- Est-elle un péché ?
- Un péché spécial ?
- Opposé à quelle vertu ?
- Un péché mortel ?
- Le plus grave des péchés ?
- Un péché de la chair, ou de l'esprit ?
- Un vice capital ?
- Ses filles.
Objections
1. Il semble que non. Car avaritia est synonyme de aeris aviditas « avidité du métal. » Il parce qu'elle consiste dans le désir de l'argent, ce qu'on peut entendre de tous les biens extérieurs. Mais désirer ceux-ci n'est pas un péché. L'homme les désire en vertu de sa nature parce que, par nature, ils lui sont subordonnés, et parce qu'ils conservent sa vie, au point qu'on les appelle sa « substance ». Donc l'avarice n'est pas un péché.
2. Tout péché est contre Dieu, contre le prochain ou contre soi-même, nous l'avons montré. Mais l'avarice n'est pas proprement un péché contre Dieu, car elle ne s'oppose ni à la religion ni aux vertus théologales qui ordonnent l'homme à Dieu. Elle n'est pas un péché contre soi-même, car c'est le propre de la gourmandise et de la luxure, dont l'Apôtre nous dit (1 Corinthiens 6.8) : « Par la fornication on pèche contre son propre corps. » De même, elle n'est pas un péché contre le prochain : on ne fait de tort à personne en gardant ce que l'on a.
3. Ce qui arrive naturellement n'est pas un péché. Or l'avarice est une conséquence naturelle de la vieillesse et de toute infirmité, selon Aristote. Donc l'avarice n'est pas un péché.
En sens contraire, il est écrit (Hébreux 13.5) « Que votre conduite soit exempte d'avarice, vous contentant de ce que vous avez. »
Réponse
Partout où le bien consiste en une mesure déterminée, le mal découle nécessairement d'un dépassement ou d'une insuffisance de cette mesure. Or, dans tout ce qui est moyen en vue d'une fin, le bien consiste en une certaine mesure, déterminée par cette fin, comme le remède par la santé à obtenir, selon Aristote. Or les biens extérieurs ont raison d'outils en vue d'une fin, nous venons de le dire. Aussi est-il nécessaire que le bien de l'homme à leur égard consiste en une certaine mesure ; c'est-à-dire selon laquelle il cherche à posséder des richesses extérieures pour autant quelles sont nécessaires à le faire vivre selon sa condition. Et c'est pourquoi il y a péché dans le dépassement de cette mesure lorsqu'on veut les acquérir ou les garder au-delà de la mesure requise. Et cela rejoint la raison de l'avarice, car celle-ci se définit « un amour immodéré de la possession ». Il est donc évident que l'avarice est un péché.
Solutions
1. Il est naturel à l'homme de désirer les biens extérieurs comme des moyens en vue d'une fin. C'est pourquoi il n'y a pas de vice pour autant que ce désir se maintient à l'intérieur d'une règle tirée de la raison de fin. Mais l'avarice passe outre à cette règle, et c'est pourquoi elle est un péché.
2. L'avarice peut impliquer une démesure de deux façons concernant les biens extérieurs. D'une première façon, elle est immédiate et concerne l'acquisition ou la conservation de ces biens, c'est-à-dire qu'on les acquiert ou qu'on les conserve plus qu'on ne doit. De cette façon l'avarice est un péché directement commis contre le prochain, parce qu'un homme ne peut avoir en excès des richesses extérieures sans qu'un autre en manque, parce que les biens temporels ne peuvent pas avoir plusieurs possesseurs à la fois.
D'une autre façon, l'avarice peut impliquer une démesure dans les affections que l'on porte intérieurement aux richesses, parce qu'on les aime ou les désire, ou qu'on y prend son plaisir, d'une façon immodérée. Ainsi l'avarice est un péché commis par l'homme contre lui-même parce que ce péché dérègle ses affections, bien qu'il ne dérègle pas son corps, comme les vices charnels. Par voie de conséquence, c'est un péché contre Dieu, comme tous les péchés mortels, en tant que l'on méprise le bien éternel à cause du bien temporel.
3. Les inclinations naturelles doivent être réglées par la raison, qui a un rôle primordial dans la nature humaine. Et c'est pourquoi les vieillards, à cause de la diminution de leurs forces, recherchent plus aisément le secours des biens extérieurs, de même que tout indigent cherche à combler son indigence ; cependant ils ne sont pas, excusés de péché s'ils dépassent, au sujet des richesses, la juste mesure raisonnable.
