Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

86. LES OBLATIONS ET PRÉMICES

  1. Certaines oblations sont-elles imposées par précepte ?
  2. À qui les doit-on ?
  3. Avec quels biens doit-on les faire ?
  4. Spécialement au sujet des oblations de prémices : y est-on strictement obligé ?

1. Certaines oblations sont-elles imposées par précepte ?

Objections

1. Il semble que l'on ne soit pas tenu de faire des oblations en vertu d'un précepte obligatoire. Car, au temps de l'Évangile, on n'est pas tenu d'observer les préceptes cérémoniels de l'ancienne loi, on l'a établis. Mais les oblations font partie de ces préceptes. Car on lit dans l'Exode (Exode 23.14) : « Trois fois l'an vous célébrerez des fêtes en mon honneur. » Et plus loin : « Vous ne vous présenterez pas devant moi les mains vides. » Donc aujourd'hui on n'est pas tenu aux oblations par un précepte.

2. Les oblations, avant leur accomplissement, dépendent de notre libre vouloir. On le voit par ces paroles du Seigneur (Matthieu 5.23) : « Si tu offres ton présent sur l'autel... » Il parle comme si c'était laissé au bon plaisir des offrants. Et une fois l'oblation faite, il n'y a pas lieu de la renouveler. Donc on ne peut aucunement y être tenu par un précepte.

3. Celui qui ne rend pas à l'Église ce qu'il est tenu de lui remettre peut y être contraint par le refus des sacrements. Mais, il n'est pas permis de refuser les sacrements de l’Église à ceux qui n'ont pas voulu faire d'offrande, conformément à ce décret : « Celui qui dispense la sainte communion ne doit rien exiger de celui qui la reçoit ; s'il exige quelque chose, qu'il soit déposé. » Donc l'oblation n'est pas obligatoire comme nécessaire au salut.

En sens contraire, Grégoire VII écrit : « Tout chrétien aura soin, à la messe, de faire une offrande. »

Réponse

Le nom d'« oblation » désigne en général tout ce qu'on offre pour le culte divin. Ainsi, lorsqu'on offre quelque chose pour le culte divin en vue d'une action sacrée qui doit en résulter, et où l'offrande est consumée, c'est à la fois une oblation et un sacrifice. En effet, on lit dans l'Exode (Exode 29.18) : « Tu offriras le bélier tout entier en le brûlant sur l'autel ; c'est une oblation au Seigneur, le parfum très agréable d'une victime pour Dieu. » Et dans le Lévitique (Lévitique 2.1) : « Lorsque l'on offrira le sacrifice à Dieu, l'oblation sera de pure farine. » Mais si on l'offre telle quelle pour l'employer au culte divin ou la dépenser au profit des ministres, c'est une oblation et non un sacrifice.

Ces oblations sont donc, par leur nature, volontaires, selon l'Exode (Exode 25.2) : « Vous les recevrez de celui qui l'offre de plein gré. » Quatre motifs cependant peuvent les rendre obligatoires : 1° Une convention antérieure ; par exemple si un fonds ecclésiastique a été concédé, à charge de faire à des époques fixées des offrandes déterminées. Cette offrande est due à titre de redevance. 2° Un legs ou une promesse, comme lorsqu'on offre à l’Église, par donations entre vifs, ou qu'on lègue par testament, des biens meubles ou immeubles qui devront être cédés plus tard. 3° Les besoins de l’Église : au cas par exemple où ses ministres n'auraient pas de quoi subvenir à leur entretien. 4° La coutume : les fidèles sont tenus, à certaines fêtes, de faire des offrandes traditionnelles. Cependant, en ces deux derniers cas, l'oblation demeure d'une certaine façon volontaire, quant à la qualité ou à la nature de l'offrande.

Solutions

1. Si dans la loi nouvelle les oblations sont obligatoires, ce n'est pas à cause des solennités légales dont parle l'Exode, mais pour les autres raisons qu'on vient d'exposer.

2. On peut être tenu de faire des offrandes soit avant de les accomplir (1er, 3ème et 4ème motifs donnés ci-dessus), soit également après avoir offert, quant on l'a fait par mode d'engagement ou de promesse, car on est tenu d'acquitter en fait ce qu'on a offert à l'Église par manière d'engagement.

