Préparation évangélique

LIVRE XII

CHAPITRE XXI
QUELS SONT LES SENTIMENTS QUE LES ODES DOIVENT EXPRIMER

« Obligez vos poètes à dire que l’homme vertueux étant tempérant et juste, est en même temps heureux et fortuné, qu’il soit grand et fort, qu’il soit petit et faible, qu’il soit riche ou pauvre. Fût-il plus riche que Cinyre et Midas, s’il est injuste, il est malheureux, et sa vie doit se passer tristement, d’après ce que nous dit le poète : si toutefois il s’exprime comme il le doit. Je ne rappellerai jamais la mémoire ni ne parlerai avec estime de l’homme qui ne ferait pas de belles actions, et n’acquerrait pas d’honneur avec le concours de la justice. C’est ainsi qu’il doit être pour désirer d’entrer en lice avec les ennemis. S’il est injuste, qu’il tremble d’envisager la mort sanglante, qu’il ne l’emporte pas à la course sur Borée le Thrace ; qu’en un mot il n’obtienne aucun des avantages qu’on nomme les biens ; car ce que le vulgaire décore de ce nom n’est pas justement nommé tel. Ainsi, l’on dit que le plus excellent de tous, est de jouir d’une bonne santé ; le second, c’est la beauté ; le troisième, la richesse. Il est une foule d’autres choses qu’on nomme biens, tels que d’avoir une vue perçante, l’ouïe fine, et d’être doué en général de la perfection des sens ; puis vient le pouvoir de faire, comme tyran, tout ce qu’on désire ; enfin, comme le terme de toute félicité, en possédant toutes ces choses, de jouir de l’immortalité, et le plus tôt possible. Vous et moi nous disons unanimement que toutes ces choses sont d’excellentes possessions, pour les hommes justes et pieux, et que ce sont, au contraire, les plus funestes, pour les hommes injustes, en commençant par la santé, puis la vue, l’ouïe et tous les sens ; qu’enfin la vie même serait le plus grand de tous les maux, si elle devait durer éternellement et sans crainte de la mort, en supposant qu’elle possédât tout ce qu’on nomme les biens, à l’exclusion de la justice et de toute vertu. Et dans ce cas, moins de temps un tel homme vivrait, moindre serait le mal. Vous amènerez, je pense, par la persuasion ou, à défaut, par la contrainte, vos poètes à chanter les choses que j’ai dites, en leur donnant le rythme et la cadence, afin qu’elles servent à l’éducation de votre jeunesse ; car, voyez-vous bien, je le dis hautement, ce qu’on appelle des maux ne sont que des biens quand ils s’adressent aux méchants, tandis qu’ils restent ce qu’ils sont, pour les bons. Les biens ne sont véritablement biens que pour les gens vertueux ; ce sont des maux pour les êtres pervers. Sommes-nous d’accord sur la question posée vous et mot, ou comment l’entendez-vous ? »

Ces pensées ne différent pas beaucoup de celles de David dans les Psaumes, qui sont autant d’hymnes ou d’odes qu’il a composées sous l’inspiration de l’esprit divin, où il nous enseigne quel est l’homme véritablement heureux et quel est celui qui est tout le contraire. Son livre commence en effet, par célébrer cette vérité : « Heureux l’homme qui ne s’est point rendu dans le conseil des impies, » et autres choses semblables. C’est par ces emprunts que lui en a faits Platon, qu’il dit que les poètes doivent proclamer que l’homme vertueux, tempérant et juste, est heureux et fortuné ; que, fut-il riche, s’il est injuste, il est malheureux. Voici les termes dans lesquels David a énoncé les mêmes vérités dans ses Psaumes : « Si la richesse afflue, n’y attachez pas votre cœur ; » puis : « Ne craignez pas l’homme parce qu’il est riche, parce que la gloire s’augmente dans sa famille. » Avec du temps vous pourrez découvrir que chacune des doctrines exprimées par le philosophe se retrouvent mot pour mot dans le corps entier du saint livre des Psaumes.

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