Objections
1. Il ne semble pas, car S. Augustin écrit : « L'avarice qui s'appelle en grec l’amour de l’argent, ne doit pas s'entendre seulement de l'argent ou des espèces, mais de tous les biens qui sont immodérément convoités. » Or, en tout péché il y a un désir immodéré de quelque chose, car il y a péché lorsqu'on délaisse le bien immuable pour s'attacher aux biens changeants, on l'a établi précédemment. Donc l'avarice est un péché général.
2. Selon Isidore avarus équivaut à avidus aeris (avide du métal, c'est-à-dire de l'argent). Aussi « avarice » se dit en grec : « amour de l'argent » ; mais par « argent » on désigne tous les biens extérieurs dont le prix peut être établi en monnaie, comme on l'a vu. Donc l'avarice consiste en l'appétit de n'importe quel bien extérieur.
3. Sur ce texte (Romains 7.7) : « Car j'ignorais la convoitise... » la Glose a ce commentaire : « La loi est bonne car, en interdisant la convoitise, elle interdit tout ce qui est mal. » Or la loi interdit spécialement cette convoitise qu'est l'avarice, en disant (Exode 20.17) : « Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain. » Donc la convoitise d'avarice équivaut à tout mal.
En sens contraire : l'épître aux Romains (Romains 1.29) énumère l'avarice parmi les péchés spéciaux : « Remplis de toute espèce d'iniquité, de malice, de fornication, d'avarice... »
Réponse
Les péchés sont spécifiés par leurs objets, nous l'avons vu. Or l'objet du péché, c'est le bien auquel tend l'appétit déréglé. C'est pourquoi là où ce qui est désiré de façon déréglée a une raison spéciale de bien il y a une raison spéciale de péché. Mais la raison de bien utile est autre que la raison de bien délectable. Or, de soi, les richesses ont raison de bien utile, car on les désire pour ce motif qu'elles sont à l'usage de l'homme. C'est pourquoi l'avarice est un péché spécial selon qu'elle est un amour immodéré des possessions désignées sous le nom d'argent et dont l’avarice tire son nom.
Mais parce que le verbe « avoir », qui semble selon son premier emploi se rapporter aux possessions dont nous sommes totalement maître, s'est appliqué à bien d'autres choses, car on dit avoir la santé, une épouse, un vêtement, etc. comme le montre Aristote, par suite, le nom d'avarice s'est étendu à tout appétit immodéré de posséder une chose quelconque. Ainsi S. Grégoire dit-il : « L'avarice ne porte pas seulement sur l'argent, mais encore sur la science et la grandeur, quand on désire la première place au-delà de la mesure légitime. » En ce sens l'avarice n'est pas un péché spécial. Et le texte de S. Augustin parle de même.
Solutions
1. Cela répond à la première objection.
2. Tous les biens extérieurs qui servent à la vie humaine sont compris sous le nom d'argent en tant qu'ils ont raison de bien utile. Mais il y en a qu'on peut obtenir par de l'argent, comme les plaisirs, les honneurs, etc. qui sont désirables sous une autre raison. Aussi leur désir n'est-il pas appelé proprement avarice selon que celle-ci est un vice spécial.
3. Cette glose parle de la convoitise désordonnée d'un bien quelconque. Car on peut comprendre, dans l'interdiction de convoiter des possessions, l'interdiction de convoiter tout ce que ces possessions peuvent procurer.
Objections
1. Il ne semble pas qu'elle s'oppose à la libéralité, car sur ce texte (Matthieu 5.6) : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice », S. Chrysostome distingue une justice générale et une justice spéciale, à laquelle s'oppose l'avarice. Et Aristote parle de même.
2. Le péché d'avarice consiste en ce que l'homme dépasse la mesure dans la possession des biens. Mais cette mesure est fixée par la justice. Donc l'avarice s'oppose à la justice, non à la libéralité.
3. La libéralité est une vertu située entre deux vices contraires, selon Aristote. Mais celui-ci montre que l'avarice n'a pas de vice contraire. Donc elle ne s'oppose pas à la libéralité.
