1.[1] Ayant appris la mort de Festus, l'empereur envoya Albinus[2] en Judée comme procurateur. Le roi enleva le pontificat à Joseph le grand-prêtre et donna la succession de cette charge au fils d'Anan, nommé lui aussi Anan. On dit que le vieil Anan fut très heureux, car il avait cinq fils qui tous eurent la chance d'être grands-prêtres de Dieu et il avait lui-même rempli cette charge pendant très longtemps ; or, cela n'arriva jamais à aucun autre de nos grands pontifes. Arian le jeune, qui, comme nous l'avons dit, reçut le grand-pontificat, était d'un caractère fier et d'un courage remarquable ; il suivait, en effet, la doctrine les Sadducéens, qui sont inflexibles dans leur manière de voir si on les compare aux autres Juifs, ainsi que nous l'avons déjà montré. Comme Anan était tel et qu'il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route, il réunit un sanhédrin, traduisit devant lui Jacques, frère de Jésus appelé le Christ[3], et certains autres, en les accusant d'avoir transgressé la loi, et il les fit lapider. Mais tous ceux des habitants de la ville qui étaient les plus modérés et les plus attachés à la loi en furent irrités et ils envoyèrent demander secrètement au roi d'enjoindre à Anan de ne plus agir ainsi, car déjà auparavant il s'était conduit injustement. Certains d'entre eux allèrent même à la rencontre d'Albinus qui venait d'Alexandrie et lui apprirent qu'Anan n'avait pas le droit de convoquer le sanhédrin sans son autorisation. Albinus, persuadé par leurs paroles, écrivit avec colère à Anan en le menaçant de tirer vengeance de lui. Le roi Agrippa lui enleva pour ce motif le grand-pontificat qu'il avait exercé trois mois et en investit Jésus, fils de Damnaios.
[1] Sections 1-3 = Guerre, II, 271-276.
[2] L. Lucceius Albinus devint plus tard procurateur de Mauritanie et fut tué avec sa femme au début du principat de Vitellius (Tacite, Histoires, II, 58-59).
[3] Jacques, frère de Jésus (Jacques le Mineur, dans la tradition catholique) ; cf. saint Paul, Épître aux Galates, I, 19. [On a contesté à tort l'authenticité du passage où est mentionné ce frère de Jésus ; voir Schürer, I, p. 546 – S. R.].
2. Quand Albinus fut arrivé à Jérusalem, il mit tout son zèle et toute sa diligence à pacifier le pays en faisant périr la plupart des sicaires. Mais de jour en jour le grand-pontife Ananias croissait en réputation et obtenait de façon éclatante l'affection et l'estime de ses concitoyens : en effet, il savait donner de l'argent et il essayait quotidiennement de faire sa cour par des présents à Albinus et au grand-pontife. Il avait des serviteurs très pervers qui s'adjoignaient les hommes les plus audacieux pour fondre sur les aires et prendre de force la dîme des prêtres, non sans frapper ceux qui ne la leur cédaient pas. Les grands pontifes faisaient comme ces esclaves, sans que personne pût les empêcher. Aussi les prêtres, jadis nourris par les dîmes, étaient-ils exposés alors à mourir de faim.
3. De nouveau, pendant la fête qui avait lieu alors, les sicaires montèrent de nuit dans la ville ; ils firent prisonnier le secrétaire du commandant Éléazar, qui était fils du grand-pontife Anan, et l'emmenèrent chargé de chaînes. Puis ils envoyèrent dire à Ananias qu'ils relâcheraient le secrétaire et le lui rendraient, s'il décidait Albinus à relâcher dix des leurs qu'il avait pris. Ananias, forcé d'exhorter à cela Albinus, obtint satisfaction, mais ce fut la source de malheurs plus grands. En effet, les brigands employaient tous les moyens pour s'emparer de certains des familiers d'Ananias et, ne cessant d'en capturer, ils ne les délivraient pas avant d'avoir reçu en échange quelques sicaires. Devenus de nouveau très nombreux, ils reprirent courage et se mirent à ravager tout le pays.