3. Ceux qui ne s'acquittent pas des oblations obligatoires peuvent encourir le refus des sacrements, non par le prêtre à qui l'on doit remettre les offrandes, de crainte qu'il ne paraisse exiger quelque chose pour l'administration des sacrements, mais par un de ses supérieurs.


2. À qui doit-on les oblations ?

Objections

1. Il semble que les oblations ne sont pas dues seulement aux prêtres. En effet, les principales oblations semblent être destinées aux sacrifices. Mais dans la Sainte Écriture on appelle « hosties » ce qu'on donne aux pauvres, selon la lettre aux Hébreux (Hébreux 13.16) : « Quant à la bienfaisance et à la mise en commun de vos ressources, ne les oubliez pas, car c'est à de telles hosties que Dieu prend plaisir. » Beaucoup plus qu'aux prêtres, c'est donc aux pauvres que les oblations sont dues.

2. Dans beaucoup de paroisses, les moines reçoivent une part des offrandes. Or « la charge des clercs et la charge des moines sont différentes », dit S. Jérôme. Donc les oblations ne sont pas dues aux seuls prêtres.

3. Les laïcs peuvent, du consentement de l'Église, acheter les offrandes, pains et choses analogues. Ils ne le font que pour les employer à leur usage. Donc les oblations peuvent aussi concerner les laïcs.

En sens contraire, on trouve dans le décret ce canon du pape Damase : « Seuls les prêtres qui sont au service quotidien de Dieu ont le droit de manger et de boire les oblations offertes dans l'église. Car sous l'ancienne alliance Dieu défendit aux enfants d'Israël de manger les pains sacrés sauf pour Aaron et ses fils. »

Réponse

Le prêtre est établi comme un négociateur et un intermédiaire entre le peuple et Dieu, selon ce qui est dit de Moïse (Deutéronome 5.5). C'est pourquoi il lui appartient de transmettre au peuple les enseignements divins et les saints mystères; et aussi de présenter à Dieu ce qui, venant du peuple, doit passer par lui : prières, sacrifices, oblations, selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 5.1) : « Tout pontife, pris parmi les hommes, est établi pour intervenir en leur faveur dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour le péché. » Les oblations que le peuple présente à Dieu sont donc remises aux prêtres, non seulement pour qu'ils les emploient à leur usage, mais pour qu'ils en soient les fidèles dispensateurs. Ils les emploieront en partie aux frais du culte divin ; une autre part sera destinée à leur propre subsistance, car « ceux qui servent à l'autel partagent avec l'autel » (1 Corinthiens 9.13) ; une autre partie sera allouée aux pauvres qui doivent, autant que faire se peut, être entretenus sur les biens de l'Église, car notre Seigneur lui-même avait une bourse pour les pauvres, remarque S. Jérôme.

Solutions

1. Bien qu'elles ne soient pas des hosties proprement dites, les aumônes faites aux pauvres reçoivent ce nom quand on les fait pour Dieu. On peut, au même titre, les appeler des « oblations », mais ce n'est pas le sens propre du terme, réservé à ce qu'on offre immédiatement à Dieu. Mais les oblations proprement dites servent à nourrir les pauvres par la répartition que font non les offrants mais les prêtres.

2. Les moines et les autres religieux peuvent recevoir les oblations à trois titres. 1° Comme pauvres, ils les reçoivent du prêtre qui les distribue ou de l’Église qui les répartit. 2° S'ils sont ministres de l'autel, ils peuvent recevoir directement les offrandes qu'on leur fait spontanément. 3° S'ils ont charge paroissiale, ils ont un droit sur les oblations comme recteurs d'une Église.

3. Les oblations, une fois consacrées, ne peuvent servir aux laïcs, pas plus que les vases et les vêtements sacrés. C'est ainsi qu'il faut entendre la décision du pape Damase. Mais les offrandes non consacrées peuvent être attribuées aux laïcs, par mode de donation ou de vente, exercée par le ministère des prêtres.


3. Avec quels biens doit-on faire les oblations ?

Objections

1. Il semble que l'on ne puisse pas faire une oblation de tout ce qu'on possède licitement. En effet, aux termes du droit fi : « La prostituée exerce un métier honteux, mais fait un gain honnête. » Elle le possède donc licitement. Et cependant cet argent ne peut servir à une offrande d'après le Deutéronome (Deutéronome 23.19) : « Tu n'offriras pas le salaire de la prostitution dans la maison du Seigneur ton Dieu. » Il n'est donc pas permis de faire oblation de tout ce qu'on possède licitement.