En sens contraire, il est écrit dans l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 5.9) : « L'avare ne se rassasie pas de l'argent ; celui qui aime les richesses n'en tire pas de revenu. » Mais ne pas se rassasier d'argent et l'aimer de façon désordonnée est contraire à la libéralité, qui tient le juste milieu dans l'appétit des richesses. Donc l'avarice s'oppose à la libéralité.
Réponse
L'avarice implique une démesure à l'égard des richesses de deux façons. D'abord immédiatement, quant à leur acquisition et à leur conservation, en tant qu'on acquiert de l'argent ou qu'on le retient contre le droit d'autrui. En ce sens elle s'oppose à la justice, et c'est ainsi que l'entend Ézéchiel (Ézéchiel 22.27) : « Ses chefs, au milieu du pays, sont comme des loups qui arrachent leur proie, versent le sang et s'enrichissent par l'avarice. »
D'autre part, l'avarice implique une démesure dans les sentiments qu'on porte aux richesses, lorsqu'on les aime ou les désire à l'excès, ou qu'on y prend un plaisir excessif, même sans dérober le bien d'autrui. C'est en ce sens que parle S. Paul (2 Corinthiens 9.5) : « Que les frères organisent à l'avance votre générosité, afin qu'elle soit prête comme une largesse et non comme un acte d'avarice », c'est-à-dire, d'après la Glose, « en s'affligeant de donner, et en donnant peu ».
Solutions
1. Chrysostome et Aristote parlent de l'avarice entendue au premier sens. L'avarice entendue au second sens est appelée par le Philosophe « illibéralité ».
2. À proprement parler, la justice établit la mesure à garder dans l'acquisition et la conservation des richesses, selon la raison de dette légale, à savoir que l'homme ne prenne ni ne retienne ce qui appartient à autrui. Tandis que la libéralité établit la mesure de raison à titre premier dans les sentiments, et par voie de conséquence, dans l'acquisition et la conservation de l'argent, et dans sa dispensation, selon qu'elles procèdent de ces sentiments non en observant la raison de dette légale, mais de dette morale réglée par la raison.
3. L'avarice, comme opposée à la justice, n'a pas de vice contraire, parce que l'avarice consiste à posséder plus que l'on ne devrait en justice. Le contraire, c'est de posséder moins, ce qui n'a pas raison de faute, mais de peine. Tandis que l'avarice qui s'oppose à la libéralité a pour vice contraire la prodigalité.
Objections
1. Elle paraît l'être toujours, car nul n'est digne de mort que pour un péché mortel. Or l'Apôtres après avoir parlé (Romains 1.29) de ceux qui sont « remplis de toute espèce d'iniquité, de malice, de fornication, d'avarice... » ajoute : « Ceux qui agissent ainsi sont dignes de mort. »
2. Le plus bas de l'avarice consiste à garder de façon déréglée ses propres biens. Or cela paraît être péché mortel d'après S. Basile : « C'est le pain de l'affamé que tu gardes, la tunique de celui qui est nu que tu conserves, l'argent du pauvre que tu possèdes. Tout ce que tu pourrais donner est une injustice envers le prochain. » Mais commettre l'injustice envers le prochain est péché mortel, parce que cela s'oppose à l'amour du prochain. Donc, bien davantage, toute avarice est-elle péché mortel.
3. Nul n'est affligé d'aveuglement spirituel sinon par le péché mortel qui prive l'âme de la lumière de grâce. Mais selon Chrysostome c'est le désir de l'argent qui enténèbre l'âme.
En sens contraire, sur ce texte (1 Corinthiens 3.12) « Si l'on bâtit sur ce fondement... », la Glose dit que l'on bâtit avec du bois, du foin et de la paille si l'on a le souci du monde, si l'on cherche à lui plaire, ce qui se rattache au péché d'avarice. Or, bâtir avec du bois, du foin et de la paille ne désigne pas le péché mortel mais le péché véniel, car on dit de celui qui agit ainsi qu'il sera sauvé, mais comme à travers le feu. Donc l'avarice est parfois péché véniel.
Réponse
Nous l'avons dit à l'article précédent, l'avarice se prend en deux sens. D'une part en ce qu'elle s'oppose à la justice, et en ce sens elle est par nature péché mortel. En effet, on attribue à l'avarice le fait de prendre ou de retenir le bien d'autrui, ce qui se rattache à la rapine ou au vol, qui sont péchés mortels, on l'a vu. Il arrive cependant, en ce genre d'avarice, qu'il y ait péché véniel à cause de l'imperfection de l'acte, nous l'avons dit à propos du vol.
