- Faut-il placer le conseil parmi les sept dons du Saint-Esprit ?
- Le don de conseil correspond-il à la vertu de prudence ?
- Le don de conseil subsiste-t-il dans la patrie ?
- La cinquième béatitude : « Bienheureux les miséricordieux » correspond-elle au don de conseil ?
Objections
1. Il semble que non, car les dons du Saint-Esprit sont donnés pour aider les vertus, comme le montre S. Grégoire. Mais avec la vertu de prudence ou encore d'eubulia, l'homme possède tout ce qu'il faut pour délibérer, d'après ce que nous avons dit. Donc le conseil ne doit pas figurer parmi les dons du Saint-Esprit.
2. La différence entre les sept dons du Saint-Esprit et les grâces gratuitement données semble consister en ce que celles-ci ne sont pas données à tous, mais distribuées aux uns ou aux autres, tandis que les dons du Saint-Esprit sont donnés à tous ceux qui possèdent le Saint-Esprit. Mais le conseil semble être au nombre de ces faveurs qui sont accordées par le Saint-Esprit à quelques-uns spécialement, témoin ce texte du 1er livre des Maccabées (1 Maccabées 2.65) : « Voici Siméon votre frère. Lui, il est un homme de conseil. » Donc le conseil doit figurer plutôt parmi les grâces gratuitement données que parmi les sept dons du Saint-Esprit.
3. Il est dit (Romains 8.14) : « Ceux-là sont les fils de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu. » Mais ceux qui sont mus par un autre n'ont pas besoin de conseil. Donc, puisque les dons du Saint-Esprit conviennent surtout aux fils de Dieu « qui ont reçu l'esprit d'adoption des fils » (Romains 8.15), il semble que le conseil ne doive pas figurer parmi les dons du Saint-Esprit.
En sens contraire, il est dit dans Isaïe (Ésaïe 11.2) « L'esprit de conseil et de force reposera sur lui. »
Réponse
Les dons du Saint-Esprit, comme nous l'avons dit, sont certaines dispositions par lesquelles l'âme se laisse facilement mouvoir par le Saint-Esprit. Or, Dieu meut chaque chose selon le mode de l'être qui est mû : c'est ainsi qu'il meut la créature corporelle dans le temps et dans le lieu, la créature spirituelle dans le temps et non dans le lieu, dit S. Augustin. Mais le propre de la créature douée de raison est qu'elle est mue à l'action par sa recherche rationnelle, et cette recherche prend le nom de conseil. C'est pourquoi le Saint-Esprit meut la créature raisonnable par mode de conseil. Et c'est pourquoi le conseil figure parmi les dons du Saint-Esprit.
Solutions
1. La prudence ou eubulia, qu'elle soit acquise ou infuse, dirige l'homme dans la recherche du conseil selon ce que peut comprendre la raison ; aussi, par la prudence ou eubulia, est-on de bon conseil pour soi ou pour les autres. Mais parce que la raison humaine ne peut comprendre dans leur singularité les événements contingents, il en résulte que « les pensées des mortels sont timides, et incertaines nos prévoyances », dit le livre de la Sagesse (Sagesse 9.14). Pour cette raison, l'homme a besoin dans la recherche du conseil d'être dirigé par Dieu qui comprend toute chose. Tel est le rôle du don du conseil, par lequel l'homme est dirigé pour ainsi dire par le conseil qu'il reçoit de Dieu. Pareillement, dans les affaires humaines, ceux qui ne trouvent pas par euxmêmes le conseil voulu requièrent le conseil d'hommes plus sages.
2. Qu'un homme soit à ce point de bon conseil qu'il puisse conseiller les autres, cela peut relever d'une grâce gratuitement donnée. Mais qu'un homme reçoive de Dieu le conseil relatif à une action nécessaire au salut, cela est commun à tous ceux qui ont la grâce sanctifiante.
3. Les fils de Dieu sont mus par le Saint-Esprit selon leur mode d'être, c'est-à-dire en gardant leur libre arbitre, qui est faculté de volonté et de raison. Ainsi, en tant que la raison est instruite par le Saint-Esprit de ce qu'il faut faire, le don de conseil convient aux enfants de Dieu.
Objections
1. Il semble qu'il n'y corresponde pas exactement, car la réalité inférieure, en ce quelle a de plus élevé, rejoint la réalité supérieure, comme le montre Denys ; c'est ainsi que l'homme rejoint l'ange par son intelligence. Mais la vertu cardinale est inférieure au don, nous l'avons dit. Donc, puisque le conseil est le premier et le moins élevé des actes de la prudence, tandis que l'acte le plus élevé de cette vertu est le commandement et que son acte intermédiaire est le jugement, il semble que le don correspondant à la prudence ne soit pas le conseil, mais plutôt le jugement ou le commandement.
2. Une seule vertu est pleinement aidée par un seul don ; car plus un être est élevé, plus il est unifié, comme il est prouvé au livre Des causes. Mais la prudence est secourue par le don de science, qui n'est pas seulement spéculatif mais pratique, comme on l'a établi plus haut. Donc le don de conseil ne correspond pas à la vertu de prudence.
