugnables ; mais, depuis ce moment, toute la Judée fut infestée de leurs brigandages.
[1] Section I = Guerre, II, 232-238.
[2] Ginae, aux confins de la Galilée, sur la route de Tibériade à Samarie.
[3] Le texte porte τέτταρα τάγματα, ce qui, littéralement, signifie quatre légions. Il y a une impropriété d'expression ou une exagération de Josèphe qui, dans toute cette partie de son ouvrage, ne semble plus compter que par dizaine de mille (μύριαδες).
2.[4] Les premiers des Samaritains se rendirent chez Ummidius Quadratus[5], gouverneur de Syrie, qui alors séjournait à Tyr ; ils accusèrent les Juifs d'avoir incendié et pillé leurs villages. Ils prétendaient s'irriter moins des souffrances qu'eux-mêmes avaient éprouvées du fait que leurs ennemis avaient bafoué les Romains, juges auprès desquels ils auraient dû se rendre s'ils avaient subi quelque injustice plutôt que de se livrer à de telles incursions, comme s'ils n'avaient pas les Romains pour maîtres. Ils venaient donc lui demander vengeance. Telles étaient les accusations des Samaritains. Les Juifs déclarèrent que les Samaritains étaient responsables de la révolte et du combat, et plus encore Cumanus, qui avait été corrompu par leurs présents et n'avait fait aucun cas du meurtre de ceux qu'ils avaient tués. Quadratus, la cause entendue, remit son jugement à plus tard, disant qu'il le rendrait public après avoir pris en Judée une connaissance plus précise de la vérité. On se retira donc sans que rien eût été décidé. Peu après, Quadratus vint à Samarie et, après enquête, reconnut, que c'étaient les Samaritains qui avaient provoqué les troubles. Mais dès qu'il apprit que certains Juifs avaient médité une révolution, il fit mettre en croix ceux que Cumanus avait capturés. Ensuite il se rendit dans un bourg qui se nommait Lydda[6] et ne le cédait pas en grandeur à une ville : il s'installa sur son tribunal et, pour la deuxième fois, écouta les Samaritains. L'un d'eux lui apprit qu'un des principaux Juifs, nommé Dortos, et d'autres révolutionnaires au nombre de quatre, avaient conseillé au peuple de se soulever contre Rome. Quadratus les fit mettre à mort et envoya à Rome enchaînés, avec leur entourage, le grand-pontife Ananias et le commandant[7] Anan pour se justifier de leurs actes devant l'empereur Claude. Il ordonna[8] aussi aux principaux des Samaritains et des Juifs, au procurateur Cumanus et au tribun Celer de se rendre en Italie devant l'empereur pour voir juger par lui leurs enquêtes respectives. Pour lui, craignant une nouvelle révolte de la populace juive, il arriva dans la ville de Jérusalem qu'il trouva paisible et en train de célébrer une fête ancestrale en l'honneur de Dieu. Il fut donc persuadé qu'il n'y aurait aucune sédition à Jérusalem et, la laissant en fête, retourna à Antioche.
[4] Section 2 = Guerre, II, 239-244.
[5] Κουαδρατον E Κοδρᾶτον Niese. C. Ummidius Durmius Quadratus, ancien consul, gouverneur de Lusitanie en 37, d'Illyrie, de Syrie de 50 à 57, date de sa mort.
[6] Sur la route de Jérusalem à Jaffa.
[7] στρατηγός, c'est-à-dire le chef des gardes du temple.
[8] Cf. Tacite, Annales, XII, 54.
3.[9] Cumanus et les premiers des Samaritains, envoyés à Rome, obtinrent, de l'empereur un jour d'audience pour parler des litiges qui les divisaient. En faveur de Cumanus et des Samaritains s'exerçait le plus grand zèle des affranchis et des amis de l'empereur, et les Juifs auraient été vaincus si Agrippa le jeune, qui se trouvait alors à Rome et voyait l'effroi des premiers des Juifs, n'eût vivement imploré l'impératrice Agrippine pour qu'elle persuadât son mari de juger comme il convenait, à sa justice, après audition des parties, ceux qui étaient responsables de la révolte. Claude fut touché par cette prière et, après avoir ouï les débats, reconnaissant que les Samaritains avaient été les premiers auteurs de ces maux, ordonna d'exécuter ceux d'entre eux qui s'étaient présentés à lui ; il infligea la peine de l'exil à Cumanus ; enfin il prescrivit d'emmener à Jérusalem le tribun Celer et de le mettre à mort, après l'avoir traîné dans toute la ville aux yeux de tous.
[9] Section 3 = Guerre, II, 245-246.