D'autre part on peut voir dans l'avarice le contraire de la libéralité. En ce sens, elle implique un amour désordonné des richesses. Donc, si cet amour s'accroît au point de l'emporter sur la charité, c'est-à-dire que pour l'amour des richesses on ne craint pas d'agir contre l'amour de Dieu et du prochain, l'avarice sera péché mortel. Mais si le dérèglement de cet amour reste dans certaines limites, en ce que l'homme, bien qu'aimant les richesses à l'excès ne fait pas passer leur amour avant l'amour divin, s'il ne veut, pour la richesse, rien faire contre Dieu et le prochain, alors l'avarice est péché véniel.
Solutions
1. L'avarice est énumérée avec les péchés mortels selon cette raison qui en fait un péché mortel.
2. S. Basile parle de ce cas où l'on est tenu, par une dette légale, à distribuer des biens aux pauvres à cause d'une nécessité grave, ou parce qu'on a des richesses en excès.
3. À proprement parler, le désir des richesses enténèbre l'âme lorsqu'il exclut la lumière de la grâce, en faisant passer l'amour des richesses avant l'amour divin.
Objections
1. Il semble bien, car on lit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 10.9 Vg) : « Rien de plus criminel que l'avare. Rien n'est plus coupable que d'aimer l'argent, car celui-là est prêt à vendre son âme. » Et Cicéron : « Rien ne dénote une âme mesquine et vile comme d'aimer l'argent. »
2. Un péché est d'autant plus grave qu'il s'oppose davantage à la charité. Mais l'avarice s'y oppose au maximum, dit S. Augustin : « C'est la cupidité qui empoisonne la charité. »
3. Qu'un péché soit incurable souligne sa gravité, et c'est pourquoi le péché contre le Saint-Esprit est dit le plus grave de tous, parce qu'il est irrémissible. Mais l'avarice est un péché inguérissable, ce qui fait dire au Philosophe : « La vieillesse, et toutes les formes d'impuissance, font les avares. » Donc l'avarice est le plus grave des péchés.
4. L'Apôtre dit (Éphésiens 5.5) que l'avare est un idolâtre. Mais l'idolâtrie est comptée parmi les péchés les plus graves. Donc aussi l'avarice.
En sens contraire, l'adultère est un péché plus grave que le vol, d'après les Proverbes (Proverbes 6.30-32). Or le vol se rattache à l'avarice. Donc celle-ci n'est pas le plus grave des péchés.
Réponse
Tout péché, du fait qu'il est un mal, consiste en une certaine corruption ou diminution d'un bien ; en tant qu'il est volontaire, il consiste dans l'appétit d'un bien. Donc on peut considérer l'ordre entre les péchés de deux points de vue. D'une part, du côté du bien que le péché méprise ou détruit : plus ce bien est grand, plus le péché est grave. À ce titre, le péché contre Dieu est le plus grave ; plus bas vient le péché qui s'attaque à la personne de l'homme ; et plus bas encore celui qui s'attaque aux biens extérieurs mis à l'usage de l'homme, et c'est le péché qui se rattache à l'avarice.
D'autre part, on peut considérer les degrés des péchés du côté du bien auquel l'appétit humain se soumet de façon déréglée. Plus il est petit, plus le péché est laid, car il est plus honteux de se soumettre à un bien inférieur plutôt qu'au bien supérieur. Or le bien des choses extérieures est le moindre des biens humains, car il est inférieur au bien du corps, lequel est inférieur au bien de l'âme, que surpasse encore le bien divin. Dans cette ligne, le péché d'avarice par lequel l'appétit humain se soumet aux choses extérieures elles-mêmes présente une laideur considérable.
Cependant, parce que la corruption ou la privation du bien joue le rôle de forme dans le péché, tandis que l'orientation vers un bien caduc n'en est que la matière, on doit estimer la gravité du péché par rapport au bien qu'il corrompt, plutôt que par rapport au bien qui subjugue l'appétit. Et c'est pourquoi on doit dire que l'avarice n'est pas absolument parlant le plus grave des péchés.
Solutions
1. Les textes cités envisagent l'avarice à partir du bien auquel l'appétit se soumet. Aussi dans l'Ecclésiastique trouve-t-on ce motif que l'avare « est prêt à vendre son âme », parce qu'il met en danger son âme, c'est-à-dire sa vie, pour de l'argent. Cicéron ajoute encore que c'est avoir « l'âme mesquine » de vouloir se soumettre à l'argent.