3. Il appartient en propre à la prudence de diriger, comme on l'a établi plus haut. Mais il relève du don de conseil que l'homme soit dirigé par Dieu, nous venons de le dire. Donc le don de conseil n'a pas rapport à la vertu de prudence.
En sens contraire, le don de conseil concerne les actions à accomplir en vue de la fin. Mais la prudence a le même objet. Donc ils se correspondent.
Réponse
Un principe inférieur de mouvement est secouru et perfectionné avant tout en étant mû par un principe moteur plus élevé, comme le corps lorsqu'il est mû par l'esprit. Or, il est clair que la rectitude de la raison humaine se rapporte à la raison divine comme un principe inférieur de mouvement se rapporte à un principe plus élevé ; car la raison éternelle est la règle suprême de toute rectitude humaine. Et c'est pourquoi la prudence qui implique rectitude de raison est souverainement perfectionnée et aidée en ce qu'elle est réglée et mue par le Saint-Esprit. Telle est l'œuvre du don de conseil, comme on l'a dit. Donc le don de conseil correspond à la prudence, comme la secourant et la perfectionnant.
Solutions
1. Juger et commander n'est pas le fait de ce qui est mû, mais de ce qui meut. Et parce que dans les dons du Saint-Esprit l'âme humaine n'a pas pour rôle de mouvoir mais plutôt d'être mue, comme nous l'avons dit, il ne convenait pas que le don correspondant à la prudence fût appelé commandement ou jugement, mais conseil, car ce mot signifie la motion reçue dans l'esprit conseillé de la part de celui qui conseille.
2. Le don de science ne correspond pas directement à la prudence, puisqu'il se trouve dans la partie spéculative, mais vient à son secours par une certaine extension. Tandis que le don de conseil correspond directement à la prudence, ayant le même objet.
3. Tout être qui meut en étant mû lui-même, meut du fait qu'il est mû. Aussi l'âme humaine, du fait queue est dirigée par le Saint-Esprit, devient capable de se diriger, elle-même et les autres.
Objections
1. Il semble que non, car le conseil concerne les actions à accomplir en vue d'une fin. Mais dans la patrie aucune action ne devra être accomplie en vue d'une fin, puisque les hommes y seront en possession de leur fin. Donc il n'y a pas de don de conseil dans la patrie.
2. Le conseil suppose un doute, car il est ridicule de délibérer en matière évidente, comme le montre le Philosophe. Or dans la patrie tout doute sera supprimé. Donc il n'y a pas de don de conseil dans la patrie.
3. Dans la patrie, les saints seront rendus parfaitement conformes à Dieu, selon le mot de S. Jean (1 Jean 3.2) : « Lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables. » Mais le conseil ne sied pas à Dieu, selon S. Paul (Romains 11.34) : « Qui a été son conseil ? » Donc le don de conseil ne convient pas non plus aux saints dans la patrie.
En sens contraire, S. Grégoire déclare : « Lorsque la faute ou la justice de chaque nation est déférée au conseil de la cour céleste, le chef de cette nation est proclamé vainqueur ou non dans le combat. »
Réponse
Nous l'avons dit, les dons du Saint-Esprit se rapportent à la motion par Dieu de la créature raisonnable. Or deux choses sont à considérer relativement à cette motion. La première, c'est que la disposition de ce qui est mû tant que dure le mouvement, est différente de sa disposition au terme du mouvement. Et tout d'abord, dans le cas où ce qui meut est seulement principe du mouvement, lorsque cesse le mouvement, cesse aussi l'action du moteur sur le mobile désormais parvenu au terme ; ainsi la maison, une fois construite, ne continue pas d'être bâtie par le bâtisseur. Mais quand ce qui meut est cause non seulement du mouvement, mais aussi de la forme à laquelle le mouvement était ordonné, l'action du moteur ne cesse pas une fois la forme acquise ; c'est ainsi que le soleil continue d'éclairer l'air après que celui-ci a reçu la lumière. De la même manière, Dieu cause en nous la vertu et la connaissance non seulement lorsque nous les acquérons pour la première fois, mais encore aussi longtemps que nous y persévérons. Dieu cause ainsi chez les bienheureux la connaissance des actions à faire, non en leur apprenant ce qu'ils ignoraient, mais en maintenant en eux la connaissance de ces actions.
Il y a cependant certaines choses que les bienheureux, anges ou hommes, ne connaissent pas ; elles n'appartiennent pas à l'essence de la béatitude, mais concernent le gouvernement providentiel du monde. Et sur ce point intervient la seconde considération : à savoir que Dieu ne meut pas de la même manière les âmes des bienheureux et les âmes des voyageurs. Car pour ces dernières, la motion divine qui dirige leurs actions apaise en elles l'anxiété d'un doute qu'elles avaient d'abord éprouvée. Chez les bienheureux au contraire il y a simple ignorance de ce qu'ils ne connaissent pas, et les anges même ont à en être purifiés, selon Denys. Chez eux il n'y a pas d'abord recherche et incertitude, mais simple conversion à Dieu. C'est ce qui s'appelle demander conseil à Dieu. S. Augustin dit en ce sens que les anges consultent Dieu sur les réalités d'ici-bas. On nomme donc conseil l'instruction qu'ils reçoivent de Dieu.