4. Vers ce moment le roi Agrippa, ayant agrandi la ville de Césarée[4] dite de Philippe, la nomma Néronias en l'honneur de Néron. Il offrit aux Bérytiens, dans un théâtre construit à grands frais, des spectacles annuels et y dépensa des drachmes par dizaines de mille ; car il donnait à la populace du blé et lui distribuait de l'huile. Il ornait aussi toute la ville de statues et de copies de chefs d'œuvre antiques et il transporta là tout ce qui ornait son royaume, ou peu s'en faut. La haine que lui vouaient ses sujets augmenta parce qu'il décorait à leurs dépens une ville étrangère. Le roi donna aussi la succession du grand pontificat à Jésus, fils de Gamaliel, après après l'avoir enlevé à Jésus, fils de Damnaios. Cela fut cause d'une lutte entre eux. En effet, les gens les plus audacieux ayant été rassemblés par eux en bandes, des insultes on en vint à se jeter des pierres. Ananias se distinguait parce qu'il s'attachait, grâce à sa fortune, tous ceux qui étaient prêts à recevoir de l'argent. Costobar et Saül aussi rassemblaient autour d'eux une foule de gens pervers ; ils étaient de race royale et très en faveur à cause de leur parenté avec Agrippa, mais violents et disposés à ravir les biens des plus faibles. C'est surtout, à partir de ce moment, que notre ville dépérit, parce que tous progressaient dans le mal.
[4] L'ancienne Panéas, non loin des sources du Jourdain.
5. Quand Albinus apprit que Gessius Florus[5] arrivait pour lui succéder, il voulut paraître faire quelque chose pour les Hiérosolymitains, et, ayant réuni les captifs, ordonna de tuer tous ceux qui manifestement méritaient la mort ; quant à ceux qui avaient été jetés en prison pour une faute légère et commune, il les remit en liberté pour de l'argent. Mais si la prison fut ainsi vidée de captifs, le pays se trouva de nouveau plein de brigands.
[5] Voir XX, 252.
6. Ceux des Lévites — c'est une tribu — qui chantaient les hymnes, demandèrent au roi de réunir le sanhédrin et de leur permettre de porter comme les prêtres une tunique de lin, car ils prétendaient qu'il devait faire pendant son règne une innovation mémorable. Ils obtinrent satisfaction. En effet, avec le consentement des gens convoqués au sanhédrin, le roi accorda aux chanteurs d'abandonner leur vêtement ancien et de porter un vêtement de lin comme ils le désiraient. Et comme une partie de la tribu exerçait son ministère dans le Temple, il lui permit également d'apprendre les hymnes, ainsi qu'ils le lui demandaient. Or, tout cela allait contre la loi de nos ancêtres, et cette transgression devait fatalement être expiée par lui.
7. A ce moment le Temple était achevé. Le peuple voyait donc que les ouvriers, au nombre de plus de dix-huit mille, chômaient et avaient besoin de salaires, parce qu'ils se procuraient jusque là de quoi vivre en travaillant au sanctuaire. Il ne voulait pas épargner l'argent par crainte des Romains, mais, se préoccupant des ouvriers, voulait dépenser pour eux le trésor : en effet, si un ouvrier avait travaillé, ne fût-ce qu'une heure dans sa journée, il était immédiatement payé pour elle[6]. Le peuple engagea donc le roi à restaurer le portique oriental. C'était un portique de l'enceinte extérieure du sanctuaire, donnant sur une profonde vallée, avec des murs de quatre cents coudées de long et fait de blocs quadrangulaires de marbre blanc dont chacun avait vingt coudées de long et six de hauteur : c'était l'œuvre du roi Salomon qui, le premier, avait construit tout le Temple. Mais le roi, à qui l'empereur Claude avait confié le soin de s'occuper du Temple, réfléchit que le travail le plus facile était de démolir, tandis que construire était difficile, surtout s'il s'agissait de ce portique, car cela exigeait beaucoup de temps et d'argent. Il écarta donc cette demande, mais sans s'opposer à ce que la ville fût pavée de marbre blanc. Ayant enlevé le grand-pontificat à Jésus, fils de Gamaliel, il le donna à Matthias, fils de Théophile, sous lequel commença la guerre des Juifs contre les Romains.
[6] Voir la parabole des ouvriers de la onzième heure dans Matthieu, XX, 8 (Georges MATHIEU.)