2. Dans le Deutéronome également, il est interdit d'offrir dans la maison de Dieu le prix d'un chien. Mais il est évident que le prix d'un chien, vendu régulièrement est possédé de même. Il n'est donc pas permis de faire oblation de tout ce qu'on possède régulièrement.

3. Il est dit en Malachie (Malachie 1.8) : « Si vous offrez un animal boiteux et malade, n'est-ce pas mal ? » Or on peut posséder régulièrement cet animal boiteux et malade. Il semble donc que l'on ne puisse faire oblation de tout ce qu'on possède régulièrement.

En sens contraire, on lit dans les Proverbes (Proverbes 3.9) : « Honore le Seigneur ton Dieu de tous tes biens. » Les biens d'un homme, c'est l'ensemble, de ce qu'il possède régulièrement ; on peut donc en faire oblation.

Réponse

Comme dit S. Augustin « Si, ayant dépouillé un homme sans défense, tu partages ses dépouilles avec le juge, la faveur de ce dernier te dégoûterait toi-même, tant est puissant en nous l'instinct de justice. Ne fais pas ton Dieu à l'image, de ce que tu ne dois pas être toi-même. » Aussi est-il dit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 34.21 Vg) : « Offrir, en sacrifice du bien mal acquis, est une offrande souillée. » Ces textes montrent que les biens acquis et possédés injustement ne peuvent être matière à oblation.

Par ailleurs, sous la loi ancienne, dont le régime était figuratif, la signification qu'on attribuait : certaines choses les faisait tenir pour impures, et l'on ne pouvait les offrir. Mais dans la loi nouvelle, nous considérons avec S. Paul que toute créature de Dieu est pure (Tite 1.15). C'est pourquoi, à prendre les choses en soi, tout ce qu'on possède licitement est matière à oblation. Mais il arrive que, pour une raison accidentelle, un bien, licitement possédé ne puisse être offert. Par exemple si c'était dommageable à autrui : ainsi le fils qui offrirait à Dieu ce qu'il doit employer à nourrir son père, façon d'agir réprouvée par notre Seigneur (Matthieu 15.5) ; ou bien cela ferait scandale il en résulterait du mépris, etc.

Solutions

1. La loi ancienne défendait d'offrir, le salaire de la prostitution à raison de soie impureté. Dans la loi nouvelle c'est à cause du scandale, pour éviter que l'Église ne paraisse approuver le péché, en recevant l'offrande du gain qu'il procure.

2. La loi considérait le chien comme un animal impur. Les autres animaux impurs pouvaient être, rachetés et l'on pouvait en offrir le prix, selon le Lévitique (Lévitique 27.27) : « Si c'est un animal impur, celui qui l'a offert le rachètera. » Mais le chien ne pouvait être ni offert ni racheté, soit parce que les idolâtres employaient cet animal à leurs sacrifices, soit encore parce que les chiens symbolisent la rapine qui ne peut fournir matière à oblation. Mais cette défense n'existe plus dans la loi nouvelle.

3. Trois raisons rendaient illicite l'oblation d'un animal aveugle ou boiteux. 1° Le motif de l'oblation : « Si tu offres pour le sacrifice un animal aveugle, n'est-ce pas mal ? » dit Malachie (Malachie 1.8). Car il fallait que les sacrifices soient sans défaut. 2° Le mépris, car le prophète ajoute (Malachie 1.14) : « Vous souillez mon nom en disant : ‘La table du Seigneur est devenue impure et ce qu'on y offre est méprisable.’ » 3° Un vœu préalable, obligeant à rendre en son entier ce qu'on a promis selon le même texte : « Malheur au trompeur qui a dans son troupeau une bête saine, et qui après avoir fait vœu, immole au Seigneur un animal malade. » Les mêmes motifs demeurent sous la loi nouvelle, mais là où ils manquent, toute interdiction disparaît.


4. Est-on strictement obligé d'acquitter les prémices ?

Objections

1. Il semble que non. Car l'Exode (Exode 13.9) fait suivre la loi des premiers-nés de cette clause : « Ce sera comme un signe sur ta main. » On voit donc que c'est un précepte cérémoniel. Mais les préceptes cérémoniels ne doivent plus être observés sous la loi nouvelle. Donc on ne doit pas non plus acquitter les prémices.

