Préparation évangélique

LIVRE XIII

CHAPITRE VII
QU’ON NE DOIT PAS ATTAQUER CEUX QUI SE PRÉPARENT À DES ACTES INJUSTES ENVERS NOUS (Tiré du même, §. 372 de Fici, 49 de H. Et.)

« Dirons-nous qu’on ne doit commettre volontairement, aucune injustice, de quelque manière que ce soit ; ou bien, qu’il est des manières permises d’en commettre et des manières qui ne le sont pas ; autrement, qu’il n’est jamais honnête, ni bien, d’en commettre, comme cela a déjà été souvent convenu, précédemment, entre nous, et récemment encore, dans ce que je viens de dire ; ou enfin, tous ces aveux antérieurs sont-ils mis en doute depuis ce petit nombre de jours ? Se pourrait-il que, vieux comme nous le sommes, nous ayons laissé, à notre insu, nos entretiens les plus sérieux dégénérer en enfantillages ; ou au contraire, ce que nous avons déclaré dans nos discours sera-t-il vrai, en dépit de tout ; soit que la masse des hommes l’approuve, soit qu’elle le blâme ? et quelles que puissent en être les conséquences, ou plus douloureuses, ou plus douces, dirons-nous toujours, qu’il est coupable et houleux de faire injure à ceux qui sont injustes, de quelque manière que ce soit : ou soutiendrons-nous le contraire ?

« Nous le dirons.

« On ne doit donc jamais /aire d’injustice ?

« On ne le doit pas.

« Cependant, puisqu’on ne doit jamais être injuste, on ne doit pas non plus, comme le peuple le pense, se venger de l’injustice reçue par une injustice rendue.

« Il ne me le paraît pas.

« Mais quoi, Criton, doit-on faire du mal ou non ?

« On ne le doit pas, ô Socrate.

« Cependant, répondre à un mauvais procédé par à un mauvais procédé, suivant le sentiment du vulgaire, est-il juste ou injuste ?

« Cela ne peut être, absolument.

« En effet, faire du mal aux hommes n’est autre chose que commettre une action injuste ?

« Vous parlez très bien : on conséquence, il n’est permis, ni de rendre injustice pour injustice, ni de faire du mal à qui que ce soit, quelque mal qu’on en ait reçu précédemment. Voyez cependant, ô Criton, combien, en professant cette doctrine, vous vous déclarez en opposition avec l’opinion commune ? Je crois bien que votre sentiment est partagé, et ne pourra l’être, que par un petit nombre de personnes ; mais comme il n’y a point d’unanimité de sentiment entre nous et les personnes qui pensent le contraire, il en résulte nécessairement, qu’on doit se mépriser réciproquement, en voyant les déterminations différentes qu’on doit prendre dans l’un non dans l’autre cas. Examinez-vous donc et rendez-vous bien compte si vous partagez mes sentiments, et si ce que je vais vous dire vous semblera aussi fondé qu’à moi. Je commence par ce que nous venons de décider, qu’il n’est légitime, ni de commettre d’injustice le premier, ni d’en commettre en retour de celles qu’on a endurées, ni de se venger d’un mauvais traitement, en usant des moyens que l’on a de nuire. Vous séparez-vous de moi dans les conséquences, ou renoncez-vous à l’unanimité sur le principe ? Quant à moi, ce que j’ai pensé autrefois je le pense encore : parlez donc et apprenez-moi si votre manière de juger a été modifiée en quelque point. Si vous persévérez dans ce que vous m’avez concédé d’abord, écoutez ce qui va s’en suivre.

« J’y persévère, et tout ce dont nous sommes convenus me semble toujours vrai : parlez.

« Je dis donc, eu poursuivant, ou plutôt je vous demande si les choses, une fois reconnues justes par vous, envers quelqu’un, doivent être fuites, ou si vous pouvez les frauder.

« Il faut les faire. »

Comparez à ces paroles celles-ci :

« Ne rendez à personne le mal pour le mal (St Paul aux Ro. 12,17) »

Puis :

« Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous cherchent querelle et vous poursuivent, afin de devenir les fils de votre père qui est aux cieux, et qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, qui répand la pluie sur les justes et les injustes (Mathieu, 5,44,45). »

« Puis encore :

« Bénissons lorsqu’on nous invective, supportons lorsqu’on nous poursuit, exhortons lorsqu’on nous calomnie (1er aux Corint. 4,22) ; qui sont contenues dans nos livres sacrés. »

Et le prophète des Hébreux dit :

« Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, et encore, j’étais pacifique avec les ennemis de la paix (Ps. 119.9. ».

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