Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE VIII
DU MÊME CONTRE LE MÊME, À CAUSE DES DIFFÉRENCES QUI LE DIVISENT D’AVEC PLATON DANS LES THÉORÈMES CONCERNANT LE CIEL : QUESTIONS AUXQUELLES MOÏSE N’A ACCORDÉ AUCUNE ATTENTION

« Après toutes les différences que nous avons signalées, il y en a encore un grand nombre d’autres. Ainsi Platon dit que les substances célestes tirent leur origine principale du feu (Timée, page 530 de Ficin, 40 de H. Et.).

Aristote dit, au contraire, qu’il n’y a aucune parcelle de feu dans les corps célestes. Platon dit que Dieu a allumé le feu dans le second cercle en se rapprochant de la terre, afin de faire briller le ciel du plus grand éclat possible (Ibidem, 39 de H. ET.) et surtout affirme cela du soleil. Celui-ci, par la raison qu’il ne veut pas que le soleil soit de feu, et sachant que la lumière est un feu pur ou quelque chose qui tient du feu, ne permet pas qu’elle soit excitée dans le soleil. Plus encore : le premier, attribuant l’immortalité aux corps célestes sans exception, la fait varier suivant les espèces ; en sorte qu’il y a, selon lui, des déperditions et des agrégations proportionnées aux espèces. Voici ce qui le force à s’exprimer ainsi : pour les déperditions, ce sont les rayons du soleil et les chaleurs qui se répandent au dehors ; pour les agrégations, c’est cette apparence de l’astre toujours égale à elle-même en grandeur ; car il ne voulait pas croire que ces corps pussent toujours paraître les mêmes, s’ils ne récupéraient pas, en raison de ce qu’ils perdent. Mais Aristote veut que ces corps restent toujours dans les mêmes proportions de substance, sans que rien s’en échappe, sans que rien s’y ajoute. Platon, indépendamment du mouvement commun des astres au moyen duquel, enchaînés dans leurs orbites, aussi bien les fixes que les planètes, suivent un entraînement général, il leur attribue encore un autre mouvement qui, en même temps qu’il est le plus beau, est aussi celui qui convient le mieux à la nature de leurs corps, qui est sphérique, il veut que chacun d’eux ait un mouvement sphérique qui le fasse tourner sur lui-même. Aristote leur dénie ce mouvement particulier, de la nature de ceux qu’ont les animaux ; pour ne leur laisser que celui qu’ils partagent avec tout ce qui les entoure, qui est propre aux corps inanimés. Il va même jusqu’à dire que cette imagination que nous nous formons des astres, comme se mouvant, n’est qu’une illusion produite par la faiblesse de notre vue, qui la fait comme vaciller (Aristote, de Caelo, liv. 2, chap. 9), sans qu’il y ait aucune réalité en cela ; comme si Platon ne devait qu’à son imagination la conviction où il était de ce mouvement, et non pas au raisonnement, qui nous apprend que puisque chacun de ces astres est un animal, doué d’une âme et d’un corps ; il est nécessaire qu’il soit mu par un mouvement qui émane de lui. Tout corps, en effet, qui ne reçoit que du dehors l’impulsion au mouvement, est inanimé ; celui qui le tire de l’intérieur et de lui-même, est animé. Or, le corps céleste étant divin, ne peut être mu que du mouvement le plus noble ; et comme le plus noble de tous les mouvements est le mouvement de rotation, c’est celui qui doit lui appartenir. La sensation n’aurait pu que confirmer ce que le raisonnement nous fait découvrir ; car ses relations sont vraies ; mais elle n’atteint pas à la perception de ce mouvement. Quant au mouvement général des astres, vaincu par l’évidence, Aristote n’a pas osé contredire Platon, sur ce qu’il s’opère circulairement, mais sa belle découverte du cinquième corps lui a fourni cependant en cela une occasion de s’en éloigner. En effet, Platon considérant que tous les corps sont au nombre de quatre et que chacun d’eux a reçu de la nature un mouvement simple et tendant vers son but : savoir, le feu, la direction centrifuge ; la terre, l’entraînement au centre ; les autres, l’impulsion vers les points intermédiaires ; il a réservé à l’âme le mouvement de rotation. Aristote, par le motif qui lui a fait attribuer à chaque corps un autre mouvement, a destiné pour son cinquième corps le mouvement de rotation, comme par une impulsion corporelle ; ce en quoi il s’est facilement laissé induire en erreur. En effet, la pesanteur et la légèreté sont les principes du mouvement dans les corps qui se meuvent par la ligne droite ; mais le cinquième corps, qui n’a ni pesanteur ni légèreté, a bien plus en lui le principe d’inertie que celui du mouvement rotatoire. Si, en effet, la forme n’est pas la cause qui, dans les corps mus en ligne droite, en détermine le mouvement, mais la gravitation ; un corps semblable, placé dans le milieu de son semblable, ne doit avoir aucune cause d’oscillation,

« soit qu’ils aillent à droite, vers l’aurore et le soleil (Homère, Iliade, M. 239.), »

ou à gauche, ou en avant, ou en arrière. Ensuite, pour les autres corps qui sont chassés du lieu qu’ils occupaient, la répercussion que leur a imprimé le premier mouvement les ramène vers le point de départ, de celui où ils étaient descendus ; mais pour le cinquième corps, qui ne sort jamais de sou repos, rien ne pourrait mieux lui convenir que d’y demeurer. Aristote semble prendre plaisir à chercher querelle à Platon à l’égard des autres corps, abstraction faite du cinquième ; bien loin de dire les mômes choses. En effet, Platon, cherchant à déterminer si les corps sont pesants ou légers par leur nature (Timée, p. 540 de Ficin, 62 de H. Et.), et comme ces dénominations paraissaient s’appliquer à la propension vers les régions supérieure et inférieure ; il examine si, en effet, la nature reconnaît un haut et un bas ou non ; puis ayant démontré, avec beaucoup de sagacité, que ce n’est que par la propension des corps vers ces lieux, qu’on a nommé en bas le point vers lequel chacun d’eux gravite, et en haut celui dont ils se détournent, par une sorte d’antipathie ; puis ayant classé, d’après cette manière d’être, le pesant et le léger ; par une marche consécutive, ayant fait voir que ni le centre ni la circonférence ne sont convenablement appelés haut et bas, Aristote lui résiste de toutes ses forces (Aristote, de Caelo, liv. 4. chap. 1), croyant devoir renverser tout ce qu’il dit ; et il insiste avec violence pour qu’on nomme pesant ce qui est porté vers le centre, et léger ce qui tend à la circonférence. Il dit, en conséquence, que le lieu placé au centre est en bas, que celui de la circonférence est en haut. »

Telles sont les discussions de ces philosophes sur le monde et sur les régions du ciel. Laissons-les donc disputer sur ces questions dont Moïse et les oracles hébreux ne tiennent aucun compte, et avec raison, ne jugeant pas que de semblables recherches fussent utiles à la correction des mœurs, ni à ceux qui en font leur unique étude.

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