De cette façon, le don de conseil se trouve chez les bienheureux en tant que Dieu leur continue la connaissance de ce qu'ils savent ; et en tant qu'ils reçoivent de Dieu la lumière sur ce qu'ils ignorent relativement à leur action.
Solutions
1. Même chez les bienheureux, il y a des actes qui sont ordonnés à la fin, soit qu'ils procèdent, pour ainsi dire, de la fin déjà obtenue, comme la louange qu'ils adressent à Dieu ; soit que ces actes aient pour effet d'attirer les autres à la fin qu'eux-mêmes possèdent, comme font les ministères des anges et les prières des saints. À l'égard de tels actes, le don de conseil a sa place chez eux.
2. Le doute qui se rattache au conseil caractérise l'état de la vie présente ; il ne se rattache plus au conseil dans la patrie. Semblablement, les vertus cardinales n'ont pas tout à fait les mêmes actes dans la patrie et au cours du voyage.
3. Le conseil n'est pas chez Dieu comme en celui qui le reçoit, mais comme en celui qui le donne. Or les saints dans la patrie sont conformés à Dieu comme celui qui reçoit est conformé au principe dont il subit l'influence.
Objections
1. Il ne semble pas, car toutes les béatitudes sont des actes vertueux déterminés, nous l'avons établi. Mais le conseil nous dirige dans tous les actes des vertus. Donc la cinquième béatitude ne correspond pas plus qu'une autre au conseil.
2. Les préceptes prescrivent ce qui est nécessaire au salut, le conseil ce qui n'est pas nécessaire au salut. Or la miséricorde est nécessaire au salut, selon ce texte (Jacques 2.13) : « Celui-là subira un jugement sans miséricorde, qui n'a pas fait miséricorde. » La pauvreté au contraire n'est pas nécessaire au salut mais appartient à la vie parfaite, selon l'Évangile (Matthieu 19.21). Donc la béatitude de la pauvreté répond mieux au don de conseil que celle de la miséricorde.
3. Les fruits font suite aux béatitudes ; ils disent en effet un certain plaisir spirituel qui suit les actes parfaits des vertus. Mais aucun fruit ne répond au don de conseil, comme il ressort de la lettre aux Galates (Galates 5.22, 23). Donc la béatitude de la miséricorde ne répond pas non plus au don de conseil.
En sens contraire, S. Augustin affirme que « le conseil convient aux miséricordieux ; car le seul remède qui nous délivre de si grands maux est de remettre aux autres et de pardonner ».
Réponse
Le conseil concerne proprement ce qui est utile en vue de la fin. Ce qui a le plus d'utilité en vue de la fin est donc aussi ce qui correspond le mieux au don de conseil. Or, telle est la miséricorde, selon cette parole de S. Paul (1 Timothée 4.8) : « La piété est utile à tout. » Et c'est pourquoi au don de conseil correspond spécialement la béatitude de la miséricorde, non comme l'acte que ce don produit lui-même, mais comme celui qu'il dirige.
Solutions
1. Bien que le conseil dirige dans tous les actes vertueux, il dirige spécialement dans les œuvres de miséricorde, pour la raison qu'on vient de dire.
2. Le conseil comme don du Saint-Esprit nous dirige en toute action ordonnée à la fin de la vie éternelle, qu'elle soit nécessaire au salut ou non. Mais il est vrai que toute œuvre de miséricorde n'est pas nécessaire au salut.
3. Le fruit dit quelque chose d'ultime. Dans la vie pratique, l'ultime n'est pas dans la connaissance mais dans l'opération, qui est la fin recherchée. C'est pourquoi parmi les fruits, il n'en est aucun qui se rapporte à la connaissance pratique ; on ne mentionne que ce qui concerne les opérations à l'égard desquelles la connaissance pratique est directrice. Parmi eux figurent la bonté et la bénignité, qui correspondent à la miséricorde.
S. Augustin nous dit : « Pour toutes les vertus il y a non seulement des vices qui s'opposent a chacune par une différence évidente, comme la témérité s'oppose à la prudence, mais encore des vices voisins des vertus en quelque manière et ayant avec elles une ressemblance non point véritable, mais apparente et trompeuse, comme la ruse avec la prudence elle-même. » Il faut donc étudier : I. Les vices qui s'opposent manifestement à la prudence ; ils proviennent d'un défaut dans la prudence ou dans les qualités requises à cette vertu (Q. 53-54). II. Les vices qui ont avec elle une fausse ressemblance (Q. 55) ; ceux-là sont dus au mauvais usage de ce qui est requis à la prudence. Et puisque la sollicitude se rattache à la prudence, on traitera de deux vices à propos de la première catégorie : 1. l'imprudence (Q. 53) ; 2. la négligence, qui s'oppose à la sollicitude (Q. 54).