2. S. Augustin donne ici à la cupidité un objet général : tout bien temporel, et non l'objet spécial qui est celui de l'avarice. Car la cupidité de tout bien temporel empoisonne la charité autant que l'homme dédaigne le bien divin à cause de son attachement au bien temporel.
3. L'avarice n'est pas incurable de la même manière que le péché contre le Saint-Esprit. Car celui-ci est inguérissable en raison du mépris, parce que le pécheur méprise la miséricorde ou la justice divine, ou encore les remèdes qui peuvent guérir le péché. C'est pourquoi une telle incurabilité se rattache à la gravité majeure du péché. Celle de l'avarice vient des déficiences auxquelles la nature humaine est toujours exposée, car plus on est déficient plus on recherche le secours des biens extérieurs et plus on tombe dans l'avarice. Aussi une telle incurabilité ne montre pas que l'avarice est un péché plus grave mais, d'une certaine manière, plus dangereux.
4. On compare l'avarice à l'idolâtrie parce queue lui ressemble : de même que l'idolâtre se soumet à une créature extérieure, de même l'avare. Mais de façon différente : l'idolâtre se soumet à une créature extérieure pour lui rendre un culte divin, tandis que l'avare verse dans cet excès en recherchant à se servir d'elle, non à lui rendre un culte. C'est pourquoi on ne peut affirmer que l'avarice soit aussi grave que l'idolâtrie.
Objections
1. Il ne paraît pas qu'elle soit un péché spirituel, car de tels péchés concernent des biens spirituels. Or la matière de l'avarice, ce sont des biens temporels, c'est-à-dire les richesses extérieures.
2. Le péché spirituel s'oppose au péché charnel. Mais l'avarice semble être un péché charnel, car elle découle de la corruption de la chair, comme on le voit chez les vieillards qui tombent dans l'avarice par suite des déficiences de leur nature charnelle.
3. Le péché charnel est celui qui désorganise même le corps de l'homme, selon S. Paul (1 Corinthiens 6.18) : « Le fornicateur pèche contre son propre corps. » Mais l'avarice tourmente l'homme jusque dans son corps ; aussi Chrysostome commentant Marc (Marc 5.15), compare-t-il l'avare au démoniaque tourmenté dans son corps.
En sens contraire, S. Grégoire compte l'avarice parmi les vices spirituels.
Réponse
Les péchés ont principalement leur siège dans le sentiment. Or toutes les affections ou passions de l'âme aboutissent aux délectations et aux tristesses, comme le montre Aristote. Parmi les délectations, les unes sont chamelles, les autres spirituelles. On appelle chamelles celles qui s'achèvent dans une sensation de la chair, comme les plaisirs de la table et ceux de l'amour ; on appelle spirituelles celles qui s'achèvent uniquement dans une connaissance de l'âme. On appelle donc péchés charnels ceux qui se consomment dans les délectations chamelles, et péchés spirituels ceux qui se consomment dans les délectations spirituelles, sans jouissance de la chair. Et c'est le cas de l'avarice, car l'avare se délecte dans sa conviction de posséder des richesses. C'est pourquoi l'avarice est un péché spirituel.
Solutions
1. Si l'avarice a un objet corporel, elle ne recherche pas une jouissance corporelle, mais seulement psychique : l'homme trouve sa jouissance en ce qu'il possède des richesses. Et c'est pourquoi son péché n'est pas charnel.
Cependant, en raison de l'objet, l'avarice occupe le milieu entre les péchés purement spirituels qui recherchent une délectation spirituelle concernant des objets spirituels, comme l'orgueil qui jouit de sa supériorité ; et des vices purement charnels qui recherchent une délectation purement charnelle dans son objet charnel.
2. Le mouvement est spécifié par le terme vers lequel il va, non par le terme d'où il vient. C'est pourquoi on appelle charnel un vice parce qu'il tend à la délectation charnelle, non parce qu'il procède d'une déficience de la chair.
3. Chrysostome compare l'avare au démoniaque non parce qu'il est tourmenté dans sa chair, comme celui-ci, mais en les opposant parce que le démoniaque dont parle S. Marc vivait nu, tandis que l'avare se charge de richesses superflues.
