Tandis que nous apprenons par les oracles des Hébreux que les prophètes et les hommes justes chez eux ont supporté avec courage les sévices les plus violents et les outrages les plus blessants, vous apprendrez de Platon lui-même, dont j’emprunte les paroles dans le second livre de la République, sa conformité d’opinion avec les Hébreux, à cet égard.
« L’ayant donc ainsi défini, fixons par la pensée ce qu’est le juste en lui-même : c’est un homme simple et généreux, qui veut, suivant Eschyle, ne pas paraître, mais être réellement bon. Ecartons-donc tout ce qui est apparent ; si en effet, il paraît juste, aussitôt les honneurs et les dons seront offert· à celui qui semble tel. Il demeure incertain si c’est pour la justice, ou pour les dons et les honneurs, qu’il se montre ainsi qu’il le fait : dépouillons-le en conséquence de tout, excepté de la justice, et plaçons-le dans une situation diamétralement contraire à celle du précédent. Sans commettre aucune injustice, qu’il ait la réputation d’une extrême injustice, de manière à être éprouvé dans son sentiment indélébile de justice, en ce que la mauvaise réputation ne pourra pas le lui ravir, non plus que toutes les conséquences qui viennent à sa suite. Qu’il soit donc inébranlable jusqu’à la mort, passant pendant toute sa vie pour être injuste, quoiqu’il soit juste. » Après quelques autres réflexions, il continue :
« Il faut bien le dire, encore que cela puisse sembler par trop féroce. Ne vous figurez pas, ô Socrate, que ce soit moi qui vous parle, mais que ce seront ceux qui vantent l’injustice bien plus que la justice : ils vous diront que le juste ainsi placé, sera battu de verges, sera torturé, sera enchaîné, sera aveuglé, qu’enfin, après avoir souffert tous les maux possibles, il sera crucifié ; et il apprendra ainsi que ce n’est pas être juste qu’il faut vouloir, mais simplement le paraître. » Ce que Platon s’est contenté de dire, les justes Hébreux et leurs prophètes l’ont mis en pratique, bien avant lui, car les récits nous font connaître qu’ils ont enduré tous les tourments possibles : ceux-ci étant les plus justes, « ont été lapidés comme les plus injustes : ils ont été sciés en deux, ils sont morts par le glaive, ils ont erré couverts de peaux de brebis on de chèvres, en proie au besoin, opprimés, maltraités : ils se sont disséminés dans les déserts, dans les montagnes, dans les cavernes, dans les fissures de la terre : eux dont le monde n’était pas digne. » Les apôtres de notre Sauveur, en pratiquant la plus sublime justice et la piété, ont eu aux jeux de la multitude, une réputation d’injustice qui leur attira les persécutions, dont il est à propos de les entendre eux-mêmes faire le récit. « Nous sommes devenus un spectacle pour le monde, pour les anges et pour les hommes. Jusqu’à la saison qui vient de s’écouler, nous avons souffert de la faim, de la soif, de la nudité, nous avons été souffletée, repousses, injuriés, lorsque nous bénissions, poursuivis, lorsque nous endurions, diffamés, lorsque nous exhortions, traités comme les souillures du monde. » Enfin jusqu’au siècle dernier, les généreux martyrs de notre Sauveur ont souffert tout ce que Platon a énuméré de supplices dans toutes les parties de la terre habitée, pour s’être étudiés non pas à paraître, mais à être vraiment justes et pieux : car ils ont été frappés de verges, retenus dans les liens et les entraves ; on leur a arraché les yeux, et enfin, après avoir éprouvé toutes ces tortures, on a fini par les mettre en croix : ce dont on chercherait vainement un exemple pareil parmi les Grecs ; en sorte qu’on serait fondé à dire que le philosophe n’a fait que prophétiser par ses paroles ce qui devait se réaliser dans ces modèles de piété et de véritable justice.