- Est-elle un acte de latrie ?
- Implique-t-elle un acte intérieur, ou extérieur ?
- Requiert-elle un lieu déterminé ?
Objections
1. Il ne semble pas que l'adoration soit un acte de latrie ou de religion. En effet, le culte religieux n'est dû qu'à Dieu. Mais l'adoration ne lui est pas réservée : Abraham adora les anges (Genèse 18.2), et on lit que le prophète Nathan, paraissant devant le roi David, « l'adora, prosterné à terre » (1 Rois 1.23).
2. Nous devons à Dieu le culte de religion, selon S. Augustin parce que nous trouvons en lui notre béatitude. Tandis que l'adoration lui est due en raison de sa majesté. Sur le texte : « Adorez le Seigneur dans son sanctuaire » (Psaumes 96.9), la Glose dit : « De ces parvis on vient au sanctuaire où l'on adore sa Majesté. » L'adoration n'est donc pas un acte de latrie.
3. La religion honore d'un culte unique les trois personnes divines. L'adoration manque à cette loi, car nous fléchissons le genou au nom de chacune d'elles. Elle n'est donc pas un acte de latrie.
En sens contraire, on trouve cité en Matthieu (Matthieu 4.10) : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et ne serviras que lui. »
Réponse
L'adoration a pour but d'honorer celui qui en est l'objet. Or nous avons dit qu'il appartient en propre à la religion de témoigner à Dieu le respect qui lui est dû. L'adoration qu'on lui rend est donc l'acte de cette vertu.
Solutions
1. Nous devons révérer Dieu pour son excellence. Si celle-ci est communiquée à certaines créatures, ce n'est jamais à titre d'égalité, mais de simple participation. La vénération dont nous vénérons Dieu ressortit à la latrie, et elle est différente de celle que nous adressons à certaines créatures éminentes, qui ressortit à la dulie, dont il sera traité plus loin. Et parce que nos actions extérieures sont les signes de notre révérence intérieure, certains de ces signes sont accordés à des créatures éminentes. L'adoration est le plus élevé de ces signes. Mais il y a quelque chose qu'on réserve absolument à Dieu, c'est le sacrifice. « Bien des rites ont été empruntés au culte divin, dit S. Augustin. pour servir à honorer les hommes par un excès de bassesse ou une flatterie pernicieuse. Jamais toutefois on n'a cessé de tenir pour des hommes ceux qu'on déclare honorer, vénérer, et par un dernier excès, adorer. Mais qui a jamais eu l'idée d'offrir des sacrifices à un autre qu'à celui que l'on sait, que l'on croit, ou que l'on imagine être Dieu ? »
C'est comme expression de la révérence due aux créatures éminentes que Nathan adora David. Mais à cause du respect dû à Dieu, Mardochée refusa d'adorer Aman, « craignant de reporter sur un homme la gloire de Dieu » (Esther 13.14 Vg). De même, c'est en raison de la révérence due à une créature excellente qu'Abraham adora des anges; de même Josué (Josué 5.14). À moins qu'on ne l'entende d'une adoration de latrie rendue à Dieu qui se manifestait et parlait sous la forme d'un ange. Mais selon la révérence qui est due à Dieu, il fut interdit à S. Jean d'adorer un ange (Apocalypse 22.9). C'était pour montrer la dignité conférée à l'homme par le Christ, et qui l'égale aux anges : « je suis serviteur comme toi et tes frères », dit l'ange à S. Jean. C'était aussi pour exclure le péril d'idolâtrie, car il ajoute : « Adore Dieu. »
2. Par la majesté de Dieu on entend toute la plénitude de son excellence, par laquelle nous trouvons notre béatitude en lui comme en notre souverain Bien.
3. Parce que l'excellence des trois Personnes est unique, un même honneur et une unique révérence leur sont dus, et par suite une seule adoration. C'est ce qu'illustre l'histoire d'Abraham : alors que trois anges lui apparaissent, c'est un seul qu'il adore en lui disant : « Seigneur, si j'ai trouvé grâce... » Quant aux trois génuflexions, elles signifient le nombre des Personnes, mais non une diversité dans l'adoration.
Objections
1. Il semble que l'adoration n'implique pas un acte corporel. En effet, « les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité », (Jean 4.23). Or ce qui se fait en esprit n'implique aucun acte corporel.
2. « Adoration » vient de oratio, prière ; et la prière consiste principalement en un acte intérieur selon S. Paul (1 Corinthiens 14.15) : « Je prierai par l'esprit, je prierai par l'âme. » L'adoration implique donc surtout un acte spirituel.
3. Les actes corporels ont rapport à la connaissance sensible. Or nous n'atteignons pas Dieu par les sens, mais par l'esprit. Donc l'adoration ne comporte pas d'acte corporel.