Objections
1. Il semble que non. Car elle s'oppose à la libéralité comme à la vertu du juste milieu, et à la prodigalité comme à son extrême opposé. Mais la libéralité n'étant pas une vertu principale, ni la prodigalité un vice capital, on ne peut ranger l'avarice parmi les vices capitaux.
2. Comme on l'a dit précédemment, on appelle vices capitaux ceux qui ont des fins primordiales auxquelles s'ordonnent les fins d'autres vices. Mais cela ne convient pas à l'avarice, parce que les richesses n'ont pas raison de fin, mais plutôt raison de moyen en vue de la fin, comme dit Aristote.
3. S. Grégoire affirme : « L'avarice naît tantôt de l'orgueil, tantôt de la crainte. Car les uns, craignant de manquer des ressources nécessaires, s'abandonnent à l'avarice ; d'autres, désireux de paraître plus puissants, brûlent d'obtenir les biens d'autrui. » Donc l'avarice naît des autres vices, plus qu'elle n'est un vice capital pour les autres.
En sens contraire, S. Grégoire place l'avarice parmi les vices capitaux.
Réponse
Comme on l'a dit précédemment, on qualifie un vice de « capital » du fait que d'autres vices en naissent selon sa raison de fin. La fin étant hautement désirable, l'homme, poussé par le désir de cette fin, entreprend beaucoup de choses, en bien ou en mal. Or la fin souverainement désirable est la béatitude ou félicité, qui est la fin ultime de la vie humaine, on l'a établi antérieurement. C'est pourquoi plus une chose participe des conditions de la félicité, plus elle est désirable. Or l'une des conditions de la félicité, c'est qu'elle soit par elle-même rassasiante ; autrement elle n'apporterait pas de repos à l'appétit, comme la fin ultime. Or ce sont les richesses qui promettent au maximum ce rassasiement, dit Boèce. Et la raison en est, d'après le Philosophe, que nous employons l'argent comme un fidèle intendant pour obtenir tout ce que nous voulons. Et l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 10.19 Vg) dit : « Tout obéit à l'argent. » C'est pourquoi l'avarice, qui consiste dans l'appétit de l'argent, est un vice capital.
Solutions
1. La vertu s'accomplit dans la raison, le vice dans l'inclination de l'appétit sensible. Or la visée principale de la raison n'est pas celle de l'appétit sensible. Et c'est pourquoi il ne s'impose pas qu'un vice principal s'oppose à une vertu principale. Aussi, bien que la libéralité ne soit pas une vertu principale, parce qu'elle n'a pas pour visée le bien principal de la raison, l'avarice est pourtant un vice capital parce qu'elle vise l'argent, qui a une certaine primauté parmi les biens sensibles, pour le motif qu'on vient de dire.
Quant à la prodigalité, elle n'est pas ordonnée à une fin désirée à titre primordial, mais elle paraît plutôt venir d'un manque de raison. Aussi Aristote déclare-t-il que le prodigue est plus évaporé que mauvais.
2. Il est vrai que l'argent est ordonné à autre chose comme à sa fin. Cependant, dans la mesure où il est utile pour acquérir tous les biens sensibles, il est comme virtuellement toutes choses. Et c'est pourquoi il présente une certaine ressemblance avec la félicité, nous venons de le dire.
3. Rien n'empêche que parfois un vice, tout en étant capital, naisse d'autres vices, comme nous l'avons dit, pourvu que d'autres vices naissent de lui habituellement.
Objections
1. Il semble que l'avarice n'ait pas les filles qu'on lui attribue : la trahison, la fraude, la fourberie, le parjure, l'inquiétude, la violence et l'endurcissement contre la miséricorde. Car l'avarice, on l'a vu s'oppose à la libéralité. Or la trahison, la fraude et la fourberie s'opposent à la prudence ; le parjure à la religion ; l'inquiétude à l'espérance ou à la charité, qui se repose dans l'être aimé ; la violence à l'injustice ; l'endurcissement à la miséricorde. Donc ces vices ne se rattachent pas à l'avarice.
2. La trahison, la tromperie et la fourberie semblent avoir le même but, qui est de tromper le prochain. On ne doit donc pas énumérer tout cela comme des filles diverses de l'avarice.
3. Isidore énumère neuf filles de l'avarice « le mensonge, la fraude, le vol, le parjure, l'appétit d'un bien honteux, le faux témoignage, la violence, l'inhumanité, la rapacité ». Donc l'énumération ci-dessus est incomplète.