2. Le peuple juif offrait les prémices au Seigneur pour reconnaître un bienfait spécial, selon le Deutéronome (Deutéronome 26.2) : « Tu prendras les prémices de tous les produits du sol, tu iras trouver le prêtre en fonctions et tu lui diras : ‘je confesse aujourd'hui devant le Seigneur ton Dieu que je suis entré dans la terre qu'il avait juré à nos pères de nous donner.’ » Les autres nations ne sont donc pas obligées d'acquitter les prémices.

3. On n'est obligé qu'à quelque chose de déterminé. Or on ne trouve ni dans la loi nouvelle ni dans la loi ancienne de détermination concernant la quantité des prémices. Il n'y a donc pas d'obligation stricte à les acquitter.

En sens contraire, il est stipulé dans les Décrets : « Les dîmes et les prémices que nous déclarons revenir de droit aux prêtres doivent être reçues du peuple entier. »

Réponse

Les prémices sont un genre d'oblations, car selon le Deutéronome (Deutéronome 26.3) c'est à Dieu qu'on les présente avec une formule d'hommage. C'est pourquoi le texte sacré ajoute : « Le prêtre, prenant la corbeille — c'est-à-dire les prémices — de la main de celui qui les présente, la placera devant l'autel du Seigneur ton Dieu », et ensuite le fidèle doit dire : « J'offre maintenant les prémices des fruits de la terre que le Seigneur m'a donnés. » L'offrande des prémices avait un motif spécial : reconnaître les bienfaits de Dieu. On déclarait qu'on reçoit de Dieu les fruits de la terre, et qu'on est tenu par suite de lui faire hommage d'une part de ces biens, selon ces paroles (1 Chroniques 29.16) : « Ce que nous avons reçu de tes mains, nous te l'avons donné. » Et comme nous devons offrir à Dieu ce qu'il y a de meilleur, l'oblation des prémices, part de choix des fruits de la terre, fut rendue obligatoire par un précepte. Comme d'autre part le prêtre est chargé auprès du peuple de ce qui concerne Dieu, les prémices offertes par le peuple servaient à l'usage des prêtres (Nombres 18.8) : « Le Seigneur a dit à Aaron : ‘Voici, je t'ai donné la garde de mes prémices.’ »

Or il relève du droit naturel qu'on prenne sur les biens que Dieu nous a donnés, pour les offrir en son honneur. Mais qu'on doive porter cette offrande à telles personnes, que ce soit la primeur des fruits, ou en telle quantité, c'est l'objet de déterminations positives de droit divin dans la loi ancienne ; et sous la loi nouvelle, de droit ecclésiastique. Celui-ci fixe comme règle d'acquitter les prémices selon les coutumes du pays et les besoins des ministres de l'Église.

Solutions

1. Les préceptes cérémoniels étaient proprement figuratifs de l'avenir. C'est pourquoi ils ont cessé avec l'avènement de la réalité qu'ils symbolisaient. Mais l'offrande des prémices rappelait un bienfait passé, fondement d'une dette de reconnaissance selon la prescription de la loi naturelle. C'est pourquoi cette obligation demeure en ce qu'elle a de général.

2. L'offrande de prémices n'avait pas pour seul motif, dans la loi ancienne, le bienfait accordé par Dieu avec le don de la terre promise, mais également le don des fruits de la terre. D'où cette formule (Deutéronome 26.19) : « je t'offre ces prémices des fruits de la terre que le Seigneur m'a donnés. » Ce dernier motif vaut pour tous. On peut dire aussi que si le don de la terre promise fut un bienfait spécial, il y a un bienfait universel que Dieu a accordé à tout le genre humain, en lui donnant la possession de la terre : « Il a donné la terre aux enfants des hommes » (Psaumes 115.16).

3. D'après S. Jérôme : « Selon la tradition des anciens il est d'usage qu'on donne aux prêtres pour les prémices la quarantième partie au plus, la soixantième au minimum. » On voit dans quelles limites doit se tenir, selon la coutume du pays, l'offrande de prémices.

Toutefois c'est avec raison que la quantité des prémices ne fut pas fixée par la loi ; car les prémices sont une forme d'offrande, ce qui implique qu'elles soient volontaires.

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