En sens contraire, sur le texte de l'Exode (Exode 20.5) : « Vous ne les adorerez ni ne les honorerez », la Glose explique : « Vous n'honorerez pas dans votre cœur, vous n'adorerez pas extérieurement. »
Réponse
Comme dit S. Jean Damascène « Parce que nous sommes composés de deux natures, intellectuelle et sensible, nous offrons à Dieu une double adoration. » L'une est spirituelle et consiste dans l'intime dévotion de l'esprit; l'autre est corporelle parce qu'elle consiste en l'abaissement extérieur du corps. Parce que, dans tous les actes de religion, l'extérieur est relatif à l'intérieur comme à ce qui est au principe, l'adoration extérieure est faite en vue de l'adoration intérieure. Les signes d'humilité présentés par le corps excitent notre cœur à se soumettre à Dieu, le sensible étant pour nous le moyen naturel d'accéder à l'intelligible.
Solutions
1. Même l'adoration corporelle s'accomplit en esprit quand elle naît de la dévotion spirituelle, et s'ordonne à la promouvoir.
2. La prière est sans doute dans l'esprit à titre primordial, mais elle s'exprime secondairement par des paroles, nous l'avons dit plus haut. De même l'adoration consiste principalement en la révérence intérieure envers Dieu, et secondairement en signes corporels d'humilité ; ainsi en fléchissant le genou nous exprimons notre faiblesse devant Dieu; prosternés, nous protestons que nous ne sommes rien nous-mêmes.
3. Nous ne pouvons pas atteindre Dieu par les sens, mais les signes sensibles provoquent notre âme à se porter vers lui.
Objections
1. Il semble que non. Car notre Seigneur dit en S. Jean (Jean 4.21) : « L'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. » Donc un lieu déterminé n'est pas requis pour l'adoration.
2. L'acte extérieur d'adoration est ordonné à l'acte intérieur. Mais celui-ci s'adresse à Dieu en tant qu'il existe partout. Donc aucun endroit déterminé n'est exigé pour l'adoration extérieure.
3. C'est le même Dieu que l'on adore sous l'Ancien et le Nouveau Testament. Or dans l'ancienne alliance on adorait tourné vers l'occident, puisque la porte du tabernacle faisait face à l'orient, d'après l'Exode (Exode 26.22-27). C'est donc du côté de l'occident qu'on devrait maintenant adorer Dieu, s'il était vrai qu'un lieu déterminé est requis à l'adoration.
En sens contraire, il y a cette parole d'Isaïe (Ésaïe 56.7), citée en S. Luc (Luc 19.46) : « Ma maison est une maison de prière. »
Réponse
Comme on vient de le dire, le principal dans l'adoration, c'est la dévotion intérieure de l'âme. Tout ce qu'elle comporte extérieurement de signes corporels est secondaire. Intérieurement l'esprit conçoit Dieu hors de toute limite de lieu. Mais les gestes significatifs de notre corps doivent s'exercer en un lieu et emplacement déterminés. C'est pourquoi l'adoration ne requiert pas nécessairement tel ou tel lieu, comme si cette détermination était un élément principal ; c'est une question de convenance, comme d'ailleurs pour les autres signes corporels.
Solutions
1. Ces paroles de notre Seigneur annoncent qu'on cessera d'adorer selon le rite des juifs, adorant à Jérusalem, aussi bien que des Samaritains, adorant sur le mont Garizim. L'un et l'autre rite, en effet, ont, pris fin à l'avènement de la vérité spirituelle de l’Évangile, selon laquelle « on offre à Dieu le sacrifice en tout lieu », selon la prophétie de Malachie (Malachie 1.11).
2. Le choix pour nos adorations d'un lieu déterminé ne tient pas à Dieu que nous adorons, et que cet espace enfermerait, mais à nous, ses adorateurs. Trois raisons à cela. D'abord le caractère sacré du lieu ; ceux qui prient en conçoivent une dévotion particulière qui rend leurs prières plus dignes d'être exaucées comme on le voit dans l'adoration de Salomon (1 Rois 8). Puis les saints mystères et autres signes sacrés que ce lieu renferme. Enfin le concours d'un grand nombre d'adorateurs, qui fait exaucer plus facilement leurs prières, selon cette parole en Matthieu (Matthieu 18.20) : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux. »
3. C'est pour des raisons de convenance que nous adorons tournés vers l'orient. C'est d'abord à cause de la majesté divine que symbolise l'orient, où le mouvement du ciel prend son origine. Ensuite c'est là qu'était établi le paradis terrestre selon le texte des Septante (Genèse 2.8) : nous semblons ainsi vouloir y retourner. C'est enfin à cause du Christ lumière du monde qui porte le nom d'Orient (Zacharie 6.12) et qui « est monté au-dessus de tous les cieux à l'Orient » (Psaumes 78.34) d'où l'on attend sa venue suprême, selon S. Matthieu (Matthieu 24.27) : « Comme l'éclair part de l'orient et brille jusqu'à l'occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l’Homme. »
Il faut étudier maintenant les actes par lesquels on offre à Dieu des biens extérieurs. D'abord les dons que les fidèles font à Dieu. Ensuite les vœux par lesquels ils lui font des promesses (Q. 88).
Sur le premier point on étudiera : 1°. Les sacrifices (Q. 85). 2°. Les oblations et les prémices (Q. 86). 3°. Les dîmes (Q. 87).