4. Aristote énumère plusieurs genres de vices se rattachant à l'avarice, qu'il appelle « illibéralité ». Ce sont « les regardant, les grigous, les vendeurs de cumin, ceux qui accomplissent des actes ‘illibéraux’, ceux qui profitent de la prostitution, les usuriers, les joueurs, les détrousseurs de cadavres, les bandits ». Donc la première énumération paraît incomplète.
5. Ce sont surtout les tyrans qui violentent leurs sujets. Or le Philosophe dit au même endroits : « Nous n'appelons pas ‘illibéraux’ (c'est-à-dire avares), les tyrans qui ravagent les cités et pillent les sanctuaires. » Donc la violence ne doit pas être comptée parmi les filles de l'avarice.
En sens contraire, c'est S. Grégoire qui attribue à l'avarice les filles de la première énumération.
Réponse
On appelle « filles » de l'avarice les vices qui en naissent, et surtout ceux qui désirent ce qui est sa fin. Mais parce que l'avarice est un amour excessif de la possession des richesses, elle est excessive sur deux points. D'abord en retenant ce qu'elle possède. C'est par là que l'avarice engendre l'endurcissement opposé à la miséricorde. le cœur de l'avare ne se laisse pas attendrir pour employer ses richesses à soulager les malheureux. Ensuite, il appartient à l'avarice d'être excessive dans ses acquisitions. Et à ce point de vue on peut considérer l'avarice de deux façons. D'abord en tant qu'elle est dans le cœur, et ainsi elle engendre l'inquiétude, elle introduit chez l'homme le souci et les préoccupations superflues. Car, dit l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 5.9), « l'avare n'est jamais rassasié d'argent ». Ensuite on peut considérer l'avarice dans ses résultats. Et alors, dans l'acquisition des biens étrangers on emploie parfois la force, ce qui ressortit à la violence, et parfois la tromperie. Si celle-ci se fait en paroles seulement, il y aura fourberie, et parjure si l'on y ajoute la confirmation d'un serment. Mais si la tromperie est commise en action à l'égard des choses ce sera de la fraude ; à l'égard des personnes, ce sera la trahison, comme on le voit chez Judas, qui livra le Christ par avarice.
Solutions
1. Il n'est pas nécessaire que les filles d'un péché capital soient du même genre que lui, parce qu'on peut ordonner à la fin recherchée par un vice des péchés d'un autre genre que lui. Il ne faut pas confondre les filles d'un péché avec ses espèces.
2. Nous venons de dire comment ces trois filles de l'avarice se répartissent.
3. Ces neuf filles se ramènent aux sept précédentes. Car le mensonge et le faux témoignage font partie de la fourberie ; le faux témoignage est en effet une espèce particulière du mensonge, comme le vol est une espèce de la fraude, dont il fait donc partie. L'appétit d'un gain honteux se rattache à l'inquiétude. La rapacité fait partie de la violence, dont elle est une espèce. Et l'inhumanité est identique à l'endurcissement contre la miséricorde.
4. Cette énumération d'Aristote concerne des espèces plutôt que des filles, de l'illibéralité ou avarice. En effet, on peut être appelé illibéral ou avare parce qu'on a du mal à donner ; si l'on donne peu on est appelé regardant ; si l'on ne donne rien, grigou ; si l'on donne avec beaucoup de difficulté, on est appelé vendeur de cumin, car on se donne beaucoup de mal pour peu de chose.
Parfois aussi on est appelé illibéral ou avare parce qu'on dépasse la mesure dans ses acquisitions. Et cela de deux façons. D'abord en faisant des gains honteux, autrement dit en accomplissant des œuvres viles et serviles par des trafics illibéraux ; ou parce qu'on s'enrichit par des actes vicieux, comme la prostitution ; ou parce qu'on gagne à des services qu'on devrait accorder gracieusement, comme font les usuriers, ou parce qu'on gagne peu en se donnant beaucoup de peine. Et ensuite parce qu'on gagne injustement, en faisant violence aux vivants comme les bandits, ou en détroussant les cadavres, ou en dépouillant ses amis, comme les joueurs.
5. Comme la libéralité, l'avarice concerne des sommes de moyenne importance. Aussi les tyrans qui s'emparent des grandes richesses par la violence ne sont-ils pas appelés avares, mais injustes.